29 août 2013

Les six porte-avions de l'étude du 20 juin 1945

© Inconnu. 1941, localisation non-précisée (les Antilles ?).


L'étude du 20 juin 1945 proposait par la Marine nationale exposait la vue de l'état-major quant à la reconstruction de la Flotte pour l'après-guerre. Les six porte-avions (d'escorte) demandés dans ce cadre peuvent apparaître comme hors de propos avec les contingences d'une France libérée et à reconstruire. Le détail des l'étude présente plutôt un état-major de la Marine très pragmatique.

Le Comité de Défense nationale (16 décembre 1943 - 2009) décide, le 2 octobre 1944, d’entreprendre l’examen de la composition des forces armées d’après-guerre (Jean Doise et Maurice Vaïsse, Diplomatie et outil militaire 1871 - 1969, pp. 389 et s. cité dans Philippe Quérel, Vers une Marine Atomique – La Marine française (1945-1958)). La Marine s’y attèle par la production d’une série d’études et de projets. Le vice-amiral Lemonnier, chef d’état-major général de la Marine (18 juillet 1943 - 12 janvier 1949), remet ainsi à Louis Jacquinot, secrétaire d’Etat à la Marine (9 novembre 1943 - 22 octobre 1947), un rapport intitulé « Statut naval d’après-guerre », suivi le 28 juin par un projet d’ordonnance.

Par la suite, le 4 juin 1945, le même Comité de la Défense nationale (16 décembre 1943 - 2009) prend une série de décisions concernant l’organisation future des forces armées. La Marine doit établir ainsi un « Projet de Réarmement Naval et Aéronavale » pour la période du 1er juillet 1945 au 31 août 1946. A cette date, il s’agit autant de réorganiser la Défense nationale que de poursuivre la Guerre contre le Japon, de protéger les voies de communication, notamment celles avec l’Empire, d’assurer la police dans les eaux de celui-ci et d’apporter son concours à une force internationale. Le pivot de cette organisation sera une Force d’Intervention constituée (Philippe Quérel, Vers une Marine Atomique – La Marine française (1945-1958), p. 48) de :
  • 2 cuirassés,
  • 4 porte-avions de combat, 
  • 6 porte-avions d’escorte, 
  • 12 croiseurs (6 lourds, 6 légers), 
  • une trentaine de torpilleurs ou escorteurs rapides, 
  • une trentaine de sous-marins océaniques.
Ceci nécessite une Marine de 400 000 tonnes, soit la moitié des 800 000 avant guerre jugées alors indispensable au cours de l'entre-deux-guerre, bien qu'il convient de noter que l'équilibre des forces (navales) a été totalement modifié au cours même de la Deuxième Guerre mondiale. La France se contente de deux cuirassés de 35 000 tonnes en 1945 (les Richelieu et Jean Bart) là où le traité naval ( 6 février 1922) issu de la conférence navale de Washington (12 novembre 1921 - 6 février 1922) allouait 175 000 tonnes de cuirassés (5 x 35 000 tW) en 1922.

150 000 tonnes de porte-avions (quatre de 23 000 tonnes et six d’escorte, p.49) qui tranchent avec les 60 000 tonnes alloués à la France par le traité naval ( 6 février 1922). Ces porte-avions doivent permettre de constituer deux task forces, échelle d’organisation des forces navales héritée de la guerre du Pacifique, entre autre. L’état-major général de la Défense nationale tire les leçons du conflit : « Quatre ans de guerre aéronavale ont montré que le navire porte-avions ne devrait pas être considéré comme un auxiliaire mais comme une pièce maitresse d’une flotte » (Philippe Quérel, Vers une Marine Atomique – La Marine française (1945-1958), p. 55).

Jean Moulin, Lucien Morareau et Claude Picard (Le Béarn et le Commandant Teste, Rennes, Marines éditions, 1996, pp. 160-161) donnent le détail des six porte-avions d'escorte de l'étude de juin 1945 :
  • le Béarn (2 flottilles, premier porte-avions français),
  • le Dixmude, (1 flottille, porte-avions d’escorte donné à la France par les Alliés), 
  • le Commandant Teste (1 flottille, ex-porte-hydravions) ; les travaux doivent conduire à lui conférer un pont d'envol continu de 166,50m de long pour 25,30m de large, le hangar aurait eu une hauteur de 7,30 et le bâtiment aurait été prêt dès 1948 selon les estimations,
  • les Duquesne et Tourville (1 flottille, ex-croiseurs) ; refonte envisagée dès 1935 avec quatre variantes étudiées selon que les croiseurs conservent (solutions 1, 2 et 4) ou non (solution 3) l'artillerie de 203mm (Jean Moulin, Les porte-avions Clemenceau et Foch, Rennes, Marines éditions, 2006, p. 18), 
  • le Jean Bart (3 flottilles, ex-cuirassé).

Force est de constater que sur les six porte-avions d'escorte : aucun à construire, que des unités à reconstruire en pont plat ! titre d’exemple, la conversion du Commandant Teste était estimée à 720 millions de francs alors que la construction d’un porte-avions d’escadre moderne est donné pour 4 à 5 milliards de francs. Il est à noter que même la refonte du croiseur de bataille Strasbourg (24 avril 1939 - 27 novembre 1942) en porte-avions fut étudié par le Conseil supérieur de la Marine mais rien n'est dit sur ce qu'il est envisagé, pas même le nombre de flottilles. Il est remarquable que, outre les proches de transformation (1943) ou d'achèvement (1945) du cuirassé Jean Bart en porte-avions, il n'ait pas été considéré de débuter par la coque du troisième Richelieu, le Clemenceau et d'appliquer au Jean Bart les travaux retenus.

La seule exception est le Dixmude entre en service dans la Marine nationale dès 1945, prêté par les alliés. Eric J. Grove (Vanguard to Trident - British Naval Policy since World War Two, Annapolis, Naval Institute press, 1987, 487 pages) rapporte des "arrangements were made shortly after the war to dispose of two redundant escort carriers to the Dutch [problématique de la reprise en main des Indes néerlandaises (Indonésie)] and the French respectively". (p. 17) C'est pourquoi "France wished to purchase the Pretoria Castle" (p. 19) mais le chancelier de l'échiquier et le ministre des transports de guerre insistent pour que le bateau soit reconverti "immediately" en navire de commerce. Plutôt que le HMS Pretoria Castle (181 mètres, 23 450 tonnes, 18 nœuds, 21 aéronefs), la France reçoit le Dixmude (150 mètres, 9100 tonnes, 16 nœuds, 15 aéronefs), ex-HMS Bitter (classe Avenger américaine, quatre bâtiments dont deux en service dans la Royal Navy pendant la Deuxième Guerre mondiale) le 9 avril 1945. L'économie britannique y gagne, la Marine nationale moins.

Il est surprenant que par rapport aux porte-avions d'escorte qu'il était espéré d'obtenir à partir de la refonte ou reconstruction d'unités existantes françaises que l'état-major de la Marine ne semble pas avoir envisagé de proposer l'option britannique. Eric J. Grove relate le sort des porte-avions alors que plusieurs programmes sont d'ores et déjà lancés dont ceux regroupés dans le programme 1942 Design Light Fleet Carrier Program qui comporte les classes Colossus (10) et Majestic (5) avant d'être suivi de la classe Centaur (8). Au sortir de la guerre, la Royal Navy prend plusieurs décisions : abandon de la construction d'un nombre réduit d'unités (4 Centaur, 1 Majestic), transformation de certains ordres (3 Colossus deviennent maintenance carrier (¨HMS Pioneer et Perseus) et repair ship (HMS Triumph) et vente d'autres unités à des marines étrangères (5 Majestic (19 500 tonnes à pleine charge), 7 Colossus (18 000 tonnes à pleine charge). Pourquoi l'état-major de la Marine ne propose-t-elle pas au pouvoir politique de négocier le prêt, la location, voire l'achat de plusieurs Majestic ou Colossus, c'est-à-dire des unités spécifiquement conçues pour servir comme porte-avions et donc non-soumises aux limites d'une conversion plus ou moins réussie ?

Finalement, et dès la fin de l'année 1945 : toutes ces conversions sont peu à peu abandonnées faute de budgets et probablement d'infrastructures. Le Béarn demeurera un transport d'avions (1940 - 1954). Outre le Dixmude, la Marine nationale percevra l’Arromanches (6 août 1946 - 5 septembre 1974) et les sisterships La Fayette (2 juin 1951 - 20 mars 1963) et Bois Belleau (23 décembre 1953 - 12 décembre 1960). Il n'a pas encore été question des quatre porte-avions de combat de l'étude de juin 1945 : seuls les porte-avions Clemenceau (22 novembre 1961 - 1er octobre 1997) et Foch (15 juillet 1963 - 15 novembre 2000) s'approchent le plus possible du besoin exprimé en 1945.

1 commentaire:

  1. 12-14 A pour un Tourville contre 30 pour un La Fayette ; quand au Jean-Bart, son emport (1 seul hangar) possible ne devait pas dépasser de bcp celui de l'Arromanches.
    Finalement, le choix fait fut le plus logique et le plus réaliste.

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