27 novembre 2013

Les deux océans français



La géographie navale de la France, ou plutôt de l'Archipel France, évolue significativement depuis 1989. En guise de préliminaires, il convient de rappeler qu'en France la projection de l'État dans l'espace était marquée par les apparitions successives de menaces continentales contre son existence (des Habsbourg au pacte de Varsovie). Depuis la fin de cette menace continentale en 1989, la France européenne s'entoure de "Longs Murs", analogues à ceux de l'Antique Athènes, par la construction européenne. Cette insularité artificielle rend total le caractère archipélagique de la France, et consacre par ailleurs un Archipel France reposant sur deux océans.

"Plus important encore : la France est le seul pays à être présent sur quatre continents et sur tous les océans du monde. Ni les États-Unis, ni la Chine, ni l'Inde, ni la Russie ne se trouvent dans cette situation, et le Royaume-Uni ne peut plus revendiquer une telle omniprésence. En ce début du XXIe siècle, c'est désormais sur la seule France "que le soleil ne se couche jamais".
Philippe Folliot (député du Tarn) et monsieur Xavier Louy, France-sur-Mer - un empire oublié, Monaco, éditions du Rocher, 2009.
Qu'il est loin le temps où les Mahan, Corbett et Castex pouvaient écrire que le problème naval français se résumait à la problématique des deux façades maritimes. La Flotte se devait de réussir la concentration, clefs de voûte de tout succès contre l'Angleterre.

Comme dit précédemment, il n'y a plus deux façades maritimes (Atlantique et Méditerranée) mais au moins cinq : Atlantique, Antilles, Méditerranée, océans Indien et Pacifique. Pourtant, le paradigme proposé se résumerait assez bien dans une nouvelle répartition schématique non plus en deux façades mais en deux lacs, voire deux océans.

Le premier océan ou le lac partagé de la dissuasion océanique

La première partie, ou premier océan français, est délimitée par les détroits du Cap (Afrique du Sud), de Magellan (Argentine), les canaux de Panama et du Nicaragua (si ce dernier est bien construit), le Canal de Suez (Egypte) et de Béring (Russie - Etats-Unis). Il va s'en dire que toutes les mers particulières ou intérieures sont autant d'annexes à cette même zone. Cette zone représente pour l'essentiel l'Océan Atlantique qui, lui-même, ne représente que la moitié de l'Océan Indien à titre indicatif.

Stratégiquement, il s'agit d'un premier océan français qui est globalement pacifié. Par là, il faut entendre qu'il n'y a pas de risques tangibles d'un affrontement majeur entre grandes puissances (Angleterre, États-Unis, France et Russie) car ces mêmes puissances regardent toutes vers l'Asie. Ce qui ne veut pas dire qu'il n'y a pas de potentiels conflits secondaires (Malouines, Gibraltar, Arctique, Méditerranée, etc...).

Sur le plan naval français, cela entraîne des conséquences majeures. Le constat géographique enlève le besoin d'une marine de guerre aux premières loges. Non pas qu'il n'y ait plus besoin dans ce premier océan de navires de guerre. Les dissuasions océaniques des dites grandes puissances sont notamment mais pas seulement dans ce premier océan français. Présence fuyante car, au moins, Washington et Moscou accroissent leurs forces sous-marines dans le Pacifique au détriment de l'Atlantique. Tout ceci implique une présence navale relative pour contrer les assauts des uns et des autres.

Structurellement, les risques pour les riverains de cet océan français relèvent donc tous, ou presque, des missions de l'Action de l'État en Mer (AEM) et de la régulation des flux en général. Les missions vont de la diplomatie navale et de défense dans le Golfe de Guinée jusqu'à la lutte contre les trafics illicites ou la police des pêches. Les quelques opérations clandestines n'impliquent pas une modification de la répartition des forces autre que ce qui est nécessaire à protection de la FOST.
Par contre, le désir de puissance, bien que freiné, du Brésil, est à prendre en compte au Sud, tout comme le point de passage entre l'Atlantique et le Pacifique par l'Arctique est un enjeu sans cesse plus prégnant.

Cela impliquerait également de penser les structures et moyens de commandement à l'échelle de ce théâtre, le premier océan français, et non plus en fonction de structures héritées d'un âge révolu.

Le deuxième océan français, entre troisième cercle et Grand Jeu

A contrario, le deuxième océan français est compris à l'extérieur des détroits et canaux précités. La surface n'est pas la même car la zone arbitrairement délimitée comprend les deux plus grands océans mondiaux que sont les océans Indien et Pacifique. Le premier océan français en représente, au mieux, le quart.

La France est traditionnellement présente dans la moitié Nord de l'Atlantique et en particulier dans la Méditerranée où elle réalise sa concentration navale depuis 1820 et la charte du baron Portal.

Ce deuxième océan est constituée de nombreuses îles. La métropole n'est pas présente. En fait, il s'agit de constater l'absence d'un ensemble continental majeur français. La Nouvelle-Calédonie constitue la plus grande terre française. Les structures administratives ne sont pas non plus adaptées à penser globalement ces espaces. La majeure partie des 11 millions de km² de Zones Économiques Exclusives (ZEE) françaises sont dans ce deuxième océan français. Cela implique une structuration particulière des forces et des matériels puisque l'espace est le premier défi.

Autre contraste, c'est justement le risque d'affrontement entre grandes puissances, c'est-à-dire entre la Russie, la Chine, le Japon, les États-Unis et l'Inde. Le concept d'arc de crises, portait par le livre blanc de 2008 jusqu'à 2013 rend bien compte des zones de tensions qui vont du Heartland himalayen jusqu'à l'affrontement entre chaînes d'îles dans les océans Indien et Pacifique. Il en découle un risque potentiel d'affrontement entre marines de guerre, et qui plus est, les dissuasions océaniques ne sont pas absentes. Bien au contraire, elles se renforcent tant dans le conventionnel que dans le nucléaire. De nouveaux acteurs s'ajoutent en la matière avec les dissuasions océaniques indienne et chinoise, en plus de celles de Moscou et Washington.

Les moyens navals français prépositionnés (moins de 30 000 tonnes sur une Flotte de 350 000 tonnes) dans ce deuxième océan sont inversement proportionnel aux enjeux présentés (cf. supra). La concentration méditerranéenne de la Flotte en suffit plus à assurer les flux (commerciaux, énergétiques, etc...) régissant l'Archipel France. Le "dilemme de Malacca" de Hu Jintao (29 novembre 2003) se transposerait assez bien au "dilemme de Suez". Paris y répond par le maintien d'une base à Djibouti et l'ouverture d'une nouvelle base à proximité du détroit d'Hormuz.
Il n'y a pas eu de basculement océanique français du premier au deuxième océan comme il y a eu un tel basculement aux États-Unis et en Russie de l'Atlantique au Pacifique.

Cette proposition de paradigme, les deux océans français, tente de mieux rendre compte du caractère global de l'Archipel France, tant dans sa constitution que dans son action.

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