13 juillet 2011

Evolution du monde maritime et appropriation des mers, quelle stratégie pour la France ?



Chloé Maillier, l'administratrice en chef de Turquoises au large -qui continue son beau projet pédagogique à la rentrée avec la Marine nationale !- s'est rendue au colloque mentionné dans le titre. Cette dernière nous offre un compte-rendu, très soigné afin d'appréhender la teneur des échanges.

Ouverture :

Le paysage maritime mondial

V.A. Jean-Louis Vichot, directeur du CESM. L’amiral Vichot pose d’emblée la question du volontarisme politique en la matière. Avec les atouts dont dispose la France, riveraine de tous les océans (sauf Arctique) et deuxième ZEE ( 11 millions de km2) pourquoi son domaine maritime n’est-il pas plus mis en valeur ? France, puissance navale et maritime, de très nombreux secteurs économiques sont impactés, construction navale, off shore, assurance maritime…Il rappelle que la France a besoin de la liberté des mers. Remise en cause par écologistes ?

VAE ( 2s) Ferdinando Sanfelice Di Monteforterappelle le paysage maritime mondial. Il faut de la richesse pour soutenir la puissance militaire et inversement. « On s’aperçoit de la nécessité de la puissance maritime quand on l’a perdue. »
Pour lui, la faiblesse relative de la marine européenne en général est liée à 3 maux :
  • La guerre froide : alliés devaient fournir un instrument militaire aérien et terrestre. Les marines avaient un rôle subsidiaire, flottes réduites. Marine US avait le monopole de la force d’attaque en mer (opposition marines Corbettiennes (européennes) à la marine mahanienne (US Navy). Les marines européennes ont ensuite réagi mais n’ont pas eu les moyens d’une projection d’envergure.
  • Guerre économique. Armateurs émigrèrent sous pavillons de complaisance.
  • Difficultés intérieures : réduction de la composante destinée au contrôle d la mer ( escorteurs, 260 contre 800 dans les années 1950 (voir les Flottes de combat) 6 frégates Germinal au lieu de 12 et 5 La Fayette au lieu de 6.

VAE (2s) Patrick Hebrard. Rappelle la première caractéristique de la mer : espace non sécable. A envisager dans sa globalité. Deux aspects : militaire/économique.
D’après Coutau-Bégarie
  • Source de richesse
  • Voie de communication
  • Projection de puissance
  • Loisir ( à intégrer à source de richesse pour P.H)
C’est un bien commun de l’humanité pour la survie de la planète il faut donc en outre la protéger. Rappels historiques depuis la fin du XIXè siècle où la GB était la première puissance maritime. 1921, traité de Washington et passation de pouvoir avec les Etats-Unis. Mais après la Seconde Guerre mondiale l’Occident a délaissé une partie du domaine maritime pour les constructeurs navals asiatiques. Corée du Sud, Chine, Japon.
La Chine s’implante aussi dans le reste du monde, ex au Pirée, en Grèce, porte d’entrée de l’Europe. Dans l’off-shore aussi la compétition est ouverte. La Russie et le Canada se partagent l’Arctique, le Brésil s’approprie l’Atlantique Sud «  l’Amazonie bleue ».
L’Europe a-t-elle jeté les bases d’une économie intégrée ? Le Livre bleu et le discours du Havre, juillet 2009, sont des manifestations de bonne volonté mais la présence est avant tout à faire de volonté.


Ière partie

Les racines et les causes de l’appropriation des mers.

Laurent Henninger, chargé d’étude à l’IRSEM
 L’appropriation des mers dans l’Histoire, les stratégies de déni d’accès.
Laurent Henninger nous livre un exposé sur l’appropriation des mers depuis les grands voyages des XVè et XVIè siècles. Rôle de l’Angleterre, largue les amarres avec Henri VIII puis Elisabeth 1er. Supériorité systémique plus que technique de l’Angleterre. Utilise l’espace et le temps pour vaincre l’Armada espagnole. Première puissance et contrôle des lieux stratégiques. Contrôle des lieux stratégiques, des lieux du vaste réseau mondial = logique systémique. La Royal Navy au XVIIIè siècle est une flotte et un système constitué de navires, de bases, de diplomates, de banquiers…La puissance réside dans l’échange plus que dans les richesses. Après la chute de Napoléon sa prééminence n’est plus contestée. 1920 : parité navale GB/EU.

Paul Tourret, directeur de l’ISEMAR
La croissance des réseaux océaniques : transport, énergies, communications
Paul Tourret nous démontre avec de nombreuses diapositives la dépendance totale envers le transport maritime international. Ainsi se succèdent des cartes, des photos et des graphiques sur la croissance du commerce maritime, le gigantisme portuaire ( ports asiatiques), le gigantisme naval ( Minéraliers, car carriers pouvant transporter 8500 voitures, Méthaniers, porte-conteneurs…), flux mondiaux de matières premières. Il termine son intervention par le rôle des acteurs dont les majors pétrolières.

Pierre Cochonat, directeur adjoint DPCP à l’IFREMER.
Les enjeux multiples de l’exploitation des ressources maritimes.
Pierre Cochonat recense les ressources marines, ressources vivantes ( halieutiques), énergétiques, minérales et évoque la valorisation possible des ressources biologiques marines «  les biotechnologies bleues »
Problème d’accès à la ressource. Il faut distinguer :
  • ZEE
  • Eaux territoriales cf Montego Bay 1982
  • Accès réservés aux sites particuliers
  • La bio-prospection.
La production en mer d’hydrocarbures représente 30% de la production mondiale. Les ressources seront de plus en plus rares mais les hydrocarbures resteront la principale énergie pendant encore 30 ans. ( notamment pour les transports). Aujourd’hui on s’intéresse à l’ultra-profond ( - 3000m), bassin sous le sel ( Brésil), l’Artique, Gaz dont hydrates de gaz + ré-analyse des réservoirs exploités.
Les énergies marines renouvelables :
Eolien, hydrolien, marémotrices, énergie thermique…
Les ressources minérales profondes constituent un enjeu dans le cadre de la course aux métaux.
Du 26 avril au 7 mai 2010 s’est réunie l’autorité internationale des fonds marins à Kingstown en Jamaïque. Seizième session. Demandes de permis miniers.
Aujourd’hui les tensions concernent : l’environnement, la piraterie, le spectre de la pénurie en ressources.


IIème partie

Les affrontements pour la maîtrise des mers.

Dr Joseph Henrotin ( ULB), rédacteur en chef de DSI
Les formes d’affrontement sur mer : le retour des conflits navals.
Joseph Henrotin souligne d’emblée le fait que les conflits sont multidimensionnels et impliquent le réel, le virtuel, le civil, le militaire et toutes ses composantes mer/ terre/ espace.
Pour faire de la politique par d’autres moyens il faut s’approprier les espaces, projeter des forces, implanter des bases…Ainsi la Chine s’implante au Pakistan, le Japon à Djibouti…
On passe progressivement de la maritimisation des économies à la « stratégisation » des mers. Il faut par ailleurs souligner l’importance de l’espace temps : «  les guerres qui durent deux jours n’existent pas ». Il faut pouvoir durer et agir très vite. Pour Joseph Henrotin le concept d’asymétrie est une fumisterie. Le contournement est l’essence même de la stratégie ! Finalement il faut pouvoir aller n’importe où avec n’importe quelle chose que la marine possède.

Serge Segura, sous-directeur du droit de la mer, du droit fluvial et des pôles du MAEE
Les frontières maritimes : du territoire à l’extension du plateau continental.
Depuis une soixantaine d’année la mer est vue au-delà des transports ou de la pêche.
Lors de la convention de Genève ( 1958-1960) et de la convention de Montego Bay ( 1973-1982) ont été fixés les textes qui constituent la base en matière de droit de la mer.
Il faut parler de délimitation maritime plutôt que de frontières. Aujourd’hui il faut tenir compte des revendications des PVD. Ainsi il ne faut pas confondre la règle de 12 milles nautiques ( eaux territoriales) , et celle des 200 milles nautiques qui délimitent la ZEE.
Il faut aboutir à une solution équitable. Litiges entre Grèce-Turquie, Italie-Malte, Etats-Unis-Canada, Chine et tous ses voisins (sic) France-Espagne…Revendications de souveraineté. La plupart de temps ces litiges se règlent de façon pacifique. Une commission peut se réunir pour déterminer les limites du plateau continental, à l’extérieur de la ZEE. La France a déposé 5 dossiers ( golfe de Gascogne, Iles Kerguelen, Archipel Crozet…)
Un diplomate est par nature optimiste donc Serge Seguera le demeure et rappelle que tout est question de volonté politique.


Alexandre Sheldon-Duplaix, service historique de la Défense ( SHD)
La multiplication des bases navales et la montée en puissance des marines dans le monde.
Dans son intervention, Alexandre Sheldon-Duplaix fait le point sur les capacités de dissuasion des Etats et s’attarde sur les capacités des grandes flottes selon leurs objectifs : projection ou déni d’accès des côtes. Il s’attarde sur le cas chinois. La Chine étend ses capacités pour être présente jusqu’à 500/1000 nautiques des côtes. Il explique la stratégie de défense off-shore et la question de Taïwan. Il s’agit pour lui d’une stratégie de déni d’accès et non de volonté de projection. Quant aux bases chinoises en océan Indien, elles ont pour but le soutien des bateaux dans le cadre de coopérations. Un porte-avion devrait sortir cette année dans le but de défendre les approches chinoises et d’être un bastion pour les sous-marins. + élément de prestige. Il n y a pas d’après lui de projection de puissance dans le cas chinois.


IIIème partie

Quelles options stratégiques face à l’appropriation des mers ?

C.V Antoine Devaux, professeur à l’EDG
L’appropriation des mers : quelle conceptualisation possible ?
Pour Antoine Devaux la stratégie navale n’est qu’une stratégie parmi d’autres et qui s’inscrit dans la stratégie générale et la stratégie maritime. Elle repose sur trois caractéristiques : le milieu physique ( densité, homogénéité, absence d’obstacle, opacité), la politique, et le juridique ( offensif/défensif/ approche directe ou indirecte).
Avec l’augmentation du trafic maritime, la dépendance accrue à ce trafic, l’augmentation des vitesses de communication, la portée des armements…On assiste à une territorialisation des mers.
  • Surveillance.
  • Régulation des activités.
  • Limitation des droits.
  • Servitudes juridiques.
Réponses stratégiques : mépris, contournement, coopération, RESEVAC

Pr Jean-Paul Pancracio, directeur du domaine «  enjeux juridiques de la Défense » à l’IRSEM.
Evolution du droit de la mer : défense des intérêts de la France et préservation de la liberté des mers.
Rappel du territoire maritime et de la zone de souveraineté 12 miles marins. Pas de territoire si pas de souveraineté.
Navigation libre dans ZEE sans autorisation. Certains Etats l’oublient ( Brésil).

VA Xavier Magne, EMM/ALOPS
De la surveillance à l’action coercitive : quelles coopérations privilégier et quels outils adopter ?
  • Surveillance par satellite : TAAF, pas de grands flux maritimes donc facile. Détroid d’Ormuz impossible.
  • Drones. Monospectral, ne peut définir stratégie
  • Bâtiments de guerre, présence mais un peu lent.
  • On ne peut surveiller 11M de km2
Coercition : sociétés contre !
Règlement court terme. Signe d’échec de l’anticipation.
Guyane : pêcheurs brésiliens venus pousser pêcheurs français en décembre 2007. 4 blessés brésiliens. Il faut avoir des moyens de coercition pour ne pas avoir à s’en servir.
Coopération : Panacée d’aujourd’hui.
Pas un substitut au pouvoir ni au vouloir.
La coopération est durable si elle repose dur des valeurs et des principes et NON sur des seuls intérêts. Quid si les intérêts changent ?...
Il faut utiliser les tendances de fond :
  • Dynamiques démographiques.
  • Inimitiés naturelles, historiques, culturelles.
  • S’intéresser aux points d’appuis stratégiques.
  • Organiser le partage en essayant de ne pas exclure
  • Ne pas penser uniquement à l’intérêt économique.
  • Travailler la volonté et la cohérence.
  • Ne pas se laisser dicter les décisions par quelqu’un d’autre.
Les hommes politiques ont-ils le soutien qu’il leur faut ?

Pr Jean-Pierre Queneudec, président de l’Académie de Marine
Synthèse du colloque
L’essentiel reste la maîtrise des flux et des espaces. Il faut des moyens navals suffisants !
Maréchal de Saxe « pour faire la guerre, il faut de l’argent, de l’argent, de l’argent »
Sea power.
« étudier sans méditer est vain, méditer sans étudier est périlleux »

CA Bruno Palmier, Secrétaire général adjoint de la Mer.
Clôture. Quelle place pour la mer dans la stratégie globale de la France ?
Le temps de la mer n’est pas le temps politique. Comité interministériel de la mer ( juin 2011) passé sous silence par les médias.
Il faut garder le cap. Quel rôle demain en mer pour les Etats ? Avec quelle autonomie ? Que voulons-nous assumer seuls ? A plusieurs ?
Livre bleu 2009
France dispose d’atouts :
  • Territoires ultra-marins.
  • Capacité scientifique dans monde maritime ( ifremer).
  • Marine a gardé son savoir-faire dans presque tous les domaines + capacité à se déployer.
  • Entrepreneurs de la mer CMA CGM.
  • Capacité d’influencer.
  • Accès ports étrangers.
  • Réseau diplomatique.
Freins :
  • Budgétaire.
  • Approche culturelle de terriens.
  • Très difficile de faire comprendre les enjeux.
  • Lobbies sectoriels.
  • Nous avons à gérer transferts de compétences vers régions/ territoires ultra-marins.
Que mettre en avant vis-à-vis du politique ?
Quel rôle de l’UE ?
Sommes-nous capable d’assumer ?

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