Les @mers du CESM


Les @mers du CESM - 19 avril 1944 :

Le cuirassé Richelieu participe au bombardement de Sabang, base japonaise en Indonésie. Le navire français, ayant rejoint l’Eastern Fleet commandée par l’amiral britannique Somerville, prendra part à trois autres opérations visant des bases navales ennemies. Après 52 mois passés en mer, le bâtiment rentre à Toulon le 1er octobre 1944. À nouveau déployé en Asie du Sud-Est l’année suivante, le bâtiment assistera à la capitulation du Japon dans la rade de Singapour le 23 septembre 1945.





03 décembre 2013

"Le basculement océanique mondial" de O. Chantriaux et T. Flichy de la Neuville

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Messieurs Olivier Chantriaux et Thomas Flichy de la Neuville nous offrent un ouvrage de géopolitique majeur. Osons-le dire, il est destiné à faire date. Il est dans la droite lignée des livres :

  • Le problème militaire français (Paris, éditions Flammarion, 1937) de Paul Reynaud,
  • Le problème du porte-avions d'Hervé Coutau-Bégarie (Paris, éditions Economica, 1990),
  • France-su-Mer - un empire oublié (Monaco, éditions du Rocher, 2009) de Philippe Folliot et Xavier Louy.

Ces livres ont en commun de défendre une thèse, un projet stratégique majeur dans un court ouvrage. Le parti pris de l'auteur de ce blog est de dire que leur valeur ajoutée est d'avoir raison.

 

Le basculement océanique mondial propose une lecture Géopolitique du monde et de sa composition. Il s'agit pour les auteurs de présenter ce que serait actuellement le pivot du monde. Il ne serait pas (encore ?) en Asie de l'Est mais en Iran. L'espace de confrontation en est l'océan Indien.

 

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  © Wikipédia.


Il y aurait trois camps qui s'affronteraient :

  • les anciennes civilisations océanes (Europe, Etats-Unis et Japon),
  • le pivot dormant des principautés continentales (Iran, Arabes et Ottomans),
  • les empires de la terre (Brésil, Inde et Chine).

La caractéristique majeure du premier camp est un rétrécissement de l'empreinte navale de ses différentes constituantes. Cette diminution des volumes navals et maritimes va de pair avec le déplacement de l'activité économique à l'Est du continent eurasiatique. 


Ce qui n'empêche pas que ces différentes puissances continuent à investir dans leurs marines et conservent une avance technologique. Les deux auteurs citent à cet effet Joseph Henrotin qui "a raison d'établir une relation positive entre le coût des bâtiments les plus récents, leur perfectionnement technologique et leur durée d'emploi" (in Les fondements de la stratégie navale au XXIe siècle, Paris, éditions Economica, 2011).

 

Cet effort est d'autant plus marquant qu'ils affrontent des faiblesses, tant démographiques (Japon) que financières ou autres.

 

Les empires de la terre sont le Brésil, l'Inde et la Chine.

 

Le Brésil bascule en douceur vers la mer, c'est l'une des caractéristiques de son évolution nous disent les auteurs. Brasilia doit affronter le complexe sécuritaire américain dans la mer des Antilles et la réactivation de la IVe flotte (2004). N'est-ce pas Mahan qui disait (The problem of Asia: Its Effect upon International Politics, 1900) que la sécurité des Etats-Unis se jouait à partir du Nord de l'Amazone? Mais il y a aussi la présence navale de la Russie et de la Chine. Moscou et Pékin ne sont pas insensibles aux réserves fossiles et minières du continent. D'où la nécessaire constitution d'une marine pour défendre l'Amazonie Bleue.

 

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© Wikipédia. L'empire du Tibet sous l'empereur Songtsen Gampo (605 - 650 AP JC.

 

L'Inde est un ensemble historique de diverses entités politiques qui ont été très marquées par l'influence du Heartland (Mackinder, The geographical pivot of history, The Geographical Journal, 1904). L'avènement de l'empire de Songtsen Gampo (605 - 650 AP JC) en est le plus grand exemple. C'est le fait que l'Inde tourne le dos à la Mer pour se concentrer sur ses querelles intestines qui ouvre la voie à la colonisation européenne. L'action de Suffren montrera comment les Européens surent exploiter avec brio ces divisions intestines. Avec le processus d'accès à l'indépendance, la marine indienne se constitue. Les deux auteurs citent Pannikar, qui écrivait en 1940 : "Pour l'Inde, l'océan Indien est une mer vitale. Sa liberté dépend de la liberté de cette mer vital. Aucun développement industriel, aucune croissance économique, aucune structure politique stable ne sont envisageables si ses rivages ne sont pas protégés". Là est la consécration de ce mouvement historique.

 

Nos deux auteurs ouvrent le chapitre sur la Chine avec à-propos en relatant l'ascension de la marine chinoise au XIVe siècle sous le commandement de l'amiral Zeng He. Les témoignages historiques rapportent que les jonques étaient gigantesques pour les plus grandes : une centaine de mètres, plus grandes que nos deux et trois ponts. Les escadres chinoises allaient jusque dans le golfe Persique. Certaines personnes soutiennent que des cartes tendraient à prouver que Zeng He avait mené ses navires jusqu'en Amérique...

Mais à partir de 1368 la Chine se ferme de nouveau à la mer. Ce tropisme continental chinois marque toute son histoire. La Chine s'ouvre à la mer par la force et s'y ferme pour reconstituer l'empire du milieu. A la remarque près que c'est au XIe siècle que la Chine s'ouvre à la mer car rejetée sur les côtes par les barbares. Elle tourne le dos pour reprendre ce qu'elle a perdu. Aujourd'hui, aucune menace continentale ne l'oblige à tourner le dos à la mer.

La Chine, devenue usine du monde, se doit de protéger ses routes maritimes et d'en explorer, peut-être, de nouvelles, l'Arctique notamment, où elle entre en concurrence directe avec son voisin russe. Le développement de la MAPL (Marine de l'Armée Populaire de Libération) suit donc ces ambitions. Et en Chine, la plus grande des victoires est la bataille que l'on n'a pas livrée (donc que l'on a remportée sans user des armes).

 

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L'océan Indien est le centre des échanges maritimes. Il borde le centre des plus grandes réserves mondiales d'hydrocarbures. L'Iran, au coeur du système énergétique mondial, serait le pivot, la clef de voûte du système. N'est-ce pas vers le Nord de l'océan Indien que convergent toutes les missions de protection du trafic maritime ? N'est-ce pas à travers le dossier iranien que s'affrontent les anciennes civilisations océanes et les empires de la terre ? Téhéran n'est-elle pas une des clefs du Heartland, notamment en Afghanistan ?

 

C'est toute l'histoire des Perses, des Arabes et des Ottomans qui est relatée dans ces chapitres, de leur ouverture à leur fermeture à la mer. Les auteurs présentent l'enfermement atomique de l'Iran. Ce qui n'a pas empêché une partie de l'Iran de se tourner véritablement vers la mer, comme en témoigne l'envoi de navires iraniens en Méditerranée et dans l'océan Indien ; si la marine iranienne ne saurait rivaliser techniquement avec les forces modernes des pays occidentaux, elle s'avère néanmoins redoutable si elle se déploie en « poussière navale » et entrave, ainsi, la circulation maritime. Ces principautés continentales se caractérisent historiquement par un refus de la mer.

Mais ce n'est plus vrai aujourd'hui. Nous noterons avec intérêt que les monarchies du Golfe ne s'offrent plus des vaisseaux pour en tirer prestige. Mais elles développent leur puissance maritime, de l'océanographie à l'industrie navale. C'est un mouvement profond d'ouverture.

Faut-il penser que cette ouverture à la mer pèse dans les négociations avec l'Iran pour déverrouiller le nucléaire et le possible basculement d'alliance des Etats-Unis de Riyad à Téhéran ?

 

Et la place de la France dans tout cela ? C'est l'une des grandes surprises de cet ouvrage. En adhérant au paradigme défendu par Olivier Chantriaux et Thomas Flichy de la Neuville, alors nous ne pouvons qu'être d'accord avec eux : Paris a fait les bons choix : l'ouverture de la base aux Emirats Arabes Unis démontre que la France a saisi toute l'importance du basculement en cours.
C'était la première ouverture d'une base depuis bien longtemps. Elle est le symbole du basculement à l'Est de notre dispositif de bases, de la réduction de celles d'Afrique de l'Ouest au bénéfice de Djibouti et l'implantation militaire française aux EAU. Avec la base de la Réunion, c'est un triangle plutôt bien placé pour contrôler l'océan Indien et l'accès à la Méditerranée.

A cet égard, nous devrions oser faire un parallèle entre nos multiples opérations extérieures en Afrique de l'Ouest et ce basculement à l'Est. N'assiste-t-on pas, toutes choses égales par ailleurs, à une réitération du schéma stratégique dont avait bénéficié la France à l'occasion de la guerre d'Indépendance américaine ? La France, parvenant à s'affranchir des querelles intestines d'Europe, avait pu se battre à armes égales avec l'Angleterre et triompher (pour écrire l'Histoire). La question mérite d'être posée.

 

Nous nous offrons même la gageure historique de le faire avant les Anglais qui pensent revenir à leurs choix de se fermer aux positions East of Aden et East of Suez. Ils pourraient même ouvrir une base dans le Sultanat d'Oman nous apprend l'ouvrage.

 

Dans l'ensemble, l'ouvrage recèle une très grande culture historique et navale en si peu de pages. Je ne serais certainement pas le seul à avoir beaucoup appris.

 

C'est sans conteste un ouvrage qui mérite sa place au pied du sapin cette année. Il est à lire sans hésiter et à offrir à ceux qui hésitent. La lecture de l'Histoire dans le temps long qu'il donne permettra à chacun d'échapper à la dictature de l'immédiateté et de retrouver le goût de la réflexion.

28 novembre 2013

Porte-avions Charles de Gaulle : une refonte historique

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© ECPAD. Le 9 mai 1994, dans le port de Brest, le porte-avions à propulsion nucléaire “Charles de Gaulle” est inauguré  en présence de M. François Mitterrand, président de la République, M. Edouard Balladur, Premier Ministre, et M. François Léotard, ministre de la Défense.
 
La décision historique est tombée dans la plus grande indifférence ! Monsieur le ministre de la Défense, Jean-Yves Le Drian, annonçait que le Charles de Gaulle allait être refondu pour 1,3 milliards d'euros (2016-2018)
 
Cette indifférence est révélatrice à plus d'un titre !
 
Premièrement, c'est une décision majeure sur le plan historique. Lors de l'élaboration de la loi de programmation militaire actuelle, et les fameuses trajectoires X, Y et Z, il avait été question, selon les bruits de coursives, de retirer du service le porte-avions. Il y a un monde entre remettre en doute l'outil majeur de la puissance aéronavale et confirmer cette dernière.
Pourquoi est-ce donc une décision majeure sur le plan historique ? Le temps naval est un temps long, même si cela n'est pas toujours compris. La question du second porte-avions a été ouverte en 1990 quand le R92 Richelieu n'était pas commandé. En 2013 (23 ans plus tard) le gouvernement prend la décision majeure de confirmer le R91 Charles de Gaulle avec cette refonte à mi-vie. Le prochain rendez-vous est la période 2025-2030  où il faudra débattre de l'intérêt de remplacer le Charles de Gaulle et de l'accompagner d'un sistership puisque c'est le minimum pour disposer de l'outil.
 
Notons que c'est la énième décision gouvernementale depuis 2004 qui confirme la volonté de l'Etat de maintenir la capacité à concevoir, construire et mettre en oeuvre des porte-avions, depuis la décision du président Chirac de travailler avec les anglais (et les coûts afférents !) jusqu'à cette décision de refondre l'unique porte-avions.
 
Les refontes de navires, et en particulier les refontes à mi-vie, ne sont pas monnaie courante dans l'Histoire. Ce sont des opérations très lourdes et qui nécessitent des investissements équivalent à plus ou moins la moitié de la valeur du bateau. Par exemple, Coutau-Bégarie nous décrivait l'exemple américain à travers les refontes SLEP (Sea Life Extension Program) "destiné à prolonger la durée de vie de ces porte-avions d’une quinzaine d’années [alors qu'ils avaient été conçu pour 30 ans de service] au prix de 28 mois de travaux pour un coût qui atteint maintenant environ près d’un milliard de dollars par unité. Le SLEP comporte la révision complète de la coque, des machines..., la modernisation de l’équipement électronique et la refonte des installations aéro".
 

Il s'agit bel et bien de pérenniser le porte-avions pour qu'il demeure un outil opérationnel de premier plan dans le monde pour la seconde partie de son existence opérationnelle.
 
Le volume financier impressionne et confirme donc le caractère historique de la décision. 1,3 milliards d'euros ! C'est une somme gigantesque et pour la remettre en perspective il suffit de citer le coût de la première IPER du Charles de Gaulle, intervenue après sept années d'activités opérationnelles : 0,3 milliards d'euros...
 
Nous ne devrions qu'être stupéfait par l'incroyable situation que nous vivons :
  • les anti-porte-avions français sont vent debout contre la commande d'un second porte-avons qui coûtait 2 milliards d'euros dans les années 90 et 2,5 milliards d'euros HT aujourd'hui,
  • et personne ne s'offusque que l'outil soit confirmé et lourdement modernisé pour 1,3 milliards d'euros.
C'est une situation ubuesque.
 
Qu'est-ce qu'un 1,3 milliards d'euros ? A 200 millions près, c'est le coût du porte-aéronefs Cavour (qui jauge presque autant que les porte-avions Foch et Clemenceau pour 1,5 milliards).
 
Le second porte-avions c'est l'équivalent de trois Rafale par année fiscale sur sept années.
 
La refonte du porte-avions Charles de Gaulle ce sera 1,3 milliards d'euros étalés sur deux années de 2016 à 2018.
 
L'effort financier n'est rigoureusement pas le même... et l'hystérie anti-porte-avions ne s'est même pas manifestée !
 
Nous sommes donc dans l'obligation, sans nier la nécessiter de réaliser l'IPER du Charles de Gaulle, de poser la question suivante : ne serait-il pas plus judicieux sur le plan stratégique de lancer la construction du second porte-avions grâce à la ligne de crédit prévue pour 1 milliard d'euros (moins les 0,3 milliards de l'IPER) ?
 
La situation est proprement incroyable si nous la rapportons aux "discussions" qui ont eu lieu sur l'avenir de la puissance aéronavale française de 2008 à 2013.
 
Pour en revenir à la refonte, nous ne pouvons que nous ne demander ce qu'il y aura dans ce milliards supplémentaire par rapport à une IPER classique du porte-avions.
 
Premièrement, Mer et Marine avait supposé que le Charles de Gaulle verrait le remplacement de ses radars car la suite actuelle tend vers l'obsolescence. Il y a deux solutions possibles :
  • une remise à niveau via un Herakles amélioré (le même que sur les FREMM ASM),
  • une solution ambitieuse avec un radar à surfaces planes qui pourrait être le même que celui de la FREMM-ER.
Cette dernière pourrait préfigurer ce que seront les deux FREDA qui seront livrés en 2018 et 2019 puisque le ministre de la Défense a choisi que ces deux frégates, initialement prévues pour la LPM suivante, soient contenues dans l'actuelle LPM.
Solution qui serait soutenue par l'export puisque la demande irait pour des frégates de défense aérienne avec radar à surfaces planes pouvant s'intégrer dans une défense anti-missile balistique. 
 
Deuxièmement, il n'y a pas beaucoup d'informations qui sont tombées quand aux modernisations qui seront effectuées. C'est pourquoi nous nous devons de les imaginer :
  • le déplacement de l'ilot à l'arrière du pont d'envol,
  • l'installation de catapultes électromagnétiques (et pourquoi pas atteindre la capacité catapo et le doublement des catapultes à cette occasion),
  • une défense aérienne à très courte portée par laser (à l'instar du CVN 78),
  • la modernisation des installations aéronautiques pour l'accueil de drones,
  • la robotisation du bord pour faciliter les flux logistiques,
  • l'utilisation de peintures au silicone pour la carène,
  • l'installation de dispositif de supercavitation pour améliorer la propulsion,
  • une automatisation accrue du navire (permettant de diminuer l'équipage du bateau de 1300 à 900 personnes et permettre de le doubler à terme),
  • la remotorisation du navire par des moteurs supraconducteurs,
  • l'installation de pods en lieu et place des lignes d'arbres,
  • l'utilisation de l'espace libéré pour améliorer la puissance propulsive,
  • l'autre utilisation de l'espace libéré pour améliorer les capacités d'emport de carburant et de munitions (et donc réduire le besoin logistique).
L'enveloppe de la refonte aurait pu être dépassée par tant de projets. Néanmoins, bien des suggestions ci-dessous relèvent directement d'une partie des 34 plans industriels présentés par le gouvernement.
 
 
Cette refonte à mi-vie n'a pas fini de faire parler d'elle.

27 novembre 2013

Les deux océans français



La géographie navale de la France, ou plutôt de l'Archipel France, évolue significativement depuis 1989. En guise de préliminaires, il convient de rappeler qu'en France la projection de l'État dans l'espace était marquée par les apparitions successives de menaces continentales contre son existence (des Habsbourg au pacte de Varsovie). Depuis la fin de cette menace continentale en 1989, la France européenne s'entoure de "Longs Murs", analogues à ceux de l'Antique Athènes, par la construction européenne. Cette insularité artificielle rend total le caractère archipélagique de la France, et consacre par ailleurs un Archipel France reposant sur deux océans.

Port(s) des SNA : Brest, Toulon ou ailleurs dans l'Archipel France ?

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Il y a un gros dossier qui attend la Marine nationale, et malheureusement, la décision qui en découlera sera, peut-être, déjà obsolète.
C'est bien entendu celui du port base... des IPER des sous-marins français dont il est question. En 2008 et suite au choix de confirmer Toulon comme port base des SNA, il était dit à Brest que c'était une "décision politique". Forcément, mais par là il fallait entendre que c'était une solution dictée par l'aménagement du territoire varois (salutations) et non pas par l'intérêt stratégique.

Entre parenthèses, ce serait le moment idéal de lancer une critique constructive de la "rationalité" des acteurs dans le processus de décision.

A Brest, on met en avant l'Ile Longue. Paradoxalement, il me semble que ce territoire n'est pas Brestois. La majeure partie de ses travailleurs sont de Brest. La question fiscale sous-jacente n'est pas à négliger (selon que l'on parle des IE ou des IPER des SNA-NG) mais le propos n'est pas là.

Donc le site finistérien présenterait l'avantage, s'il devenait plateforme unique des IPER des sous-marins nucléaires, d'offrir un coût de revient moindre. C'est bien là le coeur du dossier : il existe deux chaînes distinctes d'IPER en France pour les sous-marins : Brest (SNLE) et Toulon (SNA). La réflexion qui s'achèvera bientôt doit déterminer si nous devrions rationaliser l'ensemble à une seule chaîne à IPER de sous-marins nucléaires. Sur le plan industriel, cela n'est pas irrationnel : plus de volume, moins d'infrastructures.

Nous parlons donc bien de conserver Toulon comme port base des SNA, que l'entretien courant y soit effectué (les IE) et que l'Ile Longue ne conserve que les IPER (soit une IPER tous les 10 ans pour chaque SNA-NG).

Mais il semblerait que certains veuillent aller plus loin et faire de Brest un pôle ASM en y basant tous nos SNA et SNLE. Forcément, deuxième acte, Toulon est contre.

On accuse un "lobby" (groupe de pression en Français) brestois qui serait à l'oeuvre. Gageons que le fait de baser actuellement tous nos SNA à Toulon, même pour les IPER, est un choix stratégique savamment étudié et que les Toulonnais sont insensibles aux retombées engendrées... (à l'instar des brestois, salutations).

Le ministre de la Défense, lorientais (et qui a donc perdu les sous-marins classiques il y a peu (en temps marin) attend donc ce rapport sur le choix à effectuer. Officiellement, et à moins que j'ai raté bien des marches, il s'agit de savoir si Brest et l'Ile Longue seraient plus rentable pour les IPER des sous-marins nucléaires français que Toulon.

Parle-t-on d'un port base unique ? Je n'ai pas vu.

 

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Malheureusement, cette décision sera forcément, troisième étape, obsolète. La géographie navale française n'est plus la même :

  • nous n'avons plus deux façades maritimes (Atlantique et Méditerranée) ;
  • mais nous en avons au moins cinq : Atlantique, Antilles, Méditerranée, océans Indien et Pacifique.

Plus synthétiquement, la géographie navale française peut se résumer à une opposition entre le Vieux Monde et le Nouveau Monde. C'est-à-dire que les détroits du Cap (Afrique du Sud), de Magellan (Argentine), le Canal de Suez (Egypte) et de Béring (Russie - Etats-Unis) séparent deux océans français. C'est par là que la concentration de la Flotte se joue (et c'est toute l'Histoire navale de la France).

 

C'est pourquoi nous devrions peut être parler de l'opportunité de déplacer des frégates et des sous-marins du premier océan français au second.

 
Au final, il est peut être bon de rappeler que si nous avions construit la "seconde Ile Longue" (à côté du cap de la Chèvre (presqu'ile de Crozon) sur l'un des deux sites étudiés pour les SNLE) comme cela été prévenu alors nous n'aurions jamais eu l'occasion d'aborder ce sujet. N'est-ce pas la preuve que le temps naval est un temps long ?

16 novembre 2013

Apparemment, la France n’est pas une puissance en Asie-Pacifique

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© Véronique Guillermard. Les deux A400M de l'Armée de l'air sur la base aérienne d'Orléans.
 
Il y a déjà plus d’une semaine, le "super typhon" Haiyan touchait les Philippines, avant d’atteindre, avec une puissance moindre, le Vietnam puis la Chine. Faisons l'économie de la contextualisation car la presse a massivement investi le sujet, tant il n'existe aucune autre affaire (sauf, depuis hier soir, la défaite de l'équipe de France de football en Ukraine, grande cause nationale qui vaut bien une course aux reportages).


De la réaction française à cette catastrophe qui a lieu à quelques milliers de kilomètres d’un bout de terre français, il n’y aura que peu d’échos. Normal. Il y a bien peu de choses à dire sur la diplomatie humanitaire française. Ou plutôt si. Il y a une grande question à poser : existe-t-il encore une diplomatie humanitaire en France ? Définie comme une diplomatie mobilisatrice autour de causes humanitaires, elle vise à faciliter l’accès aux victimes, faire accepter les différents acteurs de l’aide, coordonner l’aide, etc.


Suite au typhon (qui a eu lieu la semaine dernière, rappelons-le), la Sécurité civile aurait envoyé seize (16) sapeurs-pompiers de l’UIISC1 de Nogent-le-Rotrou sur place via un avion-cargo affrété pour l’occasion, en attendant l’arrivée de 40 autres pompiers en début de semaine prochaine. C'est impressionnant… Récemment, sur Twitter, sur le compte @Tsahal_IDF, nous pouvions apercevoir la photographie de cinq (5) membres des forces armées israéliennes ayant contribué à un miracle au milieu de ce maelstrom de drames et de catastrophes.

 

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© Inconnu. La Royal Air Force envoie au moins un C-17 et 30 millions d'euros d'aides. Le HMS Daring a été déplacé de Singapour aux Philippines.

 

Il est tellement vrai que, en matière de communication opérationnelle à destination des audiences nationales ET internationales, nous avons grandement progressé en France sur l'accompagnement de l'action des forces armées dans la sphère médiatique depuis 1940…


Petite question en passant, est-ce que les membres de la Sécurité civile ont remarqué qu'ils participaient au continuum de la Défense et de la Sécurité ? Deux livres blancs semblent l'affirmer en cinq années. Il ne serait pas étonnant qu'ils soient sous commandement militaire pendant une telle opération dans le cadre d'une diplomatie humanitaire unifiée. C'est assez has been de partir chacun dans son coin.




Nous aurions pu nous attendre à ce que le porte-hélicoptères Jeanne d'Arc prête assistance comme lors du Tsunami en Indonésie en décembre 2004. L’opération Beryx (cf. un retour d’expérience) mobilisait à l’époque 70 personnels de la Sécurité civile, l’équipage d’une frégate, 12 hélicoptères de transport ou de reconnaissance, 2 appareils de transport tactique Transall, 1.400 militaires environ, etc. Ah oui, où avons-nous la tête, la Jeanne a été retirée du service en juin 2010 et non remplacée. A vrai dire, il semblerait qu'il n'y ait pas de navires militaires français dans le coin. Pas de chance. Par contre, il y a une escadre américaine (porte-avions, bâtiments amphibies, navires-hopitaux, etc.), des points d’appui en action (Guam, Japon, etc.), etc. L’incarnation du pivot vers l’Asie, en somme. Même les Anglais ont envoyé le HMS Daring depuis Singapour, un C130, un C-17, etc.

 

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© JA COOPMANN - Film : JB 29 aout 2007. Arrivée de l'Antonov An-225 "Myria" chargé de matériel pour la reconstruction de la Martinique, après le cyclone DEAN. Les pilotes Russes ont impressionnés les Français par leur témérité et leur professionnalisme pour faire atterrir l'avion de transport le plus lourd du monde... De l'art de la diplomatie aérienne ?

Nous sommes surpris par la faible ampleur des moyens aériens qui ont été mobilisés : la France possède deux appareils de transport stratégique A400M. Ah, grand malheur, ils ne sont pas encore opérationnels. Ils le sont suffisamment pour que les frères-jumeaux d'Airbus Military (les A400M d'essais) puissent transporter des cendres (j'insiste, et en plein vol, attention) ou le Président de la République, mais pas pour convoyer 30 tonnes de médicaments avec une cocarde tricolore de quatre mètres par trois posée sur la carlingue, n’ayant pas atteint le standard machin chose. A noter que pendant l'opération Baliste en 2006 au large du Liban, le BPC (Bâtiment de projection et de commandement) Mistral n'avait pas encore été déclaré opérationnel, bien qu’employé à faire des norias pour évacuer des ressortissants vers Chypre. C'est un bien bel investissement que cet A400M, dommage que le Livre blanc de 2013 limite arbitrairement son rayon d'action à 5.000 km... Heureusement, les caractéristiques demandées au programme A400M n'exigeaient pas un avion de transport intercontinental (qui nous manquait, comme par exemple en Afrique, ainsi témoignait le colonel Spartacus dans l'ouvrage qu'il avait rédigé sur l'opération Manta).

De plus, il est si bien connu que dans un rayon de 5000km autour de Paris, nous atteignons les limites de la Terre. Celle-ci étant plate, fatalement, nous tombons après en avoir atteint les limites.
http://img.over-blog-kiwi.com/600x600/0/64/42/44/201311/ob_e4c51688a5d7cb5e3fb5a4a4a4670652_a4m.jpg

© Inconnu. Un des A400M d'Airbus Military en plein largage de cendres volcaniques. "Vérité au Nord des pyrenees, mensonge au delà" : en France, les A400M ne sont pas assez opérationnels pour transporter de l'aide humanitaire.

Certains représentants de la France avait pu constater lors du dialogue de Shangri-La, forum annuel international sur la sécurité, à l'été 2013 à Singapour que certains pays-riverains de la France en Asie du Sud-Est se moquaient (un peu ? beaucoup ?) de l'affirmation martelée avec force : "La France est une puissance de l’Asie-Pacifique". Notre réponse au typhon peut-elle leur donner tort ? Aux ambitions (élevés) exprimées dans le Livre blanc, qui a fait le choix de ne pas négliger l’Asie et le Pacifique, manquent-ils les moyens permettant de les concrétiser ?

 

http://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/5/57/Italian_air_force_c-130j_fairford2009_arp.jpg 
© Wikipédia. Rome a envoyé un avion de transport C-130 : l'Italie est donc plus asiatique que la France ?


Heureusement, aujourd'hui, la perspective a été renversée... Un BPC a débarqué des moyens au plus près des victimes. L'armée de Terre a réussi le tour de force extraordinaire de convoyer une demi-douzaine d'hélicoptères de manœuvre en état de marche sur ce navire. L'aide humanitaire française a été convoyée par les deux A400M qui ont donné de leur précieux temps d’essais en vol pour montrer qu'ils servaient à quelque chose. Depuis nos îles du Pacifique, des appareils Transall sont sur place et participent au transport des personnes qui sont accueillis dans notre hôpital de campagne. Sur place, l'ambassadeur de France, accompagné d'un officier général et d'un haut-responsable de la Sécurité civile, coordonne l'arrivée de l'aide française et le travail des associations. La communication sur l'évènement est assurée via un compte Twitter dédié (émettant en Français, Anglais et
Filipino), avec un hastag pour l’opération.




Nos partenaires notent avec intérêt notre présence dans la zone en ces heures difficiles. La continuité de l’opération leur paraît évidente avec notre habituelle diplomatie militaire d’échanges bilatéraux, de coopération structurelle et opérationnelle par la formation des forces armées locales, avec nos escales dans les ports de la région faisant partie de notre diplomatie navale, avec les passages sur certains aéroports de la région lors de transits depuis la Métropole ou d’exercices, incarnations de notre diplomatie aérienne, avec les partenariats lors de prospections pour des contrats d’armement, etc. Tous s’accordent à dire, « oui, vraiment, la France est bien une puissance de l’Asie-Pacifique ». Fiction d'une occasion (en partie) manquée ou réalité de demain ?

 


Article écrit à 4 mains et 2 claviers avec Mars attaque.

Les propos tenus ne représentent que l’opinion de leurs auteurs et n’engagent pas les institutions ou sociétés pour qui ils ont été ou sont employés...

14 novembre 2013

De Sadowa à Berlin : l'échec du projet géopolitique allemand

© Archives Larousse. L'unité allemande (1815-1871).














































   

« Ainsi, c’est la puissance française qui déclenchera l’unité allemande ». Goethe dira que le cri révolutionnaire (« Vive la Nation ! ») est « le début d’une nouvelle époque de l’histoire du monde »[1].


23 octobre 2013

Quel avenir pour l'industrie navale militaire européenne ?

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Par ce billet, il est proposé de prolonger la réflexion initiée par ma première collaboration avec un "agsien" (Mon Blog Défense) en novembre 2009 :  " Consolidation du secteur terrestre en Europe : scénarios possibles". Récemment, un autre allié m'a gracieusement donné quelques retours du colloque "Quelle consolidation pour notre industrie d'armement et de Défense ?" organisé par le Club Participation et Progrès et la Revue de Défense Nationale. Revenons, si vous le voulez bien, sur le cas de l'industrie navale.

 

Trois grandes options ?


L'industrie navale européenne, en général, et française en particulier, pourrait être restructurée selon deux ou trois grandes hypothèses :

  • l'EADS naval,
  • le projet du groupe Dassault de devenir un "French BAE" à travers Thales,
  • un projet alternatif qui pourrait être un groupe mi-civil, mi-militaire.


En ce qui concerne la seconde hypothèse, Thales a d'ores et déjà un pied dans DCNS (35%) et souhaite en faire de même dans Nexter. Thales voudrait continuer à monter au capital de DCNS, ce qui n'enlève en rien le besoin de former une ou des alliances.

L'EADS naval
Le partage industriel est d'une particulière complexité dans l'industrie navale par rapport à ce qui peut se faire dans d'autres industries d'armement. Il n'est pas de ma compétence d'expliquer le pourquoi du comment, néanmoins, quelques exemples et remarques peuvent, au moins, illustrer cette difficulté.

Premièrement, un chantier naval est une somme de compétences humaines comme n'importe quelle entreprise. A la remarque près qu'il y a des compétences que l'on ne trouve que dans des chantiers navals. Certains travaux de soudure ne se réalisent que sur des chantiers bien précis (comme par exemple la soudure de tôles d'acier à haute limite élastique pour les sous-marins). Le temps est nécessaire pour acquérir ces compétences et il faut un volume de travail continu pour les préserver et les renouveler (ceux qui ne respectent pas cet ordre des choses ont bien des difficultés). C'est pourquoi seuls les chantiers qui répètent les mêmes travaux parviennent à rentabiliser ces investissements humains.

Deuxièmement, il est tout aussi difficile de partager la construction du "flotteur", c'est-à-dire le navire en lui-même. Nous parlons d'un EADS naval et peut être avons-nous en tête l'image des éléments des Airbus qui transitent en Europe par la mer, la route ou les air. Cette mobilité est difficile à reproduire dans le naval. Par exemple, la construction des frégates La Fayette a été modulaire, en ce sens où le navire était un assemblage de blocs pré-armés. Et le plus gros de ces blocs atteignait 300 tonnes ! Mais il n'est pas impossible d'échanger des blocs de bateaux entre chantiers navals comme en témoignent les programmes Scorpène, FREMM et BPC pour ne citer qu'eux.

Troisièmement, si la mobilité n'est pas un frein au partage des tâches industrielles, il se heurte à la question de la rentabilité. L'ouvrage "Les frégates furtives La Fayette" (éditions Addim) nous apprend que c'est parce qu'il était question de construire et le porte-avions nucléaire Charles de Gaulle et douze frégates La Fayette que la DCN a pu investir dans de nouvelles grues. La construction modulaire générait donc plus de gains si les blocs étaient moins nombreux, mais donc plus lourds. C'est donc pourquoi l'administration avait investi dans des engins de levage ayant une capacité de 1000 tonnes. Finalement, il faut donc avoir un minimum de volume à construire pour rentabiliser la modernisation de l'outil. A titre d'illustration, la première La Fayette a été construite en dix-huit mois, contre une trentaine de mois onze années avant ce chantier pour un bâtiment de combat. Le Courbet, troisième unité de la série, fut assemblé en six mois...

 

Quatrièmement, et quand bien même nous voudrions atteindre une telle organisation industrielle, il faudrait que les classes de frégates soient communes. La construction modulaire n'interdit pas de changer les senseurs et les vecteurs. A priori, si nous devions exagérer un peu, il faudrait dire alors que le seul bâtiment en construction entre plusieurs chantiers qui soit d'un modèle vraiment commun est le SNA Virginia dont deux chantiers américains se partagent la construction ou les Scorpène du temps où ils étaient construit entre la France et l'Espagne...
Cinquièmement, même le partage des études de développement des bateaux et l'achat de gros équipements en commun a été une source de déceptions. Le programme FREMM en est la parfaite illustration malheureusement. Patrick Boissier, lors de son audition devant la commission de la Défense et des forces armées à l'Assemblée nationale en mars 2013, précisait notamment que :

  • "Le programme FREMM prévoit une conception commune en amont, et l’achat en commun de la turbine, du système de stabilisation, du système de guerre électronique et du sonar. Ces matériels représentant environ 10 % du coût du navire, l’opération permet d’économiser à peu près 1 million d’euros par bâtiment".
  • "Moins de 10 % du coût des études a été mutualisé, ce qui représente une économie apparente de 50 millions d’euros pour chacun des partenaires. En fait, si l’on tient compte du coût supplémentaire des études spécifiques relatives aux plateformes différentes pour chaque pays, et du surcoût lié à la coordination, le montant économisé est ramené à une quinzaine de millions d’euros. En définitive, grâce à cette coopération, la France aura donc économisé environ 30 millions d’euros, soit 1 % à 1,5 % du coût total du programme".

 
De ce que nous pouvons constater c'est que nous sommes passés d'un cycle à l'autre, d'une tendance à une autre. Dans les années 90 il était question de grands programmes multilatéraux communs, comme la frégate NFR90 otanienne.

Néanmoins, de la fin des années 90 aux premières années 2000, le multilatéralisme a disparu. Il est apparu que les européens ne lançaient plus que des programmes à deux ou trois dans le domaine naval. Par exemple, la frégate NFR 90 a donné naissance à trois projets antagonistes :

  • le programme Horizon centré sur le PAAMS,
  • les frégates AEGIS européennes,
  • la frégate Charles Quint entre l'Allemagne, l'Espagne et les Pays-Bas.
Surtout, ce qui a changé c'est que la coopération se fait beaucoup plus sur les équipements et les systèmes (typiquement le PAAMS) que sur les bateaux eux-mêmes. C'est une évolution tout à fait étonnante car le programme de Chasseurs de Mines Tripartite (France, Belgique et Pays-Bas) avait été une vraie réussite, même la modernisation avait été commune (sauf la construction). Enfin, et c'est peut être le plus contraignant, les chantiers navals européens ont développé des solutions nationales à proposer à l'exportation.


C'est pourquoi l'EADS naval semble bien difficile à imaginer car tant le partage industriel que la concurrence actuelle entre les chantiers supposent... moins de chantiers. Est-ce pour cela que les chantiers ne se lancent plus que dans des produits nationaux et que les gouvernements ne coopèrent plus dans le domaine naval ?

 

Le chantier naval est-il encore facteur de la puissance navale ?


C'est la question douloureuse : qui accepterait de ne plus assembler un navire dans son pays ? De tous les temps, quand une puissance navale émerge c'est à partir d'un outil industriel capable de construire les vaisseaux qui porteront ses ambitions. La mise en construction d'unités à l'étranger n'avait alors pour but, non pas de réaliser des économies, mais bien d'accélérer un mouvement. C'est ce que fit en France Colbert pour hâter l'émergence de la Marine royale comme première force navale mondiale.

Le cas du Nord de l'Europe est particulièrement central dans le débat. Dans "De la Mer et de sa Stratégie" (aux éditions Tallandier), l'historien Philippe Masson nous retrace le passage du centre de gravité du monde de la Méditerranée à l'Atlantique. A cette fin, il fallait des bateaux hauturiers capables d'affronter l'Atlantique. Et justement, ce sont les puissances maritimes émergentes du Nord de l'Europe qui inventèrent les vaisseaux de haut bord : cogue, carraque, etc...

Est-ce que ces puissances maritimes sont arrivées au bout du cycle à l'occasion du basculement du centre de gravité du monde de l'Atlantique au Pacifique ? Si nous devions adopter cette lecture alors cela expliquerait deux mouvements. Le premier est que un programme comme le Littoral Combat Ship américain trouve ses racines dans les programmes de corvettes du Nord de l'Europe. Ainsi, l'Europe du Nord serait parvenu au terme d'un cycle technologique sur le plan historique.
Second mouvement, de la Hollande à la Norvège, les délocalisations navales se multiplient. Londres n'a pas hésité à aller faire construire ses nouveaux navires logistiques en Corée du Sud : quatre unités de 37 000 tonnes pour 452 millions de livres (530 millions d'euros). En France le programme FLOTLOG serait estimé à 2 milliards d'euros pour 4 unités... Et la Royal Navy n'est pas la seule : la Norvège commande elle-aussi un bâtiment logistique en Corée du Sud.

 

C'est donc un revirement historique complet. Il est à modérer car ces puissances maritimes du Nord-Est gardent un fort investissement technologique. Mais le volume de leur flotte se réduit inexorablement.
La survie par le sous-marin ?
Dans ce contexte, il y a ceux qui veulent survivre et il y a les autres. L'industrie navale civile a montré que l'innovation n'avait pas révolutionné le secteur : quand le tonnage à construire diminue trop cela implique que des chantiers ferment. Et des chantiers ferment à l'image de Rauma en Finlande ou de Brest qui a tourné la page de la construction navale militaire. Autre signe que la bataille est intense c'est la course aux commandes qui implique de plus en plus les gouvernements.

Si bien que il convient de remettre sur le devant de la scène que pour les industriels de la navale militaire, le graal n'est nullement la frégate mais bien le sous-marin. La majeure partie des bénéfices est tirée de l'activité sous-marine. Pour la construction d'un sous-marin, la part de la coque dans le coût unitaire de production est significativement supérieur à ce qu'elle peut représenter pour un navire de surface. A titre d'exemple, pour le PA2, la coque c'était 982 millions d'euros pour 2500 millions d'investissement. Et la part du flotteur dans le coût d'une frégate est bien moindre.

Le cas des programmes de sous-marins à propulsion classique peut donc être éclairant sur la situation de la navale militaire européenne :

  • l'entreprise Allemande TKMS n'aurait racheté le Suédois Kockums que pour mieux le torpiller (un comble). En obtenant le contrôle de l'entreprise, les allemands se donneraient les moyens d'empêcher le développement d'un nouveau sous-marin (l'A-26) et empêcherait l'entreprise suédoise de concourir à l'export (que les suédois doivent regretter le grand temps du projet Viking...).
  • Navantia, entreprise espagnole avait un avenir radieux du temps de la coopération avec la France centrée sur un sous-marin, le Scorpène, qui entamait une carrière commerciale plus que prometteuse. Depuis que Madrid a choisi de nationaliser le Scorpène et de le produire sous le nom de S-80, tout va mal. L'attente du nouveau sous-marin occasionne des surcoûts (30 millions pour le carénage du Tramontana) et les problèmes rencontrés dans son développement engendrent des surcoûts non-négligeables : 200 millions d'euros. Ajoutez à cela que Bruxelles a récemment demandé aux chantiers navals espagnols de rembourser les subventions perçues de Madrid (3 milliards d'euros) et vous comprendrez mieux pourquoi l'entreprise ne serait pas loin de la faillite à l'heure actuelle.
  • Fincantieri, société italienne, a construit sous licence quatre U-212 de conception allemande pour le compte de la Marina militare. Alors que l'Italie concevait ses sous-marins. Rome tente de renouer sur le marché de l'exportation grâce à une coopération avec les Russes sur un sous-marin côtier de la classe des 1000 tonnes (à moins que Moscou ne fasse que piéger les Italiens comme les américains l'ont fait avec le C-27J pour que les Italiens se retirent de l'A400M).
  • BAE Systems conçoit les SNA et SNLE au service de Sa Majesté. Néanmoins, le trou entre les classes Vanguard et Astute a créé une telle perte de compétences que ce sont les américains qui ont rattrapé les Astute. BMT essaie bien de relancer un sous-marin classique de conception anglaise pour l'exportation mais il ne semble pas réussir à quitter les Power point. Et il y a cette affreuse affaire des sous-marins vendus au Canada.
  • TKMS vit grâce à des succés considérables (U-209 et U-212/214). Les Allemands sont peut être arrivés au bout d'un cycle. Espagnols et français les ont quasiment évincé d'Amérique du Sud grâce au Scorpène, même pour la modernisation d-U-209. L'Asie est un grand marché, mais l'est-il encore pour les sous-marins ? La Corée du Sud tente l'aventure du sous-marin de conception nationale après avoir longtemps acheté allemand. Et Séoul a tenté de vendre des U-209 pour l'Indonésie. Ce qui gêne Berlin, c'est que les coréens n'avaient la licence que pour construire pour la marine sud-coréenne... Et la concurrence s'annonce féroce pour les autres marchés.
  • Les Russes sont un cas à part car ils gardent un grand plan de charge industriel, d'une part, et ils doivent restructurer un outil industriel qui n'est pas parvenu à maturation malgré tous les efforts entreprises depuis 10 ou 15 ans. Entre les difficultés rencontrées sur le Lada, qui devait prendre la succession des Kilo, et ce fâcheux incendie sur un Kilo indien qui revenait d'un grand carénage en Russie, d'autre part.

 

Les deux "contrats du siècle" viendraient de l'Australie (12 unités) et de la Norvège (4 à 6 unités). Ce ne serait pas les seuls grands contrats. Mais ce sont les deux prochains dans un contexte de rationalisation européenne.
 

France : un outil industriel exceptionnel
Au milieu de cet océan de marasme, la France rayonne. Son industrie navale militaire, et en particulier dans le cas des sous-marins, bénéficie de deux avantages stratégiques décisifs :

  • la chaîne de production de sous-marins tourne en continue depuis... les débuts du sous-marin en France il y a 120 ou 130 ans (moins les années de guerre). L'alternance dans les constructions et conceptions de SNLE et SNA permettent à l'entreprise de tirer les bateaux vers le haut (n+1), de réutiliser ses investissements sur les SNA et donc, de vendre à l'export ce qui est "n-1".
  • La France n'a jamais cessé de vendre des sous-marins sur le marché de l'exportation : le moindre problème de tuilage entre SNLE et SNA pouvait être compensé totalement ou partiellement par l'exportation.Sur

Sur un plan plus général, il convient d'être réaliste : nous disposons d'un outil industriel exceptionnel. Il est le fruit d'un long travail. Au début du XXe, notre outil industriel naval était inefficace :

  • quand la construction du cuirassé Dreadnought coûtait 35 milliards de livres à Londres,
  • la France construisait des cuirassés pré-Dreadnought pour 45 milliards de livres.

Depuis les années 60, la productivité de l'outil s'est redressé jusqu'aux succès éclatant des programmes La Fayette, BPC et FREMM (même si pour ce dernier programme, l'efficacité n'a pas pu être atteinte du fait de la casse du programme).

 
France : la question des capitaux


Le problème français touche, justement, les sous-marins. Nous avions formé une alliance avec les Espagnols car Madrid pouvait financer le coût de développement d'un nouveau sous-marin à propulsion classique quand l'administration DCN et l'Etat ne le pouvaient pas en France. Nous n'avions pas les moyen de financer l'après Agosta. Il en est résulté le Scorpène.

Cette difficulté existe-t-elle encore aujourd'hui depuis que DCN est devenue DCNS et que l'entreprise peut se constituer des fonds propres ? L'exemple de l'Adroit montre qu'il y a peut être espoir que l'entreprise puisse se développer "seule". Et le cas du Scorpène était assez emblématique puisque le Chili était le client de lancement alors que ni la France, ni l'Espagne n'avait commandé ou mis en service ce sous-marin... Ce qui défi les "règles" en la matière.

Quelles alliances ?

 

Le nein allemand

 

Le rapprochement naval franco-allemand est suffisamment ancien pour être devenu un serpent de mer et constituer le coeur du projet d'un EADS naval. Typiquement, aujourd'hui, DCNS cherche à acquérir son concurrent allemand,  TKMS. Berlin est si opposé à la chose que le pouvoir allemand a ouvert le capital de l'entreprise à des investisseurs du Golfe plutôt que de laisser le Français prendre le contrôle. Quelque part, cela est peut être lié au destin de l'électronicien naval Atlas Elektronik qui était passé sous le nez de Thales, pourtant favori, pour être racheté par EADS et TKMS.
Le divorce franco-espagnol

 

La France a vendu des sous-marins de classe Daphné à l'Espagne. Elle a ensuite transférer le savoir-faire nécessaire aux espagnols pour qu'ils puissent assembler sur place les sous-marins de classe Agosta acheté par Madrid. Et enfin, Français et Espagnols ont coopéré pour concevoir ensemble le Scorpène. L'Espagne pris dans la folie des grandeurs de ses ambitions industrielles a préféré tourné le dos aux français pour tenter l'aventure d'un sous-marin de "coneption" nationale avec le choix d'équipements et de systèmes américains. A priori, l'affaire est entendue pour DCNS qui ne semblerait pas enclin à pardonner.
Les autres ?

Les Hollandais semblent abandonner construction et conception de sous-marins. Les Italiens n'ont plus rien conçu depuis bien longtemps . Si les Suédois ne réagissent pas et que l'A-26 ne voit pas le jour ils risquent également le naufrage.

Des surprises ?
Pour en revenir à l'industrie navale civile, il faut rappeler combien le raid du Sud-Coréen STX avait été une surprise. L'entreprise est accusée d'avoir racheté des chantiers navals européens, autrefois détenu par (autre signe du périclitement du Nord de l'Europe) pour piller les savoir-faires. Aujourd'hui, ses actionnaires lui demande de quitter le continent européen : que vont devenir tout ces chantiers civils ?

Cela nous amène à deux options :

  • la première est que les Coréens, et d'autres, ne se contentent plus de construire es navires logistiques pour les marines européens mais bien les coques de navires de combat. C'est déjà le cas de tel ;
  • la seconde option consiste à un nouveau raid d'une entreprise étrangère en Europe pour prendre le contrôle d'un ou plusieurs chantiers : n'est-ce pas ce qui s'était passé avec STX et les entreprises d'armement terrestre européennes rachetées par des sociétés américaines ?

Enfin, nous pourrions aussi assisté à des achats pur et simple de navires de combat à l'étranger, sans même l'ombre d'une conception de quoi que ce soit en Europe. Par exemple, les marines nord-européennes ont développé des frégates de défense aérienne apte à servir d'élément d'un bouclier anti-missiles. La Corée du Sud et le Japon conçoivent bien des destroyers (Kongo et KDX-3) aptent à la lutte anti-missile balistique.
Conclusion
Notre industrie navale est, comme le reste des industries de défense nationale, fondée sur un amortissement des dépenses d'armement par l'export. L'Asie nous concurrence déjà. L'Amérique va tenter de le faire mais elle souffre de deux maux : des produits inadaptés au marché et un manque de productivité savamment caché.

En plus de voir le marché de l'exportation se réduire par accroissement de la concurrence (alors que les volumes devraient encore augmenter), nous devons anticiper une réduction de la demande européenne. Cette restructuration passera inévitablement par la fermeture de chantiers et de bureaux d'études dans la douleur.

Nous pourrions croire que les chantiers européens qui resteront bénéficieront donc d'une sorte de report de charge, même amoindri. Néanmoins, comment ne pas imaginer que dans une perspective de soutien à des politiques commerciales, l'achat de navires de combat constitue un nouveau moyen de négociation commercial ? Dans un autre ordre d'idée, la course à la technologie européenne dans les navires de combat pourrait également rencontrer quelques programmes navals "modérés" américains. Le Joint Strike Fighter illustre assez bien ce qui pourrait se produire.

 

Il reste la question des alliances, mais avec qui ? Les allemands sont fuyant et un bon accord commercial pour eux, c'est un produit à 80% allemand : du char Napoléon aux coupes allemandes d'aujourd'hui dans les programmes internationaux, cela est assez clair. De plus, nous ne savons pas si les autres chantiers européens vont tomber et s'ils tomber, combien de temps cela prendra.


La surprise pourrait peut être venir de l'Angleterre si Londres se révèle incapable de restructurer son outil naval. Un syndicat anglais avait brandi la menace que les futurs porte-aéronefs Queen Elizabeth soient construit et entretenus en France. Etait-ce de la pure provocation ? Néanmoins, entre les accords de Nassau et le fait que Londres reprennne le large en cherchant à s'affranchir de l'Europe, il y a actuellement un grand pas à franchir.

Une dernière option ?

 

Elargissons avec une dernière hypothèse. Tout au long du XXe siècle, notre industrie navale s'est restructurée "intelligemment". L'outil s'est progressivement rationalisé autour de trois chantiers :

  • Cherbourg qui fabrique des sous-marins,
  • Lorient des frégates,
  • St Nazaire tout ce qui est plus gros qu'une frégate.

L'échec du programme FREMM illustre la difficulté française à maintenir de grands programmes de navires de surface (ce qui était une des leçons de l'époque colbertienne et qui est bien mise en oeuvre aux Etats-Unis avec les destroyers Arleigh Burke). Les frégates sont construites en série car il faut maintenir toute une chaîne industrielle à Lorient. Il y aurait alors deux autres manières de faire pour contourner la difficulté :

  • externaliser les activités de chaudronnerie à d'autres entreprises de chaudroneries ; le chantier naval se conteraient d'armer les blocs et de les assembler (ce qui était un peu le cas de la construction des U-Boat pendant la seconde guerre mondiale) ; ce qui n'est pas sans poser quelques difficultés pratiques ; ou bien faire assembler les coques conçues par des bureaux d'études européens par des chantiers à bas coût et les faire armer en Europe : c'est peu ou prou le cas des bâtiments logistiques anglais ;
  • ne plus construire les frégates en série mais en lot au sein d'un chantier vivant de programmes civiles lui permettant de conserver tout ou partie des compétences sans avoir besoin de construire continuellement des navires militaires un autre chantier préserve toute ou partie de ces compétences sur une multitude de classes de navires. Lorient fermerait alors au profit de St Nazaire.
La possible vente des chantiers de STX en Europe pose la question du devenir de St Nazaire, seul chantier français capable de construire porte-avions, navires amphibies et unités logistiques...