Les @mers du CESM


Les @mers du CESM - 19 avril 1944 :

Le cuirassé Richelieu participe au bombardement de Sabang, base japonaise en Indonésie. Le navire français, ayant rejoint l’Eastern Fleet commandée par l’amiral britannique Somerville, prendra part à trois autres opérations visant des bases navales ennemies. Après 52 mois passés en mer, le bâtiment rentre à Toulon le 1er octobre 1944. À nouveau déployé en Asie du Sud-Est l’année suivante, le bâtiment assistera à la capitulation du Japon dans la rade de Singapour le 23 septembre 1945.





23 septembre 2012

Renforcer la puissance navale française ? Des solutions logistiques originales


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© Inconnu. Les navires de l'opération Myrrhe : le porte-avions Foch, bâtiment de commandement et de ravitaillement Somme, la frégate (ou croiseur léger) Duquesne et le navire-atelier Jules Verne. Un SNA pourrait certainement être partie intégrante de cette escadre.

La logistique navale n'est que trop rarement mise en avant alors qu'elle est parfaitement essentielle. Par exemple, pendant la seconde guerre mondiale, les allemands s'appuyaient intelligemment sur des pétroliers pour allonger le rayon d'action des raiders (les cuirassés de poche par exemple), des croiseurs auxiliaires et des sous-marins. Les alliés eurent bien des difficultés à enlever à l'Allemagne ce bras logistique qui démultipliait le rayon d'action de ses navires. Autre exemple, et plus près de nous, pendant la guerre des Malouines, la capacité de la Royal Navy à durer à la mer ne tenait qu'en sa capacité à ravitailler son escadre combattant en Atlantique Sud depuis la métropole. Si les Argentins avaient visé en priorité les navires logistiques anglais, la fin de cette guerre aurait pu être tout autre (comme dans le cas où les Argentins auraient réussi à se procurer quelques missiles Exocet de plus).

Globalement, il est impossible d'envisager l'action lointaine et durable d'une force navale sans qu'elle puisse s'appuyer sur un train logistique hauturier apte à ravitailler les navires en munitions, combustibles, nourritures et pièces de rechanges. Pour peser sur une crise, les outils militaires adéquats sont appelés à durer. En mer, il est donc nécessaire que le groupe naval puisse durer en face des côtes de la crise. Toutes les fois où la puissance aéronavale française a été engagée, les porte-avions durèrent à la mer, sans séloigner de l'épicentre de la crise -ce qui revient à dire que le lien doit être fait entre la base avancée et l'escadre. Mais cette nécessité de durer à la mer concerne aussi le groupe amphibie (voir la présence du Tonnerre pendant la crise présidentielle ivoirienne) et le groupe de la guerre des mines (voir son action durable (un peu plus de 4 mois) et bénéfique dans la dépollution des eaux koweïtiennes (quand l'Irak avait interdit l'accès de cet Etat à l'US Marines Corps).

Pour satisfaire aux besoins de la logistique navale, il faut, généralement, des pétrolier-ravitailleurs et des navires-ateliers. Ainsi, la Flotte des porte-avions Clemenceau et Foch était, à ses débuts, accompagnée par des pétroliers-ravitailleurs, des transports-ravitailleurs et des bâtiments de soutien logistique. Les derniers servaient plutôt au soutien de différentes divisions navales, grâce à leurs ateliers, dans des lieux éloignés des arsenaux ou directement à la mer. Cette flotte logistique était alors constituée d'unités très spécialisées. Par la suite, au cours des années qui suivirent (de 1970 vers 2000), la flotte logistique se resserra autour d'unités de plus fort tonnage et plus polyvalentes. Il faut dire aussi que, après la mise à la retraite des unités logistiques des années 60, il n'y eu pas vraiment de nouvelles entrées en service de navires logistiques. Outre le pétrolier-ravitailleur Durance et les Bâtiments de Commandement et de Ravitaillement (BCR) Meuse, Var, Marne et Somme (ils sont issus de la même classe, sauf que la tête de série n'a pas de moyens de commandement), il n'y a pas eu d'autres constructions de navires logistiques. Par ailleurs, passé l'an 2010, il ne reste plus que les quatre BCR. Le dernier bâtiment se soutien logistique affecté à la guerre des mines, le Loire, a quitté le service en 2009. Le dernier navire-atelier affecté au reste de la Flotte, le Jules Verne, a été désarmé, lui aussi, en 2009.

Les buts de la guerre navale française ont changé et l'évolution du visage de la flotte logistique l'atteste.

Par exemple, la flotte logistique qui existe en 1960 semble très bien adaptée à la flotte issue de la IVe République qui était très équilibrée et très pyramidale. Les trois types d'unités logistiques navales d'alors -pétroliers, transporteurs et navires-ateliers- devaient, manifestement, permettre de soutenir en de nombreux points de la planète bleue les escorteurs et les sous-marins classiques. Il s'agissait de diffuser la flotte en différentes escadres légère pour combattre là où les adversaires se concentreraient, certainement près des points vitaux du trafic maritime. Les porte-avions ne constituent pas encore le centre névralgique du ravitaillement.

Mais la montée en puissance de la force aéronavale française semble bouleverser la flotte logistique toute entière. Les buts de la guerre navale changèrent aussi. La permanence aéronavale française, matérialisée par la navigation quasi-permanente d'un porte-avions, devient la finalité de la flotte logistique. Qui plus est, la guerre navale change car la puissance navale française, tout du moins, se fait au soutien d'opérations de moins en moins hauturières et de plus en plus côtières. Si les Clemenceau et Foch quittent Toulon et la Méditerranée en 1966, sur décision du général De Gaulle, après le retrait de la France du commandement intégré de l'OTAN, c'est pour la retrouver le 18 décembre 1974 par la décision présidentielle de Giscard d'Estaing. Dès lors, nos deux porte-avions ne cessèrent de projeter la puissance aérienne française de la mer vers la terre afin de peser sur les différentes crises qui apparaîtront.

Il y eu des années 60 à 1974 un passage de témois entre une guerre navale qui se concevait dans l'optique d'une guerre des communications et de batailles de rencontre dans l'Atlantique entre les deux blocs à des missions d'intervention dans le cadre des conflits périphériques et au plus près des côtes. Dès lors, il ne s'agissait plus de soutenir des escadres et des divisions qui combattraient à travers le monde. Mais il s'agit bien désormais d'appuyer l'action d'un groupe aéronaval qui doit durer face à des côtes pour peser politiquement sur le règlement d'une crise. Il y a eu concentration de la logistique navale sur une escadre en particulier. A cette formation, il est possible d'adjoindre deux autres groupes tout aussi essentiels : le groupe amphibie et celui de la guerre des mines. La Marine doit pouvoir escorter le groupe amphibie, indépendamment du groupe aéronaval, nous dit le livre blanc de 2008. D'un autre côté, il est bien difficile d'imaginer l'engagement dissocié des trois groupes navals -et donc un soutien logistique naval à assurer en trois points différents du globe. Mais cela est encore arrivé, récemment : le Tonnerre participait donc à la résolution de la crise ivoirienne alors que le porte-avions était en mission Agapanthe.

La physionomie des escorteurs a également été bouleversée. Premièrement, l'Amiral Nomy expliquait que l'introduction des engins (premier nom des missiles) dans la Marine était l'occasion de concevoir de grands escorteurs : il n'était plus question dans son esprit d'escorteurs spécialisés (anti-aérien et anti-sous-marin) mais bien de frégates polyvalentes car il valait mieux "les construire plus gros et plus cher". L'aboutissement de ce processus là, sous l'influence américaine, était le croiseur à propulsion nucléaire. De l'autre côté, c'est bien l'évolution de la guerre navale française qui réduit les objets à protéger et concentre les missions de protection sur la FOST (Force Océanique Stratégique) et sur le GAn (Groupe Aéronaval). Le passage d'une guerre navale à l'autre entraîne aussi des besoins différents : s'il n'est plus tellement question de lutter contre une marine mondiale comme la flotte rouge, alors il s'agit de réussir à peser sur une succession de crises régionales. Le besoin en escorteurs est moins grands (même s'il y a des paliers à ne pas franchir pour pouvoir continuer à avoir une présence mondiale) mais l'endurance qui leur est demandée l'est beaucoup plus, d'où une croiseurisation des frégates, ce qui amène à disposer de FREMM de 6000 tonnes en charge.

Il y a encore une chose qui a poussé la logistique navale vers la concentration : la propulsion nucléaire. Quid de l'intérêt de posséder un train naval dédié au soutien des sous-marins quand ceux-ci sont devenus les navires les plus libres de la planète grâce à leurs réacteurs nucléaires ? L'adoption de cette propulsion par le porte-avions n'a fait que pousser le processus à son paroxysme.

La Royale dispose donc d'un train de logistique navale très concentré, ce qui a entraîné une croissance en tonnage des plateformes et une réduction du nombre de navires. L'expression des besoins de la Marine a conduit DCNS à proposer les BRAVE pour le programme de remplacement des BCR. Ce programme de renouvellement devrait être notifié dans le cadre de la prochaine loi de programmation militaire (et serait même nécessaire pour sauvegarder l'avenir des Chantiers de l'Atlantique, arsenal devenu indispensable pour la Marine). Il y a une confirmation, par cette matérialisation de la pensée actuelle de l'état-major, du processus entamé depuis les années 70 : quatre unités sont espérées. Il y a donc confirmation d'une flotte (logistique) avec de grandes unités polyvalentes. Le processus de concentration s'accompagnerait, tout de même, d'une certaine croissance car le tonnage unitaire grimperait de 18 000 tonnes (BCR) à 30 000 tonnes (BRAVE). Ce surplus consisterait en la prise en compte qu'il manque quelques capacités opérationnelles depuis le retrait du service des navires-ateliers (Loire (guerre des mines) et Jules Verne). Tout aussi intéressant, il faut noter que les volumes supplémentaires des BRAVE serviront pour transporter hommes et matériels au soutien d'une opération amphibie.

Le problème d'une logique qui est portée à son paroxysme, c'est qu'elle crée des déséquilibres propres à déstabiliser tout le système. Cela a été vu avec l' US Navy qui souffre d'une logique mahanienne qui réduit son nombre de navires et donc sa présence mondiale. Dans le cas de la logistique navale française, la concentration observée, constatée, permet, effectivement, de soutenir le groupe aéronaval et ses branches que sont le groupe amphibie et celui de la guerre des mines. Mais c'est un mouvement qui ampute la Marine nationale des capacités nécessaires pour intervenir dans d'autres endroits de la planète quand la nécessité se fait impérieuse. Il y a des choses qui corrigent naturellement les déséquilibres :
  • l'une des premières choses qui redonne de la souplesse au système c'est la plus grande endurance des plateformes actuelles : les sous-marins nucléaires ont très peu besoin de logistique navale dans le cas français (différent dans le cas américain avec des missions de 7 à 9 mois contre 3 à 4 en France) et les frégates sont désormais conçues pour durer plusieurs mois à la mer, avec comme seuls arrêts logistiques les bases avancées.
  • C'est par ailleurs ces bases avancées qui permettent aux unités de la Marine de prendre appui sur des relais terrestres tout autour de l'arc de crises, et même plus grâce aux territoires français d'Outre-mer. 
  • Enfin, il y a donc cette concentration du soutien logistique navale sur un groupe et ses ramifications qui permettent de supporter un si petit nombre de navires logistiques.
Néanmoins, les hypothèses actuelles d'emploi dissocié du groupe aéronaval et de l'un des deux autres groupes ne sont pas si minces. Dans le cadre de la crise syro-iranienne, il ne serait pas étonnant que le porte-avions soit employé dans le bassin oriental de la Méditerranée quand au large de l'Arabie Saoudite Washington demandera l'aide du groupe de guerre des mines français (car la marine américaine n'a presque plus de capacités dans ce domaine et que le groupe de guerre des mines de l'OTAN, s'il a le mérite d'exister, est relativement restreint).

Corriger les déséquilibres constatés ne serait pas simple quand le budget (éternellement, il faut le dire) est contraint. Néanmoins, c'est peut être possible.

Première possibilité, c'est le BPC. Le navire est constitué de grands volumes, vides, pour permettre l'embarquement d'un groupe aéromobile (constitué de voilures tournantes) et et d'un SGTIA (Sous-Groupement Tactique InterArmes) de l'Armée de Terre pouvant être à dominante blindée (il est peut être imaginable qu'un BPC embarque deux SGTIA pour de "courte durée", mais c'est une autre affaire). La proposition se retrouve en bas des billets de blog : pourquoi ne pas utiliser, ponctuellement, un BPC comme navire-atelier ? Cela supposerait que les ateliers soient modulaires et déplaçable pour ne pas faire d'un BPC un navire définitivement spécialisé après installation de tels équipements. Le monde est bien fait puisque à bord des BRAVE "sur l'arrière, une zone modulable peut servir au stockage de matériel, abriter des ateliers de réparation ou accueillir des troupes et des véhicules". Les hangars à véhicules et hélicoptères des BPC devraient bien pouvoir embarquer de telles installations. La plateforme aurait même de belles qualités nautiques puisque ses grandes dimensions et son fort tonnage lui assure une grande stabilité, caractéristique essentielle pour un navire-atelier où peut se dérouler de la micro-électronique (par exemple). 

De cette première possibilité, il découle deux directions différentes, mais complémentaires :
  • un BPC au soutien du groupe aéronaval,
  • un autre, BPC, au soutien du groupe de guerre des mines ou de missions aéroamphibies devant durer dans le temps (comme la mission Corymbe en cas de crise).
Dans le cas d'un BPC navire-atelier, il pourrait soutenir le porte-avions, ses frégates, son SNA et de ses aéronefs. Il pourrait s'approcher de chacune des unités pendant une opération pour livrer des pièces de rechange, des équipements réparés et faire des ravitaillements complémentaires à ceux opérés par les BCR et les futurs BRAVE. Par la suite, le navire s'éloigne rapidement de l'escadre pour se protéger et se ravitailler lui-même au près d'un port amical ou d'une base avancée.

Dans ce cadre là, l'hélicoptère est le moyen incontournable pour faire rapidement le lien pour opérer les échanges entre les navires logistiques et les unités soutenues. Mais est-ce le seul moyen ? Un BPC logistique pourrait se servir de deux EDA-R pour ravitailler plus rapidement les navires de l'escadre et donc écourté une manœuvre qui demeure risqué dans une zone de guerre.

De là, il faudrait peut être proposer un échange de services entre le porte-avions et l'unité logistique. Clément Ader disait que les aéronefs devaient être entretenus et réparés à bord. Mais dans le cadre d'un BPC-atelier qui ferait le lien entre le porte-avions et la terre, il pourrait fluidifier l'entretien des voilures fixes et tournantes. A quoi bon garder à bord un chasseur qui serait bon pour plusieurs semaines de réparations ? Pourquoi ne pas permettre à un BPC qui ferait la rotation entre une base avancée et le porte-avions d'en apporter un directement depuis la France qui serait entièrement disponible et d'enlever la machine indisponible et qui ne pourrait plus quitter le bord par elle-même ? Le porte-avions pourrait délocaliser les opérations lourdes d'entretien vers le BPC et la terre. Ce nouveau partage des tâches allégerait le bateau porte-avions (et peut être son coût - est-ce que le déplacement des moyens de commandement vers un BPC serait de nature à en faire de même pour le PA2 ?). Mais cela permettrait, aussi, de maintenir un groupe aérien embarqué avec des machines en permanence disponible. Mais un tel changement suppose de disposer d'un hélicoptère lourd apte à réaliser de tels mouvements...

Imaginez une autre hypothèse : le soutien d'un BPC-atelier aux opérations offensives du porte-avions. Grâce à l'aide d'hélicoptères lourds, il serait donc possible de transporter des Rafale du pont d'un BPC vers le porte-avions. Ce dernier envoie tout ses Rafale. A ce moment là, pourquoi ne pas concevoir que les Rafale stockés à bord du BPC soient déplacés sur le porte-avions. La suite de l'idée consisterait à les conditionnés pour constituer la seconde vague de l'attaque et donc, à être catapultés. La première vague, à son retour, pourrait être transvasée du porte-avions au BPC et y serait reconditionnée quand la seconde le serait à bord du porte-avions. Dans cette optique, le BPC devient un considérable multiplicateur de forces. L'idée peut être séduisante car elle offre la possibilité de ne plus se laisser limiter aux 32 aéronefs du Charles de Gaulle (dont 24 Rafale) : le poids opérationnel du GAn face à un groupe aéronaval américain serait beaucoup plus relatif.

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© Marine nationale. BCR Var entouré de l'Andromède et du Croix du Sud.

Si le BPC pouvait devenir navire-atelier, ponctuellement, alors il pourrait servir de navire-base au groupe de guerre des mines. Bien que les futurs chasseurs de mines seront plus hauturiers que les actuels, il n'en demeure pas moins qu'ils auront besoin d'un soutien logistique pour renouveler "leurs munitions" nécessaires à la chasse aux mines (constatations de l'opération menée dans le Golfe persique en 1991). Le BCR Var a d'ores et déjà expérimenté une telle formule lors d'un exercice en 2011. Est-ce qu'un BPC pourrait servir dans une telle mission ? Cela permettrait, en tout cas, de délester les futurs BRAVE de missions qui n'emploieraient pas l'intégralité de leur potentiel et où un BPC démultiplierait la force d'une opération de guerre des mines. La protection du groupe pourrait passer, par exemple, par l'embarquement d'hélicoptères Tigre à bord du porte-hélicoptères. Il serait envisageable, à nombre de chasseurs de mines égale, d'embarquer plusieurs équipages afin de travailler presque nuit et jour (grâce aussi aux ateliers et à l'embarquement de consommables). Surtout que, un BPC, avec son radier, pourra emporter deux drones porte-drones (du programme SLAMF) en plus de ceux des futurs chasseurs de mines. Ce ne serait pas un mince avantage quand l'économie mondiale peut être menacée par le minage d'un détroit.

Enfin, il y a le cas où BRAVE et BPC pourraient être au soutien d'une mission aéroamphibie. Il y a clairement la volonté d'utiliser les BRAVE pour renouveler les équipages lors d'une opération qui dure, mais, et peut être aussi, pour soutenir une opération amphibie. Ce serait une option prise sur le  Sea basing : le BPC servirait de porte d'entrée sur un théâtre et le BRAVE transporterait les troupes à injecter sur ce théâtre.

Dans une autre mesure, il y aurait le cas où le BPC dépasse le cas du navire-atelier pour devenir presque un navire-usine. Il est alors engagé dans une mission qui dure et il a besoin de se faire durer, mais aussi de soutenir des moyens qui lui sont rattachés (comme des aéronefs) ou adjoints (d'autres navires qui ne pourraient pas durer aussi longtemps). Ce serait tout l'avantage de coupler les capacités aéroamphibies d'un BPC avec celles d'un navire-atelier. Une telle utilisation du BPC en Somalie permettrait de se passer de quelques frégates dans un contexte où il est difficile d'obtenir les précieuses frégates de la part des Etats engagés dans l'opération Atalante.

Il y a une toute dernière option. La guerre navale à la française permet de se concentrer avec de grands moyens sur chaque crise internationale qui se présente. Cette manière de faire empêcherait d'être ponctuellement présent en d'autres endroits du globe, avec, certes, des moyens moins important. Mais être présent, c'est le minimum pour pouvoir pesé, et c'est le propre d'une marine à vocation mondiale. Les Russes reconstruisent leur puissance hauturière avec des remorqueurs comme navire logistique. Ces auxiliaires de haute mer font rarement partie intégrante d'une escadre. Et pourtant, ils servent très souvent dans la marine russe à appuyer un déploiement de deux ou trois frégates ou destroyers, notamment au large de la Corne de l'Afrique ou dans le bassin oriental de la Méditerranée.
Le cas du groupe de guerre des mines de l'OTAN a été évoqué : lors de son dernier passage à Brest, le SNMCMG1, était composé de quatre chasseurs de mines et d'un navire de soutien polonais, le Kontradm. Z. Czernick. Ce dernier jauge à peine plus qu'un chasseur de mines (6 ou 700 tonnes). Sa présence demeure un puissant moyen pour faire durer la formation à la mer.
Ce ne serait peut être pas une solution à négliger en France que de constituer une seconde ceinture logistique autour de petites unités, comme des remorqueurs de haute mer polyvalent. Dans cette optique, il y a les programmes BSAH et BMM qui pourraient fournir les unités nécessaires. Les BSAH semblent étudiés pour. Mais pourquoi donc ne pas saisir l'opportunité de fusionner, au moins, ces deux programmes pour avoir ce second rideau logistique ? A l'heure où les relations en Asie se tendent, il faudrait peut être plutôt miser sur le déploiement d'une FREMM (avec commandos, MdCN et Exocet block III (donc MdCN aussi) avec l'appui d'un navire de soutien en Asie du Sud-Est pour faire sentir la présence de la France, sans se couper de la présence du GAn en Méditerranée.

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En tout dernier lieu, il y a le cas des EDA-R (Engin de Débarquement Amphibie Rapide). Ils pourraient constituer le troisième niveau du soutien logistique naval. Ils sont de faible tonnage, ce qui fait leur force le jour où il sera possible de remonter des fleuves dans le cadre d'une opération terrestre. Une version agrandie de ces chalands -soit la taille d'un EDIC- avec une plus puissante motorisation pourrait servir de navire logistique et amphibie rapide. Prépositionné, il pourrait faire le lien entre BRAVE, BPC et la base avancée la plus proche. Hors opération, il pourrait bien servir de patrouilleur hauturier : l'EDA-R demeure un catamaran -ce qui est une formule architecturale assez économique- et il n'est pas impératif qu'il navigue à sa vitesse maximale, mais bien à sa vitesse de croisière économique.

Ce ne sont là que quelques pistes qui sont jetées comme sur un brouillon. Le format se réduira à quatre unités logistiques : les futurs BRAVE. Ceux-ci devraient permettre de remplacer une partie des capacités qui étaient offertes par les navires-ateliers et de soutien. C'est le premier rang du soutien logistique naval. Il n'en demeure pas moins que 4 navires est un format bien léger : il faut considérer que le format en SNA à six unités est insuffisant pour protéger la FOST et soutenir le GAn en Libye, face à Toulon. Donc, il y a ces pistes pour combattre les déséquilibres créés par le système : se servir des BPC comme navire logistique auxiliaire, voire comme navire-atelier. La logique pourrait même être poussé pour en faire des porte-aéronefs auxiliaires afin de participer au soutien des aéronefs du GAn, et pourquoi pas d'augmenter le nombre d'avions pouvant être catapultés par le porte-avions. C'est le deuxième rang du soutien logistique naval. En outre, il ne faudrait pas négliger les "nouvelles" capacités de projections (celles des années 60, aujourd'hui perdues, en réalité) qui pourraient être offertes par l'utilisation de navires dédiés initialement à l'Action de l'Etat en Mer comme d'une flotte logistique. C'est le troisième rang. Parfois, il suffit d'une frégate multi-missions et d'un navire de soutien pour participer à une crise à l'autre bout du monde. Enfin, les nouveaux chalands de débarquement, les EDA-R, et une éventuelle version agrandie, les EDA-R XL, pourraient servir d'unités logistiques de bases pour accélérer la manœuvre logistique lors du ravitaillement d'une escadre ou faire la liaison entre la terre et l'escadre. La version agrandie du nouveau chaland de la Marine servirait de moyen prépositionné pour des transports entre théâtres et de patrouilleur en dehors du service aux escadres. C'est le quatrième rang.

Qu'est-ce que ces propositions représentent sur le plan budgétaire ? Les quatre unités logistiques (BRAVE) sont d'ores et déjà programmées : ne pas les commander, c'est une économie comptable et la perte du statut de marine à vocation mondiale. Il y a d'ores et déjà trois BPC, et dans le cadre des propositions, ce ne serait pas un luxe que de monter à 5 unités, sachant qu'une telle commande en lot offrirait des navires moins coûteux (300 millions l'unité) qu'une commande isolée (400 millions l'unité) -soit dit en passant qu'une commande en série et en lot de 5 BPC aurait coûté autant que la méthode actuelle pour en acquérir quatre unités. En attendant, le quatrième BPC est programmé pour la prochaine loi de programmation militaire. Tout comme les programmes BSAH et BMM qui concerneront des unités de 2 à 3000 tonnes. Enfin, il est prévu de percevoir deux EDA-R par BPC. Et la version agrandie n'a pas quitté le brouillon. Donc, au final, il n'est question que d'un BPC de plus et d'EDA-R XL.

21 septembre 2012

Crédibilité de la doctrine nucléaire nationale face à l’évolution de l’anti-missile balistique, par le général Pinatel


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© DGA. Le SNLE Le Téméraire a été admis au service actif en 1999.

Le général Pinatel me fait l’honneur de m’expliquer son point de vue sur la question de la DAMB (Défense Anti-Missile Balistique) de territoire otanienne (couplée à l’ABM -Anti-Ballistic Missile- américain) et sur ses conséquences sur la dissuasion nationale. Ce qui suit est le résultat de ce dialogue où j’ai pu lui demander si l’ABM américain pouvait avoir quelques conséquences sur l’évolution de notre dissuasion nucléaire.

Quand le général mène la fronde contre la défense antimissiles balistique de territoire de l’EPAA (European Phased Adaptive Approach) de l’administration Obama, l’équivalent de l’ABM américain, en Europe, il aime revenir sur les fondements des dissuasions nucléaires américaine et française.

Les explosions des deux premières bombes nucléaires américaines sur Hiroshima et Nagasaki (1945) s’accompagnent après la guerre d’une volonté de « dominance » des États-Unis qui souhaitent tirer les bénéfices politiques du pouvoir nucléaire et ne le partager avec personne. Dès lors, ils commencent à pratiquer une dissuasion « du fort au faible » c’est-à-dire à développer une capacité de première frappe suffisante pour désarmer tout adversaire potentiel et se mettre ainsi à l’abri de ses représailles. C’est l’explosion de la bombe atomique soviétique (à fission, le 29 août 1949) qui va permettre l’apparition d’un dialogue entre les deux puissances nucléaires. Mais c’est aussi l’apparition d’autres bombes -anglaise, française et chinoise- qui achève de complexifier le jeu nucléaire qui n’est plus un « je » américain. Dès lors, les États-Unis ne peuvent retrouver la suprématie nucléaire, c’est-à-dire une capacité de première frappe sans risque de représailles, qu’en disposant d’un bouclier anti-missile efficace. Ainsi, le RIM-8 Talos, engin anti-aérien de la série « T » des années 60, était semble-t-il une première ébauche d’une défense contre les missiles balistiques pour l’US Navy.

La crise de Cuba de 1962 permet de calmer le jeu et de poser les bases d’un dialogue fructueux (sur le plan nucléaire) entre les deux supergrands, et le traité ABM de 1972 enterre, pendant un temps, toutes prétentions à casser l’équilibre qui s’est construit entre les deux grands.
La dernière bataille de la Guerre froide a été la relance de la course aux armements dans les années 80, dont le point d’orgue est le lancement de l’Initiative de Défense Stratégique (IDS) du président Reagan, qui a conduit à l’épuisement de l’économie soviétique.

L’URSS disparue, l’IDS et ses suites perdureront : le traité ABM n’est plus là, et les États-Unis tentent de saisir l’occasion pour reconstruire une « dominance » de l’espace mondial, tant par des moyens conventionnels que nucléaires. L’ABM doit permettre de retrouver la suprématie nucléaire perdue avec l’apparition de la bombe soviétique et la prolifération nucléaire. La mise sur pied d’un système antimissile efficace permettrait de mettre en échec la dissuasion « du faible au fort » des nouvelles ou potentielles puissances nucléaires.

En effet et c’est une constante, une partie importante des stratèges américains ont toujours refusé la logique de la dissuasion nucléaire car elle revient à accepter, si elle échoue, de subir une première frappe adverse avant de riposter. Or la mentalité «cow-boy» est fortement ancrée chez les militaires et les stratèges américains : c’est celui qui dégaine et qui tire le plus vite qui sort vainqueur de l’affrontement. C’est dans cette logique et, en dehors de tout mandat de l’ONU, que, prenant prétexte de l’existence d’armes de destruction massive en Irak, le texan George Bush junior a décidé la seconde Guerre du Golfe ; c’est pour cela aussi qu’un débat existe actuellement aux États-Unis sur la nécessité de lancer une attaque préemptive contre le potentiel nucléaire iranien en cours de constitution.

Il va s’en dire que le pari est audacieux, au regard des résultats de l’avatar actuel de l’ABM : les missiles GBI (Ground Based Interceptor) ont, au mieux, une réussite de 50%. Ce sont plutôt les missiles SM-3 de l’US Navy (couplés au système AEGIS) qui donnent les meilleurs résultats lors des essais : autour de 70%. Bien entendu, il est difficile de parler d’un bouclier avec une telle passoire. L’interception de missiles balistiques d’une portée de 2000 km, comme celle du missile iranien Sejil 2, est, en effet, très difficilement réalisable car, entre le moment où le tir est décelé et la phase d’impact, on ne dispose que de 15 à 20 minutes pour prendre une décision, lancer un missile anti-missile et espérer toucher une cible qui fonce vers la terre à une vitesse de 4 à 6 km par seconde.

Pour qu’un bouclier anti-missile soit efficace, il devrait être capable d’arrêter à coup sûr un missile équipé d’une tête nucléaire. Cela implique un système en alerte 24 heures sur 24, 7 jours sur 7, un processus de décision quasi-automatique et surtout une capacité démontrée d’interception de 100%. En effet, on ne peut pas accepter le risque qu’un missile équipé d’une tête nucléaire atteigne son objectif. Or il n’existe aucune preuve qu’un taux d’interception voisin de 100% soit réalisable.

C’est pour cette raison que tous les théoriciens de l’arme nucléaire, et en particulier Lucien Poirier et le Général Gallois, ont bâti une stratégie basée sur la dissuasion nucléaire du faible au fort: signifier à tout agresseur potentiel qu’une attaque qui mettrait en cause nos intérêts vitaux entraînerait automatiquement des représailles nucléaires massives sur ses villes. Dès lors, il n’est pas question de concurrencer les deux grands et de tenter de pouvoir annihiler une force considérablement supérieure. Mais les forces stratégiques françaises doivent pouvoir mener des représailles, même après une première frappe destinée à détruire son potentiel nucléaire. Le vocable utilisé sera l’expression de « capacité de seconde frappe » et les SNLE seront l’incarnation de cette expression. Il y aura également une composante terrestre fixe (le plateau d’Albion).

Le problème inhérent à cette capacité de dissuasion est qu’elle s’apparente à une stratégie du tout ou rien. Que faire donc si les divisions soviétiques menaçaient d’envahir notre territoire? La stratégie de dissuasion est alors complétée par la notion « d’ultime avertissement » que doivent donner à l’adversaire l’arme nucléaire tactique, lui signifiant que nous considérons que nos intérêts vitaux sont mis en cause par son agression. Les forces atomiques nationales vont ainsi s’articuler entre celles dédiées à l’ultime avertissement (Mirage IV, missiles Pluton) et celles devant causer des dommages considérables à un éventuel assaillant, au point de le dissuader de tenter l’aventure.

Les vecteurs nucléaires français ont très bien traversé les épreuves à coup de modernisations successives. D’une part, des « aides à la pénétration » ont même été inclues pour tenir compte des développements en URSS et aux États-Unis, puis face aux développements américains issus de l’IDS. D’autre part, les missiles balistiques français embarqués à bord des SNLE ont évolué du M-2 au M-51. Cette succession d’évolutions a permis d’augmenter considérablement les zones de patrouilles des navires de la FOST (grâce à l’augmentation de la portée des missiles embarqués), et par conséquence, de renforcer leur crédibilité rendant leur localisation encore plus difficile.

Enfin, est-ce que la France doit participer à la défense antimissile balistique de territoire, adoptée dans son principe à l’OTAN ? La réponse découle des explications du général Pinatel : non, ce n’est pas l’intérêt de la France de favoriser tout ce qui peut affaiblir sa capacité de dissuasion nucléaire. Mais surtout, l’EPAA de l’administration Obama (relance des sites de l’ABM américain en Europe suite à l’échec du projet de l’administration Bush -installation de missiles GBI-, qui ne permettait aucune protection des territoires européens contre les menaces balistiques) n’est dirigée, dans les discours, que contre la « menace » iranienne. Dans cette optique, il y aura l’installation et le pré positionnement de missiles SM-3 (les destroyers Arleigh Burke AEGIS/SM-3 de la Rota, Espagne, et d’autres destroyers et croiseurs AEGIS en mer Noire). Hors, et comme l’explique très bien le général dans un de ses billets, la menace iranienne n’existe pas contre l’Europe !

Les développements de l’ABM servent, notamment, et peut être essentiellement, à faire tourner les industries de défense américaines. Une partie des Européens y répondent favorablement en s’équipant de missiles SM-3 pour leurs navires, construits autour du système AEGIS qu’ils ont acquis. C’est par exemple le cas des Pays-Bas qui viennent de franchir le pas en annonçant la mise à jour du système d’armes de leurs navires et l’acquisition de missiles SM-3. Les marines de la Norvège, du Danemark et de l’Espagne pourraient franchir également le pas. Dans ce cas ou bientôt ces cas, il ne s’agit pas tant de répondre à une menace. Comme pour le programme JSF, et surtout, comme pour le contrat du siècle où ces pays ont acquis des F-16, il est question d’acheter la présence américaine en Europe : ces dépenses militaires aux États-Unis compensent les frais de stationnement des troupes américaines en Europe.

Pour conclure, le général Pinatel insiste bien pour affirmer que la dissuasion nucléaire française est crédible et que c’est notre seule assurance pour nous garder de tout acte hostile recourant à des « armes terribles » (discours de l’Île Longue de 2006 du Président Chirac) et qu’elle nous permet de préserver notre rang.

01 septembre 2012

Amiens, Marseille : ascension aux extrêmes ?


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Ce genre de quartier ressemble un peu à tout les autres morceaux de ville qui, en France ou ailleurs, par divers cheminements, a fini par se ghettoïser. Dans un premier temps, les premières populations de ces "quartiers HLM" s'en allèrent s'installer ailleurs, pour d'autres formes de logement. Il ne restait donc que les populations qui ne pouvaient pas s'offrir une autre forme de logement.

La "crise" passant par là, et la population de ces quartiers s'uniformisant, ces territoires s'appauvrissent. Une partie des activités économiques et administratives s'en vont ailleurs, notamment pour suivre les populations qui ont besoins de ces services et qui ne sont plus là. La violence monte en puissance, limite après limite. Elle est dans un premier temps, manifestement, le signe d'un ennui, d'un désespoir, d'un appel à l'aide. Dans un second temps, la violence gagne une signification : c'est un langage, un dialogue, une conversation.

Il s'agit pour ses émetteurs d'envoyer un signal aux multiples facettes mais à la signification simple et unique : le territoire change de maître. C'est un temps quasi féodal où tout et n'importe quoi échappe aux règles de l'ancien empire politico-administratif qu'était la République. Des activités économiques qui sont normalement prohibées dans l'empire finissent par se développer sur le territoire. Elles occupent les acteurs. Elles catalysent aussi la violence puisque les seigneuries se recomposent et vont s'adapter à la modification des flux économiques et financiers. De nouveaux seigneurs émergent. La violence n'est plus le signe de l'ennui mais bien l'expression d'une lutte de réseaux pour le pouvoir. "Il est rare qu’un État veuille la guerre pour elle-même, mais il veut être puissant et cette volonté provoque finalement une situation qui rend la guerre inévitable" disait Julien Freund (L’essence du politique, op. cit., p. 596).

Cette lutte remodèle les structures sociales du territoire, tout s'adapte autour du nouvel ordre qui se met en place. La paix sociale, nouvelle version, s'achète elle aussi. Comment ? Par la même monnaie que celle de l'ancien maître : de l'argent pour pourvoir au bonheur matériel des habitants du territoire. Une partie d'entre eux est directement intéressé aux activités économiques illégales. Comme le dit Abou Djaffar ("Ne pas voir que l’argent de la drogue fait vivre des quartiers entiers avec l’assentiment de la République, c’est être aveugle")., les activités économiques du territoire ne sont pas encore régulées. Il faut un nouveau maître, et il veut presque automatiquement tenter de gagner les monopoles économique et celui de l'autorité. La lutte fait donc rage entre les divers seigneurs pour étendre leur fief. Il s'ensuit alors une spirale ascendante où les acteurs tentent de grossir et de supprimer leurs rivaux.

Le pouvoir se complexifie avec l'apparition des châtellenies : des seigneuries dont le seigneur est nommé par un autre au pouvoir plus grand. Il doit répondre de ses activités à son suzerain. Les derniers vestiges de l'ancien empire tendent alors à tomber dans cette lutte pour le pouvoir : les services publiques s'en vont ou fonctionnent tant bien que mal.

Il y a même un phénomène qui apparaît : des frontières. Les seigneurs et leurs porte-armes s'occupent de qui à le droit d'intervenir, de venir ou de passer sur le territoire. Ce sont les "officiers" qui sont les plus particulièrements visés par ce filtrage. Les nouveaux maîtres en sont déjà à la régulation des activités du territoire. L'ancien empire a beau envoyer ses troupes, elles ne peuvent même pas arbitrer les luttes entre seigneurs, et encore moins reprendre pied.

La bataille fait rage chaque jour entre les seigneurs et les vassaux. Il y a deux issues à cette situation : ou bien il y a un vainqueur et la violence s'apaise, ou bien le poids des seigneurs s'équilibrent et la violence s'auto-entretient.

C'est une histoire suffisamment abstraite pour s'appliquer à tous les quartiers de France qui sont en perdition. C'est bien un défi d'autorité qui est lancé à l'Etat.

Cette lutte pourrait très bien s'apparenter à un phénomène décrit par Clausewitz : la guerre. Elle "est un acte de violence destiné à contraindre l’adversaire à exécuter notre volonté" (Carl von Clausewitz, De la guerre, chap. 1, §2, p. 51). Et selon Clausewitz, la guerre est un le moyen d'une lutte politique puisque, "en effet, elle exprime directement la réalité fondamentale et caractéristique de la politique : la domination de l’homme sur l’homme" (Carl von Clausewitz, De la guerre, chap. 1, § 24, p. 67). Il y a eu la constitution de seigneuries dans ces quartiers. Elles ont évolué jusqu'à un état féodal où il y a  seigneurs et vassaux. Les premiers ont acquis le pouvoir de ban, les seconds exécutent. Les seigneuries les plus importantes disposent de troupes, de revenus fonciers, d'une justice, des moyens de réguler les activités économiques, etc... L'Etat n'a pas disparu. Mais il s'agit bien d'une lutte politique entre des seigneurs locaux et l'Etat. Il s'agit de l'affrontement de volontés et la place de l'Etat comme détenteur légitime de la violence et maître politique suprême est contesté. C'est pourquoi il s'agit de réponses du politique qui sont attendues.

Il y a eu des émeutes dans la ville d'Amiens. Le déchaînement de violences est loin d'être extraordinaire pour une ville qui est habitué à ce que les affaires de ses quartiers du Nord se règlent par bagarres de rues et de multiples incendies de voitures. L'éruption de violences sort de l'ordinnaire par sa concentration de destructions sur laps de temps très court et la destruction de biens qui ne sont habituellement pas visés (dont une maternelle, cible devenue habituelle des émeutiers en France). Le ministre de l'Intérieur, Manuel Valls, s'est empressé de se rendre sur place et d'ordonner le renfonrcement des effectifs de la police. Des journliastes lui demandèrent combien de temps ces pomiers anti-émeutes allaient rester sur place ? Le ministre de répondre qu'ils resteraient jusqu'à ce que les lois de la Répulibuqe s'appliquent dans les quartiers Nords d'Amiens. La réponse du politique est forte, mais elle correspondait à quoi ? Il y a deux réponses possibles : ou bien le ministre voulait dire que les policiers supplémentaires étaient destinés à réguler une violence extraordinnaire par rapport à celle qui est quotidienne, ou bien qu'il fallait revenir au statu quo antes, c'est-à-dire revenir à avant le temps féodal. Le défi n'est pas le même, et pourtant, l'Etat est défié depuis de très nombreuses années.

A Marseille, le problème semble être rigoureusement le même : il y a une féodalisation des quartiers nords de la ville et la guerre fait rage pour savoir qui sera le maîre des territoires féodaux et des activités économiques illicites. Cette guerre des féodaux de Marseille est plus médiatisée car cette contrée est plus riche, et peut donc se fournir plus aisément en armes (là où à Amiens les armes de guerres se font peut être plus rare par manque de moyens, même si elles sont très présentes). Une sénatrice, Samia Ghali, a lancé une demande attendue : l'envoi de l'Armée à Marseille. Abou Djaffar condamne fermement, avec une "certaine ironie", l'appel de la sénatrice à la force militaire. Deux personnes expliquent très bien le pourquoi de cette demande :
  • Julien Freund disait que l'Armée "est le détenteur dans l’État de la violence suprême et extrême, à laquelle celui-ci a recours en période exceptionnelle, soit que la situation lui paraisse désespérée, soit que l’adversaire ait dépassé le seuil de ce qu’il juge tolérable" (Julien Freund, "La finalité de l’armée", Études polémologiques, n° 20-21, avril-juillet 1976, pp. 31-47).
  • Abou Djaffar disait donc : "Alors, donc, l’armée. Pourquoi l’armée ? Pardi, pour remplacer la police. Ah. Mais alors, dans ce cas, si on remplace la police par l’armée, c’est pour faire la guerre, non ? Pour faire ce que la police n’a pas le droit de faire, comme, je ne sais pas moi, tirer sans sommation, tirer pour tuer, tabasser les prisonniers (Les quoi ? Les suspects ? Ah non, désolé, il n’y aura plus de suspect en zone de combat, il y aura des ennemis et des civils). A nous, les perquisitions sans commission rogatoire, les arrestations arbitraires, les violences volontaires. Ben oui, parce que, Madame la Sénatrice, vous ne croyez pas que le déploiement du 126e RI, du 2e REP ou du 17e RGP va permettre de garantir les droits constitutionnels des citoyens ? Si ?"
Que ces situations soient répondent rigoureusement aux caractéristiques de la guerre, c'est un débat. Il n'est pas tellement question de le trancher, mais bien de constater que nous avons un beau laboratoire en France. Si nous avions pu l'avoir avant la guerre d'Afghanistan, cela eut été une grande chance. L'objet d'étude de ce laboratoire est précisément le moment où un conflit bascule. Comment est-ce que la situation en Afghanistan a basculé d'une guérilla larvée et embryonnaire à une guérilla permanente ? Comment est-ce que les choses ont dégénéré en Syrie ? Pourquoi pas comparer avec l'Algérie, l'Indochine ? Il serait osé de tout comparer, et ce n'est pas nécessaire. Mais dans tout ces théâtres, il a fallu redevenir maître de sa volonté pour l'emporter, ne plus être dépendant du comportement que nous impose l'adversaire, pour gagner la "guerre". 

En France, l'Etat entend bien être le maître ultime du pouvoir : celui d'édicter les normes, de réguler les activités économiques et d'assurer la sécurité, ce ne sont là que quelques exemples. Il s'agit presque d'une obligation car si l'Etat ne possède pas ses pouvoirs par un moyen ou un autre il se met en danger face à d'autes maîtres qui administrent quelques territoires. C'est la même chose en Syrie. En Afghanistan il s'agissait aussi de construire un Etat pouvant survivre face à d'autres rivaux politiques.

Et donc, il y a ce formidable laboratoire où l'on peut observer de quelle manière se construit ces acteurs politiques rivaux. Tout comme il est possible d'observer la très difficile entreprise pour faire imposer "son" autorité à des territoires qui ne la veulent pas. C'est une entreprise complexe et difficile et qui est multiformes. L'Union européenne serait la spécialiste des opérations "civilo-militaires" : des opérations guerrières où une mission civile sert à construire l'administration du territoire à pacifier.

Cette entreprise de pacification et de reconquête de l'autorité de l'Etat ou de la puissance désireuse de la gagner suppose une volonté farouche. Les acteurs d'en face cherchent bien souvent à atteindre un but qui peut aussi bien être leur prospérité économique et le développement de leur modèle. Ils connaissent les risques de la guerre, ils en respectent les règles. Face à de tels acteurs, il faut une volonté de fer et un savoir-fair politique qui fait honneur au Politique. En France il y a des ZEP, des ZUP et des ZSP : est-ce que face aux évènements d'Amiens ou de Marseille le Politique s'est-il mobilisé pour réunir ses moyens, les coordonner et engager une lutte pour reconquérir son autorité ? La volonté est la clef de la réussite d'une telle entreprise. C'est un combat de titans pour les politiques que de gagner le temps nécessaire pour concentrer suffisamment d'attention sur un tel problème afin de construire les outils pour le régler.

S'il ne s'agit pas d'un processus d'ascension aux extrêmes, tel que théorisé par Clausewitz, il s'agit bien d'une guerre, ou tout du moins, d'un phénomène qui s'en approche. Abou Djaffar le dit parfaitement bien : le nombre de personnes tuées à Marseille pour règlements de compte liés au trafic de drogue n'est que de 19 personnes. Ce n'est rien : chaque année 10 personnes meurt à cause de requins quand c'est 100 personnes qui décèdent par la faute de méduses. C'est là que le basculement peut être intéressant à étudier, là où il n'a peut être pas pu être très perceptible en Afghanistan ou ailleurs. La résonnance médiatique donnée à ces évènements montent crescendo, sans forcément qu'il y ait de rapport avec leur importance relative. Le pouvoir politique suprême est défié, qui plus est, sur son propre territoire. Il doit s'engager, et le faire de façon crédible : on ne rétablit pas les lois républicaines dans les quartiers nords d'Amiens en quelques jours avec quelques cars de policiers et de CRS. Il y a aussi l'intervention d'autres acteurs qui par intérêt ou par maladresse (terrible force que la maladresse) peuvent tout faire basculer. Imaginez que l'intervention de l'Armée à Marseille devienne une demande récurrente des français, de la société ? Les politiques doivent gérer une telle ascencion : le Président de la République et ses ministres de l'Intérieur et de la Défense ont répondu que non, l'Armée n'interviendrait pas. Elle a beau intervenir en Italie pour tenter de supprimer les mafias, et pourtant, elles sont toujours là.

Nous sommes à moment clef où l'Etat est ouvertement défié. Sa réponse est de temporiser. Cela fonctionne assez bien. Sauf que depuis que cette solution est utilisée faute de mieux, les seigneuries prospèrent et s'étendent. Il y a donc les deux autres réponses qui peuvent encore être apportées : la reconquête administrative par les services concernés ou bien le recours à l'Armée et tous les risques que cela implique. Il n'a pas encore été question des risques de collisions qui peuvent intervenir avec une flambée de violences face à des populations qui souffrent et des acteurs qui ne font pas que du commerce : quid des agents déstabilisants qui prêchent des discours religieux ou autre pour gagner les cœurs et les esprits ? Il ne faudrait pas leur offrir un terreau extra-ordinaire.

Il y a eu bien des débats sur la contre-insurrection, les opérations anti-guérilla, la pacification et encore bien d'autres choses. Ce qui se passe à Amiens et Marseille est une lutte de pouvoir. L'Etat a tous les outils pour rétablir la légalité républicaine. Mais il doit faire face à deux défis : réguler le processus de la violence et construire une volonté de réussir sur le long terme.

Le dernier livre blanc évoquait un "continuum entre la sécurité et la Défense". Il est difficilement perceptible à Amiens et Marseille : s'il faut les forces militaires pour combattre le trafic de drogues à l'extérieur de nos frontières, elles ne sont pas nécessaires pour intervenir dans nos quartiers perdus. Il faut des douaniers, des policiers pour réguler les trafics, et bien d'autres services encore. Il ne faut pas des patrouilles de blindés. Même, les personnes visées s'en accomoderaient très bien, comme cela a pu être vu ailleurs. L'Etat perdrait de sa superbe et de son autorité. C'est à questionner la pertinence de ce continuum.

Ces deux laboratoires sont vraiment très intéressants : quand est-ce qu'un cap est franchi dans la violence au point de faire basculer une situation d'un désordre civil à une situation de guerre ? Comment peut-on reconstruire une légalité tout en évitant une montée aux extrêmes ? Comment jugule-t-on la violence ? Comment construit-on une volonté pour parvenir au bout d'une telle bataille ? Comment rétablit-on la hiérarchie de l'autorité avec un Etat au sommet ? Peut-on placer un Etat au sommet de la hiérarchie de l'autorité partout ?

Il faut donc une volonté, diffuser cette volonté, des discours, une façon de penser, une idéologie ou une doctrine, et construire les outils pour parvenir au but fixé. Il faut définir ce dernier de manière suffisamment précise pour qu'il puisse être atteint. Il faut penser le rapport à la violence. Il faut savoir comment bouleverser la hiérarchie sociale pour la remodeler. Il faut donc l'intervention du politique. L'Armée n'est que l'outil ultime du politique, elle ouvre la voie à une autorité pilotée par le politique à qui l'on demande souvent d'assurer la sécurité et l'ordre dans une sorte de contrat social. Mais en définitive il faut surtout l'intervention de la qualité essentielle du politique : la compromission. Il n'y a que le politique pour faire des compromis, se compromettre et compromettre les autres pour déstabiliser un système social pour mieux le reconstruire. Le militaire ne sait pas faire, il n'a pas la souplesse nécessaire car il ne peut pas compromettre comme le politique.

"C'est grotesque, c'est ubuesque, nous ne sommes pas en guerre civile". Jean-Claude Gaudin, maire de Marseille.

"Mobiliser l'armée face au grand banditisme n'est en aucun cas une solution. En revanche, la population de ces cités le vivrait comme un véritable appel à la guerre civile ! La seule réponse cohérente est de déployer, dans les plus brefs délais, de nouveaux moyens policiers, formés à gérer ce genre de conflits sur le terrain". Jean-Claude Gaudin, maire de Marseille.

30 août 2012

La Marine nationale, première force armée garante de l'intégrité territoriale de la France


http://tinyurl.com/cxfbyvj

Bien des auteurs évoquent "l'État westphalien" détenteur du "monopole légitime de la violence" (Max Weber, Le savant et le politique). Monopole qui serait le seul légitime à employer pour se défendre d'un acteur hostile, tant intérieur qu'extérieur et pour faire respecter son autorité. C'est un point de repère des relations internationales qui est remis en cause par bien des internationalistes face, notamment, à l'existence d'autres entités politiques que l'État.

24 août 2012

Mahanisme contre corbettisme : où est passé le "hi-lo mix" de l'Amiral Zumwalt pour l'US Navy ?


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© Inconnu.

C'est la lecture d'un article du Rear Admiral Thomas Rowden qui peut inviter, outre-Atlantique, à se pencher sur le devenir de l'US Navy. Cet officier général de la marine américaine est le chef de "Surface Warfare Division". L'homme pose très vaguement les missions de la marine des Etats-Unis : être présente à tous les points chaud (détroits, crises, etc...) de la planète (bleue) par la dissémination des forces. Cela permet aux Etats-Unis de disposer de 8000 tubes de missiles à lancement vertical de par le monde (est-ce une capacité à verser au Prompt Global Strike ?!), à toute heure, tous les jours de l'année. Puis, l'amiral américain enchaîne par une agréable présentation de deux projets phares de la Navy pour son avenir : le Littoral Combat Ship (LCS) et le destroyer Zumwalt.
Ce qui est intéressant, c'est qu'il est possible de distinger le choix d'une grande option stratégique à travers ces deux nouveaux projets de la marine américaine qui vont bientôt entrer en fleet. La marine américaine serait encore très mahanienne, état d'esprit qui la conduit à un rétrecissement inexorable de son format. Ce type de marine pourrait corriger ses contradictions avec des aménagements (A), et en s'ouvrant à la marine corbettienne (B).

Prenez deux exemples assez caractéristiques de l'évolution de la flotte de surface de l'US Navy, et même de la marine américaine entière :

Le LCS doit être cette corvette à tout faire qui sécurise l'accès des eaux contestées (sea denial) à la marine américaine pour permettre l'approche des grandes unités. Le navire doit être bon marché et changer de mission suivant le module qui équipe le navire en peu de temps, ce qui donne à la corvette toute sa polyvalence. Il faudrait même deviner que cela implique que le porteur des modules durera plus longtemps que les modules qui l'équipent. De sorte que, il y aurait une division entre le porteur et les modules, tel que l'on pourrait le percevoir à travers la marsupialisation. Cela devrait aboutir à ce que le porteur puissent voire ses qualités se renforcer pour exister par lui-même dans le champ de bataille qu'il vise : la guerre littorale. De l'autre côté, il pourrait changer de mission sans remettre en cause ses qualités nautiques, et donc son existence

Toutes les missions y passent ou presque : lutte contre les mines, contre les menaces asymétriques, appui-feu littoral, etc... Les problèmes de ce navire peuvent se résumer par quelques points clefs. Premièrement, il a été dit qu'il ne pouvait pas survivre dans un environnement hostile. A cette accusation, il a été répondu que c'était le rôle des grandes unités présentes et à venir d'offrir leur protection à ces chétifs navires, et que c'était tout l'intérêt du système.
Certes, mais un autre problème, et l'un des plus importants, est que le module de lutte contre les mines n'est ni au point, ni une grande réussite. Ce n'est pas tant une question de retard mais bien une question de crédibilité : il n'y aurait plus qu'un ou deux chasseurs de mines en état opérationnel aux Etats-Unis, et les maigres moyens de guerre des mines américains sont crédibles pour lutter contre une menace ponctuelle (quelques mines). Ainsi, outre le fait que cet élément essentiel ne doit pas encore disponible, les premiers systèmes américains de lutte contre les mines faisant intervenir presque exclusivement des drones produiraient un si grand nombre d'échos qu'ils exigeraient bien plus de reconnaissance (que les autres systèmes) pour déterminer s'il s'agit ou non d'une mine. Par rapport à un système traditionnel, il faut donc dire que cela ne sert pas à grand chose, si ce n'est encore plus handicaper une marine qui n'a pas de capacité de guerre des mines rééllement crédible. Actuellement, et à moins que les navires aient quitté leur stationnement, ce sont cinq chasseurs de mines anglais qui sont déployés depuis plusieurs années face à l'Iran pour soutenir la marine américaine. Le LCS ne changera rien à cette situation de dépendance.

Il reste la question de l'économie du projet. Financièrement, le LCS serait beaucoup trop coûteux par rapport aux ambitions intiales du projet : le coût unitaire de production varierait entre 4 et 700 millions de dollars (selon les sources, les paramètres et l'écran de fumée). Cela fait beaucoup pour un navire qui sera à peine mieux armé qu'une frégate La Fayette. Qui plus est, la Navy doit, en plus, abandonner l'idée de reconfigurer le navire pour une nouvelle mission en "peu de temps" puisqu'il faudrait, selon les estimations actuelles, plusieurs semaines pour passer d'un module à l'autre. C'est un coup terrible qui est porté à l'économie du projet puisque la "solution" serait de changer de modules entre les missions. Oui, mais, ce n'est pas qu'une simple réorganisation de la manière d'utiliser ces navires : c'est bien pire, il s'agit d'une spécialisation des plateformes. C'est-à-dire que le projet fait marche arrière. Cependant, cela ne veut pas dire que le navire perd toute sa polyvalence. Mais entre le coût des modules qui explose et l'impossibilité de reconfigurer rapidement les modules, cela implique une autre atteinte à l'économie du projet : s'il faut et lutter contrer des mines et protéger des grandes unités contre la version moderne des torpilleurs de l'Amiral Aube, alors il faudra deux navires affectés à chacune de ces missions. Un LCS qui serait gréé en chasseurs de mines le resterait pendant toute la durée d'une intervention puisqu'il faudrait "plusieurs semaines", soit au moins un mois, pour le reconfigurer autrement. Les moyens ne consisteront donc plus dans des corvettes reconfigurables, mais dans un savant dosage de spécialités à donner à chacune des corvettes "polyvalentes", présentes sur zone. En soi, il est toujours pratique de pouvoir doser ses forces à la demande. Mais la gestion des modules, et de la formation des équipages à ces modules, conduirait à disposer de moyens "polyvalents" plus coûteux que les moyens spécialisés...

Le Danemark était pionnier avec la série de patrouilleurs Stanflex 300 : "longs de 54 mètres pour un déplacement de 500 tonnes en charge, ces patrouilleurs, capables d'atteindre 30 noeuds, avaient été conçus comme des bâtiments très polyvalente, anticipant d'une bonne vingtaine d'années un concept qui a été repris par les Américains avec le Littoral Combat Ship (LCS). A partir d'une plateforme de base, les Stanflex 300 pouvaient, ainsi, être gréés en patrouilleurs lance-missiles, en patrouilleurs lance-torpilles, en chasseurs de mines, ou encore en dragueurs de mines, grâce à l'ajout des équipements correspondants et de conteneurs interchangeables. L'armement pouvait comprendre jusqu'à 8 missiles antinavires Harpoon, un système surface-air Sea Sparrow, ainsi qu'une tourelle de 76mm". Signe des temps à prendre en considération, ces fameux pionniers ont été retirés du service car "la polyvalence des Stanflex 300 s'est, finalement, révélée complexe et trop onéreuse. Dans le cadre d'une ultime modernisation, réalisée entre 2005 et 2007, les bâtiments ont donc été reconfigurés pour des missions spécifiques et permanentes (patrouilleur, patrouilleur lance-missiles et chasseurs de mines). Le Soloven a, pour sa part, terminé sa carrière comme bâtiment base de plongeurs démineurs".

De l'autre côté, il y a le destroyer Zumwalt qui devait être l'archétype du destroyer du XXIe siècle. Le navire doit atteindre un certain nombre de ruptures dans deux grands domaines : le navire invisible et l'artillerie.
En ce qui concerne le navire invisible, le destroyer doit être le plus discret possible. Il doit même tenter de disparaître des différents écrans de recherche (tant radar qu'infrarouge -mais pas accoustique ?). Le problème est connu : toutes les plateformes qui s'essaient à ce défi connaissent des dérives de coûts spectaculaires, tant à la construction qu'à l'entretien. Ainsi, le navire devrait avoir un coût unitaire supérieur à 6 milliards de dollars. Cela explique certainement pourquoi la série de destroyers a été réduite de 32 à 3 unités et que la classe de croiseurs qui devait accompagner ces destroyers a été annulée.
En ce qui concerne l'artillerie, elle est finalement très classique puisque le navire sera doté de 80 cellules de missiles à lancement vertical. Mais ce qui est moins classique, c'est cette capacité qui est bien faible par rapport à celle d'un destroyer Arleigh Burke (96 missiles) ou d'un croiseur Ticonderoga (122 missiles). Le "hic", c'est que les Zumwalt déplaceront 14 000 tonnes (est-ce encore un destroyer ?) quand l'Arleigh Burke déplace 9200 tonnes (Arleigh Burke IIA) et que le Ticonderoga jauge 9700 tonnes... A sa décharge, il faut dire que les futurs destroyers Arleigh Burke Flight III (à dominante DAMB de territoire) devraient coûter 3 milliards de dollars pièce. Il n'en demeure pas moins que pour un Zumwalt la marine américaine disposera de deux Arleigh Burke.
La seule grande évolution apportée par cette classe de navire seront les pièces de 155 mm AGS. Dans un premier temps elles permettront aux navires de délivrer leurs munites jusqu'à une distance de 180km.  Dans un second temps, ce sont des canons électromagnétiques qui doivent être installées à bord (si le programme n'est pas annulé et qu'il suit toujours son cours). Il serait espéré que, à moyen terme, la portée atteingne  près de 400 km.Si le premier système tient ses promesses et qu'il offre un feu au coût modéré des tubes et des obus, alors ce serait une bonne nouvelle pour lutter contre la dérive des coûts observée dans les feux délivrés par missiles et assimilés... bien qu'un obus à guidage terminale laser ou GPS ne soit pas indolore par rapport à un missile, à charge d'explosifs égale.
Au final, les trois destroyers Zumwalt risquent de connaître le même sort que les défunts croiseurs et destroyers nucléaires de l'US Navy : des bancs d'essais pour différentes technologies et un manifeste pour une option stratégique.

Cette option stratégique et cette évolution de la marine américaine se retrouvent à travers la plus grande figure du navalisme américain : Alfred Thayer Mahan. Celui-ci est notoirement connu pour prêcher la construction d'une marine américiane apte à remporter le point cardinal de l'histoire navale qu'il a retracé dans ses ouvrages les plus célèbres (The Influence of Sea Power upon History, 1660-1783 et The Influence of Sea Power upon the French Revolution and Empire) : la bataille. C'est-à-dire que la raison d'être des flottes serait d'être capable d'écraser totalement leur rivale dans une bataille décisive. Cette victoire permettrait à la flotte victorieuse de disposer des mers à sa convenance.

Il semblerait donc qu'une partie de la marine américaine construisent des navires aptent à détruire n'importe quel rival qui oserait se présenter sur la route des Etats-Unis. Par rival, il faudrait ne pas forcément entendre une menace purement navale, mais aussi des menaces plus ou moins littorales qui seraient à portée de l'US Navy.
A l'époque de la triomphante Royal Navy, la suprématie navale se caractérisait par la recherche du plus grand nombre de vaisseaux de lignes. A l'heure actuelle le nombre ne compte plus autant car c'est (aussi) le nombre de technologies maîtrisées et l'organisation des systèmes technologiques qui peut faire la différence entre deux formations navales (sachant que sur le plan historique, c'est très souvent la marine qui bénéfie de la plus grande expérience opérationnelle qui écrase l'autre...).
Cependant, le nombre compte toujours autant puisque quand l'on ambitionne de régner sur les mers il faut toujours être capable d'être présent sur presque chacune d'elle, tout du moins, aux endroits où la libre utilisation des mers est menacée. Il serait donc logique que l'US Navy soit tirée par le haut : à défaut d'avoir plus de navires que ses rivales (exemple de la règle du "Two-power standard" de la Royal Navy qui cherchait par diverses tactiques à conserver plus de navires que ses deux rivales continentales réunies), la marine américaine aura des escadres aux capacités infiniement supérieures à toutes les formations équivalentes qui pourraient lui être opposées. Cela pourraît être aussi la transcription dans la stratégie des moyens de la victoire de Trafalgar.

Le nombre a toujours son importance : sous l'impulsion du président Reagan, la Navy était remontée à près de 590 navires de combat (années 80). A l'heure actuelle, la marine américaine doit compter près de 280 navires de combat. La marine soviétique n'est plus là pour servir de leitmotiv à la construction des flottes des Etats-Unis. Mais la multiplicité des rivaux dans différents océans et mers (Méditerranée, Atlantique Sud, Indien, Pacifique et les mers de Chine) font que les Etats-Unis doivent continuer à être présent. Si la marine de John Paul Jones ne doit plus affronter un colosse naval, elle doit faire face à une multitude de menaces qui contestent ou contesteront son influence dans les zones précitées. A l'heure actuelle, il y a une froide contestation entre l'Iran et les Etats-Unis à propos du détroit d'Ormuz.

L'US Navy qui se construit pour affronter différentes menaces et les surclasser afin de les détruire ne devrait pas souffrir de son modèle de développement. Sauf que le nombre de coques diminuent et que les nouvelles coques ne sont pas plus présentes à la mer que les anciennes. Il en résulte donc que pour être présente dans autant de lieux différents, la marine américaine devra faire des choix. En son temps, Londres avait fait le choix de pactiser avec des alliés pour leur confier des secteurs stratégiques (Japon et France). La Marine américaine pourrait faire le même choix, sauf que ce serait se diluer dans la masse et ouvrir la voie à une rivale, la marine chinoise, qui si elle n'a pas des capacités aptent à menacer l'US Navy, peut tout du moins, par la diplomatie navale, lui contester son influence dans bien des zones.

Il est impératif de relever que bien des alliés déclarés et d'une fidélité maladive sont les premiers à réduire leur effort de défense. Ils sont dans la croyance que leur propre faiblesse sera compensée par l'aide américaine. Ils pensent s'offrir cette aide par diverses négociations et traités. Ce qu'ils oublient, cest qu'il y a une hiérarchie : America first, le reste après. C'est logique. Pour les Etats-Unis, c'est certainement une difficulté de vouloir pactiser avec des Etats qui réduisent d'eux-mêmes leur poids en pensant compter avec un autre, Washington, qui est englué dans ses propres difficultés. Donc il y a ce drôle de mouvement où l'US Navy s'appuie sur les escorteurs des marines alliés, et surtout ceux des marines de l'OTAN et que la marine américaine voit son nombre d'escorteurs diminuait. C'est la répartition des tâches traditionnelles dans l'OTAN depuis que l'organisation existe que de réserver les missions d'escorte aux autres marines. Washington a tenté de faire perdurer la chose par le concept de la "thousand ships navy". Il y a eu des risques que les navires à haute valeur politique (porte-avions et SNA essentiellement) puissent échapper au strict contrôle des américains (puisque ce sont eux qui permettent de peser dans les coalitions militaires). Ces risques n'existent plus, et ils sont remplacés par le risque que le nombre d'escorteurs diminuent si drastiquement dans les marines traditionnellement alliés aux Etats-Unis qu'ils ne suffisent plus qu'à protéger les accès maritimes de leurs détenteurs... C'est donc cela ce mouvement dangereux pour l'US Navy : réduction du format de la flotte américaines, réduction des flottes alliés.

C'était le premier problème du nombre, l'autre est la "forme" du nombre. L'affrontement avec l'Iran est assez caractéristique du problème du volume de l'US Navy. La marine américaine essaie de déployer deux à trois porte-avions dans la région pour peser dans le climat régional et contre-balancer quelques discours. Pour déployer un navire sur zone, il faut généralement avoir trois navires en réalité : un qui est en cale sèche en entretien périorique, un second qui est à l'entraînement et un troisième qui est en mer. Pour les porte-avions de l'US Navy, c'est presque de manière rigoureuse la façon dont s'organise la gestion de leur calendrier. Avec une marine américaine qui s'achemine vers un format à 11 porte-avions, si ce n'est moins, il est facile d'observer combien il est difficile d'être présent dans plusieurs régions avec si peu de navire. Le problème sera de plus en plus ardu au fur et à mesure que les rivaux monteront en puissance.

La quesiton des porte-avions est emblématique des autres problèmes. Si le LCS a connu une dérive des coûts, c'est aussi car il a du prendre du poids pour devenir une unité hauturière digne de ce nom. En France, il avait été constaté qu'un patrouilleur de 150 tonnes (PATRA) était trop léger pour être hauturier. Plus tard, ce sont les P400 qui se sont révélés trop justes pour évoluer en haute mer (500 tonnes, soit le tonnage initialement visé pour le LCS au temps du Street Fighter). La question du tonnage du LCS cache le problème du prépositionnement des moyens : cette dérive du tonnage n'illustre que le besoin d'être capable de projeter des navires légers de par le monde. Cette constation peut devenir une généralité car elle explique assez bien pourquoi les destroyers et les sous-marins de la marine américaine sont si gros. L'Amiral Nomy justifiait ainsi dans les années 50 la prise de poids des escorteurs par le fait que les systèmes d'engins exigeaient de grands volume et poids et donc qu'il fallait "les construire plus gros et plus cher". C'est donc la combinaison entre les exigences des systèmes et la capacité de projeter leur porteur qui expliquent en partie cette dérive du tonnage : c'est le choix du croiseur qui permet d'accompagner les grandes unités avec des escorteurs polyvalents.

A - Aménagements de la marine mahanienne
Pour combattre cette sorte de nécrose de la marine mahannienne -cette spirale infernale du tonnage qui réduit le format de la flotte- il peut être possible d'aménager la stratégie des moyens par deux grands biais.

1) Prépositionnement des forces

Le premier est le prépositionnement des moyens aéronavals permettrait de gagner des jours de mer pour bien des navires. Il s'agit de pouvoir mettre les navires au plus près des menaces : soustraire le temps de trajet entre la métropole et la zone d'action permet, à format de flotte égale, d'être plus longtemps présent sur zone. Cela n'implique pas plus de navires, mais bien des navires au plus près des zones de conflit pendant plus longtemps. L'US Navy n'est pas sans bases avancées, et c'est une voie que semble explorer la marine américaine, au moins pour le prépositionnement des forces, car les anciennes bases navales du temps de la guerre froide sont appelées à rouvrir dans les vœux de certains. Par exemple, il a été annoncé que des LCS seront basés à Singapour. C'est un double paradoxe :
  • il y avait prépositionnement des forces quand le format de la flotte était plus important, et c'est l'inverse aujourd'hui, ce qui pourrait traduire une posture isolationniste ;
  • il y aura prépositionnement de corvettes qui ont pris du poids car elles ne devaient pas être prépositionnées à l'origine.
Les PATRA français auraient été très utiles pour protéger la base d'Abu Dhabi car il en va de leur nature même que de protéger un point d'appui, une base ou une zone d'actions. C'est tout ce que leur permet de faire leur autonomie limitée, et leur petite taille leur permet d'exceller dans ce domaines. Dans le cas actuel des Etats-Unis, ce n'est pas du LCS que la marine américaine a besoin.

2) Littoralisation des forces

Le second biais découle tout naturellement du premier. Ainsi, le prépositionnement des forces peut inciter à un changement de paradigme dans la stratégie des moyens. Certaines zones appellent à une adaptation des plateformes au secteur. Par exemple, la guerre littorale tend à exiger de plus petites unités par rapport à la guerre hauturière : il y une sorte de miroir ou de glace déformante à la limite entre eaux littorales et hautières qui obligent à transformer la manière d'agir et de concevoir l'action. Non pas que les grandes unités en soient bannies de ces eaux littorales, mais quand il faut approcher du littoral, il y a deux grandes options :
  • ou bien détruire la guérilla navale adverse avant qu'elle arrive à portée utilie (cas de l'opération Harmattan),
  • ou bien devoir s'approcher à son niveau car, pour diverses raisons, il n'est pas possible de profiter de la profondeur d'action des grandes unités hauturières (c'est un peu le cas du détroit d'Ormuz car la guérilla navale peut se protéger dans les caractéristiques du secteur pour se protéger et la discrimination des cibles peut être plus compliquée que prévue).
C'est donc ce cas où il peut être nécessaire d'aller combattre la guérilla navale dans son élément. Pour y exceller, il faut gagner ce qui est généralement perdu en haute mer : l'agilité. Autre exemple, au temps de la marine à voiles les frégates, avisos et autres corvettes étaient des navires très agiles par rapport aux lourds et peu maniables vaisseaux de ligne. C'est moins vrai aujourd'hui car l'agilité a beaucoup progressé, mais les nouvelles armes anti-navires exigent une réactivité plus grande. Les combats entre torpilleurs et contre-torpilleurs se faisait à une autre vitesse jusqu'à la seconde guerre mondiale. C'est pourquoi le prépositionnement des moyens navals peut inciter, dans quelques secteurs, à développer des moyens dédiés à préserver la suprématie d'une marine de contestations provenant de divers groupes politiques. Par exemple, dans le cas du détroit d'Ormuz, il serait préférable de disposer de chasseurs de mines, de corvettes et de sous-marins classiques. D'une part, le dissuasion que l'US Navy ferait peser sur la région serait permanente. Et d'autre part, les options tactiques seraient bien plus grandes. Dans l'hypothèse de l'acquisition de sous-marins classiques par l'US Navy et de leur prépositionnement dans le Golfe Persique, ils pourraient bien mieux qu'un SNA de classe Virginia combattre le menace sous-marine iranienne. Ils disposeraient de deux avantages de taille :
  • l'agilité intrinsèque à leur modeste tonnage (un SNA de 110m se manœuvre difficilement par petits fonds),
  • et la connaissance du milieu. 
En premier lieu, il est bien difficile de manier un sous-marin de 110 mètres de longueur et 10 de diamètre dans une zone où les petits fonds sont la règle. D'autre part, ce qui est bien pratique pour combattre une défense navale mobile dont l'une des ressources majeures est une très grande connaissance des caractéristiques des lieux est de pouvoir aussi les exploiter pour son propre avantage. Ce ne serait que logique puisque la propulsion nucléaire est le fait des navires hauturiers : elle ne se justifie pas pour des navires dont la mission est d'opérer à proximité de leur base de départ. La Russie relève de cette logique puisque bien qu'elle ait pu, du temps de l'URSS, mettre à la mer des centaines de sous-marins nucléaires, elle s'est toujours gardé de conserver des sous-marins classiques pour défendre les approches maritimes. Ce qui est vrai en mer de Barents ne peut pas être vraiment faux dans le Golfe Persique...

B - Une nécessaire synthèse de la marine mahanienne avec la pensée corbettienne ?

Le problème de la marine mahannienne est bien là : réduction du format de la flotte, et réduction des capacités. L'US Navy ne devrait correspondre qu'à la seule bataille. Dès la Grande guerre un autre stratège naval, Sir Julian S. Corbett s'était érigé contre le mythe de la bataille décisive. Il s'était échigné à démontrer que cette fameuse bataille n'était qu'un mythe. Il est vrai que la bataille de Jutland n'est pas connue pour être l'exemple type d'une "bataille décisive" car si la flotte allemande rentre dans ses ports et ne sort plus, cela n'empêche pas deux grands dangers pour les alliés :
  • la menace que faisait peser la "flotte en vie",
  • et la guerre sous-marine.
C'est pourquoi le stratège anglais cherche à démontrer que c'est la guerre des communications qui est le point cardinal de la stratégie navale. Pour ce faire, il faut être capable de protéger les principales routes maritimes de toute interruption. Cela n'exclut pas totalement l'importance de la bataille puisque pour protéger les routes maritimes, il faut des escorteurs. Mais pour protéger les escorteurs d'une formation structurée ou d'unités supérieures de l'adversaire, il faut une flotte de combat. Royal Navy et Marine nationale se trouvent par deux fois (les deux guerres mondiales) dans le cas où il faut juguler les menaces structurées de l'adversaire contre les communications et contre les forces structurées. Pendant la seconde guerre mondiale il fallait autant juguler la menace sous-marine contre le vital lien transatlantique pour l'Angleterre que veiller à toute sortie de la flotte de surface allemande. C'est pourquoi, et notamment, la Home Fleet comprennait des cuirassés anglais, mais aussi français et américains : il fallait pouvoir traiter la menace induite par la sortie des grandes unités allemandes. La bataille imposée par l'adversaire ne consistait pas en un affrontement rêvait entre deux grandes escadres, mais bien une succession d'affrontements pour empêcher l'adversaire d'interdire aux alliés de disposer de la mer à leur convenance. S'il fallait réduire la menace sous-marine, et c'est bien connue, il fallait aussi réduire la menace de surface induite autant par les cuirassés allemandes que par les croiseurs auxiliaires. Dans le premier cas, il faudra attendra attendre la guerre du Pacifique et ses task force aéronavales et l'invention de l'engin air-mer (allemand qui détruira le cuirassé Roma) pour obtenir un moyen de destruction des cuirassés autre que l'utilisation de cuirassés. Il ne faut pas oublier que les destructions des Bismark et Yamato font intervenir des moyens considérables, voir ubuesques... Cet exemple de la bataille de l'Atlantique transposé à l'heure actuel nous donne le cas du détroit d'Ormuz où il faut autant des moyens aptent à lutter contre la guérilla navale que de moyens nécessaires pour écraser toutes forces structurées de l'adversaire déclaré qui tenterait d'interrompre les communications. L'un des riques pour la marine américaine est d'être fixée par une "flotte envie" et de ne pas avoir le volume nécessaire pour répondre aux menaces qui pèsent sur la libre utilisation des mers.

Justement, il ne faudrait pas se focaliser sur les menaces, réelles ou supposées, que seraient la Chine et l'Iran. Il y a d'autres combats à mener pour permettre la libre utilisation des mers, et donc le bon fonctionnement du commerce mondial. Paradoxalement, il faut même pouvoir mener des combats où il faut interdire la libre utilisation des mers à des organisations qui font commerce de marchandises que certaines puissances jugent détestabilisantes pour la communauté internationale : le cas le plus exemplaire est bien entendu celui du trafic de drogues. Il n'y a pas besoin d'une flotte mahanienne composée de grandes unités de combat pour appréhender ces missions. Bien au contraire, c'est Corbett qui a raison puisque pour agir contre le trafic de drogues entre le Sud de la mer des Antilles et les Etats-Unis ou le Golf de Guinée, il faut avant tout être présent sur zone. Cela implique de posséder suffisamment de moyens aéronavals, et donc, des bateaux. Mais il n'y a pas besoin de destroyers Arleigh Burke pour de telles missions ! C'est bien cela qui pourrait expliquer le fait que l'US Coast Guard semble être engagé de plus en plus en avant aux côtés de l'US Navy. Cette dernière manque d'escorteurs.

L'Amiral Elmo Russell "Bud" Zumwalt, Jr est Chief of Naval Operations (CNO) de 1970 à 1974. Il exerce ses fonctions dans la période où les projets et réalisations porte-avions, de croiseurs et de destroyers nucléaires se multiplient aux Etats-Unis. A posteriori, il est possible de dire que quelques amiraux américains semblaient rêver de construire une forme "absolue" de marine mahanienne. Ces navires à propulsion nucléaire impliquaient une forte diminution du nombre de vaisseaux dans l'US Navy. Le développement des porte-avions nucléaires impliquait un saut financier par rapport à l'ancienne génération de porte-avions. C'est en réaction, notamment, à ces directions prises par la Navy qu'il formule une stratégie des moyens résumée par l'expression "hi-lo mix" (high-low mix). Il ne s'agit pas de contester la construction d'une flotte capable de tenir la dragée haute à la marine soviétique, mais bien d'orienter les investissements navals sur des forces constituées de technologies éprouvées et rentabilisées :
  • face aux porte-avions nucléaires, il propose le Sea control ship. Le navire est conçu pour permettre d'offrir aux missions de protection des convois de l'Altantique un appui aérien qui aurait été utile aussi bien à la défense aérienne de zone que à la lutte ASM. La seule réalisation de ce navire a été le Principe de Asturias (R11) espagnol car les aviateurs américains sauveront les Super Carrier au prix d'une maigre concession : ils embarqueront des groupes aériens comprenant des avions ASM, entre autre.
  • Est-ce qu'il faut attribuer la classe de frégates Oliver Hazard Perry à l'amiral Zumwalt ? Quoi qu'il en soit, ces frégates permettaient à la marine américaine de réinvestir les missions de présence et d'escorte avec une belle série de 51 navires. La marine américaine regonflait en volume, surtout que les escorteurs issus de la seconde guerre mondiale ou des immédiates années qui suivirent ce conflit arrivés en fin de service. 
  • Les interventions de la Navy de plus en plus couplées avec l'US Coast Guard pourraient être considérées comme une dernière forme du hi-lo mix.
C'étaient quelques solutions des années 70, apportées par Zumwalt, et d'aujourd'hui pour tenter d'enrayer le déclin du nombre de vaisseaux. Le problème, c'est donc que l'US Navy est reparti sur le chemin de la pure marine mahanienne et que le nombre de navires de combat est à nouveau en chute libre. L'un des maître-mots de cette dérive est la concentration. Par exemple :
  • Les porte-avions américains font un nouvau saut technologique avec l'adoption des nouvelles technologies énergétiques comme les réacteurs nucléaire utilisant de l'uranium enrichi comme combustible ce qui permettrait de charger le cœur avec une charge unique de combustible. Il y a aussi l'adoption des catapultes électromagnétiques, et dans l'histoire aéronavale l'adoption d'une nouvelle technique de catapulte signifie généralement un saut générationnel défiant les marines de l'adopter. Il y aurait aussi une plus grande automatisation, mais les réductions d'équipages sont bien faibles, et ils sont déjà tellement nombreux. 
  • Les destroyers Zumwalt sont un tel concentrés de valeurs et de technologies qui ne sont que trois et qu'il faudrait presque les comparer à des cuirassés à hautes technologies.
  • Si les destroyers Arleigh Burke font l'objet d'une grande série (plus de soixante unités), il ne faut pas oublier qu'ils font l'objet d'une dérive inachevée parmi les escorteurs. Dans les années 20 et 30, un destroyer jaugeait entre 1 et 2000 tonnes. Dans l'après seconde guerre mondiale, les destroyers voient leur tonnage grimper jusque 3 et 4000 tonnes. Comme cela a été dit plus haut, l'Amiral Nomy justifiait bien la dérive suivante en passant de l'escorteur spécialisé à l'escorteur polyvalent. En France il était question d'une série de croiseurs nucléaires pour succéder aux frégates lance-engins. Aux Etats-Unis, il était également question pour une chapelle de l'US Navy de faire des Arleigh Burke des navires à propulsion nucléaire... C'est le très difficile débat entre escorteurs spécialisés et escorteurs polyvalent : il n'en demeure pas moins que le coût de la polyvalence frôle ou dépasse le milliards d'euros en Europe ou aux Etats-Unis.
  • Les LCS devaient être la nouvelle forme du pion élémentaire d'une marine, la corvette bonne à tout faire. Finalement, ce n'est qu'une concentration, encore une fois, sur une plateforme qui doit remplir les missions de plusieurs autres navires pour un coût, manifestement, supérieur.
  • Les sous-marins ont été très peu évoqués. Dans le cas des SNA, la dérive du tonnage fait que le Nautilus et ses 3500 tonnes semblent bien légères par rapport aux 9100 tonnes des Seawolf et les 7800 des Virgnia. En outre, il y a eu ce choix exclusif de la propulsion nucléaire qui ne se justifie pas toujours selon les secteurs. Par exemple, il y aurait eu un SNA Akula qui aurait récemment navigué au large des côtes américaines et la pertinence d'opposer les SNA précités à des sous-marins de poche iraniens dans un secteur géographique particulièrement adapté pour ces derniers.
  Le contexte dans lequel évoluait l'amiral Zumwalt semble se reproduire : la marine américaine redevient très mahanienne. La concentration des fonctions, des valeurs et des technologies se fait sur un nombre toujours plus réduit de vaisseaux. Cela entraîne les quelques problèmes décrit plus haut. L'idée du "Sea Control Ship" refait une timide apparition avec les très nombreux officiers qui proposent d'utiliser les grandes unités amphibies (LHD et LHA) en tant que porte-avions léger. Ils citent le cas du porte-avions français Charles de Gaulle pour montrer que les porte-hélioptères américains, qui jaugent dans les 30 à 40 000 tonnes, comme le porte-avions français, peuvent s'occuper d'un certain nombre de crises où la présence des grands porte-avions américains n'est pas impérative. Qui plus est, ces officiers ne semblent pas pousser la réflexion jusqu'à proposer que ces navires à propulsion classique soient basés en avant. L'absence de propulsion nucléaire facilite considérablement la chose tant du point de vue diplomatique que selon les problématiques logistiques. Il ne doit pas être évident de baser et de faire accepter un porte-avions nucléaire au Japon.

Il n'y a pas d'autres projets qui émergent actuellement aux Etats-Unis pour concilier le mahanisme rêvé et une nécessaire et pragmatique dose de coberttisme. Il a été vu que la marine américaine est au devant du risque de manquer d'escorteurs pour elle et de ne plus les trouver en nombre suffisant chez ses alliés. Il faudrait presque l'apparition d'un Amiral Aube de l'autre côté de l'Atlantique pour remettre en cause la division du travail naval (la répartition des tâches, des fonctions entre plateforme). Il faudrait surtout un nouvel amiral Zumwalt pour signifier qu'il ne faut pas toujours le meilleur de la technique et de la technologie pour toutes les missions. Bien au contraire...Ce qui pourrait aussi renverser quelques inquiétudes est la place acquise par le sous-marin nucléaire dans la stratégie américaine : il est l'un des maillons essentiels de la maîtrise des communications, et pas seulement des communications maritimes. Cela n'efface pas la nécessité d'être présent en surface.

Quoi qu'il en soit, les problèmes de l'US Navy ne peuvent qu'inviter à reconsidérer les perspectives d'évolutions de la Marine nationale, voire celles d'autres marines. La marine française semble avoir bien tourné la page du mahanisme effréné et de mieux concilier les nécessités de la bataille avec celles de la maîtrise des communication. Les missions de l'Etat en mer et la fonction garde-côtes permettent de mieux appréhender les missions de police en mer sans recourir à des plateformes militaires de grande valeur. L'Espagne ne fait pas autrement avec les BAM qui doivent autant servir à la police des mers que de permettre de juguler une crise de basse intensité. Les BPC sont d'ores et déjà utilisés comme des plateformes aéronavales secondaires. Mais il est bien difficile d'apprécier la pertinence d'avoir de grandes unités amphibies trop polyvalentes, et qui ne sont plus amphibies (exemple des LHA américians et européens) dont les coûts explosent (et peuvent empêcher l'apparition de véritable porte-avions légers). Il demeure cette difficile articulation entre croiseurs et frégates. Il faudra peut être pousser bien plus en avant cette adaptation du tonnage et des coûts des plateformes aux missions, autant pour la Royale que pour la marine des Etats-Unis.  

Zumwalt ne faisait que théoriser une nécessité pour perdurer et contre-balancer les dérives d'un modèle... et il invitait peut être inconsciemment à relire les écrits de l'Amiral Aube et de Corbett.