12 janvier 2016

LRU naval : Action Vers la Terre ou contre-révolution ?

 © Airbus DS.

Nous rebondissons, grâce à une récente étude, sur la difficile frontière entre ce que la Marine nationale nomme l' "Action Vers la Terre" et l'entretien de dispositifs opérationnels s'apparentant plutôt à des bases aéroterrestres flottantes. La frontière est intéressante car le basculement d'un territoire à l'autre correspond à l'émergence d'une stratégie navale délaissant les modes d'action terrestre car l'évolution des armements (invention et diffusion du canon) nécessitait des tactiques radicalement différentes.

Le fait d'actualité est l'étude achevée par Airbus DS. Demandée à l'origine par la DGA, elle visitait le chantier d'une navalisation de la conduite de tir EFCS (European Fire Control System) du LRU (Lance Roquette Unitaire). S'il ne s'agit pas d'une navalisation pure et simple du matériel, avec l'embarquement des munitions ou du lanceur pour intégration sur navires de combat, ce serait une avancée notable. 

Selon l'entreprise, "l’étude a traité la question du fonctionnement de la conduite de tir EFCS (European Fire Control System) en mouvement avec différents états de mer et a examiné les évolutions à réaliser pour permettre l’initialisation du système et de la munition". Avec l'appui des sociétés Sagem et KMW, "l’étude a établi la faisabilité d’une telle évolution sans modification matérielle majeure et proposé une feuille de route vers une démonstration".

Ce serait introduire une PGM dans l'AVT : "La possibilité d’utiliser le LRU depuis un BPC ou de navires équivalents pour des tirs de roquettes guidées M31 GMLRS (Guided Multiple Launch Rocket System) vers la terre est militairement très intéressante. La roquette GMLRS offre en effet une portée (plus de 75 km) et une précision terminale (moins de 5 m d’erreur) bien supérieures aux moyens d’appui-feu naval encore disponibles au sein des marine européennes.

Cette étude n'est pas sans rappeler le franchissement du canal de Suez par le Dixmude dont la protection était renforcée par la mise en œuvre d'un VBL sur le pont d'envol (ou champ de manœuvre ?). 

Pour combattre dans la fameuse bande littorale des 200 km où réside 80% de la population mondiale, la Marine dispose de ces moyens :

  • l'artillerie navale (76 et 100mm) : limitée par sa portée, l'absence de munitions guidées à longue portée ;
  • le missile anti-navire Exocet MM40 Block III d'au moins 180 km de portée et pouvant frapper des cibles littorales - mais ne disposant d'aucune capacité de navigation digne d'un missile de croisière ;
  • le MdCN (Missile de Croisière Naval) qui permet une frappe d'objectifs stratégiques (environ 1000 km). 
Entrer l'obus de 76 ou de 100 et les missiles anti-navire et de croisière, il y a un vide que seul le déploiement d'un groupe aéromobile ou aéronaval peut combler. Le groupe aéromobile, en particulier, met en oeuvre par ses hélicoptères toute une gamme de munition bien plus apte à discriminer et harceler l'adversaire, là où des missiles AN et de croisière sont disproportionnés.

L'opération Harmattan était un exercice pratique très révélateur des lacunes en la matière qui sont loin d'être franco-françaises. Par ailleurs, elles rejoignent d'autres failles constatées en matière de défense à très courte portée des unités navales (françaises). L'arrivée des tourelles Narwhal sont un début de solution. Mais il est loin d'être suffisant car face à une guérilla, techno-guérilla ou des engins "kamikaze", il demeure une zone de menaces entre 2000 et, disons, 30 000 mètres. Des missiliers étudient l'emploi de missiles, à l'origine anti-aérien, dans des frappes contre embarcations légères. 

Nous sommes dans un ensemble de "territoires opérationnels" aux frontières poreuses entre la défense à très courte et moyenne portée des navires contre des menaces maritimes, voire terrestre, l'Action Vers la Terre pour influencer le sort d'un débarquement ou d'une bataille (Harmattan, 2011) et, enfin, l'entretien d'une force aéroterrestre à la mer. 

Un LHD (Landing Heliport Dock) - dont le BPC français s'inspire grandement - vise dans l'actuelle doctrine navale américaine à pouvoir mettre à terre un corps aéroterrestre autant par la voie navale qu'aérienne. Cette unité amphibie est à la croisée entre la base terrestre et l'unité navale. Sauf que lors des manoeuvres d'utilisation du radier, l'unité navale, par nature mobile, s'immobilise. 

Renforcer ses capacités d'Action Vers la Terre par l'utilisation à bord de matériels d'artillerie terrestre ramène notre stratégie navale à la situation d'avant la révolution introduite par le canon. Il ne s'agit plus de combat naval mais de combat d'infanterie en mer appuyé par quelques pièces d'artillerie. Ajoutez à cela des moyens de défense à très courte portée, souvent des navalisations de pièces terrestres, et vous obtenez un renouveau des châteaux flottants.  

Il existe quelques exemples de l'utilisation de péniches fluviales pour offrir une forte mobilité à de l'artillerie, tout comme l'adjonction de moyens d'artillerie à des chalands de débarquement. Il resterait à étudier l'intégration de munitions terrestres dans des silos verticaux ou des caissons à engins - pour reprendre l'essence du MLRS -, mais aussi le déploiement à bord de frégates et unités amphibies d'hélicoptères de combat terrestres. Des voies dans lesquelles le navire conserve sa mobilité.

La bande littorale est une interface où s'affronte deux volontés politiques. L'occupation des espaces maritimes et littoraux peut voir, pour porter l'influence de la Mer sur la Terre, l'utilisation d'une large gamme de munitions et de navires pour s'adapter aux conditions particulières de ces zones. Il est aussi imaginable, pour durer, non plus sur des mois mais des années, d'occuper des îles (ancienne méthode) ou d'en créer des artificielles (nouvelle méthode). Néanmoins, la puissance navale qui s'enchaîne à la Terre devient hautement vulnérable à celle-ci si elle perd ses capacités de manœuvre. La bataille de l'Écluse (23 juin 1340) démontrait - avant le canon ! - la supériorité de la manœuvre navale sur la transposition à la mer du combat terrestre.
 

4 commentaires:

  1. "dont la protection était renforcée par la mise en œuvre d'un BPC sur le pont d'envol" Là, je crois que j'ai raté un épisode :-D
    L'utilisation d'un LRU sur un BPC me laisse songeur. En effet, si une telle capacité sur des navires de type corvette-AVT me semble pertinente, je ne vois pas vraiment l'utilité d'une telle arme sur un BPC.
    En effet, intégré à une corvette, un lance-roquette est une arme puissante. Le navire, une corvette est adaptée par sa capacité à manoeuvrer. En revanche, un BPC n'a pas pour vocation d'opérer si proche des côtes. Placer un tel navire à 50 ou 60km des côtes le met en danger dès que les forces contrôlant le littoral disposent d'armes anti-navire. Avec les EDAR et autre CTM-NG, ces navires à haute valeur sont fait pour opérer plus loin.
    Risquer un BPC et son chargement si près des côtes pour bombarder est un risque qui me semble disproportionné.

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  2. "Cette étude n'est pas sans rappeler le franchissement du canal de Suez par le Dixmude dont la protection était renforcée par la mise en œuvre d'un BPC sur le pont d'envol (ou champ de manœuvre ?)."
    Un VBL sur le pont d'envol ;o)
    L'idée n'est pas nouvelle, les allemands avaient un temps étudié la mise en place d'une tourelle de Léopard sur des frégates...
    Bonne journée

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  3. Je me souviens d'une conversation sur la faisabilité de tirer avec un Caesar depuis le pont d'un BPC.

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