06 avril 2011

De la quatrième à la sixième génération


Steph a provoqué le débat sur ce blog en proposant sa vision de la classification des aéronefs par génération.

Mars 2010 : Boeing diffuse des images de son concept d'aéronef de combat dual (piloté et non-piloté [en haut]) avec la mention 6ème génération. Les diverses vues de deux appareils sans dérives siglés Navy possèdent un petit air de F-14 Tomcat, surtout la pointe avant biplace, comme une forme de nostalgie ou de regret (sous-entendu qu'aucun appareil n'ait vraiment remplacé le mythique intercepteur en dépit des versions E et F du hornet). L'affaire arrive aussi au moment ou le JSF bataille en pleine tempête et le Raptor voit sa chaine d'assemblage se fermer après le 187ème exemplaire.

Si les vues d'artistes ont le mérite d'ouvrir le débat sur cette 6ème génération, on peut se poser la question : comment définir cette génération d'appareil de combat, surtout par rapport à la précédente, la cinquième. D'autant que la frontière qui sépare cette dernière de la quatrième demeure plutôt floue : radar AESA, super-croisière, furtivité, armements embarqués en soutes, fusion de l'information sont autant d'attributs dont on peut équiper les avions de la génération 4 en les transformant en 4+, 4.5, 4.5+ voire 4.75.

Si on admet, sur un plan théorique, que le passage d'une génération à une autre implique l'impossibilité de revenir en arrière ( l'arrivée du réacteur a sonné le glas des avions de combat de première ligne dotés d'hélices) alors la cinquième génération représente celle des UCAV dont les précurseurs sont le Neuron, le X47 ou bien encore l'Avenger. Des aéronefs sans pilotes qui occuperont la première ligne d'assaut d'une force aérienne dans les premières heures d'une conflit ; là où nous n'enverrons plus de pilotes...
Dans cette optique, quel est le saut qui marquera le passage à la sixième génération ?

En défrichant ce terrain, nous nous plaçons dans une perspective éloignée, après le retrait des Super Hornet de la Navy ou des Rafale, soit vers 2035 ou 2040. S'il est diffcile de déterminer la nature de la situation qui présidera à cette époque, les évolutions actuelles permettent d'esquisser des impressions générales (il faut rester prudent).

La part du spatial

Le développement de la 5ème génération ( UCAV ) et ses dérivés HALE ( RQ-4 ) ou des Reaper et autres Predator actuels se posent comme de très gros consommateurs de bande passante satellitaire. À tel point qu'aujourd'hui, les capacités disponibles en communications sont un facteur dimensionnant de l'emploi des drônes. Aussi, les SATCOM sont la pierre angulaire d'un ensemble de dispositifs complexes de la détection à la reconnaissance optique en passant par l'interception électronique ou encore la détection radar. De facto, l'espace est militarisé même si il n'y a pas d'armes à bord de ces engins. On ne fait plus rien sans satellites, sans GPS ou reconnaissance optique spatiale.

Ces derniers années, des expérimentations ont démontré la vulnérabilité de ces systèmes indispensables pour la conduite des opérations qu'elles soient de basse, moyenne ou haute intensité. De l'ASAT tiré par F15 des années 80, nous sommes passé à l'ASAT dérivé du SM3 ou à l'arme à énergie dirigée utilisée aussi pour aveugler les capteurs. Si l'on considère le coût croissant de ces systèmes spatiaux, la question de leur protection se pose car désormais, ils ne sont plus protégés par leur hauteur d'évolution. De même, à l'instar de l'opération ORCHAD de 2007 ou du piratage de la liaison vidéo des Predator par les insurgés, la prise de contrôle par l'adversaire d'un ou plusieurs satellites reste tout à fait envisageable (surtout que l'opération peut-être sous-traitées à des réseaux de hackers russes ou chinois).

La menace balistique

Nous assistons à une prolifération balistique. Inde, Pakistant, Iran, Corée du Nord, Russie, Israel, toutes ces nations cherchent à développer (c'est à dire expédier plus loin une charge militaire plus importante) leurs vecteurs actuels. Les nouveaux matériaux et l'électronique embarquée dérivée du marché civil leur ouvre des possibilités auparavant inacessibles. Or un bouclier ABM, ne sera jamais efficace à 100% contre une attaque de saturation d'autant plus face à des cibles maneouvrantes et équipées d'aides à la pénétration. Le casse-tête parait difficile à résoudre.

Une réduction des capacités

Les puissances occidentales sont toutes confrontées à une baisse des moyens : moins de navires, moins d'avions, moins de chars, etc... ce qui se traduit par la recherche de la polyvalence ou de l'hyper-polyvalence (Rafale) avec l'idée de faire plus avec moins. La première conséquence est l'augmentation des coûts de ces plateformes et donc, la tentation de réduire encore leur nombre pour des raisons financières. Il semble que la tendance, amorcée à la Chute du mur de Berlin, se poursuive encore pendant les deux prochaines décennies. C'est à dire qu'on va se retrouver avec des micro-flottes et une disparition de l'effet de série.

Un environnement instable sous le diktat du temps

Pourtant, le monde n'a que rarement été aussi instable depuis 1945. De la Libye au Timor oriental, en passant la l'Af-Pak, l'Irak, la Somalie, la Bosnie, le Tchad, le Sahel... la multiplication des tensions, des points chauds, des conflits dits "assymétriques" longs et pénibles consacrent l'expression : l'arc des crises.

Ces crises se caractérisent par leur soudaineté, leur effusion et, à l'heure de la mise en réseau (Facebook / Twitter) se développent de façon virale à la vitesse de la lumière. On peut mobiliser un peuple, une troupe, en quelques heures là où il fallait des jours pour organiser une manifestation contre le pouvoir. En conséquence, toute volonté d'intervention se heurte au mur du temps : il faut vite disposer très vite des éléments permettant d'appréhender la situation et d'établir les jalons d'une éventuelle prise de position (qu'elle soit purement médiatique ou militaire) ; ladite position étant exigée par l'opinion publique en quasi-temps réel. On assiste à une véritable compression de l'intervalle de temps décisionnel qui se mesure en heures alors que les moyens (de plus en plus rares et plus précieux) se mobilisent en jours (48 h pour un PAN par exemple à condition qu'il se trouve proche de la zone d'intervention, c'est à dire moins de mille nautiques). Il existe un trou, une zone grise où quoique l'on décide, aucune action mécanique ne peut être entreprise.

On peut affirmer, sans se tromper, que ce tempo va s'accélérer. Là où aujourd'hui, on dispose encore de plusieurs jours pour décider d'une intervention conjointe en Libye, dans quinze ans cet intervalle pourrait se compter en heures.

L'évolution technologique

Nous sommes à la croisée des chemins. Des nouvelles technologies, autrefois émergentes, deviennent des relais de croissances : nanomatériaux, miniaturisation, robotisation, etc... Une conséquence spectaculaire est l'avènement attendu du tourisme spatial. Une société privée sera capable d'envoyer -un saut de puce néanmoins- aux frontières de l'espace des passagers payants à bord d'appareils relativement bon marché. En un sens, ces entreprises sont les descendantes directes du programme X15.

Epopée extraordinaire dont la logique a été rompue par le programme d'orbiter de la NASA. L'USAF ne voulait pas de la navette spatiale (trop gros, trop cher) mais la NASA lui a vendu un concept de camion de l'espace capable de réaliser des missions militaires, car la NASA avait besoin de l'argent des militaire. L'hybridation n'a pas très bien fonctionnée.

Avec le X37B -un démonstrateur- l'USAF revient aux sources : un petit engin ailé, capable d'aller en orbite et de revenir par ses propres moyens se poser sur une piste ; puis repartir.
Dans la foulée, il a été lancé le concept du Prompt Global Strike : c'est à dire la capacité à lancer un raid en n'importe quel point du globe en deux heures à partir du territoire des Etats-Unis.

L'ascendant pris par le bouclier

En matière de défense anti-aérienne, des systèmes tels que le Patriot ou les S-300 / 400 ou encore Aster et SM2 sont tellement dangereux que l'aviation n'intervient que lorsque les sites sol-air ont été neutralisés soit par des raids d'avions furtifs (peu nombreux et chers) soit par une frappe massive de missiles de croisière tirés à distance de sécurité. On ne risque pas un pilote tant que les sites ne sont pas neutralisés. La performance de ces systèmes sol-air (pilotage en force, portée, autodirecteurs à plusieurs voies, capacités de calculs, liaison 16 vecteur - tireur, etc...) ne fera que s'accroitre là où l'avion de combat atteint une limite conceptuelle.

En clair, la question de voler très vite et très haut (au lieu de voler très bas et à vitesse subsonique) se pose à nouveau, avec une acuité nouvelle. La pénétration à basse altitude est un dogme tactique qui vit peut-être ses dernières années face à ces armes défensives. Peut-on le remplacer par la pénétration à ultra-haute-altitude ?

C'est bien avec cet ensemble de contraintes -plus les imprévisibles- que va éclore la sixième génération d'avions de combat ou, en tout cas, un système d'arme doté d'un véhicule non piloté (surement, bien que pilotable) que l'on nommera -peut-être- 6ème génération. Alors que la 5ème génération UCAV règnera sur le domaine du strike, que les aéronefs pilotés hyper-polyvalents -descendants des générations 4++- feront de l'accompagnement et de la supériorité aérienne, le haut peut-être tenu par des appareils à très hautes performances capables de décoller d'une piste ou du pont d'un PA de parcourir dix mille kilomètres en quelques dizaines de minutes pour éxécuter une frappe (préventive ?) stratégique (nucléaire ou pas) ; une reconnaissance ; d'éliminer une menace à l'aide d'armes de précisions (frappe de décapitation) ; de neutraliser les capacités satellitaires adverses (destruction et/ou piratage, détournement) ; de faire du show of force en utilisant par exemple un couloir de rentrée atmosphérique qui passe juste au-dessus de la capitale la nuit (ça marque les esprits) ; de faire du contrôle spatial (de la même manière qu'on applique un embargo ) ; d'interdire l'accès à l'espace...

On remarquera la largesse du panel des interventions possibles et surtout, leur caractère stratégique ce qui pourrait se révéler l'essence d'une telle génération d'engins : un engagement rapide et lointain de première ligne destinée à marquer le coup (avec une connotation politique forte) et une capacité spatiale inédite.

Ces appareils se caractériseraient par une nouvelle génération de propulseurs -hybride aéro/ana-érobie- capable de haute vitesse (incluant ou pas le domaine hypersonique) d'ou découleraient leurs formes à l'aérodynamisme très marqués (peu ou pas de surfaces de contrôles ou des surfaces de contrôles virtuelles) et l'usage de matériaux légers à hautes performances. Les progrès en matière de simulation et de calcul permettent aujourd'hui d'envisager la mise en oeuvre d'une version militarisée de l'avion spatial d'Astrium ou de Virgin à un coût raisonnable (piloté ou pas). La soute permettrait d'embarquer une arme ASAT, des bombes guidés armées ou pas (effet cinétique uniquement) ; des cube sats ; un container de reco, ELINT ou SIGINT ; des brouilleurs à forte puissance privant l'accès aux liaisons satelittes ; des missiles air air destinés à neutraliser des AWACS par là où ils sont les plus vulnérables (juste au-dessus de leurs têtes) ouvrant la voie à un raid combiné UCAV / avions pilotés.

L'altitude et la vitesse offrent de se passer de l'encombrant -et couteux- besoin de furtivité. À l'instar de l'appareil civil, on peut imaginer une version pilotée décollant d'une piste ou bien la version drone tirée depuis un rack aménagé sur la plage avant d'un croiseur CG-X ou encore une version navalisée catapultée d'un PA offrant une capacité spatiale inédite à un groupe aéronaval.

Du White Knight II aux X-37 / X-38, il existe toute une plage de vitesse et de possibilités. Là ou Virgin se contente d'une brève incursion dans l'espace, le X37 reste en orbite pendant des mois. Là où l'avion spatial de virgin embarque six personnes, le X37 est un drone piloté depuis le sol. Ses capacité de manoeuvre demeurent encore réduites, mais un appareil de combat de cette génération spatiale devrait pouvoir changer d'orbite plus facilement, plus rapidement, voir d'effectuer des brèves incursions atmosphériques avant de remonter sur orbite.

Pour conclure, il ne s'agit là que d'ouvrir une exploration des possibilités en partant de notre monde actuel. En même temps, rien n'exclut d'imaginer le successeur du PAN CDG envoyer au coeur d'un conflit naissant, plusieurs appareils à des milliers de kilomètres en seulement quelques dizaines de minutes afin d'effectuer une reconnaissance, de stopper dans l'oeuf la volonté d'un adversaire en frappant des cibles symboliques avec une virtesse de réaction jamais vue, de neutraliser certaines capacités , d'adresser un avertissement...

En un sens, je pense que la sixième génération devra vaincre le mur du temps (après que la seconde eut attaquée celle du son).

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