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Le député Fabien Gouteffarde (La République En Marche (LREM), « whip » (parlementaire représentant et mettant en œuvre la position du parti politique, avec un pouvoir disciplinaire assorti) du groupe LREM au sein de la commission Défense nationale et forces armées de l'Assemblée nationale, dirige un groupe de six à sept personnes (Michel Cabirol, « Elysée 2022 : etpourquoi pas un groupe amphibie permanent français en Indo-Pacifique (LREM) », La Tribune, 18 janvier 2022) ambitionnant d'influencer le projet Défense du parti. L'une d'elle vise à augmenter le format de la sous-marinade de 10 à 13 sous-marins afin de soutenir un groupe naval permanent dans le théâtre Indo-Pacifique devant comprendre un PHA, une frégate et un sous-marin en sa composition. Pareille proposition interpelle quant à son effectivité mais aussi du point de vue de son intérêt opérationnel et de la crédibilité de la composante océanique permanente de la dissuasion nucléaire.
Sans s'étaler ici quant à la pertinence stratégique de l'établissement d'un groupe naval « permanent » qui serait un « groupe amphibie » œuvrant depuis une base navale à Singapour, il y a tout lieu de s'étonner des choix capacitaires soulevés pour y attacher un sous-marin nucléaire d'attaque de manière permanente et, pour ce faire, de procéder comme suit : construction d'une septième unité de classe Suffren (6) du programme Barracuda et « conversion » de deux SN2G - selon la nouvelle nomenclature retenue par le programme SN3G - de classe Le Triomphant (4), à l'instar de ce qui avait été fait par l'US Navy avec quatre SNLE classe Ohio (18).
Septième SNA ?
Le format de la sous-marinade à six SNA de classe Rubis mis en œuvre selon le système dit du « double équipage » (rouge et bleu) pour cinq des six bateaux, car le sixième est en IPER (Indisponibilité Périodique pour Entretien ou Réparation), permet de soutenir une disponibilité technique opérationnelle de trois sous-marins et demi. Cela se traduit dans la pratique par la disponibilité stratégique d'un SNA dans l'océan Atlantique, un autre en mer Méditerranée et d'un troisième intégrant le Groupe Aéronaval (GAn). Le « demi-sous-marin » correspondait alors à la capacité de projeter la moitié du temps imparti un sous-marin nucléaire d'attaque dans l'océan Indien.
Cette équation, déjà ancienne, et bouleversée conjoncturellement par l'incendie de la Perle (12 juin 2020) et les quelques semaines de retard quant à l'admission au service actif du Suffren, décalée du quatrième trimestre 2021 à, de facto, le premier trimestre 2022, bouscule l'arithmétique précédemment énoncée jusqu'à 2023.
Mais, et de manière structurelle, le remplacement nombre pour nombre des Rubis (6) par les Suffren (6) offrira un gain : l'autonomie en vivres, permettant au bateau de demeurer en plongée sans avoir à faire surface, sera portée à 70-90 jours sur les Suffren contre 45-60 pour les Rubis. Et l'ESNA (Escadrille des SNA) s'est d'ores et déjà préparée depuis 2018 à de longues missions de projections : les SNA Améthyste et Casabianca ont mené des missions de 101 jours (2018) et 137 jours (2019) tandis que l'Émeraude a poussé à 199 jours (2020 - 2021) dans le cadre de la mission Marianne grâce à une relève d'équipage effectuée dans la base navale de Guam et par le soutien logistique du Bâtiment d'Assistance et de Soutien Hauturier (BASH) Seine de classe Loire (4). Deux facteurs supplémentaires expliqueront la capacité à soutenir ce nouveau format, à savoir l'IMFEAU qui continuera à accueillir des SNA. Mais également la « vitesse tactique silencieuse » des Suffren sera le double de celle des Rubis, leur permettant d'atteindre plus rapidement le théâtre d'opérations considérée afin de s'y maintenir plus longuement.
Il s'agirait de justifier en quoi un septième SNA s'impose alors que le 3,5 SNA disponible des Rubis ne correspondra absolument pas à l'équation des Suffren dont la disponibilité opérationnelle effective pourrait aussi bien lui être supérieure qu'elle pourrait en modifier profondément le paradigme, avec des temps de transits significativement réduits, voire, et à l'image de ce que pratiquent l'US Navy et la VMF : des sous-marins déployés jusqu'à deux années sur zone.
Au demeurant, et du point de vue industriel, la production des grands ensembles des six sous-marins nucléaires d'attaque de la classe Suffren est achevée. La commande d'une septième unité devrait composer avec la phase d'industrialisation du SN3G qui débute à peine depuis 2020, pour entrer véritablement dans le cœur des débats en 2023, tout en la plaçant autour des Rubis (2029) et Casabianca (2030), ce qui supposerait une quasi-procédure accélérée afin qu'une décision prise, au mieux, en 2022, puisse accoucher rapidement, et probablement pas avant 2030.
SSGN classe Le Triomphant (2) ?
La « conversion » de deux SN2G de classe Le Triomphant (4) apparaît problématique à bien des égards. Débutons par l'exemple mis en exergue, c'est-à-dire la conversion de SSBN (Ship Submersible Ballistic Nuclear) de classe Ohio (18) en SSGN (Ship Submersible Guided missile Nuclear). La signature du deuxième Strategic Arms Reduction Treaty (START II), le 3 janvier 1993, obligeait les deux signataires à d'importants objectifs de réduction de leurs arsenaux nucléaires. Il s'ensuivait, en 1994, des réflexions au sein de l'US Navy quant à la reconversion d'une partie des SSBN de classe Ohio (18) au profit de missions conventionnelles. Jamais entrée en vigueur, le traité START II est remplacé par le Strategic Offensive Reductions Treaty (SORT) entrée en vigueur, lui, le 1er juin 2003. Il poursuit et accentue les objectifs de START II.
Il en résulte un programme de refonte des quatre plus anciens bateaux de la classe Ohio afin de mettre en œuvre la réduction des armements négociés dans les cadres de START II puis SORT. Ledit programme débutait en 2002 et prévoyait 718,54 millions d'euros (2008) de dépenses en divers travaux dont un rechargement des cœurs nucléaires et une durée de vie opérationnelle portée à 42 ans. Chaque chantier durait 36 mois par bateau. Le SSBN-726 Ohio est entré en refonte en novembre 2002 pour être rendu à l'US Navy en janvier 2006, devant ainsi officiellement le SSGN-726 USS Ohio. Le quatrième bateau quittait le chantier en mars 2008.
Ces quatre bateaux ( SSGN-726 USS Ohio (1981 – 2023 ?), SSGN-727 USS Michigan (1982 – 2024 ?), SSGN-728 USS Florida (1983 – 2025 ?) et SSGN-729 USS Georgia (1984 – 2026) n'accueillent plus dans leurs 24 Tubes Lance-Missiles des missiles Mer-Sol Stratégiques Balistiques (MSBS ou Submarine-Launched Ballistic Missile (SLBM) :
La configuration forces spéciales voit 2 TLM sur 24 servir de sas entre l'intérieur de la coque épaisse et deux Dry Dock Shelter (DDS) positionnés sur le pont missiles et reliés à l'intérieur du bord par l'entremise de ces deux tubes. 66 opérateurs des United States Navy Sea, Air, and Land (SEAL) peuvent être accueillis à bord, en plus de l'équipage. Certaines sources évoquent même jusqu'à 102 opérateurs dans cette configuration.
Toutefois, l'arrimage d'une paire de DDS qui ne peuvent être posés ou enlevés qu'au sein d'une base navale ou d'un port équipé de moyens adaptés ne peut que condamner un minimum de quatre TLM supplémentaires, du fait de la longueur intrinsèque des DDS. Seuls 126 UGM-109 Tomahawk (ou Tomahawk – Land Attack Missile (T-LAM) peuvent être ensilotés dans les 18 TLM restants, à raison de sept de ces missiles par TLM.
La configuration SSGN « pur » se restreint à l'embarquement de 66 opérateurs des Navy SEALs, sans DDS et les charges associées pour les soutenirs. Sur les 24 TLM, 2 servent toujours de sas et les 22 restants accueillent des UGM-109 Tomahawk : soit une capacité totale de 154 T-LAM.
Pour en revenir aux SNLE classe Le Triomphant (4), plusieurs problèmes se pose quant à une opération similaire. Et le premier d'entre-eux réside dans le fait que la France n'a pas un surplus de SNLE destitués de leur mission nucléaire mais conservant encore un potentiel opérationnel suffisant. Ce qui revient à dire qu'il ne pourrait s'agir que d'attendre le remplacement des SN2G Le Triomphant (1997 - 2037 ?), Le Téméraire (1999 - 2039 ?) par les SN3G n°1 (2035) et SN3G n°2 (2040).
Cette « conversion » ou plutôt refonte supposerait quelque chose de très similaire au programme IAM51 (IPER pour Adaptation M51) ayant nécessité de refondre les trois premiers SN2G afin qu'ils puissent mettre en œuvre, chacun, un lot complet de missiles Mer-Sol Balistique Stratégique (MSBS) M51, en lieu et place des M45, obligeant à remplacer tout le Système Arme Dissuasion (SAD). Chacun des trois chantiers IAM51 avait nécessité, en moyenne, 28 à 30 mois et 4 millions d'heures de travail.
Pareil chantier s'imposerait puisque le rechargement des cœurs nucléaires des réacteurs de chacun de ces quatre SN2G classe Le Triomphant (4) interviendra neuf à dix avant leur désarmement. Une esquisse à main levée du calendrier idoine, en fonction des dernières IAM51 et IPER conduites, redonnant neuf à dix ans de potentiel, pourrait donner les dates suivantes : 2025 (Le Triomphant), 2029 (Le Téméraire), 2032 (Le Vigilant) et 2041 (Le Terrible).
Chantier qui se heurterait à quelques difficultés dont la menée des nécessaires études afin de conclure - ou non - s'il était possible de permettre à ces bateaux, tant du point de vue de la coque, des installations mais également de la chaufferie nucléaire, s'il était possible de prolonger le tout au-delà des 40 années de service car les Triomphant (4) effectueront, très manifestement, plutôt 40 années de service à la mer que 35.
Et dans cette perspective : procéder à un nouveau chargement des cœurs, partie la plus conséquente du coût financier d'un tel chantier, sans compter une mise à jour technologique aux mêmes exigences que celles touchant les Suffren et SN3G - à tout hasard : une suite sonar UBF et une commande afférente de Missiles de Croisière Navale (MdCN) de l'ordre de la centaine d'exemplaires -, obligerait à dégager suffisamment de potentiel opérationnel pour que le coût de l'opération soit au regard de l'utilité opérationnelle. Sous les 10 années de potentiel, cela serait très douteux.
Ultime difficulté : employer des SN2G refondus SSGN dans des missions de sous-marins d'attaque simultanément au renouvellement de la composante océanique permanente exposerait les deux SN2G encore en service pour porter la mise en œuvre de la mission dissuasion. En effet, et alors que le rôle d'un SNLE est d'esquive ou de dérober devant une menace, le rôle du sous-marin d'attaque est plutôt de s'en approcher, quitte à prendre le risque d'être contre-détecté. Autrement dit les SN2G refondus exposerait toute la signature acoustique de leur classe, facilitant d'autant la recherche des deux œuvrant toujours au profit de la dissuasion et abaissant d'autant la crédibilité de celle-ci.
C'est pourquoi, et afin d'éviter ce mortel écueil au profit de l'édifice entier, il ne pourrait s'agit que de lancer le chantier de refonte SSGN au profit de l'avant-dernier SN2G (Le Vigilant (2004 - 2044 ?) l'année de son désarmement afin qu'il puisse retourner au service au moment où Le Terrible (2010 - 2050 ?) pourra être désarmé comme SNLE et donc de pouvoir entrer en refonte.
Une éventuelle accélération du programme SN3G permettrait de gagner quelques années mais ne serait pas sans poser des problèmes nouveaux quant aux devis financiers considérés qu'il faudrait densifier sur un nombre plus réduit d'années, à considérer au regard du coût idoine des chantiers de refonte de seulement deux SN2G. L'opération projetée gagnerait à être contrebalancée par l'étude de l'allongement des Suffren (6) afin de leur mettre d'intégrer une nouvelle section de coque contenant des Tube Lance-Missiles (TLM) pouvant tirer des MdCN. Cela concernerait non plus seulement deux mais bien six bateaux, avec un potentiel opérationnel d'un minimum de 33 ans. Et cela rejoindrait la question d'un septième SNA de classe Suffren qui préfigurerait la chose.
Dans un cas (septième SNA) comme dans l'autre (l'option de la capacité opérationnelle SSGN) pose la question du pourquoi. Le renouvellement de la sous-marinade va accroître la présence sur le théâtre Indo-Pacifique. Reste à expliquer quels besoins politico-militaires exigent d'augmenter encore cet état de fait. « SSGN » n'est pas qu'un acronyme et a une signification stratégique allant de pair avec la mise en œuvre des quatre Ohio refondus par l'US Navy : la prétention à lancer une « frappe de décapitation », par une salve allant jusqu'à 154 missiles UGM-109E Tomahawk Land Attack Missile (TLAM-E Block IV). Outre le devis financier, avons-nous la volonté d'être capable de le faire, la doctrine et la culture stratégique, jusqu'à nous doter de ces moyens matériels ? Au final, ces deux mesures ne deviendraient effectives qu’au cours des années 2030 à 2040, ce qui semble bien éloigné de l’objectif affiché d’un renforcement de la posture, dans la foulée de l’accord stratégique AUKUS.
Merci infiniment d'être revenu. Je vous souhaite une bonne continuation
RépondreSupprimerMerci à vous et peut être à bientôt !
SupprimerCher Marquis. Heureux de vous retrouver. Bonne année avec un peu de retard. Que la santé soit au rendez-vous pour vous et ceux qui vous sont chers.
RépondreSupprimerAu plaisir également et merci pour vos vœux !
SupprimerJe vous adresse les miens, de bonheur, réussite et santé en retour.
Bien navicalement,
Cher Marquis,
RépondreSupprimerHeureux de vous retrouver, et qui plus est avec des articles passionnants !
La modification des Suffren par adjonction d'une section supplémentaire de coque pourrait potentiellement leur apporter une grande plus-value opérationnelle. On pense bien sûr à la possibilité d'armer cette section supplémentaire avec de "classiques" TLM, qui pourraient notamment emporter le futur missiles (hypersonique ?) issu du programme FMAN/FMC. L'emport de 18 à 28 missiles ne fera pas du Suffren un véritable SSGN, comme les Ohio modifiés, mais permettrait néanmoins de (re)donner à la France une capacité modeste, mais crédible pour "l'entrée en premier" dans un contexte de haute intensité, face à un adversaire capable de se défendre et de rendre les coups.
Mais il serait dommage de se contenter d'imiter ce qui existe déjà. On pourrait ainsi réfléchir à une flexibilité d'emploi, voir à une conception modulaire dans l'aménagement de ce tronçon supplémentaire. Par exemple, et selon la mission, en lieu et place de TLM il pourrait s'avérer particulièrement utile d'emporter et de mettre en œuvre des drones sous marins (UUV),potentiellement récupérables, qui agiraient comme éclaireurs ou comme gardes du corps du Suffren. Des drone aériens de reconnaissance et/ou armés (UAV) pourraient également être mis en oeuvre depuis ce tronçon modulaire, pour des actions contre la terre, ou pour des actions de lutte ASM (emport et largage de bouées par les drones). Enfin, dernière hypothèse, l'emport en quantités importantes de munitions rôdeuses mises en oeuvre à la demande depuis cette section supplémentaire de coque, pourrait apporter au Suffren un atout de taille pour soutenir dans la durée une force au sol.
Navré de vous répondre avec presque deux mois de retard. Mes obligations personnelles sont très anarchiques depuis plusieurs semaines et je n'ai pas forcément eu la présence d'esprit de visiter le blog durant celles-ci.
SupprimerVous avez bien relevé tous les usages prévus (missiles de croisière, missiles anti-navire hypersoniques, drones) pour les Tube Lance-Missiles (TLM) du Virginia Playload Module (VPM) intégré au Block V de la classe Virginia. Et il serait également question de tubes lance-torpilles supplémentaires.
Le point d'attention que je propose est que le programme FMAN/FMC ne concerne pas la succession des SM39 Block 2 Mod 2 Exocet ni du MdCN. Et le diamètre de la configuration du FMAN/FMC (Mach 4,5/3,5) ayant la préférence de la Marine nationale semble largement excéder le diamètre de 533 mm.