19 février 2016

"L'OTAN au XXIe siècle - La transformation d'un héritage" d'Olivier Kempf


Nous n'avions pas pris la peine de parcourir la première édition du livre d'Olivier Kempf mais nous réparons notre erreur quant à cette deuxième édition. L'auteur nous dit qu'il y a bien des choses maritimes à relever dans cette grande affaire. Dans une période où, depuis 2007 et les nombreuses crises touchant toute ou partie du système occidental, la stratégie politique française, pour reprendre le vocable de Castex, choisissait de revenir au commandement intégré de l'OTAN tandis que le débat s'enlise entre défense européenne et défense de l'Europe. Dans un cas comme dans l'autre, les Européens sont incapables d'assurer une défense aux frontières tandis que les Américains regardent ardemment vers le Pacifique. 


Après l'introduction, le premier chapitre nous narre pourquoi la naissance de l'Alliance atlantique. D'une certaine manière, ce cheminement diplomatique conduit à recréer l'alliance des démocraties de la deuxième guerre mondiale. Il s'agit d'une part d'instaurer, dès le temps de paix, une organisation militaire capable de tenir le choc tandis que la profondeur stratégique des deux principaux alliés, le Royaume-Uni et la France, demeure si ténue, voire encore plus réduite que pendant l'épreuve précédente. Mais pour relancer l' "arsenal des démocraties", soit les Etats-Unis d'Amérique, qui sortent considérablement renforcer du dernier conflit mondial, les européens doivent parvenir à faire tomber l'isolationnisme américain. C'est-à-dire que pour éviter l'échec du traité de Versailles, brûlant dans les mémoires françaises, les européens du traité de Dunkerque (4 mars 1947, Royaume-Uni et France) puis de Bruxelles (17 mars 1948, la Belgique, le Luxembourg et la Hollande se joignent aux deux premières parties) s'engagent finalement dans l'Union de l'Europe Occidentale. La résolution Vandenberg de juin 1948 sanctionne ce volontarisme européen. Le Sénat américain décide de sortir les Etats-Unis de l'isolationnisme en acceptant une alliance militaire dès le temps de paix : signature du traité de l'Atlantique Nord le 4 avril 1949 (les cinq de Bruxelles sont rejoint par le Canada, le Danemark, les Etats-Unis, l'Islande, la Norvège et le Portugal).

Dès lors, il s'agit d'une alliance maritime.Le centre de gravité de l'Alliance consiste alors dans le lien transatlantique, illustré, par exemple, par la Flotte de la IVe République alors force navale de protection des routes maritimes et de lutte contre le péril sous-marin. 

L'Alliance n' "a aucune limite nord, quand une limite sud est donnée ("au nord du tropique du Cancer")." (p. 32) L'espace euratlantique n'empiète pas sur l'autre versant de la doctrine Monroe (non plus l'isolationnisme mais le "pré-carré" étasunien en Amérique latine). Au demeurant, une partie de l'US Navy continue de transite au Sud du tropique du Cancer pour ne pas à avoir à informer l'Alliance des croisières de ses navires. L'auteur souligne qu'il était question d'étendre l'Alliance au Sud de l'Atlantique (Brésil, Argentine et Afrique du Sud) au début des années 1980, s'il ne le précise pas c'était très certainement sous la pression des marines soviétiques depuis que les manoeuvres Okean soulignaient son rayonnement mondial. 

Notons que la participation des membres du Bénélux dès le traité de Bruxelles peut être interpréter de deux manières : d'une part, c'est très manifestement le péril allemand, toujours craint, en particulier des français, mais, d'autre part, c'est le "pistolet" pointé sur l'Angleterre depuis les guerres d'avec la Hollande et surtout la France. 

En 1949, le choix du Portugal au détriment de l'Espagne illustre une autre querelle entre deux puissances maritimes, la Royal Navy et l'Armada. Toutefois, c'est aussi un moyen d'ajouter à la liste des prises de l'Alliance les Açores qui commandent la limite Sud de l'Altantique Nord. Sur l'autre versant de ce "bassin", l'Island et le Danemark permettent de contrôler les sorties de la flotte du Nord soviétique tandis que le territoire danois commande à lui seul la sortie de la Baltique. La Norvège ferme le dispositif. 

Olivier Kempf remarque ce que nous qualifions d'occasion historique perdue : la connivence entre le Canada et la France car le premier craignait de se retrouver en tête-à-tête avec les Etats-Unis. La France manquait d'exploiter au couple Londres-Washington un antagoniste qui aurait été Paris-Ottawa, solidarisé par la question du Québec. "La négligence maritime française puis le retrait de 1966 mirent fin à cette esquisse." (p. 33)

1955 est l'année du basculement continental de l'Alliance atlantique car, avec l'adhésion de la République Fédérale Allemande, la continuité territoriale lie ses membres terrestres principaux. Les liaisons ne sont plus principalement maritimes. "L'enjeu constitue désormais le rimland, cet espace intermédiaire entre les coastlands et le heartland. Le dispositif géopolitique se pense désormais sur terre." (p. 36) C'est-à-dire que "L'affrontement aura donc lieu au nord de l'Europe, par terre, pour atteindre au plus vite les estuaires rhénans et meusien." (p. 36) C'est également l'apparition d'un deuxième axe symétrique au premier, Etats-Unis/Royaume-Uni : l'axe Etats-Unis/Allemagne. "L'alliance est désormais organisée le long de deux lignes de forces géographiques, l'une maritime, l'autre continentale." (p. 37)

La nouvelle grande affaire maritime qui touche à l'extension territoriale de l'Alliance réside en Méditerranée. L'admission de l'Italie (1949) permet de commander le passage d'un bassin à l'autre de la mare nostrum qui demeurera longtemps un lac otanien, jusqu'aux croisières de l'Eskadra, à tel point que Rome envisageait des navires de surface porteurs de missiles Polaris. Les adhésions de l'Espagne (1982) mais surtout de la Grèce et de la Turquie (1952) confirmaient cet état de fait par la prise du bassin oriental de la Méditerranée. Les éventuelles adhésions de Chypre et de Malte ne seraient pas sans poser quelques difficultés, notamment en raison des traités qui lient, par exemple, Malte à son ancien rôle de point d'appui naval commandant le passage d'un bassin à l'autre de la Méditerranée (voir Le Désarmement naval d'Hervé Coutau-Bégarie (1994).

Entre parenthèses, l'autre échec maritime français dans l'OTAN est l'affaire du Commandement Sud qui, traditionnellement, revient à un officier américain commandant également la VIe flotte. Le Président Jacques Chirac tente d'échanger le retour de la France dans le commandement intégré contre une nouvelle organisation de l'OTAN : première tentative avec un "super-SACEUR" s'occupant des affaires euratlantiques avec un adjoint atlantique et un adjoint européen (du pilier européen dans l'Alliance ?), deuxième tentative avec le commandement Sud (pp. 160-163). 

A la sortie du conflit Est-Ouest (1947-1991), l'OTAN et l'Alliance atlantique survivent mais se développent. Les marges de l'Europe (pp. 267-311) sont encadrées par le Dialogue Méditerranée (Maroc, Mauritanie, Algérie, Tunisie, Egypte, Israël et Jordanie), l'Initiative de coopération d'Istamboul (Bahreïn, Qatar, Koweït et les Émirats Arabes Unis) et le Partenariat pour la paix (l'Europe au sens du Conseil de l'Europe). 

L'idée d'une OTAN globale n'est pas nouvelle. Il était évoqué d'étendre l'Alliance atlantique jusqu'à la partie Sud de cet océan. Régulièrement, les adhésions d'autres anciens dominions britanniques (Australie, Nouvelle Zélande) ou encore du Japon apparaissaient dans les débats. C'était aussi les idées d'une ligue des démocraties (2004) ou d'une communauté des pays industrialisés voulue par Zbigniew Brzeziński (Technétronique aux éditions Calmann-Lévy, 1970). L'OTAN demeurera-t-elle une organisation régionale ou ses membres se risqueront-ils à créer une organisation internationale apte à concurrence l'ONU ? Ce serait, que le fondement soit la démocratie libérale ou bien l'économie industrielle, post-industrielle ou technétronique, une sorte de nouvelle Sainte Alliance.

Tout comme la poussée hauturière soviétique puis la fin du conflit Est-Ouest invitent l'OTAN à considérer d'autres menaces, dont les menaces maritimes touchant, par exemple, au Nord de l'Océan Indien. L'Opération Active Endeavour (OAE) est selon Olivier Kempf "un instrument qui pourra permettre à l'OTAN de s'étendre dans deux domaines : une direction géographique (la Corne de l'Afrique et donc un centre terroriste potentiel) mais aussi un champs de sécurité économique, celui de la sécurité des approvisionnements énergétiques." (p. 370) 

OAE pourrait "préfigurer des missions plus globales de surveillance de la situation maritime (p. 370) dont le principe est en cours de débat à l'OTAN" (Sénat, Rapport n°405, 2007, p.25 - p. 370) Cette mutualisation des efforts des outils maritimes otaniens s'appuieraient sur trois arguments : la démilitarisation navale issue des coupes budgétaires empêchant, notamment, d'assurer les engagements dans les SNMG, la maritimisation continue des affaires mondiales (depuis le XVe siècle) et le rôle de pivot de la partie Nord de l'océan Indien (ce que soulignaient Olivier Chantriaux et Thomas Flichy de la Neuville dans Le basculement océanique mondial, Lavauzelle, 2013). 

Si cela motiverait certains à proposer une nouvelle stratégie maritime de l'Alliance, il manque une collusion entre ce constat et le projet d'une One thousand navy ships de l'US Navy. L'idée d'une Alliance atlantique devenue globale n'irait pas sans un nouvel effort maritime comparable aux marines conçues dans l'après-guerre pour remporter une nouvelle bataille de l'Atlantique. Tout comme cela poserait la question de la solidarité entre les zones de libre-échanges voulues par les Etats-Unis des archipels du Sud-Est de l'Asie jusqu'aux Etats membres de l'Union européenne. Les européens s'engageraient-ils face à la Chine, et les asiatiques face à la Russie ? Dans un cas comme dans l'autre, le Nord de l'Océan Indien semble être définitivement le pivot que l'OTAN demeure une ou se double, à nouveau, d'une jumelle asiatique. 

Oui, nous ne pouvons que conseiller cet ouvrage qui conserve toute sa pertinence pour analyser le rôle de l'Alliance atlantique, ses spécificités dont sa permanence dès le temps de paix, notamment par une organisation militaire intégrée et sa survie alors que l'ennemi d'hier a disparu.


Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire