26 décembre 2012

Renforcer la puissance navale française ? La nouvelle frégate Gloire, entre cuirasse et armes électromagnétiques

© DCNS.

Les armes à énergie dirigée promettent quelques applications pratiques très intéressantes en matière de combat naval. Nous tentons de présenter une remise en perspective du combat naval où la question posée est : couler le navire adverse est-il l’objectif ? La tentative de réponse oscille entre le « il a fallu attendre que ce soit possible techniquement » et le « politiquement ce n’est pas forcément souhaitable ». Bien entendu, une perspective aussi sommaire ne peut qu’être insatisfaisante.

Mais partant du principe qu’un exemple récent comme celui de la Guerre des Malouines, avec le torpillage du croiseur Belgrano, montre que la destruction d’un fleuron adverse, s’il est synonyme de victoire, peut aussi attirer la sympathie pour l’équipage perdu, même de la part de l’opinion publique du pays auteur du coup heureux.  Si diplomatiquement la réussite technique de la destruction est difficile à manier, sur le plan politique, et surtout sur le plan de la montée aux extrêmes, celle décrite par Clausewitz, il convient de voir qu’il manque un état entre l’affrontement paramilitaire et la destruction d’un navire. En effet, une telle destruction n’appelle que vengeance bien souvent afin de laver l’affront national. Alors que dans les temps anciens, d’avant les obus explosifs et les trajectoires à tir plongeante, il était possible de mettre hors de combat avant toute chose. C’est là que les armes à énergie dirigée permettent d’espérer de retrouver cet état où les armes cinétiques et non-cinétiques permettent de désarmer un navire, plus que de le détruire.

Poursuivre le renouvellement de la Flotte

C’est bien pourquoi, dans la suite fictive qui va suivre, la frégate Gloire est née de l’aboutissement de ce genre de réflexions. La Marine nationale était coincée entre une difficile période budgétaire qui débutait officiellement en 2007 (si ce n’est depuis les années 60 du XXe siècle, en réalité). D’une part, le tonnage de la Flotte et son nombre de plateformes ne cessait de diminuer, de l’autre, il fallait bien rester dans la course (de fond) dans le développement et l’intégration des technologies prometteuses pour l’art militaire.

D’un côté le développement de la flotte de surface s’appuyait sur l’achèvement du programme FREMM, et son extension était encore en discussion. Il avait été question d’adopter la solution préconisée par l’Amiral Nomy dès les années 60 : le croiseur polyvalent. C’est pourquoi, à l’instar des destroyers Arleigh Burke américains, les FREMM avaient été construites dès la cinquième unité comme navires d’escorte totalement polyvalents. Les précédents navires ont été refondus pour les porter au standard du cinquième. Ainsi, elles possèdent toutes un système d’armes apte à lutter dans les trois milieux (sous la surface, sur la surface – et sur terre – et au-dessus de la surface).

De l’autre côté, alors que les FREMM AVT avaient été abandonnées dès 2008, un programme devait permettre le remplacement des frégates La Fayette. Il ne s’agissait plus de construire des FREMM. Cependant, face à la difficile période budgétaire, et malgré la mise en valeur de la Marine nationale depuis la popularisation du concept de « Maritimisation » et et de celui « d’Archipel France », l’état-major de la Marine avait préféré choisir de poursuivre la série FREMM afin de serrer les coûts de construction et de mise en œuvre au maximum.
C’est pourquoi un consensus s’est dégagé autour de la construction d’un navire d’essais et d’expérimentations. L’idée était de ne pas abandonner le développement de technologies navales qui n’étaient pas mises à l’écart dans les marines rivales, sans pour autant handicaper le renouvellement de la Flotte. La solution retenue surprit, puisqu’il s’agissait de marier une flotte homogène à une « flotte » d’échantillons (par référence à la flotte d’échantillons de la fin du XIXe et du début du XXe siècle).

Le navire d’essais et d’expérimentations

Le premier échantillon combinait les propositions de recherche de l’industriel, DCNS, avec les choix capacitaires à développer et retenus par l’état-major. Les bases de travail connues du grand public étaient les navire-concepts Swordship et Advansea. Il s’agissait autant d’explorer la direction du navire « invisible » sur les plans électromagnétique, infrarouge et visuel que d’aborder les technologies électromagnétiques et la gestion de l’énergie associée.

Le navire d’essais et d’expérimentations avait pour objectif donc de résoudre la quadrature du cercle naval de la France. Si les financements étaient problématiques, cela n’empêcha pas de trouver une certaine solidarité budgétaire. Le navire projeté était source de promesses pour le redressement de la compétitivité française en matière de développement de technologies de pointe. Ainsi, un navire gourmand en énergie nécessitait de lancer des recherches en matière de stockage d’énergie, et ses installations gourmandes mais aux besoins épisodiques exigaient une capacité à maîtriser les flux électriques et leur stockage. Autant de choses qui pouvaient intéresser l’industrie automobile alors que la voiture électrique se lançait, et le secteur de la production d’électricité alors qu’il faudrait à l’avenir non plus piloter un réseau de centrales nucléaires, mais bien piloter un réseau de production d’électricité aux sources et aux périodes de fabrication très diverses. Le développement de moteurs à aimants à supraconducteur ne laissait personne indifférent non plus, puisque les gains de poids et d’espace espérés étaient synonymes de gains sur les concurrents des entreprises françaises. Un financement interministériel fut donc trouvé.

Pour bien faire, le futur vaisseau devait être baptisé « Gloire », en l’honneur du navire conçu par Dupuy de Lôme et qui tirait les leçons de l’apparition des obus explosifs en cuirassant les navires et en leur offrant une propulsion à vapeur comme moyen de propulsion principale, et bientôt unique.

La direction prise par le projet devait aboutir au développement de diverses technologies et à leur intégration :
  •   furtivité « intégrale » du navire,
  • moteur à aimants supraconducteurs,
  • anon électromagnétique,
  • auto-défense par laser,
  • armes à impulsion électromagnétique,
  • logiciel intégrant le pilotage de la production et de la circulation de l’énergie du bord.

Le navire fut mis en chantier à la fin de l’année 2013. Le projet mené par la France ne manqua pas de susciter la curiosité des nations navales rivales. Les États-Unis restaient sur leur faim avec le développement et la construction des trois destroyers (ou cuirassés) de la classe Zumwalt. Ils atteignaient des standards intéressants et de référence en matière de furtivité et dans le développement et l’utilisation d’un logiciel de gestion de l’énergie (SITREP). Mais la philosophie du concept n’était pas allée assez loin, puisque le navire tenait plus du croiseur Ticonderoga ou de l’Arleigh Burke amélioré. Au prix de l’exercice, la chose n’était pas convaincante.

Les ambitions à Paris, non-encore officielles, semblaient toutes autres puisque, derrière l’exercice technologique, à l’instar de ce qui avait été fait aux États-Unis, il était question de miser sur la capacité à approcher un groupe naval, à l’isoler et à le capturer.

La cuirasse

La construction du navire laissait présager quelques ambitions : en effet, le tonnage atteignait près de 15 000 tonnes à pleine charge pour 199 mètres de longueur. Un tel volume laissait songeur dans les pays étrangers alors que le vaisseau français n’ambitionnait pas d’emporter autant d’armes qu’un Zumwalt : là où ce dernier emporte 80 missiles et deux pièces de 155mm, le navire français ne visait que 48 missiles et une pièce de 155 mm électromagnétique. La différence entre les deux devis de poids ne sera révélée que bien plus tard : le volume gagné grâce aux dernières technologies (comme le moteur à aimants supraconducteurs) et le grand tonnage du bateau servirent à intégrer… de vieilles technologies. Il était apparu que les vieux appareils électriques de l’ère analogique, voire même avant, avaient de bonnes capacités à supporter les brusques changements de tensions, notamment ceux provoqués par une arme à impulsion électromagnétique. Chose pratique quand l’on ambitionne de se servir de telles armes, mais qui nécessite de grands volumes et du poids, là où le numérique les avait économisés.

La résilience commençait secrètement à s’exprimer dès l’architecture électrique du navire. Plus généralement, les formes de la coque ont été étudiées pour accrocher le moins possible un radar adverse. La coque est un ensemble formé par un revêtement au silicone ayant une durée de vie longue pour réduire les frottements dus à l’avancement avec l’eau. Le gain de consommation d’énergie est appréciable. Mais derrière ce revêtement se cache une couche anéchoïque qui recouvre aussi bien la coque que les superstructures pour absorber les ondes radars. L’imbrication des deux matériaux a été particulièrement ardue mais le problème finit par être résolu vers la troisième année de construction (2017).

Mais derrière cette coque à protection passive contre les agressions de l’environnement naturel et de la sphère électromagnétique, il y a le développement d’un nouveau type de blindage. Il a été bien inspiré des Américains : la construction du CVN-78 Gerald R. Ford renferme un blindage électromagnétique : « Il s’agit d’une cuirasse électromagnétique, surnommé DAPS (Dynamic Armor Protection System). Le principe est de munir un navire d’un blindage creux dans lequel circule une énorme charge électromagnétique. Le jet de plasma issu de l’impact d’un projectile à charge creuse perçant  la paroi externe du blindage est alors neutralisé par le champ électromagnétique, garantissant ainsi l’intégrité de la paroi intérieur du blindage. Le DARPA US a lancé ce programme en 2003 » (in Le Marin, hors-série « Navires militaires » d’octobre 2012, page 39). C’était en somme, la réinvention du blindage réactif présent sur les chars, à la sauce électromagnétique.

Les armes

Si la frégate Gloire est conçue pour tenter d’être invisible et pour être résiliente aux coups de l’adversaire, elle a tout de même été aussi conçue pour en porter. C’est pourquoi les travaux de l’institut franco-allemand Saint Louis aboutirent, sous l’impulsion des crédits gouvernementaux, à la construction d’un prototype de canon électromagnétique. L’ensemble fut intégré à bord du navire en 2018.

Les avancées ne s’arrêtèrent pas là puisque pour une telle arme, il fallait bien lui concevoir des obus. Outre le panel de munitions classiques, le développement d’un obus bien particulier fut longtemps tenu secret : une arme à impulsion électromagnétique. L’effet de la charge est aisé à réaliser par l’explosion d’une charge nucléaire. Chose difficile à manier, s’il en est. C’est pourquoi bien des pays prirent la direction de développer des générateurs d’impulsion à ondes électromagnétiques compacts à compression de flux magnétique. L’explosif de l’obus sert à produire une impulsion électromagnétique large spectre de grande puissance. Ce développement ne fut pas sans heurts, puisqu’il fallait concilier de faire partir un obus depuis un canon électromagnétique avec l’utilisation d’une charge électronique. C’est-à-dire que le tir ne devait pas endommager la charge interne. Tout un système de protections internes et d’activations des moyens de fonctionnement de la charge par retardement fut inventé.

Cette arme phare se combinait avec le développement d’une installation fixe à l’objectif similaire (créations d’effets IEM) mais utilisant cette fois-ci des micro-ondes de grande puissance.

L’avantage de la première arme est sa portée qui lui est donnée par le canon et la trajectoire de l’obus, mais son inconvénient est la non-directivité des effets. C’est tout l’avantage de la seconde arme, mais à la portée moindre.

L’artillerie était complétée par un canon italien de 76mm à tir rapide et des canons téléopérés de 20mm.

Une application particulière de l’obus IEM a été développée. Elle est conçue pour être intégré dans un véhicule spatial. Celui-ci atteint ce milieu via un missile Exoguard d’EADS Astrium. Officiellement, Paris a lancé ce programme d’études amont pour soutenir sa filière de vecteurs spatiaux (les missiles balistiques) et plus largement les capacités européennes en la matière. Officieusement, la dernière version de la fusée Ariane V (« mid life extension ») et le développement d’Ariane VI étaient amplement suffisants. Un tel missile permettait aussi à la France de négocier sa place dans le dispositif de défense antimissile balistique de l’OTAN. Mais officieusement, rien n’empêchait de donner une utilité opérationnelle à un lot de missiles construits pour « essais » alors que les deux premiers tirs « d’essais » montrèrent que le premier lot de 16 missiles construits étaient bons pour le service officieux associé. La France se dotait ainsi secrètement d’une capacité de mise hors service de satellite. L’important tonnage de la frégate permettaient d’inclure ces 16 missiles « au diamètre plus important que celui des autres munitions ». Aucun essai officiel n’est venu qualifier cette capacité. Comme le disait Guilhèm Penent (De la Terre à la Lune), la mise hors service de satellites par armes nucléaires (et effet IEM) est plus que problématique. Ce serait plus simple avec une arme comme « l’Exoguard IEM ».

Enfin, la dernière innovation empruntée au CVN-78 : la défense à courte portée par canons laser. Ce système est le descendant d’un programme, le « Navy’s Maritime Laser Demonstration ». La précision du tir laser et la grande répétition, espérée, des tirs, doit permettre d’intercepter aussi bien des petites embarcations que des missiles assaillants grâce à une munition insensible aux contre-mesures. Ce système ne sera véritablement qualifié qu’en 2021 au bout d’une longue série d’essais.

Ce cuirassé des temps modernes a un concept d’emploi bien particulier : il doit s’approcher d’un groupe naval adverse (repéré par divers moyens à la disposition de la France) sans attirer l’attention, grâce à ses différentes capacités à être discret, si ce n’est (presque) invisible. La Gloire doit, quand elle est à portée de ses armes, entamer alors la phase la plus critique du combat. Elle doit utiliser à plein ses armes selon le principe de la liaison des armes sur mer de Castex. Si le navire utilisait ses armes antisatellites, alors c’est pour être quasi certain que le tir serait détecté par une quelconque nation capable d’avertir le pays détenteur des navires visés.

C’est pourquoi la Gloire doit pendant un laps de temps assez court utiliser ses obus pour isoler le groupe naval adverse et tenter de le mettre hors d’état de nuire. Une première salve a ce rôle. Si la pièce de 155mm naval n’est pas connue pour sa grande cadence de tir (8 à 10 coups par minute), elle est « améliorée » grâce à l’utilisation de la technique de tir en salve (MRSI) : le premier obus de la salve atteint la cible en même temps que le dernier grâce à un savant calcul des trajectoires (ce qui induit des limites en matière de portée). Une seconde doit alors être lancée pour faire « sauter » tous les systèmes qui auraient survécu à la première salve. Pendant ce temps, si le groupe naval adverse s’appuie sur un centre de gravité spatial, alors celui-ci est visé par une salve d’Exoguard qui décollera dans l’embarras de la cible, sans être aperçu. Simultanément, la frégate s’approche et ses armes à micro-ondes dirigent leur flux vers les cibles. La dernière manœuvre va consister à tournoyer autour de la cible pour viser ses moyens de propulsion. La doctrine prévoit que, au final, le groupe naval adverse et rendu impuissant puisse être remorqué vers un endroit sûr pour être définitivement capturé.


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