01 août 2012

La question de la base française au Niger cache-t-elle celle de l'avenir de l'Armée de Terre ?


© Inconnu. Un ERC 90 "Sagaie".

L'ancien Président de la République, Nicolas Sarkozy, avait dans la foulée de son élection, commandé un nouveau livre blanc. Celui-ci a redéfini les périmètres de l'outil militaire français, et ses zones d'intervention. C'est une chose qui n'est pas faite très régulièrement : le premier livre blanc remonte à 1972 et le second à 1994 -sans oublier le quatrième qui pourrait arriver d'ici sous peu.

Cet ouvrage consacrait donc l'arc de crises. Une de ses conséquences, avec, peut être (on ne sait plus trop) celles de la RGPP (Révision Générale des Politiques Publiques) et celles de la, énième, réforme des Armées.


L'un des objectifs de cette réforme était d'alléger les structures de soutien, et d'investir une partie des économies dans la modernisation des Armées et d'assurer également une certaine stabilité au budget. Cette volonté s'appuyait sur le bon devenir de "recettes exceptionnelles", et cette affaire n'est pas réglée (comme toutes les autres recettes exceptionnelles de l'Etat, soit dit en passant). Outre cela, il faut bien reconnaître que des choix ont été fait, à tort ou à raison, et que le budget est demeuré assez stable par la suite.

Le livre blanc consacrait, en ce qui le concerne, une révision du dispositif militaire français opérant depuis les autres îles de l'Archipel France ou depuis l'Etranger. C'est pourquoi les bases, points d'appui, les opérations en cours et les accords de Défense ont été revus, reconsidérés et remaniés, si besoin était, pendant deux à trois ans.

L'Afrique était bien couverte par les bases -Sénégal, Gabon, Djibouti- et par les opérations françaises en cours : Licorne (Côte d'Ivoire), Epervier (Tchad) et Corymbe (Golf de Guinée). Pour parfaire le tableau, il faut ajouter les éléments français basés à la Réunion.

Depuis 2008, une nouvelle base s'est ouverte aux Emirats Arabes Unis, et il s'agit de l'implant militaire française aux Emirats Arabes Unis (IMFEAU). Dans le cadre de l'ambiance politique et budgétaire décrite brièvement ci-dessus, il fallait bien faire de la place à ce nouvel appui, à moyens constants :
Pendant un temps, l'opération Epervier qui séjourne au Tchad (et ce n'est pas une "base"), initiée en 1986, sembla menacée, bien qu'elle soit assez utile pour la stabilité du pays (comme à Djibouti, par ailleurs).
Cette présence existe depuis 1986, et elle est l'une des évolutions des cinq conflits où la France fut partie prenante pour défendre le Tchad contre la Libye ou simplement agir contre cette dernière (Bison (1969-1972), Tacaud (1978-1980), Manta (1983-1984), Epervier (1986-2012) et Harmattan (2011).
Suite au livre blanc, le ministre de la Défense, puis des affaires étrangères, Alain Juppé, a ,pendant l'année 2011, exprimait des doutes, à deux reprises, sur le sort des éléments français présents au Tchad. En janvier -alors qu'il était encore ministre de la Défense- il est question de faire évoluer le dispositif. Mais en juillet, le même homme dit que la présence d'un millier d'hommes au Tchad ne se justifiait pas. Finalement, un exercice interarmées d'envergure est organisé au Tchad pendant le mois de septembre de la même année. Finalement, l'opération est sauvegardée, et ses moyens aériens semblent même renforcés. L'ancien ministre, Alain Juppé, aurait manifestement voulu que Epervier connaisse un sort analogue à la base française au Sénégal.

Dès lors il semblerait que la volonté de l'ancien gouvernement fut de conserver quatre implantations majeures sur le sol africain :
  • deux bases permanentes (Libreville au Gabon et Djibouti) pour servir de point d'appui en cas d'actions militaires ponctuelles et d'opérations à lancer :
  • deux bases également permanentes (Sénégal et Epervier), mais dédiées cette fois-ci à la concrétisation des politiques de coopération en matière de défense et de sécurité avec les pays d'Afrique de l'Ouest et d'Afrique Centrale.
    Dans cet ordre d'idées, il faudrait également inclure la mission Corymbe de la Marine nationale qui sert autant au "Sea Basing" de forces aéroterrestres françaises (bataille d'Abidjan, par exemple) que à la coopération avec les marines riveraines du Golf de Guinée autour des enjeux maritimes locaux (comme les trafics de drogues).
Dès lors, il convient de demander à qui revient la charge de ces coopérations militaires : est-ce celle des régiments ? Des Forces spéciales ? Qui plus est, il s'agit d'un subtile jeu d'influence avec, notamment, les américains qui sont très présents autour des grands lacs qui bordent la Tanzanie, par exemple).

Le dernière manœuvre en matière de base de l'ancien Président consista dans l'ouverture de négociations avec l'Etat du Niger pour ouvrir une implantation militaire dans ce pays. Les tractations n'aboutirent pas dans l'esprit initial, mais elles découchèrent, sous la pression des évènements, par l'implantation, de facto, de troupes françaises pour gérer la crise des otages français du Niger.

En 2010, lors de cette crise des otages, le mot de "base" était très fort pour qualifier le déploiement de moyens français. Néanmoins, c'était bel et bien la démonstration par l'exemple qu'il y a un besoin français d'être présent dans le Sahara. L'opération Harmattan, et l'opération otanienne Unifed Protector, aboutissait à la chute du colonel Libyen... Mais aussi à la chute d'un poids politique et militaire dans la région qui participait à la stabilité de ce grand désert contre les différents groupes paramilitaires et terroristes qui naviguent dans le désert saharien, à leur guise. Les services libyens coopéraient avec d'autres services secrets pour tenter d'éradiquer ces nouvelles menaces.

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© Inconnu. Atlantique 2 à Djibouti.

C'est cette absence de l'ancien poids libyen qui est plus ou moins l'une des causes de la crise qui affecte le Nord du Mali. Les troupes touarges envahissaient cette année la moitiée Nord du Mali dans le cadre d'un conflit de terres irrédentes. Ce qui a pu surprendre, c'est que les touaregs se sont alliés à des groupuscules islamistes. Ces derniers ont manœuvré d'une manière inattendue pour leurs alliés puisque les touaregs ont été évincés du Mali par eux. La situation pourrait paraître cocasse, mais le conflit a changé d'ampleur lors de cette permutation des maîtres des lieux.

Cette dernière crise fait planer l'ombre de l'établissement d'une sorte d'Afghanistan dans le Nord du Mali qui pourrait devenir, si rien n'est fait, un sanctuaire pour les groupes qui gravitent dans les déserts du Sahara et du Sahel. La menace est tellement prise au sérieux que les Etats-Unis tentent de peser sur les pays de la CEDEAO pour que l'opération militaire qu'ils comptent lancer ne soient plus de nature offensive, mais bien défensive pour écarter une extention de la zone sous contrôle des groupuscules islamistes.

La menace n'est pas mince si l'on considère que la Libye n'est toujours pas un territoire stabilisée par une puissance politique et administrative. Il a été évoquée, par le passé, la crainte que la guerre de Libye accouche d'une seconde Somalie, il ne faudrait pas aujourd'hui négliger les risques de "déstabilisation" d'une zone qui n'est pas stabilisée...

Le nouveau ministre des Affaires étrangères, Laurent Fabius, a plus ou moins formalisé que si une opération devait être lancée par les pays de la CEDEAO contre les troupes paramilitaires qui sévissent au Nord du Mali alors la France apporterait une aide aérienne et logistique à cette opération. La formule peut prêter à sourire car c'est en ces termes que Paris défendait l'intervention d'Epervier, à la demande du Tchad, contre les attaques rebelles de 2008. La France arguait que c'était compris dans les accords de défense, et les rebelles se plaignaient du soutien des français aux troupes régulières du Tchad.

Dès lors, la question ne peut que se poser : faut-il créer une sorte d'opération Epervier au Tchad en prévision des évènements futurs ? Il y a environ 2000 km entre les moyens aériens français du Tchad et le Nord du Mali. Le Sénégal est plus proche de 1000 km, mais il n'y a pas de moyens aériens français là bas. Il est bien entendu que Libreville et Djibouti sont beaucoup trop éloignés.
Cet obstacle géographique peut être plus ou moins coutourné par l'Armée de l'Air et la Marine nationale (les indispensables Atlantique 2) à force de ravitaillement en vol ou de prépositionnements ponctuels. Il va s'en dire que le déploiement du système de drones MALE Harfang depuis le Niger ne serait pas un mince gain...
Il n'en va pas de même pour les forces spéciales qu'il avait fallu déployer au Niger même pendant la crise des otages. Peut être que les commandos, quand ils servent de formateur et de coordinateur au service des troupes africaines, sont pris en compte dans le cadre de l' "aide logistique".

Alger sera un très grand obstacle sur la route de Paris car la capitale de l'Algérie est bien connue pour lutter contre l'établissement de forces militaires étrangères à proximité de ses frontières et de son pré carré.

Du côté de Paris, la création d'une base au Niger permettrait de couvrir une très grande partie du Sahara avec les redondances qui pourraient être potentielles trouvées avec Epervier, en premier lieu, et avec les autres bases françaises sur le continent africain.

Cependant, ce serait un choix très lourd en conséquences : repousser les extrémistes qui se sont installés au Mali est une chose, prendre à bras le corps le problème de la stabilité du Sahara en est une autre :
  • à l'heure où l'expression de "betteravisation" est employée pour évoquer un futur de l'Armée de Terre pour la prochaine décennie où notre force terrestre tiendrait plutôt le rôle d'une garde nationale,
  • il faut voir que les faits nous offrent un autre choix : agir au plus près des menances.
La betteravisation consisterait à constater que l'Armée de Terre n'est plus engager dans une opération extérieure majeure, quand le retrait d'Afghanistan sera accompli, et qu'elle devrait se consacrait à la regénération de ses troupes et la préservation des territoires de l'Archipel France contre des menaces naturelles (Fukushima est cité en exemple où il y avait nécessité de nombreuses troupes pour encadrer la population) ou criminelles (Guyane).

De l'autre côté, les faits semblent déboucher vers au moins une opération extérieure majeure pour nous préserver d'une jonction malheureuse des crises libyenne, malienne et somalienne. A l'heure actuelle, il n'est pas dit qu'il y ait une seule organisation qui tendrait vers une stratégie commune ou qui organiserait les différentes forces agissant dans ces trois crises. Certes, mais ces groupes islamistes ont une idée assez arrêtée et répétée de leur vision de l'avenir : califat pour tous. Ils n'auraient que des avantages à commercer entre eux, à se soutenir mutuellement -même si rien n'est gratuit. Mais où est donc le financement ? En Afghanistan, c'était l'opium. En Afrique, il faudrait s'inquiter de l'autre jonction, celle qui pourrait intervenir entre ces groupuscules et les quasis narco-Etats du Golf de Guinée.

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© Inconnu. Un NH-90 avec un mortier de 120mm sous élingue (cliché trouvé sur le forum Air Défense).

Certes, il n'y a pas de base française au Niger. Certes, il n'y a pas de telles jonctions entre groupes politico-religieux et groupes mafieux (les deux se fusionnent parfois). Mais il est assez difficile à croire que la betteravisation est un concept plein d'avenir : il faudrait, à l'instar du Japon, être capable de créer un "plan Vigipirate surdéveloppé" pour se prémunir contre quoi, de potentiels terroristes qui savent qu'ils peuvent peser sur Paris et les capitales européennes par des enlèvements en Afrique et des bombes en Europe, donc sur le sol français ?

Un marin ou un navaliste ne pourrait que comparer l'Afrique à un océan. EGEA compara, par exemple, l'Afrique du Sud à une île dans l'archipel Afrique. Alors, un marin ou un navaloste ne pourrait qu'être choqué par la betteravisation car à chaque fois que la France essaya de défendre ses côtes par une garde rapprochée, elle fut défaite. Par contre, quand la France s'en alla chercher le centre de gravité de l'ennemi,la flotte anglaise en l'occurence, elle réussit et à le défaire, et à protéger son Archipel : c'était la guerre d'indépendance américaine.
Les évolutions techniques font que la Jeune Ecole, au début du XXe siècle essaya de montrer qu'il était possible de défendre les côtes métropolitaines par les torpilleurs de la défense mobile : la chose abouti alors à des navires trop légers pour tenir suffisamment bien la mer pour aller se frotter aux cuirassés anglais, qu'ils étaient censés détruire.

L'opération extérieure majeure est là, dans les déserts africains. Le centre de gravité des menaces qui pèsent sur la France n'est pas dans les champs de France, il est également là, dans les déserts africains. Finalement, l'éventuelle demande pour la création d'une base au Niger, ou ailleurs dans le Sahara, n'est pas tant un enjeu tactique pour juguler une crise ponctuelle, mais ce serait bien un enjeu stratégique. La France est peut être devant un choix à faire entre :
  • le repli sur le territoire national -cette expression négligeant très souvent gravement le fait que la France est un archipel, l'hexagone n'en est qu'un morceau,
  • et une volonté renouvelée de protéger les français et les intérêts de la France en agissant au plus près des menaces.
La seconde option a toujours était la plus efficace pour éviter que le foyer d'une menace ne devienne un incendie gagnant en intensité au point que ses cendres ne viennent toucher les territoires français. Les anglais se sont essayé à l'autre solution dans les années 60 et 70 en abandonnant les positions East of Aden et East of Suez pour se concentrer sur la défense du territoire nationale de manière intégrée avec les plans de l'OTAN. Ce repli sur la métropole fut une erreur avérée lors de la guerre des Malouines en 1982 : les îles britanniques ne se trouvent pas que au Nord de l'Europe. Du Liban de 1982 jusqu'en Afghanistan aujourd'hui, il faut dire aussi que la Guerre froide c'était aussi des conflits périphériques. Aujourd'hui il ne reste plus que ces derniers.

http://www.defense.gouv.fr/var/dicod/storage/images/base-de-medias/images/air/actualites/images-2012/images-juillet-2012/largage-de-parachutistes-depuis-un-c160-transall/1888301-1-fre-FR/largage-de-parachutistes-depuis-un-c160-transall.jpg 
© Inconnu. Largage de parachutistes depuis un C-160 Transall (cliché trouvé sur le forum des commandos de l'air).

Si le gouvernement actuel choisissait sagement la seconde option, ou peut être qu'il sera emporté par un enchaînement des évènements qui l'amèneront à la choisir, alors il n'est vraiment plus tant question d'ouvrir une base. Mais bien d'adapter l'Armée de Terre à ses futures missions pour une décennie, peut être deux. Cela justifierait amplement de ne pas considérer la diminution des crédits du budget de la Défense comme une fatalité ou un geste automatique. Par exemple, le renouvellement des moyens de l'Infanterie et de la Cavalerie ne peuvent plus attendre ni souffrir du moindre retard.

Quel sera l'avenir de l'Armée de Terre ? A lire et à écouter les colonels Jérôme Dupont et Michel Goya, il faut imaginer une force terrestre plus mobile, plus légère. Non pas qu'il faille une fois de plus défaire l'Armée de Terre d'effectifs ou de matériels, mais il faudrait que ce soit une force plus facilement projetable, à la demande, soit au moment de l'apparition des crises. Il faut lire le blog du colonel Goya, "La voie de l'Epée", et surtout la série d'articles sont les titres commencent par BH (Bir Hakeim) pour avoir une idée des différentes réflexions. Ces dernières semblent converger vers des pions de manœuvre interarmées et aéroterrestres.Ce type d'unité devrait être capable de s'insérer dans le théâtre, mais aussi parmi la population, voir parmi les structures militaires et administratives s'il s'agit d'un Etat à défendre de menées rebelles. Il s'agirait de la grande influence de "l'école africaine".

Du côté d'un navaliste, c'est toute l'influence de l'US Marines Corps et du concept de Sea Basing qui se fait sentir. Du côté de la Mer, il s'agirait d'être capable, à l'instar des US Marines, d'embarquer à bord une force amphibie et aéroterrestre de manière durable. Le BPC est le navire idéal pour emporter une telle force, et c'est ce que fait régulièrement la mission Jeanne d'Arc depuis qu'elle a été mise en place. C'est depuis le Tonnerre que la bataille d'Abidjan a été observée par les soldats de l'Armée de Terre avant que ceux-ci puissent intervenir depuis son pont d'envol.

A vrai dire, l'avenir se situe très certaienment avec une combinaison des deux réflexions : d'un côté il y aurait une ou deux divisions aéromobiles capables de se projeter essentiellement par la voie des air, mais pas seulement, de l'autre côté il y aurait la préservation de la "division bleue" qui se projeterait essentiellement par la voie des mers, mais pas seulement. Ces deux unités qui servent d'objet de ces réflexions actuelles nécessiteront hommes et matériels, mais aussi des systèmes d'armes pour acquérir la maîtrie des milieux aéroterrestre et aéromaritime. C'est-à-dire qu'il n'y a pas à choisir entre les chars de l'Armée de Terre, les ravitailleurs et les A400M de l'Armée de l'Air et le second porte-avions de la Marine (et les BPC ne le remplaceront pas). C'est un tout qui correspond à une ambition politique : attaquer le centre de gravité de l'adversaire là où il se situe

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