19 janvier 2012

Le sous-marin et le déni d'accès à l'espace

  © Inconnu. Dessin d'artiste de ce à quoi aurait pu ressembler les SNA de classe Virginia. L'US Navy a adopté, finalement, un kiosque plus classique.

Un incident qui s'est produit au large du Brésil relance les spéculations sur l'utilisation de vaisseaux noirs dans des missions de "déni d'accès" à l'espace. Ice Station Zébra évoque trois hypothèses, donc deux qui concernent le Brésil et l'une la Russie. Ces affaires, peu banales, sont l'occasion de faire quelques commentaires sur l'utilisation des forces sous-marins dans la maîtrise des communications.


Maîtriser les communications

Historiquement, la stratégie navale a toujours reposé sur au moins un fondement : la maîtrise des communications. L'un des premiers but de la guerre navale est de pouvoir disposer de l'Océan à sa guise. Les conséquences directes de ce gain stratégique sont la possibilité de s'approvisionner dans le monde entier et de déplacer facilement armées et matériels.

Il apparaît dès lors une composante de cette maîtrise des espaces maritimes qui est le "déni d'accès" (sea denial). Il y a deux situations :
  • ou bien la puissance dominante déni l'accès à la mer à son adversaire via différents dispositifs :
    • les blocus offensif ou défensif,
    • la destruction de la "force organisée de l'adversaire" (traditionnellement, il faut entendre la "Flotte").
  • La puissance mineure peut tenter d'interdire l'accès aux espaces maritimes à la puissance dominante, ou du moins, diminuer le gain stratégique de celle-ci :
    • guerre d'attrition où la flotte mineure tente d'équilibrer son rapport avec son adversaire en détruisant une partie de ses vaisseaux afin d'enchaîner avec une stratégie "d'égale à égale" ;
    • la flotte en vie (fleet in being) : le fait qu'une force organisée, même mineure, existe et est protégée par un dispositif particulier fait que la puissance dominante mobilise des forces disproportionnées vis-à-vis de la menace. Exemple : les cuirassés Bismark et Tirpitz, la Flotte française dans ses ports africains du 3 juillet 1940 à l'opération Torch.
    • La guerre de course.
Le sous-marin a été une certaine révolution dans la stratégie navale car il a donné crédibilité à la guerre de couse. La guerre de course fait encore débat à l'ère de la marine à voiles : est-ce que, la France, par exemple, a bien fait de tenter cette forme de guerre navale, ou n'aurait-elle pas mieux fait de s'attacher à mobiliser ses ressources pour la guerre d'escadres ? De la guerre de course contre les galions espagnols à la piraterie au large de la Somalie, un fait demeure : les navires passent. Ce que la guerre de course engendre, c'est avant tout des surcoûts financiers (assurances & cie).

Si le débat perdure sur cette période, il semble plus tranché pour la période qui s'ouvre après la révolution de la propulsion mécanique. Il y a deux grands exemples qui tendraient à montrer la pertinence "moderne" de la guerre de course : les deux batailles de l'Atlantique. L'élément centrale de cette crédibilité est le sous-marin. L'Allemagne, en tant que puissance navale "mineure" avait presque réussi à dénier l'accès à la mer des anglais, en particulier.

Le sous-marin : navire capital dans la maîtrise des communications

L'objet du billet d'aujourd'hui n'est pas tout à fait la guerre de course, mais plutôt le sous-marin et la maîtrise des communications. Le navire peut naturellement être au service de la puissance navale dominante.

Il y a deux autres sens supplémentaires à inclure dans "communication", outre le sens physique et historique du terme :
  • les communications dématérialisées,
  • les communications avec d'autres milieux.
Il est singulier de distinguer des communications "dématérialisées" : quand bien même il s'agirait d'ondes radios (UHF/VHF), d'ondes à destinations des satellites, ou des autoroutes de l'information qui empruntent des câbles sous-marins, force est de constater qu'il y a des supports bien physiques !
Tout l'intérêt de cette drôle de distinction est de distinguer les communications elles-mêmes de leur support physique : antennes, câbles et satellites. Pour le dernier objet cité, il faut bien emprunter des voies de communication de la Terre à l'espace pour placer un satellite en orbite. Il est nécessaire d'établir une distinction entre sur et sous la surface des océans.

L'US Navy a, depuis longtemps, développé une "troisième flotte sous-marine". J'oppose cette notion aux deux autres flottes de sous-marins :
  • première flotte de sous-marins : les sous-marins classiques qui sont les premiers types de vaisseaux noirs qui ont existé et qui continuent à exiter. Il y a plusieurs catégories dans cette "flotte" :
    • sous-marins de poche,
    • sous-marins côtiers,
    • sous-marins océaniques.
  • Deuxième flotte de sous-marins : les sous-marins nucléaires, que ce soit les SNA, les SNLE ou les SSGN.
Qu'est-ce donc que la troisième flotte de sous-marins, alors ? En consultant divers documents, il est possible de découvrir que l'US Navy consacre une partie de ses vaisseaux noirs à des missions spéciales, tel que l'écoute des moyens de communication adverses, la pose de dispositifs spéciaux et bien d'autres choses dont on peine à imaginer les tenants et aboutissements.

Dans cette flotte, j'inclus naturellement l'USS Jimmy Carter de la classe Seawolf : "d'une longueur de 107,6 mètres pour un déplacement de 9100 tonnes en plongée, les navires atteignent la vitesse impressionnante de 40 noeuds (45 noeuds selon certaines sources) et peuvent emporter le chiffre astronomique de 50 armes (torpilles, missiles de croisière Tomahawk et missiles antinavires Sub Harpoon). Alors que le Seawolf avait été mis sur cale en 1989, la série fut stoppée au deuxième bâtiment (USS Connecticut) par Georges Bush père. Le président Clinton ordonnera la construction d'un troisième et dernier submersible en 1993. Ce navire, l'USS Jimmy Carter, remplace l'USS Parche, un SNA de la classe Sturgeon, modifié dans les années 70 pour les missions spéciales et désarmé en 2004. Pour ce faire, le Carter a subi d'importantes modifications par rapport à ses deux grands frères. La coque a tout d'abord été allongée de 30, 5 mètres, portant la longueur à 138,10 mètres et le déplacement à 12.130 tonnes en plongée, ce qui fait du bâtiment un équivalent en terme de tonnage du SNLE français Le Triomphant. Cette nouvelle section comprend les équipements et installations nécessaires à l'embarquement de 50 commandos SEAL et leur engin sous-marin de transport".

Le "Silent service" porte bien son nom aux Etats-Unis puisque le gouvernement américain communique rarement, pour ne pas dire jamais, ou presque, sur les missions de ses vaisseaux noirs.

Le déni d'accès à l'espace

Il semblerait que nous assistions à une évolution supplémentaire de la maîtrise des communications avec l'un de ses acteurs principaux, le sous-marin, qui dépasse la simple sphère "navale". Il a été dit plus haut que le sous-marin était "historiquement" un élément central de la maîtrise des communications, et qu'il pouvait être utilisé dans des opérations spéciales, contre les supports physiques des communications dématérialisés.

La lutte anti-missile balistique ouvre la voie à la mise en service d'armes spatiales (ASAT - armes anti-satellites) : les anti-missiles eux-mêmes. Jean-Luc Lefebvre ("Stratégie spatiale. Penser la guerre des étoiles: une vision française", Paris, l'esprit du livre, 2011) définit les armes spatiales comme : "tout moyen situé dans l'espace permettant d'attaquer ou de se défendre" (p.347 - cité dans DSI numéro 76, décembre 2011).

Si l'espace est encore un environnement où règne l'unipolarité américaine, les prochaines décennies verront une émergence d'une certaine multipolarité. "Pour les américains, cette tendance est ben résumée par les "3C" : l'espace est de plus en plus congestionné (congested, crowded), il apparaît aussi de plus en plus contesté (contested, challenged) et de plus en plus compétitif (competitive). Tel est le message diffusé par la dernière version de National Space Policy de juin 2010. Si les Etats-Unis restent la puissance spatiale dominante [unipolarité] -et de très loin-, cette triple prise de conscience montre que le temps est venu de changer de paradigme" (DSI, numéro 76, ibid).

Le SNA et le déni d'accès à l'espace

Là où je m'écarte de l'article de Guilhem Penent dans la revue précitée, et où il explore le concept de "martialisation de l'espace" (de Jean-Luc Lefebvre), c'est que j'observe que la lutte spatiale commence dès la terre ferme. 

Il y a donc eu trois "aventures malheureuses" pour les programmes spatiaux brésiliens et russes. Les deux accidents brésiliens sont très intéressants :
  • "De la même manière l'hypothèse du sabotage a été longtemps retenue , mais abandonnée par des pressions du pouvoir politique , par le commandement de l'aéronautique en ce qui concerne la destruction du vol  VLS 1 sur son pas de tir le 22 aout 2003".
  • "En 2009 , l'ABIN - Agence de renseignement Brésilienne - après avoir découvert des bouées émettrices/ réceptrices au large du centre de lancement d'Alacantara ( MA ) et les avoirs fait expertisé par des scientifiques est arrivée à cette conclusion. Elle cite le cas particulier d'une ogive dont la récupération a été rendue impossible suite à des " perturbations brusques  "sur le signal de télémétrie , au moment ou des navires "suspects" croisaient au large du CLA".  
Daniel Besson (Ice Station Zébar) nous offre une description plutôt précise de ces boués, retrouvées en 2009 : "ces bouées qui ressemblaient comme deux gouttes d'eau à celles employées par des pêcheurs renfermaient des dispositifs de télécommunications , réception et émission. Il s'agissait selon les responsables Brésiliens de disposifs destinés à capter les signaux de télèmetrie et aussi à agir sur eux . En l'occurence la perte d'une ogive destinée à être récupérée est plutôt une tentative d'espionnage pour se rendre compte de l'état réel d'avancement du programme Brésilien".

Il y a bien des suspects. Les premiers sont naturellement la faute technique, le manque de chance et l'incompétence.

J'écarterais arbitrairement la France et l'Angleterre. Londres a bien mieux à faire que se fâcher avec ses nombreux voisins qui soutiennent la position Argentine sur les Malouines... bien que ses relations spéciales (tel que Londres les rêve) avec Washington puisse l'amener à perturber l'accès brésilien à l'espace. Les satellites de renseignement russes avaient joués un grand rôle dans la guerre des Malouines pour l'Argentine dans le rôle d'éclaireur de l'Armada Argentina. La France aurait bieux mieux faire que de se fâcher avec ses voisins, surtout quand les relations sont fructueuses.

Il y a un pays qui souhaite préserver les intérêts anglais dans la région, pour son propre intérêt, et qui souhaite également préserver son unipolarité dans l'espace : les Etats-Unis. Par faisceaux d'indices, il est difficile d'imaginer que la Russie, ou la Chine, puisse s'inquiéter des avancées du programme spatial brésilien.

Autre manière de pointer du doigt les Etats-Unis, il y a très peu de pays au monde capable d'envoyer un navire au large du Brésil, et encore moins si l'on considère les pays pouvant intégrer des équipements de télémétries sur ce même navire. A priori, si ce sont bien les bouées qui ont servi à perturber ces fusées brésiliennes, alors le coupable idéal pourrait être un sous-marin nucléaire. Le navire idéal serait un vaisseau du Silent service qui aurait l'habitude de ce genre d'opérations (ci-dessus).

Ce ne sont là que des spéculations mêlées à une méconnaissance des moyens de guerre électronique permettant de faire échouer deux tirs d'un programme spatial. Cela détonne puisque ce ne sont pas des choses qui se produisent en Iran, alors que tout porterait à croire qu'il y nécessité à le faire.

La géographie brésilienne est peut être en cause : le pas de tir se trouve à proximité immédiate de la côte. Si c'est un endroit rêvé pour travailler, c'est également placer une installation stratégique dans l'une des zones les plus ouvertes, et dangereuse, au monde : l'interface entre la Terre et la Mer. L'hypothèse d'un SNA américain, en liaison, éventuellement, avec d'autres navires, n'est pas à exclure.

L'un des moyens pour préserver l'unipolarité des Etats-Unis dans l'espace pourrait être la mise en oeuvre d'opérations spéciales qui viserait à retarder et enchérir le coût de programmes spatiaux concurrents. Cet article relate comment les Etats-Unis encadrent l'accès à l'espace du Brésil via le Missile Technology Control Regime.

Un sous-marin pour en chasser un autre

S'il est stimulant de supputer qu'un SNA américain s'amuserait à perturber le programme spatial brésilien, cela mettrait en revanche en lumière le besoin brésilien de SNA. Le discours officiel de Brasilia est que pour protéger les richesses de l'Amazonie bleue (dont les découvertes "récentes de pétrole", espérées dès les années 70), le Brésil a besoin de disposer de SNA, et plus largement, d'une marine océanique. L'argument était un peu faible pour justifier l'accès du Brésil à cet instrument de puissance. Néanmoins, si des opérations spéciales sous-marines ont lieu au large des côtes brésiliennes, et qu'elles mettent en péril la politique de puissance de cet Etat, alors il n'y a pas mieux qu'un sous-marin pour en chasser un autre. En outre, les sous-marins classiques argentins avaient fait pâle figure face aux SNA anglais pendant la Guerre des Malouines en 1982.

Le sous-marin nucléaire pourrait donc apparaître comme un des éléments fondamentaux de la maîtrise des communications (de l'Arsenal Gear), et notamment de l'accès à l'espace. A ce titre, le vaisseau noir pourrait donc tenter de détruire les véhicules spatiaux en partance pour l'espace selon qu'ils soient près de la côte, ou qu'une équipe de commandos puisse emporter et utiliser le matériel suffisant pour le faire. Cependant, l'interception d'un véhicule spatial en cours de lancement ou d'un objet spatial en orbite semble être une prérogative de la flotte de surface, via ses capacités anti-missiles balistiques dont les effecteurs peuvent servir d'armes spatiales.

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