14 novembre 2015

Du discours à la déclaration ?

LP/Humberto de Oliveira
Le Président de la République s'est exprimé les vendredi 13 et samedi 14 novembre sur la série d'attentats qui viennent de frapper la capitale. Nous nous proposons de discuter d'une hypothèse afin d'oser la visite des arcanes des mécanismes constitutionnels mis en œuvre, et sur quoi ils peuvent logiquement déboucher. Nous n'en avons aucunement l'habitude, et nous risquons fort d'être maladroit, nous en avons conscience. Autant le discours, le vocabulaire et les qualifications retenues dans la parole présidentielle que les décisions prises invitent à questionner la réunion du Parlement en Congrès à Versailles lundi prochaine.


Premier acte : la contre-offensive ?


Premièrement, face à l'estimation de la menace, et, nous supposons, de ses conséquences et de ses suites, le Président de la République décide de la proclamation de l'état d'urgence sur l'ensemble du territoire métropolitain (décret pris en conseil des ministres extraordinaire), Corse comprise. Mais pas dans les Outre-mer.

C'est une première depuis la précédente utilisation de ce dispositif (1961-1963). Le général de Gaulle avait eu tendance par finir par maintenir le dispositif par convenance. Par la suite, deux utilisations localisées de ce dispositif eurent lieu pendant les évènements de Nouvelle-Calédonie (1985) et les émeutes dans les banlieues (2005 - 25 départements).

La loi n° 55-385 du 3 avril 1955 relative à l'état d'urgence, en sa version consolidée au 14 novembre 2015, n'est pas qu'un simple dispositif technique. Initialement, avant une ordonnance de 2004, cette loi renvoyait, en son article 10, à la loi du 11 juillet 1938 sur l'organisation générale de la nation pour le temps de guerre. Le ton était donné. Pendant 12 jours, renouvelables par une loi, le gouvernement s'autorise des mesures administratives pour perquisitionner de jour comme de nuit, assigner à résidence, confisquer les armes de première, quatrième et cinquième catégorie (loi du 11 juillet 1938) ou encore fermer des lieux publics, le contrôle des médias. 

L'État est plus que jamais au premier plan, comme détenteur du monopole de la violence (Max Weber). Mais encore, un certain nombre de libertés individuelles peuvent être réduites localement et temporairement, tant les libertés d'expression que de réunion ou encore, de circulation. 

Deuxièmement, le contrôle aux frontières, après un bref épisode de fermetures totales dans la nuit du 13 au 14, est instauré. C'était prévu pour l'organisation de la conférence COP21, c'est mis en place quelques jours en avance, en accord avec le traité de Schengen, et en coopération active avec nos voisins. La Police Aux Frontières et les Douanes retrouvent leur rôle dans un État westphaliens.
Disons les choses : nous sommes proches d'un état que nous nommons plus habituellement "la loi martiale". Ce qui pourrait être qualifiée de "contre-offensive" donne les moyens au gouvernement de tenter de reprendre l'initiative alors que les assaillants l'ont pour eux, avec la surprise. Sont-ce les leçons tirées des attentats du 7 janvier ?

Soulignons, pour conclure cet acte, que cet état d'organisation des pouvoirs publics est particulièrement exceptionnel car la marche suivante est le recours à l'article 16 de la Constitution : "Lorsque les institutions de la République, l'indépendance de la Nation, l'intégrité de son territoire ou l'exécution de ses engagements internationaux sont menacés (1) d'une manière grave et immédiate et que le fonctionnement régulier des pouvoirs publics constitutionnels est interrompu, le Président de la République prend les mesures exigées par ces circonstances, après consultation officielle du Premier ministre, des Présidents des Assemblées ainsi que du Conseil constitutionnel.
Il en informe la Nation par un message.
"

Deuxième acte : la formation du duel

À la sortie du conseil restreint de Défense du 14 novembre, le président s'exprime une troisième fois devant les français. Dès ses premiers mots, il qualifie les attentats d' "acte de guerre" ("préparé, organisé de l'extérieur avec des complicités intérieures que l'enquête permettra d'établir"). Cette sémantique n'est pas nouvelle depuis des années, depuis que la sémantique militaire est employée à outrance, mais prend une tournure particulière quand elle est employée par le chef des Armées.

"Une armée terroriste". Le Président ajoute Daech et djihadistes à ce qualificatif. Nous sommes dans l'analyse schmittienne : il nous faut désigner l'ennemi. Le Président le fait. Mais pour Julien Freund, l'ennemi nous désigne, et il l'a bien fait car l'ensemble des attentats visaient le parcours des manifestations de janvier, entre République et Nation, mais aussi le Stade "de France", comprenant 80 000 citoyens, le Président et la sélection nationale. Dans la trinité clausewitzienne, le peuple est le premier visé, le gouvernement presque à peine.

Deux mécanismes sont dès lors à l'œuvre. Le premier est le mécanisme de l"interaction. L'ennemi nous agresse, et lui répondre permet la formation de deux camps, l'instauration du duel. La dialectique des volontés s'instaure dès lors puisque le Président reconnaît l'attaquant et le nomme par l'une des expressions usuelles le désignant.

Troisième acte : la déclaration de guerre ? 

Au cours de même allocution, le Président annonce la réunion des deux chambres du Parlement en Congrès à Versailles. Il y prononcera lundi une déclaration.

Deux suppositions peuvent être proposées quand à cette réunion rapide du Congrès. La première est d'afficher l'unité nationale, pour ne pas dire l'union sacrée qui sera peut-être recherchée comme en janvier. La déclaration du Président peut donner lieu à un débat mais il ne peut être sanctionné par un vote. 

La deuxième idée est de s'étonner de la réunion du Congrès. Habituellement utilisé pour ses deux autres fonctions, un projet de révision constitutionnel ou l'adhésion d'un nouvel État membre à l'Union européenne, le Parlement n'avait été ainsi réuni qu'une seule fois pour entendre le Président Sarkozy s'exprimer en 2009. 

Une explication pourrait être que, dans un mécanisme d'ascension aux extrêmes, le Président puisse - entre autres hypothèses, nous choisissons d'en instruire l'étude d'une seule -, proposer une déclaration de guerre. Cela peut et ne peut pas se faire devant le Congrès. Le Président peut décider seul de l'intervention des forces armées, la prolongation d'une opération extérieure durant depuis quatre mois doit recevoir l'approbation du Parlement. À l'occasion, il pourrait prononcer une déclaration de guerre. Reste l'option d'engager le débat sur ce thème, et, ensuite, de proposer un vote devant l'une des chambres dans la semaine au titre de l'article 50-1 de la Constitution. 

Ce qui amènerait, dans pareille hypothèses, à deux dilemmes particulièrement difficile. Le premier a trait à la nature du groupe armé non-étatique "Daech". Est-ce un État comme il le prétend ? Carré de Malberg (Théorie générale de l’État (1921)) en propose la définition suivante : "communauté d’hommes, fixée sur un territoire propre et possédant une organisation d’où résulte pour le groupe envisagé dans ses rapports avec ses membres une puissance suprême d’action, de commandement et de coercition". Déclarer la guerre, au sens juridique du terme, pour s'en donner les moyens institutionnels, reviendrait à consacrer un statut politique sur la scène internationale à ce groupe. Et répondre à sa demande de reconnaissance. 

Deuxième dilemme, cela poserait un difficulté en droit international. Le système de sécurité collective de l'ONU repose sur confiscation de la compétence de guerre de ses États membres au profit du conseil de sécurité. La guerre n'est pas "interdite", elle est réservée aux cas de légitime défense et de décision d'emploi de la force armée au titre du chapitre 7 de la charte des Nations unies. Dans un cas comme dans l'autre, le système vise à restreindre l'emploi de la guerre et en confier le contrôle au conseil de sécurité. Aussi, la légitime défense ne peut-être ouverte que par le fait d'une agression armée. Ce cas n'est ouvert qu'aux États. Et déclarer la guerre à l'EI, ce serait reconnaître la désétatisation mais aussi la démilitarisation de l'agression armée au profit d'un groupe armé non-étatique. Une première lourdes de conséquences sur la stabilité de l'ordre international issu des institutions mise en place en 1945. 

Ceci ne vise qu'à souligner une certaine montée aux extrêmes dans le vocabulaire guerrier employé. Il faut et il est certainement nécessaire de mobiliser la Nation. Il nous semble que nous avons plus qu'engager le duel avec ce groupe. Beaucoup de nos analystes et autres plus passionnés nous mettent en garde contre une réaction trop passionnée, tant à l'intérieur qu'à l'extérieur de nos frontières.


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