Ces
derniers temps on fait la promotion massive du lancement de la frégate
Aquitaine, tête de série du programme FREMM (Frégates Européennes
Multi-Missions). Il est étonnant de célébrer un échec financier. Pour
rappel, le prix unitaire a presque doublé (de 380 à 630 millions
d'euros) pour un nombre de navires ramené de 17 (ou 19 selon l'époque) à
11. Il faut tout de même remarquer qu'en plein choc financier, où tout
coule, personne ne pointe ce genre de dérapage (alors que le programme
BPC avait été exemplaire, ou presque). La DGA nous expliquera que l'on
ne sait ni lire, ni compter... On lui répondra pour couper court au
débat qu'on s'étonne très sincèrement qu'elle traverse les « ratés » de
conduite de programme, dont elle a la charge, sans être inquiétée le
moins du monde (NH90, A400M, FREMM, Horizon...) !
Donc
nous voici avec le début de la fin d'un programme FREMM. Les frégates
devraient se construire les unes après les autres. La Marine devrait
disposer d'un renouvellement partiel de ses frégates. Il restera à
remplacer les La Fayette vers 2020 – 2025 (non, le programme FREMM
n'aurait pas pu les prendre en compte...). Et il faudra cacher vers 2015
– 2017 que les deux FREDA (Frégate Européenne de Défense Aérienne,
version AA du programme FREMM) coûteront aussi cher que les Horizon 3 et
4.
Un
malheur n'arrivant jamais seul, cette cérémonie de « révélation » (pas
de la catastrophique gestion des programmes, juste de la coque...) a
permis de montrer l'état d'avancement du nouveau projet de DCNS :
fournir une corvette de classe Gowind baptisée Hermès à la Marine
Nationale pour trois ans. Pourquoi une telle proposition sur fonds
propres ? L'entreprise souhaite se placer sur le marché que va créer le
programme BATSIMAR. Les Constructions Mécaniques de Normandie (CMN) sont
aussi sur les rangs avec la Vigilante 1400 CL79. Et je m'étonne que les
Constructions Industrielles de Méditerranée (CNIM) ne se fasse pas plus
remarquer après leur spectaculaire engin de débarquement LCAT.
Les
questions sont de savoir : quel est ce programme BATSIMAR ? Il pose la
question des moyens, et donc, ne peut être que critiqué dans les
circonstances actuelles. Il faudrait d'ailleurs, pour comprendre ce
programme, ressortir quelques constats de stratégie navale qui servent
encore. Et peut être voir que le problème est peut être bien plus grand
qu'un simple programme d'armement. Enfin, je dirais si je suis pour ou
contre la prétention de DCNS, et à travers elle, l'existence actuelle de
BATSIMAR.
BATSIMAR
Un
acronyme pour remplacer les « Bâtiments de Surveillance et de
d'Intervention Maritime ». De quoi parle-t-on ? Le Sénat nous répond en
2009 (http://www.senat.fr/commission/fin/pjlf2009/np/08/082.html) :
« La Marine Nationale dispose actuellement d'une vingtaine de patrouilleurs [10 P400, l'Albatros, Arago, 3 OPV54, Grebe, Sterne et deux patrouilleurs Athos d'après la nomenclature de netmarine en 2008] répartis pour moitié en métropole et outre-mer. Âgés pour la plupart de plus de vingt ans, ils seront remplacés à terme par un bâtiment de surveillance et d'intervention unique «BATSIMAR» [qui] devrait commencer en 2012 [plutôt 2015 dorénavant].
« Pour tenir compte de la nature des missions (lutte contre les trafics, police des pêche, lutte contre la pollution, secours maritimes), des besoins croissants de surveillance et d'intervention dans les zones exclusives économiques (ZEE) , de la nécessité d'agir souvent loin de nos côtes, le plus en amont possible des menaces et de s'affranchir au mieux des contraintes météorologiques, qui limitent l'action des petits bâtiments, la marine a exprimé le besoin d'un bâtiment de haute mer, endurant et autonome, capable d'une vitesse de transit suffisante, apte à accueillir des commandos et à mettre en œuvre les moyens habituels d'intervention (hélicoptère ou drone et drome [ensemble des embarcations d'un navire]).
« Pour satisfaire ces exigences, ces bâtiments devraient déplacer environ 1000 tonnes, ce qui est sensiblement supérieur à la plupart des patrouilleurs actuels et comparable avec les avisos A69 en service. Ceux-ci, après une réduction de leurs capacités militaires, pourront être utilisés comme bâtiment de sauvegarde maritime en attendant la livraison des BATSIMAR.
« Le tonnage d'un bâtiment n'entre que pour une partie dans son prix d'acquisition Comme l'ont montré les programmes récents BPC ou Dupuy de Lôme, un bâtiment plus gros n'est pas forcément plus cher à l'achat et peut s'avérer plus économique en entretien, sa taille facilitant les opérations de maintenance (facilité de démontage et d'échange standard, réduction des coûts de main d'œuvre). »
Critiques de BATSIMAR
La
définition du programme n'a pas beaucoup évolué. Et pourtant, dès 2009,
des choses se sont passées. Par exemple, les frégates La Fayette sont
passées du second au premier rang. Et les avisos A69 (actuellement
transformés pour terminer leur carrière en patrouilleurs hauturiers) du
premier au second rang. A ce jeu des chaises musicales, il faudrait
pouvoir s'y retrouver : les avisos seront-ils remplacés par des navires
issus de BATSIMAR ? Répondons par oui. Et pourquoi ? Le Sénat a la
parole : « ils [les patrouilleurs] seront remplacés à terme par un
bâtiment de surveillance et d'intervention unique ». A ce moment là, il
reste un épineux problème : quel avenir pour les frégates de
surveillance Floréal ? Ce sont de « gros P400 » ou autre chose dont le
rôle est à définir ? Le Sénat et le Livre Blanc ont la parole : « ... ».
Merci... La définition matérielle du programme est donc bien maigre. Le
programme FREMM aurait pu être l'occasion de régler le sort des avisos,
Floréal et LaFayette. Le remplacement de ces dernières laisse songeur.
Mer et Marine avait pu poser la question en son temps : Et si on
remplaçait les La Fayette par des FREMM ?
Le
problème est de taille pourtant. Car là où BATSIMAR cible 18 navires,
la réalité est que, pour les missions dites de « police », la Marine
compte environ une trentaine de navires (autour de 34). Et c'est sans
compter sur les moyens de la gendarmerie maritime (et des Douanes) !
Le
débat sur la sauvegarde des ZEE est presque « secret ». Il faut compter
ce programme BATSIMAR d'un côté, et la volonté de créer une fonction «
garde-côtes » de l'autre. In fine, certains (dont moi) avancent qu'il
faudrait donner à la Marine le « monopole de l'intervention en Mer ». Et
donc placer tous les navires effectuant de telles interventions sous
son autorité. D'où la création d'une fonction, et non pas la création
d'un corps de garde-côtes. Les préfets maritimes coordonneraient les
interventions en Mer mobilisant plusieurs administrations (non, je ne
dévoile pas à l'avance la création de GIR maritime).
Pour
revenir à la partie matérielle du programme, il y aurait donc le besoin
de faire une distinction claire et nette entre frégate de combat et
patrouilleur hauturier, et entre patrouilleur hauturier et côtier.
La stratégie navale ? Frégate et Croiseur ?
De
quoi parle-t-on au juste ? On parle de navires qui vont faire respecter
l'autorité de l'État français sur « ses » mers, ses territoires
maritimes. On est dans une mission de souveraineté maritime. Ou, pour
parler stratégie navale, on pourrait parler de « domination maritime ».
La France doit faire reconnaître cette domination. Cela rappellera
peut-être à certains les tactiques de blocus. Quand Nelson (ou tout
autre amiral anglais de la Royal Navy) faisait le blocus d'un port
français, il utilisait deux types de navires. Les frégates ou croiseurs
qui devaient patrouiller devant le port pour interdire toute sortie et
tenir le blocus. Au large, la flotte de guerre se tenait prête sur toute
alerte venant d'une frégate à intervenir pour écraser la flotte
bloquée.
Pour
la souveraineté de l'État en mer, nous sommes un peu dans la même
logique. La France fait le blocus de ces zones à tout profit économique
étranger. Elle doit donc avoir des frégates ou des croiseurs (au sens
anglais du terme donc, « to cruise » ou croiser...) pour patrouiller sur
ces zones. Ces navires doivent avoir un armement de souveraineté.
C'est-à-dire qu'un navire civil ne doit pas pouvoir lui contester le
monopole de la force française sur les ZEE françaises. Seul un navire
militaire doit pouvoir le faire. De là, on devrait pouvoir faire la
différence entre un navire de combat et un navire de patrouille. A ce
moment là, on devrait pouvoir définir où se trouvent les Floréal.
Mais
le problème est un tantinet plus complexe. Il faut voir la France comme
un archipel : métropole, Antilles, Réunion, Kerguelen, Îles Éparses,
Clipperton... Il y a donc ces « îles » à protéger, autour desquelles
patrouiller... Et toutes les étendues maritimes dépourvues de terre ! Il
faut donc pouvoir faire de la patrouille côtière qui nécessite peut
être une certaine agilité. Et de la patrouille dite hauturière,
d'endurance.
La nécessité d'une stratégie navale et maritime
Le
programme BATSIMAR voit le verre à moitié vide ou à moitié plein.
Presque la seule moitié des « patrouilleurs » de la Marine sont
concernés. Sans compter qu'on ne définit pas le besoin de patrouilleur
côtier. Le livre blanc de la Défense et de la Sécurité Nationale parle
d'une « fonction garde-côte » dont l'une des options serait la mainmise
de la Marine Nationale sur tout ce qui vogue en Mer. Et encore mieux,
l'une des nouvelles tendances doctrinales dans la guerre navale est la «
guerre littorale ». Ce qui voudrait dire que certains navires dédiés à
des missions de police pourraient servir éventuellement à des missions
de guerre. C'est encore une chose à définir.
A
l'heure qu'il est, le Portugal fait étudier son dossier pour agrandir
son domaine maritime selon les modalités définies par la convention de
Montego Bay. Le gain pourrait être de 2 millions de km². La Russie et la
Norvège ont récemment réglé un différent concernant une « zone grise ».
En toile de fond, c'est la bataille pour le contrôle de l'Arctique qui
se poursuit. La France mène discrètement une campagne similaire à celle
du Portugal pour étendre ses possessions autour des Kerguelen. Pourquoi
une telle frénésie ? Il est vrai qu'il est plus facile d'étendre son
domaine sur mer que sur terre.
Mais
pourquoi donc ? Peut être parce que les mers renferment des richesses
convoitées depuis plus d'un siècle : pétrole, minerai, gaz, ressource
halieutique... Et que même l'exploitation de ces richesses est sujette à
création de richesse : flotte de commerce, arsenaux, chantiers, pêche,
prospection minière, tourisme, écoles maritimes... Et pour les
sauvegarder, il faut contrôler la mer.
Il
faut donc définir la stratégie générale : pourquoi a-t-on besoin d'une
Marine ? Il faudra rappeler que c'est pour protéger nos intérêts
économiques. Et quels sont ces intérêts.
Il faudra parler de la « stratégie des moyens » : quel volume de moyen ? Quelle organisation ?
En
fait, c'est toute la puissance de la « Mer » qu'il faudrait pouvoir
dompter. De la Marine de Guerre à la plaisance. Et ce ne serait pas de
trop, après un « livre bleu », que de recréer le « Ministre de la Mer ».
Une personne qui ferait la passerelle entre les différents ministères
et administration, qui coordonnerait la stratégie générale. Oui,
vraiment, tout reste à faire ou à refaire...
Pour ou contre la corvette Hermès ?
Cette
corvette coûterait environ « 30 millions » d'euros. C'est un chiffre «
nu » (peut être sans armement) et non-officiel. Mais, c'est peu de dire
que cela tranche avec le prix d'une frégate (de 400 à 800 millions
d'euros) ! Si on suit le programme BATSIMAR il faudrait 540 millions
d'euros pour les 18 navires ciblés pour le renouvellement envisagé.
Personnellement,
je suis un très grand adepte de Colbert. L'un de ses plus grands succès
a été de standardiser les classes de navires. C'était l'esprit du
programme FREMM où l'on visait presque la frégate unique. Alors,
logiquement, je viserais le patrouilleur hauturier unique. Donc, pour
remplacer les 34 patrouilleurs (ceux précités plus les avisos et les
Floréal), je le ferais faire par un modèle unique (et dans le cadre
d'une distinction réfléchie entre patrouille hauturière et côtière).
Donc 34 navires Gowind (ou autre modèle restant dans cette gamme de
prix) pour un coût d'un milliard d'euros environ.
L'intérêt
serait de disposer d'un grand nombre de navires pour tenter d'assurer
enfin la présence de l'Etat en mer. Il faut voir que ce serait, par
exemple, 34 plate-formes pour hélicoptères et commandos à travers la
planète, ce qui n'est pas rien en cas d'urgence (piraterie) ! C'est
aussi la sauvegarde de richesse dont le bénéfice est difficilement
chiffrable. Ce qui l'est, en revanche, ce sont les gains qu'entraînerait
une classe unique de patrouilleurs : diminution du coût d'achat, des
frais de développement, du nombre de marins (inhérente à un navire plus
moderne, pas à un modèle unique), diminution des frais d'entretien (une
seule chaîne logistique), de formation... .
D'ailleurs,
revenons sur le nombre de marins constituant l'équipage. Hermès, 30
marins... Et la proposition des Construction Mécanique de Normandie,
Vigilante 1400 CL78, c'est 20 marins ! Une différence de 10 postes sur
18 navires c'est bien 180 postes de différence. C'est presque deux
équipages de FREMM... Sans compte que pour les curieux qui iront là (http://www.cmn-group.com/pageLibre000111e8.html),
la Vigilante semble plus performante en tout point. Une différence de
prix ? Le prix d'achat ne constitue pas grand chose face au coût de
l'équipage (environ 40% du coût d'utilisation). Une chose dont certains
ont toujours évité de parler, c'est que le programme FREMM «
s'autofinançait » en partie par la simple suppression de postes
qu'entraînait le changement de navire. Ce pourrait être la même chose
pour les patrouilleurs.
Alors,
dans l'état actuel des choses, si l'on continue vers la stratégie de «
micro-flotte » et la multiplication du nombre de classes différentes, je
suis contre. Si l'on ne considère pas mieux la taille de l'équipage, je
suis contre ! A un navire-fonction, une classe unique ! Une classe de
porte-avions, une classe de frégates, une classe de sous-marins et une
classe de patrouilleurs ! Rien de plus, rien de moins. Cette
psychorigidité a apporté beaucoup en son temps à Colbert. Et je pense
qu'une partie des dérapages financiers de la Marine vient du manque de
rigueur dans la conduite des programmes et la multiplication du nombres
de classes de navires. Le prix réel de la FREDA viendra bientôt apporter
sa réponse. Si elle est aussi chère qu'une Horizon, elle sera inutile.
Si c'est un gain d'avoir une FREMM AA, alors on pourrait aller plus loin
que deux exemplaires.
In fine, il faudrait peut être un statut naval...
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