17 avril 2016

Entretien avec Paul Mullié - L'évolution des moyens et du cadre d'action de la MAPL

 
© Inconnu. J-15 sur le pont d'envol du Liaoning.
 Paul Mullié est titulaire d'une licence de géographie (Institut de Géographie Alpine/Institut d'Urbanisme de Grenoble). Au sein de l'université Jean Moulin (Lyon III), il obtenait son master I (Relations Internationales, Sécurité et Défense) en soutenant un mémoire sur la marine chinoise ("La marine chinoise du XXIème siècle : posture défensive ou stratégie hégémonique potentielle?"). En deuxième année de master (Relations Internationales et Diplomatie), son deuxième mémoire portait sur "Le concept d'universel en sciences sociales et sa transposition en relations internationales par l'universalisme." 


La MAPL échange-t-elle un paradigme très axé sur la lutte anti-sous-marine pour un autre centré sur l'action aéronavale et aéroamphibie ?

           Pas complétement, alors certes la MAPL s’oriente progressivement vers la force aéronavale, mais en fait je ne pense pas qu’elle ait précédemment été axée sur la lutte anti-sous-marine. Si en effet le cœur de la MAPL était sa flotte de sous-marins, ils n’avaient, selon l’interprétation que j’en fais, pas pour vocation principale la lutte anti-sous-marine mais plutôt celle contre les navires de surface. En effet là où la principale mission de l’Armée Populaire de Libération était de défendre et sauvegarder l’intégrité territoriale continentale de la Chine contre une éventuelle invasion, celle de la marine était donc de défendre les côtes contre un éventuellement débarquement et/ou un « enfermement ». (Cela une fois la reconquête des îles nationalistes achevée, à l’exception de Taïwan .) Cela était justifié notamment par la peur du voisin soviétique et par le traumatisme d’un siècle d’humiliation depuis la guerre de l’Opium jusqu’à l’occupation japonaise, ou le continent a été vaincu par des ennemis venus des mers.

           Cependant, l’intégrité territoriale de la Chine étant aujourd’hui globalement assurée et la crainte d’une invasion disparue, la MAPL change de posture et a maintenant pour mission la protection des routes commerciales et l’appui de ses différentes revendications territoriales insulaires. Il y a donc bien une réorientation vers un paradigme de projection de puissance à l’aide de la force aéronavale.


Pourriez-vous nous indiquer dans quelles conditions est forgé le ou les porte-avions chinois ?

           Le long processus d’acquisition d’un porte-avions par la marine chinoise a été le résultat de l’influence de l’Amiral Liu Huaqing qui a fortement milité au sein des institutions militaires de la RPC pour développer un tel projet. Concrètement la réalisation de celui-ci s’est faite en plusieurs étapes et à travers l’achat de quatre porte-avions. Tout d’abord le HMAS Melbourne, en 1985, dont la Chine s’est chargé du démantèlement, en acquérant très probablement au passage les principes de base de son ingénierie. Ensuite les porte-avions russes le Minsk et le Kiev, en 1998 et en 2000, ont été transformés en centre d’amusement pour le premier et en base d’éducation au sein d’un parc à vocation militaire pour le second. L’acquisition décisive sera finalement celle du Varyag auprès de l’Ukraine. Cet ancien navire soviétique dont la construction n’a jamais abouti (pas de moteurs ni d’armements), est livré en 2002 à Macao pour être transformé en casino flottant. Il sera finalement rénové et devient en 2012 le premier porte-avions chinois. Il est initialement baptisé Shi Lang, nom très symbolique de l’amiral ayant conquis Taïwan au XVIIème siècle, avant d’être finalement rebaptisé plus sobrement après la province du Liaoning.

           Le Liaoning est de taille plus importante que le Charles de Gaulle, mais inférieure aux navires de classe Nimitz américains. De classe STOBAR (Short Take Off But Arrested Recovery), il n’est pas doté de systèmes de catapultages et bénéficie donc d’une polyvalence moins importante que les navires Américains, Français et Brésiliens. Et enfin il est équipé d’un système de propulsion conventionnel, laissant encore une fois la propulsion nucléaire aux seuls Marine Nationale et US Navy.

           La MAPL possède donc un porte-avions mais ce navire n’est pas de conception chinoise. En revanche la Chine construirait tout de même au moins deux autres navires, très certainement sur le modèle de Liaoning, dont un a été officiellement confirmé par les responsables militaires de RPC.

           Si la Chine est entrée dans le club relativement fermé des nations dotées de porte-avions, la « simple » acquisition d’un navire puis la construction d’un second ne suffisent pas à renverser l’équilibre des forces. En effet l’adoption de tels appareils nécessite une grande capacité d’adaptation opérationnelle et une refonte générale de l’organisation militaire. Cela prend du temps et c’est la raison pour laquelle le Liaoning a principalement servi à l’apprentissage et à l’entraînement de la MAPL dans un domaine où la suprématie américaine reste écrasante et incontestable.


A contrario, les SNLE et les SNA ne semblent pas bénéficier du même effort politico-opérationnel ?

           En effet le développement des sous-marins nucléaires semble moins mis en avant. Ils ont sans doute quelque peu fait les frais d’une lutte d’influence en interne pour décider quelle orientation donner à la MAPL, à la stratégie maritime en générale, fondée autour d’une force aéronavale ou alors autour des sous-marins. Mais certainement aussi que le développement de ce genre de navire est moins médiatisé, puisque moins symbolique et marquant pour l’opinion générale.

           Cependant, je pense que sa flotte de sous-marins reste la principale force de la MAPL. En effet la modernisation et la refonte de la marine chinoise engagée depuis maintenant plus d’une vingtaine d’années touche tous les secteurs de la marine. Ainsi la Chine est passée d’une flotte de deux SNLE à six, avec un septième navire prochainement livré, et les chiffres sont identiques pour les SNA avec cette fois trois sous-marins encore attendus. Il est surtout important de constater, au-delà des chiffres, qu’il s’agit de l’arrivée de nouveaux modèles plus modernes. (SNA type 093, classe Shang ; SNLE type 094, classe Jin.)

           Concernant les sous-marins traditionnels, leur nombre a fortement décru avant de connaître une nouvelle hausse plus récemment. Cela s’explique par le retrait de modèles obsolètes avant l’acquisition d’engins modernes, tantôt de fabrication chinoise, tantôt d’importations étrangères, notamment avec l’achat de nombreux sous-marins russes de classe Kilo.
Enfin, pour répondre à la question il est tout de même important de préciser que le développement de l’aéronaval n’est pas incompatible avec celui de sous-marins nucléaires et peut ou peut-être même doit se faire conjointement. Ils répondent en effet à des objectifs différents, et parce que si les groupes aéronavals accompagnant les porte-avions français et américains comprennent la présence de SNA, il y a fort à parier qu’il en sera de même pour ceux chinois. 


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