© 2008 Daniel Bechennec - Tous Droits réservés. Cuirassé "DREADNOUGHT" Royal Navy (1906).
Le débat sur les gaz de schistes bat son plein en Europe (au moins)
et il pose légitimement des questions. Surtout qu'il y a des questions
d'une incroyable portée géopolitique à poser. C'est
pourquoi il peut être intéressant de rappeler quelques faits à ce
sujet, de manière très synthétique. Et d'enchaîner avec la question qui
se pose à bien des stratèges, de chambre ou en activité :
faut-il en être ?
Depuis que la décision a été prise aux Etats-Unis de lancer
l'exploitation de ces ressources, un demi-million d'emplois aurait été
créé. Ne pas oublier non plus le retour d'industries aux
Etats-Unis, autrefois délocalisées : serait-ce à cause de ce
phénomène que les exportations chinoises baissent structurellement ? Il
faut dire que le coût du gaz aux Etats-Unis est plusieurs fois
inférieurs à son prix d'achat en Europe ou en Asie : pour certaines
industries, c'est Byzance. Mieux encore, Washington deviendrait
auto-suffisant sur le plan énergétique vers 2035.
Ce qui reviendrait à souligner que si le pays prenait bel et bien
cette voie de l'auto-suffisance alors les rapports politiques ne
seraient plus les mêmes avec le Moyen-Orient. Cela serait un
nouveau cap stratégique alors que les Etats-Unis poussent à des
réformes sociales dans le Golfe. Sans compter que l'on reparle d'un
possible changement d'alliance entre Washington et Téhéran, en
défaveur de Riyad.
Mais le coût environnemental de cette industrie serait très lourd
puisqu'il faudrait accepter que des zones, des territoires entiers
soient suffisamment pollués pour ne plus permettre la
consommation des ressources locales en eau douce ou la poursuite de
l'exploitation agricole de ces terres. Ce n'est pas rien pour un pays
comme la France où les réserves de gaz de schiste
seraient dans le bassin parisien, bassin agricole par excellence.
En résumé, les Etats-Unis gagneraient de nouvelles libertés de
manœuvre sur la scène internationale (n'est-ce pas le rôle de la
stratégie ?) à la suite d'un choix stratégique tranché (ils ont
accepté de choisir avec ses gains et ses risques).
© AIE. Principaux bassins de gaz de schiste (jaune) et de gaz de houille (vert) en Europe.
Autres exemples, c'est celui des gisements d'hydrocarbures
non-conventionnels estimés, espérés en Europe. Il n'y a pas besoin
d'être grand clerc pour se rendre compte que sur la période 2030-2050
la hiérarchie européenne pourrait être bousculée : Hongrie (!),
Roumanie, Pologne et Etats Baltes sont plutôt bien pourvus, tout comme
la France, l'Allemagne et l'Angleterre (mais aussi
l'Ecosse...) et le Benelux.
Dès lors, il y aura une différence sur la scène internationale :
ceux qui en seront et les autres. A l'heure qu'il est, personne ne
parvient à se passer des énergies fossiles, et encore moins de
la promesse d'une énergie peu coûteuse.
Ce n'est pas la première fois que les Etats sont confrontés à de
véritables dilemmes face aux valeurs de leur société, à leurs
orientations historiques face à la mer ou à leurs réticences face à
certaines activités humaines.
Rapidement, on peut par exemple citer le cas de la mer. L'Europe se retrouve confrontée à l'explosion du commerce maritime, et surtout du commerce océanique. Même pour les grandes découvertes il fallait en être pour peser sur la scène internationale. L'idée fait son chemin en Europe (elle l'avait déjà fait pendant l'Antiquité en Grèce) que pour protéger le commerce maritime d'une nation il faut une marine. C'est donc pour cela que Richelieu déclare que pour "tenir son rang" la France doit être présente sur les mers : il lance donc le chantier d'une grande marine de guerre, violent changement impulsé depuis le haut !
Rapidement, on peut par exemple citer le cas de la mer. L'Europe se retrouve confrontée à l'explosion du commerce maritime, et surtout du commerce océanique. Même pour les grandes découvertes il fallait en être pour peser sur la scène internationale. L'idée fait son chemin en Europe (elle l'avait déjà fait pendant l'Antiquité en Grèce) que pour protéger le commerce maritime d'une nation il faut une marine. C'est donc pour cela que Richelieu déclare que pour "tenir son rang" la France doit être présente sur les mers : il lance donc le chantier d'une grande marine de guerre, violent changement impulsé depuis le haut !
La colonisation, à ses différentes époques, s'imposent aussi aux
sociétés européennes, puis mondiales. Ce n'est pas un débat simple, et
pour les nations qui ont l'ambition de compter sur la scène
mondiale, il doit être abordé. En effet, depuis que l'Europe
investit toutes les mers du globe il se mène une "guerre de positions"
pour conquérir de nouveaux territoires pourvoyeurs en matières
premières (mêmes humaines). C'est dans la droite lignée du
développement des marines de guerre.
On pourrait également citer le rôle de l'art dans les instruments de
la puissance puisque tout ces voyages européens et ces guerres de
conquête s'accompagnent régulièrement de pillages pour
garnir les maisons européennes. Quand ce ne sont pas les pays
européens eux-mêmes qui se concurrencent artistiquement : rivalités
franco-italiennes, classicisme français, utilisation de l'art
baroque, etc... La conquête de l'influence, du prestige par l'art
faisait, déjà, l'objet d'une guerre des cerveaux.
Mais il est aussi possible de citer la (première) guerre de l'or noir, au tout début du XXe siècle. La société Technip (qui vient de signer un contrat de plus d'un milliards d'euros au Brésil) est née de l'exploitation pétrolière française en Roumanie (où ses deux créateurs inventèrent l'étude des sols par utilisation d'un courant électrique). C'est en Irak que français, allemand et anglais mènent une guerre de position larvée pour les premiers gisements. Mais c'est en raison de la création du HMS Dreadnought (1906) et du choix de la turbine à vapeur Parson (alimentée en charbon et au pétrole) que Londres exploite les gisements d'Iran1.
Mais il est aussi possible de citer la (première) guerre de l'or noir, au tout début du XXe siècle. La société Technip (qui vient de signer un contrat de plus d'un milliards d'euros au Brésil) est née de l'exploitation pétrolière française en Roumanie (où ses deux créateurs inventèrent l'étude des sols par utilisation d'un courant électrique). C'est en Irak que français, allemand et anglais mènent une guerre de position larvée pour les premiers gisements. Mais c'est en raison de la création du HMS Dreadnought (1906) et du choix de la turbine à vapeur Parson (alimentée en charbon et au pétrole) que Londres exploite les gisements d'Iran1.
Il y eu également l'aventure du nucléaire qui commencent par les
premières recherches sur la radioactivité jusqu'à la course à la bombe
qui commence bien plus tôt que le projet Manhattan aux
Etats-Unis. De même, il est assez intéressant de relire que la Suède
était candidate à la bombe, par exemple. Le nucléaire militaire est un
instrument de puissance. Mais le nucléaire civil aussi
puisqu'il est la promesse d'une énergie peu coûteuse et abondante.
Le regain d'intérêt pour les réacteurs au thorium est la promesse d'une
nouvelle indépendance pour certains Etats (dont l'Inde).
La course à l'Espace était beaucoup plus consensuelle mais tout
aussi importante. Il fallait en être (la France troisième puissance
spatiale de l'Histoire) pour bénéficier des avantages
stratégiques considérables pour le développement des
télécommunications, de l'observation de la Terre, l'exploration spatiale
et l'arsenalisation de l'Espace (un jour).
Ces quelques exemples sont là pour rappeler que les sociétés
humaines ont eu au cours des cinq derniers siècles à choisir s'il
fallait ou non être de telle ou telle aventure. Le choix s'apparente
souvent au prix à payer pour participer à "une guerre de positions" :
impossible de compter si l'on n'a pas les matériaux pour le faire.
C'est-à-dire qu'il faut au moins investir pour investiguer
le nouveau secteur de développement afin de pouvoir apprécier de
quoi on parle (de l'autonomie de décision ?).
Les ressources ou les instruments militaires permettent de
développer un pays comme ils permettent de préserver ce qu'il est. Tout
investissement présente des gains et des pertes : mettre
quelques billets dans un projet implique de ne pas les mettre
ailleurs, et pire, de dévaloriser une autre position. C'est sous cet
angle que l'on peut aussi aborder la question des hydrocarbures
non-conventionnels. Ils peuvent s'ajouter à la longue liste des
instruments de puissance d'un Etat.
Enfin, remarquez que bien des instruments de puissance, si ce n'est la totalité, nécessite l'intervention directe de l'Etat pour les construire ou au moins encadrer leur exploitation et/ou assurer la sûreté des approvisionnements.
Enfin, remarquez que bien des instruments de puissance, si ce n'est la totalité, nécessite l'intervention directe de l'Etat pour les construire ou au moins encadrer leur exploitation et/ou assurer la sûreté des approvisionnements.
1 A ce propos, Joseph Henrotin apporte une correction sur la page Facebook
d'AGS : "Attention les p'tits loups lorsque
l'on dit "Mais c'est en raison de la création du HMS Dreadnought (1906)
et du choix de la turbine à vapeur Parson (alimentée en
charbon et au pétrole) que Londres exploite les gisements d'Iran". La
première découverte iranienne, c'est Masjid I Suleiman, en 1908.
Surtout, les discussions britanniques sur les choix de
carburant interviennent après le Dreadnought".
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