Les @mers du CESM


Les @mers du CESM - 19 avril 1944 :

Le cuirassé Richelieu participe au bombardement de Sabang, base japonaise en Indonésie. Le navire français, ayant rejoint l’Eastern Fleet commandée par l’amiral britannique Somerville, prendra part à trois autres opérations visant des bases navales ennemies. Après 52 mois passés en mer, le bâtiment rentre à Toulon le 1er octobre 1944. À nouveau déployé en Asie du Sud-Est l’année suivante, le bâtiment assistera à la capitulation du Japon dans la rade de Singapour le 23 septembre 1945.





05 novembre 2012

Livre blanc et escorte aérienne de la Flotte : quelles options ?


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© Inconnu.

L'illustration de ce billet illustre assez bien les choix qui vont s'offrir au gouvernement et à la Marine nationale pour la défense aérienne de la Flotte :
  • est-ce qu'il faudra proposer une contribution navale à la défense anti-missile balistique, et si oui, laquelle ? 
  • Le format de la Flotte à quatre escorteurs anti-aérien doit-il être confirmé ou réduit ?
  • Faut-il pousser plus en avant la "croiseurisation" des escorteurs ? Ce serait rejoindre les conceptions américaines qui ont conduit à l'élaboration du programme Arleigh Burke.
Le nouveau livre blanc est en cours de rédaction. Ce n'est que le début, et il n'y a pas beaucoup de bruits de coursives à son sujet. Il a été dit qu'il serait plus court que l'ancien, et serait plus comparable à celui de 1972 qu'aux deux suivants (1994 et 2008) avec un format de 70 pages (environ). Ce livre blanc va pouvoir permettre de jauger les ambitions du nouveau gouvernement.

Pour en venir plus précisément aux faits, il y a un débat qui a secoué le monde qui va être tranché par cette déclaration de choix qu'est un livre blanc : bien entendu, il s'agit de la lutte contre les missiles balistiques.

Premièrement, et en réaction à la seconde guerre du Golfe (1990-1991), la France a construit une capacité d'interceptions de missiles balistiques de théâtre (ou tactiques) de courte portée (600 km de portée). Le SAMP/T est la matérialisation de cet enseignement et de cette volonté. C'est l'Armée de l'Air qui le met en œuvre sous l'appellation de Mamba. La chose qui est sérieusement envisagée, c'est une extension des capacités anti-missiles actuelles : il serait possible de porter le SAMP/T à des standards supérieurs et suffisants pour intercepter des missiles balistiques de 1500 km de portée. Est-ce que la Marine doit apporter une contribution navale à cette lutte contre les missiles balistiques ? C'est une première réponse que l'on peut attendre du livre blanc. Les missiles du système SAMP/T sont les mêmes que ceux du PAAMS qui équipent les frégates Horizon. Bien entendu, la réponse à cette question conditionnera fortement l'avenir de l'escorte anti-aérienne de la Flotte.

Deuxièmement, les présidents Chirac et Sarkozy ont confirmé la dissuasion nucléaire et réaffirmé sa place centrale comme réponse à des atteintes graves à nos intérêts vitaux. Le discours de l'Ile Longue du Président Chirac était assez clair à ce sujet en 2006. Paris ne se dirigerait donc pas vers une réponse autre la dissuasion en ce qui concerne les missiles balistiques intercontinentaux que des pays détenteurs pourraient utiliser comme une arme de dissuasion. 
Le problème, c'est que les Etats-Unis ne relâchent pas leurs efforts dans la lutte anti-missiles balistiques intercontinentaux (ABM) et dans l'élaboration de systèmes anti-missiles multicouches (combinaison de systèmes tactiques, comme les Patriot PAC-3, les THAAD et SM-3, et "stratégiques", comme les GBI).
Les américains ont réussi à implanter en Europe des éléments avancés et prépositionnés de leur bouclier anti-missile. Cette réussite de l'administration Bush a créé des déçus car, dans le projet initial, l'Europe n'avait aucune forme de protection en la matière, mais avait toutes les raisons de se sentir vulnérabilisée par un système qui attire le couroux des pays qui se sentent mis en danger par son existence.
C'est pourquoi l'administration Obama a remanié le projet afin que l'Europe bénéficie d'une certaine forme de protection. Le leitmotiv du projet est même devenu la "menace" iranienne. Mais surtout, les européens sont montés dans le train et au sommet de l'OTAN à Lisbonne, l'Alliance s'est engagée dans la défense anti-missile balistique de territoire. A ce moment là le Président était Sarkozy, et il n'y a eu aucun enthousiasme à se joindre au projet.
Bien des marines européens s'intéressent ou s'engagent dans des programmes d'acquisitions de missiles SM-3 et de modernisation de leurs frégates et destroyers pour participer à la défense anti-missile balistique de territoire. Ce recours aux marines s'explique par deux choses : d'une part, ces marines ont fait le choix d'installer à bord de leurs escorteurs anti-aériens le même système d'armes qui équipe les destroyers et croiseurs de l'US Navy. Le passage à l'acte est hautement facilité par cette proximité technologique. Par ailleurs, il aurait été peut être plus coûteux d'évoquer l'acquisition de systèmes fixes à terre alors que le développement de capacités anti-missiles balistiques était beaucoup plus simple à bord de ces navires. Aussi, il faut relever que la défense nationale de ces Etats reposent en très grande partie sur l'implication des forces américaines en Europe : cela se paie par la participation à des programmes d'armements plus ou moins utiles, comme le Joint Strike Fighter (F-35) et la DAMB. D'autre part, il est possible avec des Etats à la géographie réduite d'évoquer une défense anti-missile balistique de territoire avec des navires puisque leur champ d'action couvre le territoire national, tout en restant à quai. En outre, cette exiguité géographique ce combine, donc, avec une menace claire et identifiée, ce qui simplifie le positionnement des systèmes.
Dans le cas français, ce n'est pas envisageable puisque la France est un archipel. Enfin, ils n'ont pas de dissuasion nucléaire, donc ce substitut est plus facile à articuler dans une défense nationale. En France, la dissuasion est un outil qui fonctionne en permanence et tout azimut. Dans le cas de la défense anti-missile balistique, ce n'est pas possible de construire à l'échelle de la France une défense anti-missile balistique de territoires tout azimut : le coût serait monstrueux. Il est plus simple d'adapter des frégates et detroyers au missile SM-3 quand la menace est identifiée plutôt que de construire une défense dans ce domaine tout azimut avec une couverture presque nécessairement mondiale. En outre, quelle serait la crédibilité d'une DAMB construite autour de la "menace" iranienne quand la dissuasion est tout azimut ?
C'est pourquoi il est possible de s'attendre légitimement à ce que le gouvernement du président Hollande réaffirme la place centrale de la dissuasion nucléaire pour la protection des intérêts vitaux et reprécise son articulation avec une défense anti-missile balistique de théâtre qui pourrait s'affiner.

La Marine nationale pourra alors se demander si l'Exécutif souhaite qu'elle participe à la défense anti-missile balistique de théâtre. C'est un choix qui découlera du livre blanc et qui sera dimensionnant pour la composante anti-aérienne de la Flotte. Par exemple, les frégates Horizon qui sont dévolues à la défense aérienne d'un groupe naval disposent de 48 missiles Aster 15 et 30. Admettons qu'il faille, dans le cas de l'interception d'un missile anti-navire à vol rasant, lancer deux missiles : il est alors possible de comprendre que les munitions partent très vite... Donc, s'il fallait inclure de nouvelles menaces à engager, il pourrait être nécessaire de reconsidérer le nombre de munitions devant être embarquées pour répondre à l'ensemble des missions définie. C'est possible sur une frégate de classe Forbin puisqu'il existe une réserve sur l'avant pour 16 missiles supplémentaires. Les travaux les plus coûteux consisteraient en l'adaptation du système d'armes des deux frégates Horizon, le PAAMS, à la DAMB de théâtre. Le Sénat comptabilisait 300 millions d'euros pour porter les deux frégates vers les capacités DAMB du SAMP/T.

La dernière question qui concerne les escorteurs anti-aériens de la Flotte concerne le format de cette escorte, justement. La Marine maintient depuis plusieurs décennies, tant bien que mal, un format minimum de quatre frégates ou croiseurs anti-aérien capables de protéger une escadre des menaces aériennes les plus modernes. Le livre blanc de 2008 demandait à la Marine de pouvoir escorter et le groupe aéronaval et le groupe amphibie. Avec moins de quatre frégates, ce n'est pas envisageable. A l'heure actuelle, les frégates Forbin et Chevalier Paul répondent bien à ce besoin. C'est de moins en moins le cas pour les frégates Cassard et Jean Bart qui, malgré quelques modernisations, comme le changement de radar de veille aérienne lointaine, accusent leur âge et l'âge de leur système d'armes. Est-ce que le livre blanc va maintenir ce format à quatre unités ?

Si le format est maintenu, alors il s'agit de savoir si le gouvernement va lancer le remplacement des frégates Cassard et Jean Bart car, et comme le relève Navy Recognition, le missile SM-1 ne sera plus maintenu en service dans l'US Navy. Nos deux frégates françaises sont justement conçues autour de la mise en œuvre de ce vecteur. S'il était nécessaire de les prolonger, alors il faudrait moderniser leur systèmes d'armes : "A solution would be to replace the SM-1 with SM-2 Block IIIA missiles. According the Raytheon, in order to safely fire SM-2 missiles, the MK 13 GMLS would need two ordnance alterations (ORDALTs) performed. Both of these ORDALTs are minor in nature. There is no need to change the launcher or raise the platform. The fire control radars (SPG-51, STIR 180, STIR 240) usually do not need to be upgraded or replaced, but the CWI Transmitters require upgrading. There will be some additional hardware and software required to initialize, launch, and control SM-2 missiles as well as minor changes to the combat management system to account for the much larger intercept envelope SM-2 has when compared to SM-1". Ce serait moins coûteux que l'achat de deux nouvelles frégates, mais cette modernisation appelle deux questions fondamentales :
  • est-il financièrement raisonnable de prolonger une frégate au-delà des 30 années de service ? Elle a été conçue dans les années 70.
  • Est-ce que le jeu en vaut la chandelle ?
Avec les frégates Forbin et Chevalier Paul la lutte anti-aérienne est passée au stade supérieur : celui de la "défense aérienne de zone", d'où la dénomination de "frégate de défense aérienne" (et non plus "anti-aérienne) pour ces deux unités. Maintenir ces deux frégates en service au-delà des dates de retrait (2018 et 2020), c'est maintenir une division parmi les escorteurs de défense aérienne qui finira par se faire ressentir sur un théâtre d'opérations.
De plus, il y a une chose à dire à propos d'une modernisation qui nous obligerait au près des américains : est-ce que Washington livrerait la version MR (Medium Range) ou ER (Extended Range) du SM-2 ? La différence entre les deux est d'une quarantaine de kilomètres (50 contre 90) ! En outre, ce serait le futur SM-6 qui serait optimisé contre les missiles anti-navires. Les missiles Aster luttent contre tout ce qui vole actuellement, il serait dommage de ne pas rentabiliser l'investissement pour, en plus, se rendre dépendant des aléas des humeurs de Washington. Qu'est-ce qu'en pense l'Armée de l'Air de cette histoire : les Etats-Unis autoriseront-ils la modernisation ?...
Entre parenthèse, cette idée d'une (nécessaire ?) homogénéïté entre les escorteurs se posera également en cas de décision politique en faveur d'une contribution politique à la DAMB de théâtre : si le format d'escorteur anti-aériens était maintenu à quatre, alors est-ce que sur le long terme les quatre devraient être capables de remplir des missions anti-balistiques ?

Il reste la solution de la confirmation du remplacement des deux navires. C'est certainement la plus simple. Il s'agirait de commander les deux FREDA qui sont en gestation depuis 2007-2008, soit depuis l'annulation des frégates Horizon 3 et 4. Etait-ce une si bonne affaire financière que cela de ne pas confirmer ces deux navires ? Il y a un intérêt certain à ce que la Cour des comptes se prononcent. En attendant, la piste retenue depuis cette annulation est celle du développement d'une version anti-aérienne du programme FREMM. Pendant un temps, ces études devaient être financées par la Grèce qui était intéressée par l'acquisition de six frégates FREMM à dominante anti-aérienne. Si les allemands ont pu vendre au bon moment leurs sous-marins à la Grèce, les frégates françaises ne passeront pas. Faute de commande à l'exportation, c'est donc la France qui va régler l'intégralité des études. DCNS a dévoilé un peu en avance sur le salon Euronaval à quoi ressemble sa proposition en la matière : la FREMM-ER.

http://www.meretmarine.com/sites/default/files/styles/mem_500/public/new_objets_drupal/fer.jpg© DCNS.

Mais il existe aussi la possibilité que le gouvernement réduise le format ou décale cette réduction en abandonnant le remplacement des frégates Cassard et Jean Bart. Ces frégates seraient alors naturellement remplacées quand "les conditions économiques et financières le permettra". C'est la réponse du livre blanc au second porte-avions depuis 1994.

Dans cette optique, il existe la possibilité d'une autre modernisation, ou plutôt d'une refonte, pour sauvegarder le format anti-aérien de la Flotte : la croiseurisation des frégates FREMM à vocation anti-sous-marine. La question qui peut germer dans la tête d'une personne qui aperçoit la FREMM-ER pourrait être : est-ce que cette mâture unique avec un radar de veille aérienne à quatre faces planes peut être installé (ainsi qu'avec le système d'armes associé) sur une FREMM ASM ? La question taraude bien des personnes.
De plus, DCNS, propose la FREMM-ER avec la possibilité d'instégrer un VDS (Variable Deep Sonar : les fameux poissons des navires ASM) sous la plateforme hélicoptère, comme c'est le cas sur les FREMM ASM. C'est comme le fait que les frégates Horizon ont révélé de très belles performances en lutte ASM aux essais grâce au sonar de coque, à l'antenne linéaire remorquée et, bientôt, grâce au NH90 et ses capacités ASM. Il semblerait que cet hélicoptère va permettre un saut par rapport à ce qui se faisait avant en la matière.
Dans les deux cas, FREMM-ER et Horizon, il y a une frégate de défense aérienne qui a toutes les capacités et les matérielles, ou presque (absence du VDS sur les Horizon) pour faire de la lutte ASM et de la défense aérienne de zone. Pourquoi donc ne serait-il pas possible de "FREMM-ERiser" toutes les FREMM ASM ? Si jamais c'était possible, alors la défense aérienne de la Flotte ferait un bon en avant avec un format non pas à quatre escorteurs mais à 11 ou 9.

Le livre blanc va donc inviter la Marine à choisir entre un statu quo avec simple renouvellement des deux frégates Cassard et Jean Bart, une diminution du format à deux unités (car pour arriver en Flotte en 2018 et 2020, il faut lancer le programme aujourd'hui), un choix en faveur ou non de la DAMB de théâtre et, enfin, une croiseurisation des FREMM ASM si jamais cela été possible.

S'il était techniquement possible de croiseuriser les FREMM ASM grâce à un développement de leurs capacités anti-aériennes par l'intégration du systèmes d'armes du PAAMS et des avancées en matière de radar (aux capacités supérieures à celles des Horizon) et de mâture unique, alors il vaudrait peut être mieux obtenir 9 croiseurs légers par modernisation et refonte. Les crédits nécessaires à ces opérations sont dans les sommes alouées au programme FREDA dans la prochaine loi de programmation militaire et au désarmement avancé des frégates Cassard et Jean Bart. Le calendrier est bien calé puisqu'il serait certainement possible d'effectuer les modifications directement sur la ligne de production des FREMM françaises, à Lorient.

L'état-major de la Marine ne met pas en avan cette solution, qui traduirait un resserement de la flotte de surface, certes. Mais cette réduction doit être compensée par les programmes BATSIMAR, BSAH et BMM qui donneront les nombreux vecteurs nécessaires aux missions de sauvegarde et sécurité maritimes. Une partie de la Marine ne peut pas non plus se dédire : les frégates lance-engins Suffren et Duquesne étaient des croiseurs légers. Il ne manque plus que le sonar remorqué sur les frégates Horizon, même si elles feront aussi bien grâce à l'hélicoptère embarqué, le NH90.

La croiseurisation résoudrait bien des difficultés à moindre coût et permettrait, paradoxalement, de regagner un volume d'options tactiques tout en démultipliant l'influence politique de chaque frégate.

02 novembre 2012

Du Shi Lang au Liaoning : réaffirmation de la volonté de Pékin en Asie ?


http://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/c/cb/Mukden_1931_japan_shenyang.jpg© Wikipédia. Troupes japonais entrant à Shenyang pendant l'incident de Mukden.

Les médias francophones tombent sous le charme du premier porte-aéronefs chinois, et ne cessent de gloser sur son impact, fantasmé, sur les crises latentes de l'Asie du Sud-Est. Ce blog se permet de dire que l'entrée en service de ce navire, le 26 septembre 2012, n'est pas synonyme d'une menace actuelle. Alors, est-ce que, comme cela a été prétendu sur ce blog, la Chine aura un groupe aéronaval crédible sur le plan militaire en 2017, 2019 ou 2022 ? Peu importe, à dire vrai, que la date proposée (2022) soit la bonne. Le problème, c'est que tout nos médias se focalisent sur l'entrée en service d'un navire qui ne peut pas, être à l'heure actuelle, être la pièce centrale d'un outil militaire offensif : les chinois ne savent pas (encore) faire. Ce sera pareil pour les anglais quand ils recevront leurs deux porte-aéronefs entre 2018 et 2020 : il leur faudra bien de 7 à 10 ans pour reconstruire un outil aéronaval crédible.

Mais ce navire a une signification beaucoup plus précise pour l'Asie : la Chine lance un porte-aéronefs (qui sera assisté par des escorteurs, dont certaienment des sous-marins, en sus des frégates et destroyers, et pourquoi pas une coopération avec l'aviation à long rayon d'action (autant de patrouille que d'attaque anti-navires) pour guider cette escadre) qui n'est qu'un navire d'expérimentations, d'essais et donc, in fine, un navire école ! Ce que peuvent craindre les nations asiatiques, c'est que ce navire permettent sur la période allant de 2020 à 2025 de constituer le noyau dur d'une puissance aéronavale chinoise pouvant permettre aisément l'entrée en service d'un deuxième, voire d'un troisième navire. Oui, c'est bien cette potentielle montée en puissance chinoise qui inquiète dans la région.

Ce temps semble long à ceux qui s'attendaient à ce que le vaisseau présente une menace actuelle. Mais dans le temps de la mer, qui est un temps long, Pékin pourrait prendre de vitesse bien des rivaux. Il doit être clair pour tout le monde que l'acquisition d'un porte-avions et sa préparation pour qu'il devienne la pièce centrale d'un outil stratégique relève du temps  long :
  • quelques années sont nécessaires pour concevoir le navire dans un bureau d'études.
  • La durée de construction généralement constatée d'un tel navire et pour l'armer de tout ses systèles est de 5 à 7 ans.
  • Enfin, 5 à 10 ans années sont nécessaires pour le transformer en un outil opérationnel (à force d'entraînements et d'échanges avec les marines alliés) capable d'opérer avec un groupe aéronaval.
Nous sommes en 2012, et autant dire que si, effectivement, la Chine construit une escadre école pour accueillir deux porte-aéronefs de plus, et avec, peut être, le premier porte-avions (à propulsion nucléaire) sur la tranche des années 2020-2025 (Mer et Marine évoque la construction d'un, voire de deux, porte-aéronefs à propulsion classique, et peut être même d'un porte-avions nucléaire -notez que ce serait un porte-avions, et non pas un porte-aéronefs), alors elle prendra toute l'Asie du Sud-Est de court.

C'est-à-dire que la région aura très peu de temps pour se positionner face à la puissance chinoise qui va encore monter d'un cran. Pour exemples :
  • les programmes indiens d'acquisition de porte-aéronefs accumulent les retards : les navires (un, voire deux Air Defense Ship/Indigenous Aircrafts Carrier et l'INS Vikramaditya (ex-Gorshkov soviétique) n'arriveraient en flotte que vers 2017-2020).
  • La Russie maintient le Kuznetsov en service, mais elle n'a pas encore retrouvé les capacités nécessaires pour le remplacer, voire augmenter sa flotte de ponts plats. La démonstration la plus flagrante de cet état de fait est que la Chine aura réussi l'exploit de refondre et mettre au service un ancien porte-aéronefs soviétique (classe Kuznetsov) avant que Moscou réussisse à en faire de même pour honorer le contrat d'acquisition passé par l'Inde pour un autre ancien porte-aéronefs soviétique (le Gorshkov, donc, de classe Kiev).
Il demeure donc essentiellement les Etats-Unis dans la région. Ils sont directement impactés par le potentiel défi (Pékin dément construire un ou deux autres navire) et cela ne fait qu'accentuer leur problème naval : avec un navire stationné au Japon, un ou deux patrouillant dans le Golfe Persique et un autre faisant la jonction entre l'océan Indien et l'Asie du Sud-Est, il n'y a pas tellement de navires américains face à un, deux ou trois (à l'orée 2020) navires chinois jouant à domicile -ils passent donc tout leur temps opérationnel sur le théâtre alors que les navires américains passent un bon tiers de leur temps en transit.

C'est justement la volonté des Etats-Unis qui est mesurée par Pékin.

Sur le plan naval, il faut bien comprendre que la Chine ne donne pas, par hasard, des noms à ses navires. Par exemple, le navire-école chinois qui sert à former les officiers d'une marine océanique en construction porte un nom bien particulier : le Zheng He. C'était aussi le nom d'un amiral chinois du XIVe siècle. La particularité de ce marin est qu'il est soupçonné d'être l'un des premiers à avoir découvert l'Amérique du Nord dès le XIVe siècle (mais d'autres pistes portent à croire que ce serait une découverte viking qui daterait du Xe siècle -l'Europe est sauvée). Mais plus encore, du temps de cet amiral, la marine chinoise était une force océanique capable de croiser depuis la Chine jusqu'au Golfe Persique et de soumettre ces côtes à l'influence chinoise.

Dans un premier temps, donc, ce premier porte-aéronefs chinois etait baptisé "Shi Lang". C'est le nom d'un amiral chinois qui servit sous les dynasties des Ming et des Qing, soit au XVIIe siècle. Une des réussites militaires de cet amiral a une résonnance toute particulière, encore aujourd'hui : il réussi à soumettre l'archipel de Taiwan. Donc, et alors que Pékin niait toujours, pour la forme, que l'ancien Varyag soviétique allait devenir un navire militaire, il était attribué d'un nom à la symbolique très forte. Il semblait bien trouvé puisqu'il permettait à Pékin de matérialiser une volonté politique très forte de faire entendre raison à cet archipel pour qu'il rejoigne "une seule Chine, deux systèmes" -ou trois systèmes pour l'occasion. C'était une réaffirmation politique qui aurait fait écho à bien des discours. Mais c'était aussi un risque calculé car si la Chine montait progressivement d'un cran dans le cadre de cette crise larvée, elle le faisait très progressivement sans déstabiliser la région. Les Etats-Unis auraient alors reçu très clairement le message puisque l'archipel de la Chine nationaliste est sous leur protection (bien que Washington évite de franchir des lignes jaunes en accordant une trop grande protection aux yeux de Pékin - autre chose à noter, les Etats-Unis se méfient, peut être trop tard, de la réussite chinoise à espionner les matériels américains vendus à Taiwan, ce qui pourrait expliquer quelques lenteurs à la livraison de matériels).

Mais ce n'était qu'un nom de baptême officieux : rien de rien n'était officiel.

C'est bien dommage, dans un sens. Il a été dit que bien des esprits se focalisent (trop ?) sur les capacités supposées du navire. Sans paraphraser ce qui a été dit plus haut, ce porte-aéronefs n'est pas la pièce d'un groupe aéronaval opérationnel. C'est la pièce maîtresse de la montée en puissance de la Chine dans le club fermé des marines dotées d'une aéronavale embarquée sur porte-aéronefs ou porte-avions. Ce qui aurait dû retenir l'attention, c'est le nom du navire. Première observation, c'est le nom de la province il a été refondu et mis en service : Liaoning. Et alors ? Il y a bien un porte-avions Charles de Gaulle qui était baptisé Bretagne au début de son programme en France et la première frégate du programme FREMM qui est nommée Aquitaine. Deuxième remarque : la Chine ne semble jamais donner un nom à un navire de premier plan à la légère...

La troisième remarque n'est que le fruit de la supposition de l'auteur de ce blog : Liaoning, ce nom n'est pas inconnu dans nos manuels d'Histoire. Liaoning est donc le nom d'une province chinoise. Cette entité administrative abrite une ville, Dailan, où a été refondu et mis en service le navire. La capitale de cette entité territoriale est Shenyang. Le nom mandchou de cette ville est "assez intéressant" : Moukden. En 1931, l'empire du soleil levant organise un faux attentat sur une ligne de chemin de fer appartenant à une société japonaise. Cet "attentat" (il est avéré aujourd'hui que c'est bien le Japon qui l'avait monté de toutes pièces) a été le prétexte pour Tokyo pour occuper la Mandchourie. La suite de l'Histoire est connue : la Chine côtière fut en grande partie soumise par les armes japonaises, et ce fut un massacre parmi les chinois. Aujourd'hui encore, Pékin exige des excuses du Japon et la fureur populaire chinoise explose à chaque fois que cette période est minimisée au Japon, comme quand un manuel scolaire japonais restait bien "modeste" sur cette période.

Il faudrait donc admettre que le nom du premier porte-aéronefs chinois ait été effectivement choisi en liaison avec cet évènement historique qui inaugurait une période noire pour la Chine. Les gouvernements successifs de Pékin, depuis la proclamation de la République Populaire de Chine, s'acharnent à démonter, les uns après les autres, les traités "inégaux" que la Chine aurait eu à signer au XIXe siècle (essentiellement). Cette fois-ci, la Chine pourrait (ce n'est qu'une supposition) adresser un message très fort au Japon : il y a des contentieux à régler, et cela ne peut plus se faire sur des bases que les gouvernants chinois jugent ou jugeraient inéquitables. Pékin afficherait alors une ligne géopolitique constante, mais renouvelerait également sa volonté par cet acte fort.

Dans le cadre de cette supposition, ce n'est plus seulement l'archipel nationaliste et rebelle qui est visé, mais c'est bien le Japon. Le protecteur stratégique est le même dans les deux cas. Ce ne serait pas du tout la même chose entre la réintégration de Taiwan dans le giron chinois et le lâchage du Japon par les Etats-Unis :
  • d'un côté, il y a un archipel qui est divisé entre indépendantistes et un autre camp plutôt désireux de se rapprocher de la Chine (ce qui ne veut pas dire rattachement pur et simple). Si la pression des armes chinoises se fait sentir, la porte n'est pas non plus fermée à une solution politique.
  • De l'autre côté, il y a le Japon. L'archipel dépositaire de l'empire du soleil levant est sous protectorat américain depuis 1945.
La sécurité nationale japonaise repose sur la volonté des Etats-Unis à rester suffisamment engagé en Asie pour défendre et leurs intérêts, et l'archipel. Si donc le message de la Chine passe par ce navire, dont le nom ferait référence à l'incident de 1931, alors un défi est lancé au Japon et aux Etats-Unis.

La Chine fait sentir sa présence navale, via ses agences paramilitaires, le long de ses côtes à travers tout les archipels et îlots qui font l'objet d'une crise larvée depuis plusieurs années, voire plusieurs décennies (Taïwan donc, mais aussi les Senkaku, Paracels et les Spratleys). Ces confrontations navales qui se font via des forces civiles ou paramilitaires font craindre l'engagement des marines de guerre des pays concernés. Par son porte-aéronefs, Pékin pourrait (conditionnel, toujours) faire savoir que, à l'avenir, la volonté de la Chine est suffisamment forte pour engager un ou deux autres porte-aéronefs supplémentaires, voire un porte-avions nucléaire. Il y a donc un défi militaire qui est lancé. Le Japon a d'ores et déjà lancé deux destroyers porte-hélicoptères (16DDH) et devrait percevoir dans les prochaines années deux autres navires porte-hélicoptères (les deux destroyers 22DDH, notoirement plus grands). La question qui est posée aux Etats-Unis est celle de la volonté :
  • est-ce que Washington relève le défi chinois et reste partie prenante dans les différentes crises qui secouent le Sud-Est asiatique, notamment et surtout les crises territoriales ?
  • Ou bien est-ce que la stratégie d'engagement prioritaire en Asie décrétée par les derniers gouvernements américains (dont celui d'Obama) n'est pas subordonnée à une volonté politique suffisamment solide ?
Pékin fait sentir sa détermination, notamment, et pas seulement, par le poids de son engagement naval. Alors soit les Etats-Unis répondent présent et l'US Navy s'engage encore plus en Asie, soit le Japon et les autres nations asiatiques se retrouvent en tête-à-tête avec la Chine. A ce moment là, les modalités d'un équilibre des puissances entre elles seront tout autre avec une présence américaine en reflux.

Cette supposition sur le choix du nom du porte-aéronefs chinois demeure une supposition. Il est certain que la Chine ne choisit pas au hasard le nom de ses plus importantes unités navales qui constituent le fondement de sa puissance de demain. Si c'est une manière de tester la volonté politique américaine, alors la réponse façonnera pour beaucoup les équilibres gépolitiques des 20 ou 30 prochaines années. Dans ce cadre, l'Europe ne peut que s'attendre à un seul cas de figure : un désengagement américain encore plus grand du Vieux continent puisque : si les Etats-Unis relèvent le défi asiatique jusqu'au bout en continuant à construire un front d'opposition à Pékin, alors les américains auront besoin de la majorité de leurs forces disponibles dans le Pacifique, et cela se fera certainement au détriment de l'Europe (qui investit beaucoup moins sur le plan militaire que le reste du monde). Mais si les Etats-Unis abdiquaient face à Pékin et abandonnaient la stratégique de containment de la Chine dans le Pacifique, alors pourquoi est-ce que les Etats-Unis s'investiraient-ils en Europe ?!

01 novembre 2012

Transformer l'outil militaire pour défendre les ressources françaises de l'Océan Indien


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L'Industrie conserve une forte charge politique en France, et dans de nombreux pays. La production de bien manufacturiers serait la plus à même de faire le bonheur des statistiques de l'exportation. Passons outre le fait que la question de la "désindustrialisation" de la France est un débat biaisé puisque nombre d'emplois dans le secteur de l'Industrie ont été externalisé dans les Services depuis une ou deux décennies...
Le nouveau gouvernement, en fonction depuis l'élection présidentielle de 2012, souhaite, comme ses prédécesseurs, relancer le secteur industriel en "France". Signe des temps, nombre de personnes continue encore à résumer la France à ses territoires d'Europe. Il s'agirait de réformer le code minier afin d'aller dans la direction d'une relance de l'exploitation des ressources fossiles des territoires français d'Europe. Or, les français sont gouvernés par un mensonge : la France, un hexagone ? Non, la France est un archipel d'ampleur mondiale.

A cet effet, l'industrie nationale ne se relancera pas en Europe où les ressources du sol semblent soit pauvre, soit négligeable soit problématique à exploiter (cas des gaz de schistes). Mais c'est bien dans la France archipélique qu'il existe des perspectives formidables et dont l'exploitation pourrait marquer un tournant historique. La Guyane a inauguré un état de fait : en 2019, la France sera pays producteur de pétrole. Les réserves pétrolières de cette France d'Amérique du Sud ne sont pas encore totalement délimitées et estimées. C'est une introduction car c'est dans l'océan Indien que les plus grandes réserves de ressources seraient à découvrir. L'avenir offrira donc le choix d'exploiter ces ressources. Partant de là, le sel de la valeur ajoutée des industries réside dans la transformation des ressources primaires, ce qui nécessitera de grandes quantités d'énergies dans une zone où le secteur industriel français n'est pas ou peu développé.

Enfin, l'existence de ressources de taille suffisante pour mériter le qualificatif de stratégique ne pourra qu'attiser la convoitise. Dans cette optique, la République devra faire respecter sa souveraineté et dissuader de tout pillage. Les moyens affectés à ces missions ne consisteront pas en un nombre plus ou moins grands de patrouilleurs hauturiers, mais bien en un bouleversement historique de notre outil de Défense nationale car notre géographique est à un tournant historique.

Si le propos prend comme exemple l'Océan Indien, il peut se tenir dans n'importe quel endroit de l'Archipel français.
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L'Archipel

La France est donc un archipel dont la représentation ci-dessus donne un aperçu de l'ampleur. Il s'agit de deux objets distincts :
  • les différentes îles et les différents îlots qui constituent le territoire de la France et que la République se doit de protéger en vertu de la Constitution. Un point particulier doit être dit concernant la métropole et la Guyane :
    • La première est une île artificielle grâce à la fin du danger continental de la Guerre froide et la disparition de tous les autres que la France avait connu. Mais aussi c'est une île articielle grâce à la construction européenne. C'est l'équivalent moderne des Longs murs d'Athènes.
    • La Guyane bénéficie de l'existence du désert humain qu'est la forêt amazonienne, ce qui assure une certaine protection naturelle, aussi infranchissable que peut l'être la forêt des Ardennes.
  • Les zones économiques exclusives sont l'une des principales créations de la convention de Montego Bay (1982). Elle délimite une zone allant de la mer territoriale (de la ligne de base jusque 12 miles en mer) jusqu'à 188 miles nautiques en haute mer.
Les ZEE ne sont pas un territoire mais l'Etat qui en possède a l'exclusivité de leur exploitation. C'est l'Etat qui en régule l'exploitation. Mais il ne peut pas en interdire le libre passage. Cependant, la création des ZEE relève de logiques américaines (ressources fossiles du plateau continental) et sud-américaines (ressources halieutiques) visant à territorialiser la mer pour interdire à d'autres utilisateurs ses ressources.

Le premier objet stratégique relève du territoire national quand le second est une création internationale qui étend notre souveraineté en mer sur des zones qui ne sont des territoires stricto sensu, mais dont le devenir nous appartient. La jonction des deux objets forment l'Archipel français. De ce simple constat découlera un certain nombre de réalités  et d'enjeux, ce qui fait que toute construction d'outils militaires ne peut que être conçu pour et par l'Archipel. Toute construction qui méconnaîtrait cette chose n'aurait ni pour ambition de respecter la Constitution, ni même de protéger la France, ses habitants et ses intérêts compris.

La région française de l'Océan Indien

Les marins d'autrefois ont donné à la France de nombreux territoires dans l'Océan Indien. Les principaux sont :
  • les archipels de Mayotte (département de la République depuis un référendum de 2011) et les îles éparses dans le canal du Mozambique,
  • les îles de Tromelin et de la Réunion à l'Est de Madagascar,
  • l'ensemble des Terres Australes et Antarctiques Françaises (TAAF) formé par les archipels de Crozet, St-Paul et Amsterdam, Kerguelen et par la terre Adélie.
C'est la réunion de ces territoires, et donc de leur ZEE, qui forme un grand ensemble qui pourraît être nommé "région française de l'Océan Indien" (RFOI ?). Région qui est à l'intersection des axes Nord et Sud de l'Archipel français. Mais qui est aussi légèrement au sud de la route de circumnavigation. Et encore, les territoires français de l'Océan Indien sont aussi au sud des principales routes mondiales du commerce et de l'énergie. Mais cette région peut aussi être l'un des tremplins pour participer aux affaires asiatiques alors que le centre géopolitique du monde tend à se repositionner tout à l'Est du Rimland, en Asie du Sud-Est.

De manière plus particulière, la région française de l'Océan Indien est positionnée face à une grande partie des détroits du Rimland : le Cap, Suez, Bab El-Manded, Ormuz, Malacca et la Sonde. Ce n'est pas une mince position stratégique que d'être à proximité de ces points là qui s'ils venaient à être coupés pourraient alors perturbés l'écoulement des flux maritimes, ce qui perturberait grandement l'économie mondiale.

Néanmoins, il convient de noter que cette région est constitué de deux sous-ensembles géographiques différenciés :
  • une partie Nord qui est en regard de l'Afrique et de Madagascar,
  • une partie Sud qui est baignée de sa proximité avec l'Antarctique.
Qui plus est, cette région possède des dimensions relativement importantes puisqu'elle s'étend d'un axe Nord-Sud de 3000 km et s'étire en largeur sur 2000 km. C'est presque l'ampleur du territoire des Etats-Unis en Amérique du Nord, hors Alaska.

S'il fallait trouver au moins une unité à ce territoire alors cela pourrait être l'exploitation de ses ressources fossiles. Plusieurs îles recèleraient, par leurs zones économiques exclusives, de grandes réserves d'hydrocarbures et de minéraux. La plus-value de l'industrie se réalise dans la transformation des matières premières. Ce qui revient à rechercher un lieu pour cette transformation, et ce lieu est tout trouvé : c'est la Réunion. L'île posséderait suffisamment de place et d'énergie pour mener à bien ce projet. De plus, elle à vocation être le centre de gravité des territoires français de l'Océan Indien.

Ressources

Ces ressources fabuleuses, de quoi sont-elles composer ? Le rapport du Sénat sur la Maritimisation, mais aussi un ouvrage -"France-sur-Mer : l'Empire oublié", nous en offre un aperçu :
  • "Dans le canal du Mozambique, les eaux sous souveraineté française, autour des îles Eparses, disposent de sous-sols semblables à ceux de Madagascar où se trouveraient des réserves estimées à plus de 16 milliards de barils" (rapport du Sénat sur la Maritimisation).
  • "Dans les TAAF, la légine australe est bien exploitée, avec 6 000 tonnes/an dans le cadre d'une pêche extrêmement réglementée qui a fait ces dernières années l'objet d'un contrôle renforcé pour limiter le pillage des stocks par la pêche illégale" ((rapport du Sénat sur la Maritimisation).
  • "La pisciculture concerne la Réunion, Mayotte, la Polynésie et la Nouvelle-Calédonie, avec des perspectives de développement, mais aussi des freins identifiés" (rapport du Sénat sur la Maritimisation).
  • "La pêche constitue, en effet, un rouage de notre indépendance alimentaire qu'il faut sauvegarder, même si, d'ores et déjà, elle ne peut plus couvrir que 80 % de nos besoins, ce qui pénalise notre balance des paiements, le déficit global de la France sur les seuls poissons étant malheureusement passé en dix ans de 500 000 à 1 million de tonnes" (rapport du Sénat sur la Maritimisation).
  • Il y aurait de fortes suspicions quant à la présence de réserves de pétrole dans l'archipel des Kerguelen. Les campagnes détudes visant à étudier la possibilité d'étendre les ZEE de cet archipel par le biais de la dorsale océanique (KERGUEPLAC) comprennaient divers organismes dont l'IFP (Institut Français du Pétrole). Il n'y a eu ni infirmation, ni confirmation concernant l'existence de gisements d'or noir (et possiblement de gaz) (Travaux hydrographiques aux îles Kerguelen (1996-2003).
  • Il reste à savoir si des ressources minérales seront découvertes dans les ZEE et les territoires français de l'Océan Indien.
Rien qu'avec les réserves de pétrole, estimées, résidant dans les eaux françaises du canal du Mozambique, il y a de quoi relancer, un peu l'industrie nationale. Le Sénat fait bien, aussi, de mettre en exergue que les ressources halieutiques participent de l'enjeu de notre indépendance alimentaire, et de notre diversification des approvisionnements, également.

Les sénateurs ajoutent que : "Les difficultés rencontrées par la pêche française aussi bien en métropole que dans les territoires d'outre-mer militent pour un renforcement des moyens de contrôle et de surveillance maritimes des zones de pêche afin, d'une part, de protéger les stocks dans nos eaux territoriales contre les pêches illégales et la surexploitation de certaines zones et, d'autre part, défendre les intérêts de nos pêcheurs nationaux dont l'activité est essentielle à l'équilibre économique de ces territoires". Il n'y a pas plus clair lien établi entre des ressources qui peuvent s'avérer vitales, les zones économiques exclusives et leur nécessaire protection.

Exploitation

La production d'or noir est un vecteur non-négligeable de création d'emplois : il faudra construire ou louer des navires d'exploration et de forage, avoir recours à des plateformes pétrolières et à des navires pour transporter les ressources extraites jusqu'à leur lieu de transformation.

Les ressources halieutiques ne seront pas en reste puisque la flotte de pêche française pourra trouver des débouchés inespérés et composer avec une politique d'exploitation durable de ces ressources si et seulement si les moyens dédiés à la surveillance maritime seront bel et bien présent.

Si l'exploitation de ces ressources sera source d'une activité industrielle non-négligeable, l'enjeu reste à les transformer afin de pouvoir les exporter dans les Etats riverains, voire dans le monde. Cet objectif nécessite de développer des zones industrielles capables de raffiner le pétrole, ou des conserveries pour conditionner les ressources halieutiques afin qu'elles puissent être consommées. Mais ce genre d'activité requiert d'avoir à sa disposition de grandes quantités d'énergies. C'est tout l'enjeu des énergies marines renouvelables (énergie houlomotrice, marémotrice, éolienne offshore, hydrolienne, etc... - voir à ce sujet le bulletin d'études marine n°153, le rapport du Sénat sur la maritimisation et l'ouvrage "France-sur-mer l'empire oublié").

Mais l'île de la Réunion, lieu potentiel et probable de la transformation des ressources, dispose aussi de l'intérêt non-négligeable d'être une île volcanique. A ce sujet, le modèle de développement par excellence est l'Islande. L'île de l'Atlantique Nord a su tiré parti de son importante activité volcanique et de ses capacités de production d'électrique d'origine hydraulique pour développer de grandes capacités industrielles dans la production de l'aluminium.

Protection (maritime) ?

La Protection est l'une des cinq fonctions stratégiques, érigée par le livre blanc sur la défense et la sécurité nationale de 2008, consistant en la protection de la population et du territoire français (s'entend donc la protection de l'Archipel (?) et de ses habitants). Dans l'esprit du livre blanc, il s'agit de protéger ces deux objets contre les "nouvelles" vulnérabilités : terrorisme, cyberdéfense, trafics illicites et catastrophes industrielle et naturelle.

Le problème, c'est qu'il y a un vide surprenant entre la fonction Protection et les quatre autres. Par exemple, la fonction "Connaître et anticiper" doit permettre d'appréhender les différentes menaces qui pèsent sur le pays grâce aux différentes manières de collecter du renseignement et de le traiter. Et L'anticipation de ces menaces doit éviter qu'elles ne se développent trop au point que la Prévention (autre fonction stratégique) ne puisse plus les traiter. A ce moment là, il ne resterait plus que le choix d'Intervenir (avant-dernière fonction) : c'est-à-dire recourir à une opération militaire qui est coûteuse sous tous ses rapports. La dissuasion est la dernière fonction de l'actuel livre blanc.

Premier écueil, il n'est pas dit que la connaissance et l'anticipation comprenne la collecte de renseignement sur les activités maritimes en liaison avec les intérêts français. Si la création de la fonction garde-côtes (sans rapport aucun avec le livre blanc) a pour ambition de fournir une image globale des activités maritimes intéressants l'intérêt national, il n'est pas dit qu'elle bénéficie des moyens de renseignement d'autres agences nationales. C'est paradoxal puisque le renseignement est l'apanage des puissances qui cherchent à se protéger d'une surprise stratégique car elles n'ont pas les capacités d'y résister par le fait d'une puissance militaire trop faible. C'est souvent l'apanage des puissances insulaires.
Deuxième écueil, et pas des moindres : de quelle fonction stratégique relève la protection de l'archipel, de ses territoires et de ses zones économiques exclusives ? La fonction Protection n'ambitionne pas, du moins explicitement, de remplir cette mission. Et pourtant, elle est essentielle puisque des missions de sauvegarde maritime dépend la crédibilité de la souveraineté française dans les zones économiques exclusives. Sans cette souveraineté, ces zones ne valent plus rien puisque l'Etat régulateur pourra être contourné et ce sera le pillage qui disposera des ressources. A moins d'une incompréhension du livre blanc de 2008, il y a un gros vide.

C'est par ces deux biais qu'il est possible de comprendre en quoi le livre blanc sur la défense et la sécurité nationale est passée presque complètement à côté de la maritimisation. Pour un travail de prospective... C'est à croire que la pleine mesure de la fin de la Guerre froide n'a pas été prise quand aux évolutions qui sont intervenues dans la géographie de la France (qui est un Archipel).

Donc, l'Action de l'Etat en Mer, comprise dans la fonction garde-côtes, mène les missions de sauvegarde maritime, et est un parent pauvre stratégique. Non prise en compte dans les livres blancs alors qu'elle est gardienne du dernier empire que possède la France. Un empire qui s'étend sur cinq océans, presque tous les océans et qui représente une surface de 11 millions de km², bientôt 13.

Protection ?

La betteravisation est un concept mort-né, obsolète dès son énonciation. C'est la fonction stratégique Protection qui est poussée à son paroxysme car l'Armée de Terre, suite à la fin d'opérations extérieures de longue durée, et "sans perspectives de se réengager dans de telles opérations" (sauf au Mali ? En Somalie ? En Syrie ?), était vouée à rentrer dans ses casernes le temps de régénérer le potentiel.

Ce dernier concept permettrait de rêver l'Armée de Terre comme une grande force de protection du territoire contre les catastrophes naturelles et humaines. Soit dit en passant, que font les pompiers et la gendarmerie ? Boutade, s'il en est, puisque pour ceux qui lisent avec délectation et horreur le récit de la bataille de France de la fameuse année 1940 ne peuvent que se rappeler combien la Gendarmerie nationale a un rôle essentiel, vital dans la protection du territoire national.

Le cas de Fukushima serait un grand exemple militant pour cette approche de la fonction Protection. Ce leitmotiv aurait la puissance nécessaire afin d'amener le Politique à sauvegarder la cohérence de l'Armée de Terre par la fourniture des crédits budgétaires. C'est justement ce en quoi l'accident nucléaire japonais est révélateur : le fait que les forces d'auto-défense japonaises aient pu mobiliser une centaine de milliers d'hommes fait, et il faut le dire, rêver en France. Il n'est pas tant question de savoir si le dispositif de Sécurité civile japonais ait été le plus efficient qu'il soit car, au fond, le plus important est de se raccrocher à un pays capable de mobiliser l'équivalent d'un corps d'armée pour lutter contre catastrophes naturelles et industrielles.
Malheureusement, le but de la guerre n'est pas d'aligner le plus grand effectif possible et disponible mais bien d'assurer la défense nationale. C'est pompeux à dire, mais il est possible de se délecter avant l'heure en pensant à quelle manière il va être possible de défendre le programme Scorpion (et son EBRC), les hélicoptères issus du programme HC4 ou le maintien en service des chars Leclerc avec un concept de potager, plus propre à la Sécurité civile qu'à la Guerre.

L'obsolescence du projet est telle qu'il viole allègrement la constitution : est-ce que la seule métropole mérite protection ?

Dès lors, ce modèle projeté et qui traîne depuis trop longtemps comme référent dans les débats est à abattre : il est incompatible avec la protection des intérêts français de l'Océan Indien (et pis de la France). Ces archipels de cet océan exigent, pour la protection des biens et des personnes, une savante défense qui allie défense en mer (maîtrise des mers, sea denial et sea control) avec des capacités aéroamphibies pour répondre à toutes les menaces potentielles. Si la Protection exige de protéger et les territoires et les ressources des zones économiques exclusives alors la manœuvre débute dans les océans et les mers qui bordent nos deux objets stratégiques. Il s'agit de surveiller, par le travail clandestin d'un agent, l'œil d'un satellite ou depuis la caméra déployée depuis le drone d'un patrouilleur afin de traquer l'intrus. Mais dans un archipel, il peut s'agit aussi de porter secours à une île coupée du monde par une catastrophe naturelle (cas de Haïti) ou bien de la reprendre de vive force car c'est un morceau du territoire national qui a été envahi par une puissance étrangère lors d'une opération surprise (cas des Malouines). Mais il s'agit aussi de préserver les flux maritimes, aériens et les communications immatérielles qui relient les îles de l'Archipel entre elles et avec le monde. Ce dernier impératif dépasse même le cadre de l'Archipel, mais aussi celui de la fonction Protection.

Plus largement, le fait que la France soit un archipel et que la constitution affirme que le territoire de la République est un et indivisible, et qu'il est à protéger, fait que la Marine nationale est la première force armée garante de l'intégrité du territoire. Cela n'enlève en rien à l'impérieuse nécessité de disposer de forces terrestres cohérentes afin d'attaquer toute menace où qu'elle se trouve, et de préférence à sa source, afin de prévenir l'émergence d'une menace plus grande qui pourrait passer cette première barrière de Défense, la Marine, pour venir balayer nos forces terrestres.

Mais il n'en demeure pas moins que la première barrière de Défense est navale, et à ce titre, tous les débats, tous les appels à sauvegarder la seule Armée de Terre, à préserver son assise institutionnel et budgétaire qui en fait la première force armée de France, avec le premier budget, ne peuvent que laisser pantois face à la réalité géographique du pays, de l'Archipel et des enjeux qui en découle.

Il y a une sorte d'anachronisme dangereux à laisser ces tentatives de préserver un ordre ancien et désuet. Comme le disait le général Weygand dans un autre temps "la France croira qu'elle sera défendue et elle ne le sera pas". Le général pourfendait l'Armée construite alors car elle n'offrait pas les garanties nécessaires face à la menace d'un nouveau danger continental qui émergeait. Pire, il se disait que l'habit de l'Armée était trop grand pour elle et l'on cherchait à préserver des effectifs et l'apparence d'une grande puissance alors que l'on avait sacrifié l'essentiel : la capacité d'intervenir pour abattre toute menace naissance.

L'Amiral Castex admettait alors qu'il n'y avait pas manière à discuter de la hiérarchie budgétaire entre l'Armée et la Marine : le danger continental impose de sauvegarder la métropole de tout péril. A cette fin, la Marine doit se concentrer sur la protection de l'Empire, de ses lignes de communication et le préserver de toute invasion. Aujourd'hui, et alors qu'il n'existe plus de grand danger continental pour la France depuis 1989 -et c'est une (r)évolution historique- la priorité ne peut que s'inverser entre l'Armée et la Marine pour la défense du territoire national, de l'Archipel. C'est une question de pragmatisme. Cela découlé intrinsèquement de la géographie du territoire.

Si cette évolution n'était pas prise en compte, si cette inversion de priorité n'était pas non plus prise en compte, alors la citation cruelle de Richelieu reviendra encore : "les larmes de nos souverains ont le goût salé de la mer qu'ils ont ignoré".

Le livre bleu ?

Au final, un nouveau livre blanc va bientôt être offert à la France. Sa réflexion ne va pas s'arrêter à une ou deux années budgétaires difficiles. Mais elle va bien prendre en compte l'état des lieux : c'est-à-dire que la France possède un riche empire maritime. Il faut le protéger, et il contient les ressources pour le faire. A charger pour d'autres de les exploiter selon les modalités qu'ils définiront. L'Océan Indien n'est qu'un exemple, le propos s'applique en tout point de la France.

Des conceptions stratégiques vont être annoncées et il découlera un outil de Défense nationale reforgé. Il sera question de savoir comment cet outil se construira et se réorientera pour aborder la "nouvelle" géographie française, celle qui a été libérée -enfin depuis des siècles que cela été attendu- de ses servitudes continentales. A ce moment là :
  • l'Action de l'Etat en Mer ne pourra plus être un outil subsidiaire, délaissé par les arbitrages budgétaires.
  • Les forces de haute mer continueront à être autant un outil d'intervention extérieur par excellence qu'un outil naval qui par sa capacité à disputer la maîtrise des mers (sea control et sea denial) sera capable d'assurer la légitimité des forces de la fonction garde-côtes qui n'auront pas à craindre d'être engagées par une puissance trop aventureuse sans que celle-ci craigne des représailles.
  • Il ne faudra pas non plus répéter l'erreur de l'entre-deux-guerres : c'est-à-dire ne pas s'arquebouter sur des questions de rang et de rêve du nombre, mais bien construire des forces terrestres capable d'intervenir d'un bout à l'autre de l'Archipel, et se projeter à partir de lui pour étouffer toute constitution d'une menace qui dépasserait, par son ampleur, les moyens nationaux.
La mer sera l'élément essentiel de la manœuvre pour projeter et soutenir les forces terrestres, pour soutenir la puissance aérienne française. L'enjeu n'est plus de construire un corps d'armée pour contenir une invasion qui viendrait par les Ardennes ou par la Belgique. L'enjeu est la défense d'un Archipel, de ses habitants, ses territoires et de ses ressources. Si l'interarmisation des forces peut être un gage d'efficacité, elle ne peut pas non être un frein à un rééquilibrage, salutaire, entre les priorités budgétaires qui vont à chaque Armée. Tous les programmes sont nécessaires, mais ils ne sont pas tous sur le même pied d'égalité quand à la protection des îles de l'Archipel. A titre d'exemple, il est d'une nécessité impérieuse que les programmes de la fonction garde-côtes (BATSIMAR, BSAH, BIS, BMM et AVSIMAR) et des forces de haute mer (PA2 et PA3, FLOTLOG) aboutissent. Aucun artifice, aucun concept, aussi séduisant soit-il, ne pourra ignorer ou espérer cacher la réalité géographique de l'Archipel. Et tout découlera de cette géographie : la manière dont la France pense sa place dans le monde, la manière dont elle construit sa stratégie pour y agir.

Pour aller plus loin :

13 octobre 2012

Chine : un outil aéronaval en construction pour réaffirmer les ambitions géopolitiques de Pékin


© APL. Le porte-avions chinois Liaoning.
Le « porte-avions » de la Marine de l'Armée Populaire de Libération (MAPL) a été admis en service le 26 septembre 2012. Ni le bâtiment, ni le futur groupe constitué autour ne sont opérationnels, Pékin évoquait un bâtiment "école". Son arrivée dans la flotte chinoise est pourtant l'accomplissement des ambitions formalisées dans les années 1980 quand la marine océanique chinoise était imaginée. Et ce premier porte-aéronefs ouvre très certainement la voie à un long apprentissage afin de former un outil opérationnel apte vers 2022.

09 octobre 2012

Qu’est ce qu’un trois-ponts ?

© Léon Haffner, vaisseau trois-ponts sous voile.

L'auteur du blog "Trois Ponts" me fait l'honneur de répondre longuement et de manière très complète à quelques questions concernant ces navires de ligne : un grand merci à lui !


24 septembre 2012

Chine : pas de groupe aéronaval crédible avant 2022


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© Inconnu. Photomontage montrant le porte-aéronefs chinois avec groupe aérien embarqué et un navire d'escorte.

La nouvelle a fait le tour du monde : le "porte-avions" de la Marine populaire de libération a été livré !

Un petit retour en arrière peut être nécessaire : « Racheté en juin 2000 au chantier ukrainien par l'intermédiaire d'un homme d'affaires chinois, la coque, à environ 70% d'achèvement, a été remorquée en 2002 à Dalian ». Il s'agit du Varyag.

 Il est la seconde unité de la classe Kuznetsov qui ne compte pas d'autres navires (outre le Varyag et cette tête de série). Il est question que la coque vendue à la Chine devienne un casino-flottant (un croiseur porte-aéronefs, le Kiev, tête de série de sa classe, a connu un tel destin en Chine. Un navire de la même classe, le Minsk, est devenu un musée).

Il y eu des chancelleries qui ne furent pas dupes de la finalité du projet puisque la Turquie bloqua le passage de ses détroits (des Dardanelles et du Bosphore). La coque eu alors quelques difficultés à quitter la mer Noire. Les détroits turcs ont la particularité d'être sous la juridiction de traités internationaux (comme, par exemple, la convention de Montreux) qui prohibent le passage de navire porte-avions. Le pont plat quitte donc finalement l'Ukraine en 2001 et arrive en Chine, à Dailan, en 2002. Mais, le navire qui est livré n'est doté d'aucun engin de propulsion.
Le Kuznetsov et l'ex-Varyag sont plus des porte-aéronefs que des porte-avions -et la différence est fondamentale. Première chose, les soviétiques les ont conçu comme des "croiseurs porte-aéronefs". Il s'agissait de pouvoir s'affranchir de la convention de Montreux par un artifice juridique.

De plus, la stratégie navale soviétique s'appuyait sur des bastions. Ces zones, au nombre de deux, étaient sous la responsabilité des flottes du Nord et du Pacifique. Il s'agissait pour la marine russe de construire, par diverses actions opérationnelles, des zones interdites à toutes les menaces dans l'optique de sécuriser les vecteurs nucléaires (SNLE principalement) qui pouvaient y patrouiller.

Donc, il y avait nécessité de navires de défense aérienne car l'attaque anti-navires se faisait par avions à long rayon d'action (Tu-95 et 142, par exemple). En outre, il n'y avait pas de projection de puissance dans la doctrine navale russe car elle était essentiellement défensive (mais pas seulement, soit dit en passant). Alors, ces deux navires (ainsi qu'une classe de quatre autres croiseurs porte-aéronefs : les Kiev) sont des croiseurs lance-missiles en tout premier lieu. Le navire tête de série, le Kuznetsov qui est en service dans la Marine russe, permet d'appréhender la chose. Ils (exemple de la classe Kuznetsov) ont donc :
  • une batterie principale composée de missiles : "12 missiles anti-navires SS-N-19 Shipwreck ("Granit" de 555 km de portée) situés sous le pont d’envol au milieu de la piste (la phase de tir interromprait donc les opérations aériennes). La défense anti-aérienne du bâtiment est assurée par 4 groupements de 6 silos à 8 missiles surface-air SA-N-9 (15 km de portée), 4 systèmes anti-aériens CADS-N-1 (2 canons de 30mm et 8 missiles SA-N-11 -8 km de portée- chacun) et 6 canons anti-aériens multitubes de 30mm. Deux lance-roquettes anti sous-marins complètent le tout" ;
  • et d'une batterie secondaire qui repose sur un groupe aérien embarqué : "Le groupe aérien du Kouznetsov se compose généralement de trente aéronefs dont des chasseurs embarqués Su-33, des avions d’entraînement Su-25UTG et des hélicoptères anti sous-marins Ka-27, de guet aérien Ka-31 et de transport d’assaut Ka-29. A l’origine, il était également prévu d’embarquer des chasseurs à décollage vertical Yak-141 Freestyle avant abandon du programme à la chute de l’URSS. Le Mig-29K a quant à lui été testé mais n’a pas été retenu face au Su-33". 
Le problème pour la Chine, c'est que le navire a été livré sans sa batterie principale. Cette dernière prend une place considérable à bord, ce qui fait que le groupe aérien est plutôt limité (30 machines, officiellement) par rapport au tonnage du navire (60 000 tonnes, contre 32 aéronefs et 40 000 tonnes pour le Charles de Gaulle). Le vaisseau n'est pas non plus optimisé, à l'origine, pour les opérations aériennes puisqu'il fallait composer avec un navire hybride (croiseur/porte-aéronefs) avec deux batteries aux solutions architecturales presque contradictoires.

De plus, les deux navires russes (et six avec les quatre Kiev) relèvent de la filière aéronavale des STOBAR (Short take-off but arrested recovery). C'est-à-dire que les aéronefs à voilure fixe décollent à la seule force de leur réacteur et avec l'aide d'un tremplin et ils reviennent apponter sur le navire avec l'aide de brins d'arrêt. Il n'y a pas de catapultes et c'est une différence vraiment fondamentale d'avec la filière CATOBAR (Catapult Assisted Take Off Barrier Arrested Recovery - qui compte comme seuls membres les Etats-Unis, la France et le Brésil). Si la filière STOBAR simplifie l'architecture des navires, elle implique que l'avion embarqué soit inférieur en performances à son homologue terrestre. La chose est simple à constater : un Su-33 qui décolle du Kuznetsov ne le fait pas avec son plein chargement de munitions et de carburant. A contrario, et avec la filière CATOBAR, un Rafale qui est catapulté du Charles de Gaulle a les mêmes performances que celui de l'Armée de l'Air qui décolle d'une base terrestre : ils sont tout les deux aussi chargés. Cette symétrie des performances entre l'avion catapulté et son homologue terrestre est vraie dans l'US Navy depuis les années 50. Dans la pratique, cela aboutit à ce que le groupe aéronaval CATOBAR ait une portée très supérieure au groupe aéronaval STOBAR.

Si l'ex-Varyag arrive finalement en Chine en 2002, il n'entre en cale sèche qu'au cours de l'année 2005. Si ce long retard reste à expliquer (était-ce pour cacher la finalité de l'opération ? Les deux porte-aéronefs musée et casino ne suffisaient-ils pas pour faire illusion ?), il faut noter que le navire ne quitte sa cale que pendant l'année 2011. 6 années de travaux, c'est à la fois beaucoup et à la fois très peu. Il fallait, au mons, motoriser le navire. Par la suite, les chinois l'ont un peu adapté à leurs besoins, comme c'est expliqué par Mer et Marine. Il semblerait que la batterie principale n'ait pas été renouvelée. Mais les chinois n'auraient pas mené les travaux nécessaires pour optimiser les opérations aériennes à bord du navire, comme cela est actuellement réalisé par la Russie sur un autre navire de la classe Kiev qui a été vendu à l'Inde. Il n'y a pas eu d'installations de catapultes de conception russe ou chinoise à bord non plus.

Le navire sert donc à pratiquer de nombreux essais à la mer depuis 2011, et il a surtout fait l'objet d'une mise en service, plutôt que d'une refonte aussi ambitieuse que celle choisie par l'Inde pour un autre croiseur porte-aéronefs.

Pékin présente son porte-aéronefs (puisque ce n'est pas un porte-avions) comme un navire-école. Il y a un décalage entre ce qui se passe en Asie et ce qui est perçu dans divers endroits de l'Occident. Ce décalage en sera que plus dommageable pour ceux qui perçoivent très mal la montée en puissance des capacités aéronavales chinoises.

Dans un premier temps, l'apprentissage de l'outil aéronaval fondé sur un porte-aéronefs sera très long pour la Chine. Comme le faisait remarquer Coutau-Bégarie, il est nécessaire de distinguer deux notions différentes :
  • le groupe aérien embarqué, qui va de paire avec le navire porte-aéronefs,
  • le groupe aéronaval.
Le groupe aérien embarqué n'est pas une notion qui va de soi. Par exemple, dans le colloque du CESM consacré au centenaire de l'aéronautique navale française, Coutau-Bégarie notait qu'il avait fallu attendre les porte-avions Foch et Clemenceau pour que la notion s'impose en France. Entre temps, bien des compétences avaient été perdues entre les porte-avions de la guerre de l'Indochine et de la crise de Suez et l'entrée en service des deux navires de la classe Clemenceau. Les chinois peuvent difficilement passer à côté d'une telle unité organique qui permet de générer, diffuser et de régénérer les compétences opérationnelles.

Pékin a pris les devants. D'une part, la Chine a conclu un accord aéronaval avec le Brésil, en 2010, relatif à la formation des futurs pilotes embarqués chinois. D'autre part, il y a de nombreuses installations terrestres en Chine qui permettent le début de la formation du groupe aérien embarqué et des personnels méconnus mais ô combien indispensables pour sa mise en œuvre (rien que la gestion du pont est tout un art).

La marine chinoise bénéficierait d'une très bonne préparation avant de percevoir son navire-amiral : mais la pratique sur le porte-aéronefs demeure indispensable...

De plus, si la Chine prépare la constitution d'un groupe aérien embarqué et sa mise en œuvre à la mer sur son pont plat, il est à noter que ce groupe est incomplet. Par exemple, il n'y a pas d'aéronefs dédié à l'éclairage de l'escadre ou à la coordination et au soutien des activités aériennes. Ce groupe est donc sans aéronef de guet aérien (AEW dans la terminologie anglo-américaine) et c'est un manque crucial car c'est l'absence de ce genre d'appareils qui a coûté bien des pertes aux anglais lors de la guerre des Malouines (sans compter qu'il semblerait que la Royal Navy ait été incapable de suivre le 25 de Mayo, le porte-avions Argentin).
C'est sans oublier les hélicoptères de sauvetage qui sont, eux aussi, indispensables pour parer à toutes les éventualités. De même que les hélicoptères logistiques sont nécessaires pour faire durer le navire à la mer.

Outre le couple porte-aéronefs/groupe aérien embarqué, il faut pouvoir l'escorter. Ce n'est pas une mince affaire que d'articuler une base aérienne flottante avec, au moins, un escorteur dédié à la lutte anti-sous-marine et un autre à la lutte anti-aérienne. Tout comme il est impensable de nos jours de déployer un porte-aéronefs ou un porte-avions sans sous-marin nucléaire d'attaque pour assurer sa protection (sauf quand la nation détentrice du pont plat ne possède pas de SNA, mais alors elle déploie rarement son porte-aéronefs de manière indépendante). C'est l'escorte minimale pour protéger le porte-aéronefs.

Et c'est sans compter sur le nécessaire train logistique pour faire durer le navire à la mer : il faut autant ravitailler le pont plat que ses aéronefs que son escorte. Tout comme l'escorte doit pouvoir être relevé si besoin est par de nouveaux navires. Cela implique d'avoir une flotte de surface bien dimensionnée par rapport au besoin -même si le navire n'est pas destiné à être projeté loin de sa base (par exemple, le Charles de Gaulle œuvrait au Sud du port de Toulon pendant l'opération Harmattan). L'escorte de SNA (française était insuffisante pendant l'opération Harmattan) doit aussi suivre, et dans ce domaine, la Chine ne déborde pas de sous-marins d'attaque à propulsion nucléaire.

Le porte-aéronefs chinois se prépare à entrer en service depuis l'année 2011 : c'est-à-dire que son équipage prend en main le navire et le porte vers l'état opérationnel en qualifiant les systèmes les uns après les autres. Si le navire est livré en fin d'année 2012 (le 23 ou le 25 septembre, peu importe), c'est qu'il aura fallu au moins une année pour le prendre en main depuis ses premiers essais à la mer.

Dans le même temps, le navire a commencé les essais aéronautiques dont les objectifs sont autant de qualifier les hommes que les machines et l'intégration des deux aussi bien sur le pont d'envol que dans les airs. Il faudra probablement une bonne année pour prendre en main tout cela.

Mais il faudra encore une bonne année, si ce n'est plus, pour adjoindre au pilier du groupe aéronaval son escorte et un train logistique efficace.

Bernard Prézelin, l'auteur actuel de "Fottes de combat", estimait en 2011, que cinq année, au minimum, serait nécessaire à la Chine pour construire un groupe aéronaval crédible (par rapport à ce qui se faisait pendant l'opération Harmattan). Il faudra certainement quelques années de plus car il sera nécessaire à la marine chinoise d'apprendre de nombreux exercices, voire d'interventions militaires.

Dire que le groupe aéronaval chinois ne sera crédible que vers l'an 2022, ce n'est ni exagéré, ni une sous-estimation. La Chine se donne les moyens de préparer l'aventure avant la perception du navire afin de gagner du temps sur les enseignements à tirer de la mer. Elle parviendra à construire l'outil qu'elle ambitionne de se doter, à n'en pas douter. Donc, il serait surfait de craindre que le navire puisse actuellement, et dès sa livraison (comme s'il pouvait être livré "prêt à l'emploi en guerre"), être la pièce maîtresse d'un dispositif naval offensif.

C'est sur le plan de la diplomatie navale que le navire produit ses premiers effets car il est l'objet du fantasme d'une "Chine impéraliste". Tout du moins, il montre que la Chine entend aussi projeter sa puissance aérienne par la voie des mers, au moins au large de ses côtes. Mais en attendant le nécessaire apprentissage, il n'est pas un instrument de combat, ce qui va compliquer les bénéfices politiques à retirer de ses croisières. Cela pourrait même fragiliser sa position : un navire inapte au combat ne va pas dans un théâtre d'opérations où pourrait se dérouler des actions offensives de moyenne ou haute intensité. Et donc, le moral chinois en prendrait un coup terrible puisque le fleuron de la flotte resterait au port ou loin des combats, dans une sorte de "fleet in being". La diplomatie navale peut être à double tranchant.

Le décalage entre la situation opérationnelle du porte-aéronefs chinois d'aujourd'hui et la montée en puissance des capacités aéronavales chinoises dissimulent ce qui pourrait se passer en 2022. Ce navire demeurera très certainement un navire-école (tout comme il sera le centre d'un groupe aéronaval école, à vrai dire) car tant qu'il flottera, il sera une inappréciable source d'enseignements opérationnels pour la Chine. Si jamais il devait ne plus naviguer pour bien des raisons, alors ce serait autant de temps perdu.

Mais si Pékin tient son calendrier, alors la marine chinoise pourrait sereinement faire entrer en service d'autres porte-avions à partir de 2022 (la Chine achète les coques d'anciens porte-avions depuis les années 70 (pour leur déconstruction, officiellement) et elle est soupçonnée de pratiquer la rétro-ingénierie à ces occasions). Les équipages du premier groupe aéronaval auront constitué le noyau dur de la puissance aéronavale chinoise. C'est à partir de ce noyau qu'elle grandira. Les actuelles agitations autour de la livraison du navire font oublier le fait que bien des échos annonçent la construction de porte-avions en Chine. S'ils étaient livrés en 2022, alors la Chine ferait un pas de géant dans le club des puissances aéronavales.

Ce n'est pas vraiment une projection saugrenue puisque :
  • le Japon aura alors au moins quatre porte-aéronefs (avec, peut être, des F-35B),
  • la Russie devrait percevoir un second porte-avions (en plus de ses deux premiers BPC et de son Kuznetsov qui serait alors toujours en service),
  • l'Inde percevra, au minimum, deux porte-aéronefs (l'Air Defense Ship et l'ex-Gorshkov, refondu, Russe),
  • la Corée du Sud aura toujours ses trois Dokdo (et pourquoi pas des F-35B à mettre dessus), 
  • et les Etats-Unis auront toujours un porte-avions basé au Japon, en sus des autres naviguant de la mer d'Arabie jusqu'au Pacifique en passant par l'océan Indien.
Dans une telle mêlée, deux ou trois porte-aéronefs chinois, ce n'est pas difficile à justifier.

Pendant ce temps là, en France, le second porte-avions et le remplaçant du Charles de Gaulle se font attendre... Que sera la puissance aéronavale française dans le contexte des années 2020 ?