© Inconnu. |
A
travers les lignes qui vont suivre, il va être tenté de montrer que la
projection de chars Leclerc ne relève pas d'une évidence opérationnelle
folle. Mais le recours à ce matériel symbolique peut être
l'accomplissement d'un processus politico-diplomatique où la France
s'engage seule, dans l'urgence, mais avec la bénédiction de la
communauté internationale. A ce moment-là, les vertus de l'intervention
nationale vis-à-vis des coalitions reviennent sur le devant de la scène.
Et le recours à des attributs de la puissance ne sont pas à négliger
pour marquer durablement les esprits. Enfin, la place particulière d'un
système d'arme comme le Leclerc peut en faire un enjeu
politico-militaire quand il s'agit de l'utiliser. A ce moment là, le
char Leclerc incarne la détermination nationale.
La France en Guerre
Cela
est reconnu si rarement pour être souligné : la France est en Guerre.
La chose s'écrit avec une lettre majuscule, d'une part, car c'est une
position qui semble particulièrement assumée par le Président et son
gouvernement. Ce premier s'est exprimé à Dubaï lors de l'un de ses
derniers déplacements en répondant à une question : « Que faire des terroristes? Les détruire. Les faire prisonniers, si possible ».
D'autre part, la classe politique est unanime pour soutenir cette
intervention armée, même en tenant compte des nuances des différentes
branches et des différents courants. Pendant quelques instants, on
pourrait même y voir un semblant d'union sacrée : signe que l'enjeu de
l'intervention dépasse les clivages (ce qui souligne que l'enjeu est
perçu et compris de tous).
C'est un ensemble de faits, de réactions et d'actions qui n'existaient pas en Afghanistan : depuis la chute du régime taliban, les enjeux ne sont plus les mêmes : l'on passe d'un combat couplé foudroyant à une opération de reconstruction tous azimuts du pays au sein d'une coalition. La guerre au Mali, menée dans l'urgence, stimule le pouvoir politique français, manifestement, d'autant plus que la France "dirige" et mène la danse. En gagnant des marges de manoeuvre, l'Archipel France s'offre plus de liberté d'action. In fine, nous devenons pleinement un acteur stratégique là où en Afghanistan nous peinions à nous élever à la strate stratégique, confinés comme nous l'étions au niveau tactique. Au Mali, c'est la stratégie intégrale de Beauffre qui est mise en oeuvre.
C'est un ensemble de faits, de réactions et d'actions qui n'existaient pas en Afghanistan : depuis la chute du régime taliban, les enjeux ne sont plus les mêmes : l'on passe d'un combat couplé foudroyant à une opération de reconstruction tous azimuts du pays au sein d'une coalition. La guerre au Mali, menée dans l'urgence, stimule le pouvoir politique français, manifestement, d'autant plus que la France "dirige" et mène la danse. En gagnant des marges de manoeuvre, l'Archipel France s'offre plus de liberté d'action. In fine, nous devenons pleinement un acteur stratégique là où en Afghanistan nous peinions à nous élever à la strate stratégique, confinés comme nous l'étions au niveau tactique. Au Mali, c'est la stratégie intégrale de Beauffre qui est mise en oeuvre.
Mais
est-ce que cette conviction politique collective se double d'un soutien
populaire et d'une adhésion des citoyens à tous les enjeux ? Il est
possible de supputer que les citoyens français, abreuvés des reportages
de divers titres de presse, n'ont pas manqué d'être choqués par la
violence politique des groupes islamistes qui sévissent au Mali.
Contrairement à ce que peuvent dire des esprits chagrins : personne n'a
forcé les membres de ces groupuscules à de telles exactions, et il est
relativement difficile de les supporter, surtout quand il s'agit de
forces étrangères qui violent la souveraineté d'un Etat membre de l'ONU
(droit des peuples à disposer d'eux-mêmes, chapitre 7, etc...). Entre la
privation des libertés fondamentales et les sévices physiques, point
besoin d'être constitutionnaliste ou autre pour comprendre que les
valeurs de la France, qui se veulent universalistes, ont été bafouées
allègrement au Mali.
Le
contexte de cette intervention est suffisamment bien (et mieux)
explicité ailleurs pour ne pas tenter de le réexpliquer ici. La moitié
Nord du Mali est envahie par des bandes islamistes depuis plus d'une
année (et ces bandes prennent racines dans la région saharienne depuis
1996). Ces groupes ont fait le choix, par divers moyens, de laisser
traîner les tractations en longueur afin de renforcer leurs positions.
Situation classique où les différents intermèdes diplomatiques sont
autant de moyens de gagner du temps (chose apréciable à observer pendant
l'opération Manta au Tchad).
Mais les combattants étrangers ont repris les armes et la route du Sud, non content d'avoir d'ores-et-déjà conquis l'autre moitié du Mali. C'est à croire qu'ils ont jugé que l'embarras qui sévissait à Bamako et les multiples signaux de faiblesses envoyés par son régime étaient autant d'indices pour agir et renverser le tout. Ainsi, vers le 10 janvier, la ville de Konna est prise. C'est un point clef entre le désert du Nord du Mali et la route de Bamako. Le pouvoir politique malien demande l'aide de Paris et la mécanique guerrière s'enclenche, alors qu'il y avait déjà urgence à agir en République Centrafricaine. Les troupes françaises envoyées sur place doivent donner un coup d'arrêt, c'est presque un classique pour des troupes tricolores engagées en urgence en Afrique (c'était encore le cas lors de l'engagement de la puissance aérienne française en Libye).
Mais les combattants étrangers ont repris les armes et la route du Sud, non content d'avoir d'ores-et-déjà conquis l'autre moitié du Mali. C'est à croire qu'ils ont jugé que l'embarras qui sévissait à Bamako et les multiples signaux de faiblesses envoyés par son régime étaient autant d'indices pour agir et renverser le tout. Ainsi, vers le 10 janvier, la ville de Konna est prise. C'est un point clef entre le désert du Nord du Mali et la route de Bamako. Le pouvoir politique malien demande l'aide de Paris et la mécanique guerrière s'enclenche, alors qu'il y avait déjà urgence à agir en République Centrafricaine. Les troupes françaises envoyées sur place doivent donner un coup d'arrêt, c'est presque un classique pour des troupes tricolores engagées en urgence en Afrique (c'était encore le cas lors de l'engagement de la puissance aérienne française en Libye).
La
configuration diplomatique était assez inédite dans la mesure où Paris
intervient seul. Auparavant, il était question que la CEDEAO sous son
propre égide et dans le cadre des résolutions de l'ONU forme une force
de combat afin d'agir :
- Paris poussait pour que les 3000 hommes espérés puissent reprendre le Nord.
- Washington voulait en faire une force apte à défendre le Sud contre toute déstabilisation venant du Nord et stabiliser la situation. L'adversaire a finalement imposé son comportement aux parties.
Mais
cette situation diplomatique reste aussi inédite car la France est la
seule engagée sur le terrain. Après toute la période des opérations
multilatérales, qui doit commencer à la seconde guerre du Golfe (1991)
jusqu'à la Guerre en Libye (2011), la France avait tendance à ne plus
s'engager seule. Il y avait bien eu le Rwanda (1994), l'intervention en
Côte d'Ivoire (2002) mais la ligne générale n'était plus aux aventures
militaires en solo. Par défaut, l'intervention au Mali se fait comme au
grand temps des opérations extérieures en Afrique depuis 1962 à 2002
(nonobstant la tendance multilatérale sur ce continent et ailleurs). Les
Etats-Unis ne souhaitent pas s'engager, manifestement, tout en saluant
notre intervention et la soutiennent sur le plan logistique, voire
bientôt sur celui du renseignement. L'Europe tient à peu près la même
position, sauf que, et ainsi que vient de le décrier crûment au
Parlement Européen Daniel Cohn Bendit, elle avoue à peine un refus
d'agir.
La France se retrouve seule et en première ligne comme le souligne Michel Goya : elle emploie ouvertement le mot de Guerre et prend ses responsabilités.
Manoeuvre opératiques
Les
buts de guerre français sont clairs : stopper la progression adverse,
stabiliser la situation et laisser à la future force africaine le soin
de reprendre la moitié Nord du Mali. Le risque n'est pas trop grand à
prendre en écrivant qu'il y a fort à parier que les forces françaises
appuieront cette future reconquête.
Il
va s'ensuivre une succession d'opérations qui risque fort de voir
l'Armée française repousser ces groupes islamistes de leurs avant-postes
dans le Sud jusqu'au Nord. Actuellement, pour pousser l'adversaire nos
troupes se composent d'éléments de cavalerie et d'infanterie légère.
Demain, les soldats français, aidés ou non des troupes africaines,
risquent fort en cas de succès, d'acculer l'adversaire au pied du mur.
L'Algérie ferme sa frontière Sud et il faut espérer ou croire que les
autres Etats riverains tenteront de faire de même. L'adversaire,
inévitablement, finira par s'accrocher au terrain.
Qu'est-ce
que le terrain ? Ce n'est pas le sujet de ce billet mais, pour faire
simple, ce serait au moins l'alliance du relief et de troupes
combattantes. Ces dernières utilisant le premier pour démultiplier leurs
forces. Sun Bim ne disait pas autrement quand il affirmait que l'aile
la plus faible de l'armée doit s'accrocher à un terrain favorable à la
défense, comme la montagne. Mais ce terrain peut aussi être la
combinaison du relief, de l'adversaire et de la population civile. L'on
pourrait y ajouter un dernier élément qui s'est régulièrement signalé en
Afghanistan : les constructions humaines, et surtout celles qui
encaissent relativement bien les coups des armes légères. Rien de
nouveau à l'Ouest comme disait Erich Maria Remarque, certes. Mais ces
quelques éléments fondamentaux laissent présager de potentielles
situations difficiles :
- une dilution de l'adversaire dans une population civile dense, comme une ville,
- un éparpillement toujours du même adversaire dans un relief favorable à la défensive et aux embuscades.
Dans
les deux cas, la progression de nos troupes ne manquera pas, peut être,
et demain, d'être ralentie, voire bloquée, par des "points durs". Cas
classique où l'artillerie ou l'aviation venaient supprimer ces abcès.
Mais dans une époque où l'on supporte "assez mal" la perte de civils,
nationaux ou étrangers, du fait d'actions de guerre, il devient
relativement compliqué de crever ces abcès avec une projection de
puissance trop forte et imprécise depuis l'artillerie ou l'aviation.
Guerre de positions ?
Traditionnellement,
si l'on peut oser employer ce terme, cette situation se règle par le
combat au contact. Il est possible alors d'engager à fond l'infanterie
légère. Mais le rapport de force est défavorable puisqu'il y aurait
environ 7000 combattants adverses quand l'Armée française affirme que
ses effectifs monteront jusqu'à 2500 soldats français sur le terrain.
Sachant que, traditionnellement, toujours, les troupes retranchées dans
quelques fortins bénéficient d'un rapport de force de 1 à 3 en leur
faveur, le coût humain risque d'être terrible (alors que la tendance
n'est pas à vouloir accepter le sacrifice d'autant de soldats).
Qui
plus est, il semblerait que les buts de la guerre français et/ou les
choix opératifs ou stratégiques français font que nous nous tournions
vers une guerre de position actuellement. Puisqu'il s'agit de stabiliser
la situation alors il y aura bien création d'une frontière entre ce
qu'il faut préserver et ce qu'il faudra reconquérir. Alors, de part et
d'autre cette frontière sera utilisée soit pour préparer une stratégie
défense ou offensive. Dans le cas français, il faudrait plutôt compter
sur la création d'une ligne de démarcation qui servira de tremplin pour
reprendre le Nord avec les troupes africaines. Alors, il ne serait pas
étonnant de ressentir sur le terrain le besoin d'avoir un engin capable
de percer des points durs fortement défendus et préparés.
Au
cours de la Grande guerre, le colonel Estienne avait résolu la
difficulté en inventant le char de combat (mais aussi pour des raisons
propres à ce conflit), c'est-à-dire :
- une pièce d'artillerie,
- sous casemate blindée
- et capable de se mouvoir.
Mis
à part la parenthèse du combat tournoyant entre chars de bataille, le
char de combat retrouve ce rôle originel : accompagner l'infanterie pour
lui ouvrir la voie en supprimant les points durs. Au Mali, c'est une
tâche qui pourrait être remplie par des blindés comme le VBCI (28
tonnes) ou l'ERC-90 (8 tonnes). Mais il semblerait que le canon du
premier (25mm) soit plus que léger pour détruire des points durs tandis
que le second (canon de 90mm) pourrait souffrir d'un manque de
protection face à des combattants qui bénéficient de quelques moyens
anti-blindés (tout comme le premier est d'une hauteur qui semble source
de vulnérabilités).
L'engagement du char de bataille, signe d'une détermination politique nationale sans faille ?
C'est
pourquoi tout ce cheminement en revient à proposer la projection du
char Leclerc. Cet engin de 55 tonnes bénéficie d'une protection étudiée
pour résister à des coups tirés par des canons ayant un calibre allant
jusqu'au 125mm. Ce qui lui offre une capacité à encaisser tous les coups
qui pourraient lui être portés dans le Sahel. Caractéristique qui
transforme le Leclerc en une véritable forteresse mobile apte non
seulement à affronter des fortins improvisés ou rigoureusement durcis
mais aussi à les approcher à une distance qui serait insupportable pour
l'infanterie.
Sa
grande mobilité lui permet de se jouer des dispositifs adverses qui
seront, presque par défaut, fixes. La puissance mécanique permettra au
char de coutourner ou de se dégager à sa guise sans que l'on puisse lui
barrer le chemin.
Enfin,
sa puissance de feu en fait une véritable pièce d'artillerie mobile
capable de s'approcher au plus près de la menace pour l'annihiler avec
le maximum de précision en évitant, autant que possible, les dégâts
collatéraux.
L'ensemble
permet aussi d'avoir un système fournissant de l'appui-feu, pouvant
porter quelques senseurs, le tout avec une persistance sur zone, au
contact, que non pas d'autres systèmes.
L'intérêt
opérationnel pourrait apparaître. Mais il est doublé aussi d'un intérêt
politique interne à l'Armée de Terre puisque c'est peut être l'unique
et dernière chance d'employer le char Leclerc de manière moderne : là où
ce système d'armes a été conçu pour combattre dans les plaines d'Europe
dans un rapport de force défavorable, il aurait pu en Afghanistan
montrer que le char lourd redevenait un Véhicule d'Accompagnement de
l'Infanterie (notion proposée par Benoist Bihan). Si la rédaction du
nouveau livre blanc touche à sa fin, les choix ne sont peut être pas
encore tout-à-fait arrêtés pour la future loi de programmation
militaire. Est-ce que le concept de betteravisation est capable d'offrir
un discours où les outils qui servent actuellement au Mali doivent être
préservés ? Non. Alors il n'y a plus que ce conflit pour montrer qu'il y
a besoin d'un VAI comme le char Leclerc, même s'il n'est pas parfait
pour ce rôle puisque pas conçu dans cette optique. Mais il est adaptable
sur le plan opérationnel le temps de la transition.
L'intérêt
politique pourrait peut-être exister puisqu'il s'agirait d'engager un
système de combat majeur au Mali. La configuration internationale fait
que la France combat actuellement seule. Les images véhiculées par les
technologies militaires françaises frappent les esprits : les Rafale et
Tigre attirent énormément les objectifs puisqu'ils sont dit "modernes".
Et quelque part, un armement moderne est un armement terrible, surtout
pour l'adversaire. Qui plus est, c'est aussi un armement produit et
utilisé en toute indépendance nationale : ce n'est pas encore un système
d'armes aussi symbolique que rare et puissant à l'instar d'un groupe
aéronaval, mais c'est presque tout comme sur terre puisqu'il y a si peu
de pays apte à mettre en oeuvre efficacement des chars de bataille, et
surtout, à les projeter. La lutte sera aussi "politique" pour savoir si
le Leclerc doit être projeté ou non : l'enjeu financier n'est pas mince
car le Maintien en Condition Opérationnelle et le coût de la projection
ne sont pas indolores. Mais que pèse ce poids dans la balance par
rapports aux autres facteurs ?
Enfin,
est-ce que le char Leclerc est doté d'une valeur morale en France ?
C'est un programme qui a accouché dans la douleur pour diverses raisons,
tant militaires que politiques et industrielles. Mais il n'en demeure
pas moins que s'il n'est pas possible de dire "quel est le meilleur char
du monde", le Leclerc participe régulièrement à ce genre de classement
sans fin ni résultat possible. Aussi, il se pourrait que bien des
français soient un minimum fier de ce char. La force mécanique garde
peut-être, plus généralement, une place particulière dans l'inconscient
collectif dans la mesure où le discours du 18 juin 1940, gravée dans les
esprits et sur une plaque sous l'Arc de Triomphe, parle d'une France
submergée par une force mécanique supérieure.
Si
l'intérêt de la projection du char Leclerc ne semble pas évident
aujourd'hui dans la Guerre au Mali où se déroule encore des combats de
cavalerie et d'infanterie légère, demain cet intérêt pourrait devenir
beaucoup plus évident si jamais les groupes islamistes prennent les
villes ou les montagnes. In fine, ce ne serait que tirer parti de
l'expérience des troupes alliés en Irak, en Afghanistan, voire en
Israël, qui utilise les chars de bataille pour combattre en ville ou se
jouer des points durs de rase campagne.
C'est
un ensemble de facteurs, opérationnel, politique et moraux, qui doit
permettre d'interroger l'éventuelle projection de chars de bataille
Leclerc au Mali. Des VBCI et des Caesar (155mm) seraient actuellement
projetés au Mali. L'on reparle des actions de chars T-55 contre une
invasion rebelle par véhicule civil tout-terrain pour la sauvegarde de
la capitale tchadienne . Mais il y également, aujourd'hui, l'exemple de
l'engagement de chars T-72 syriens dans la guerre civile syrienne. Il
est si rare, en plus, que les Armées françaises disposent des capacités
de projection adéquates simultanément : la voie maritime est possible,
quoique lente (mais elle correspond potentiellement à la deuxième phase
des opérations, la reconquête du Nord) mais aussi la voie aérienne (et
le fameux assaut vertical) grâce aux appareils prêtés par les alliés
(C-17, C-5 et An-124 : autant de gros porteurs conçus notamment pour
transporter du char de combat).
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