21 avril 2016

Le porte-avions, combien de siècles ?



© Inconnu.
Nous entendons ce déclassement annoncé du porte-avions (CATOBAR s'entend) comme pièce maîtresse des marines de guerre. Il n'est pas nouveau. Souvenons-nous qu'à l'heure de l'introduction de l'atome dans les Flottes, les adversaires du supercarrier avaient eu raison de l'USS United States aux États-Unis (voir à ce sujet COUTAU-BÉGARIE Hervé, Le problème du porte-avions, Paris, Économica, 1990, 191 pages). 


L'atome n'avait pas raison du porte-avions car sa force est son extrême modularité : changez la composition du groupe aérien, les missions opérationnelles pouvant être soutenues changeront d'autant. Prenons l'exemple du porte-avions brésilien, le Naé São Paulo ou ancien Foch (1957-2016) : troquez ses vieux zinc pour des Rafale ou des Sea Gripen, en comptant les C-1 dédiés aux missions de guet aérien, de ravitaillement et de liaison , vous obtiendrez un outil plus que crédible !

Pourquoi le porte-avions ? Distinguons deux grandes périodes dans la guerre navale. La première couvre une partie où la "batterie principale" est constituée par des fantassins devant être portée à la rencontre d'autres qu'ils soient sur mer ou sur terre. C'est le "règne interminable" de la galère (MASSON Philippe, De la Mer et de sa Stratégie, Paris, Tallandier, 1986, 405 pages) à travers tous ses avatars depuis l'Antiquité jusqu'au XVIIe siècle : 23 siècles, au moins, de domination depuis la bataille de Salamine (480 A.V. J.-C.) !

La deuxième grande période se distingue par une batterie principale constituée presque exclusivement de bouches à feu, bien que ce dernier soit employé depuis l'Antiquité sans être l'arme déterminante. Une transition s'opère entre les XIVe et XVIe siècle où, progressivement, les navires percées de sabord l'emportent progressivement sur les autres avatars du fait naval tout simplement parce qu'ils emportent une puissance de feu supérieure, tenant à distance, par exemple, les galères bien que plus manœuvrantes et pourvues d'une artillerie dans des cas spécifiques (exemple des galéasses, loin d'être le seul).

Le XXe siècle voit un passage de témoins entre le combat en ligne de file des navires de lignes (5 siècles) et l'emploi de la puissance aérienne dans la guerre navale. La bataille du Jutland (mai-juin 1916) est un échec stratégique pour les deux plus puissantes flottes mondiales qui s'affrontaient, à savoir la Royal Navy et la Hochseeflotte : aucune ne l'emporte franchement. La thèse mahanienne de la bataille décisive n'est pas confirmée dans la pratique.

Au contraire, Julian S. Corbett peut alors théoriser la fleet in being, flotte en vie qui fixe une partie de la Flotte britannique devant parer à toute éventuelle sortie de celle de l'Allemagne. Pendant ce temps, le centre de gravité de la guerre navale s'est déplacée à la guerre des communications maritimes. Corbett écrivait alors (Principes de stratégie maritime, Paris, Économica, 1993, 302 pages) que nous ne nous battons pas sur les mers pour détruire l'outil naval adverse mais pour pouvoir utiliser les fonctions de la Mer, c'est-à-dire la Mer comme voie de communication, et ses richesses pourrions-nous ajouter aujourd'hui, afin d'influencer le sort de la décision politique à terre. La bataille de l'Atlantique pendant la Première Guerre mondiale (1914-1918) est le véritable enjeux puisque les démocraties occidentales face aux empires centraux n'ont de profondeur stratégique que les empires coloniaux et les États-Unis.

Pour reprendre la typologie de Joseph Henrotin (Les fondements de la stratégie navale au XXIe siècle, Paris, Économica, 2011, 496 pages) , la première aéronavale apparue historiquement est basée à terre par l'emploi du fait aérien au service de la lutte anti-sous-marine. Ce n'est que pendant la guerre que son imaginées des solutions pour mettre en œuvre des aéronefs à partir des navires, voire de spécialiser des navires à cette tâche. L'entre-deux-guerres, catalysée par le traité naval de Washington (1922) voit l'éclosion de ces premières expérimentations puis sa généralisation. La bataille de Midway (5-7 juin 1942) démontre la supériorité du porte-avions sur le cuirassé puisque ces derniers se combattaient à vue quand les premiers ne se voient plus que par pilotes interposés. 

Reprenons Corbett et ajoutons Beaufre qui « identifie la stratégie à une « dialectique des volontés employant la force pour résoudre leur conflit ». L'intérêt de l'outil naval ne réside que dans sa capacité à s'ériger en puissance (« la capacité d'une unité politique d'imposer sa volonté aux autres unités » selon Raymon Aron). Si l'outil naval sert le politique à imposer sa volonté à une autre unité politique dans le cadre d'un duel alors il est une puissance navale.

Dans cette optique, le fait aérien s'impose aux parties car qui tient les hauts, tient les bas. La supériorité aérienne acquise, le lutteur dispose d'un avantage pouvant être décisif s'il parvient à s'appuyer dessus pour faire plier son adversaire avant qu'il ne s'adapte et se transforme aux nouvelles conditions du duel.

Pour être puissance navale, il s'agit de prétendre à dominer la "surface" des mers pour reprendre le mot de l'Amiral Raoul Castex (Théories stratégiques, Paris, 1929-1935) afin de porter un corps (aéro)terrestre sur le sol adverse (finalité corbettienne de la guerre sur mer). Les avatars de cette puissance aéronavale sont aujourd'hui le sous-marin à propulsion nucléaire, le bâtiment amphibie et le porte-avions. En ce sens que ce dernier, à la norme CATOBAR (Catapult Assisted Take-Off But Arrested Recovery) est capable de mettre en œuvre un avion avec les mêmes performances que s'il avait décollé depuis la terre. 

Comment déclasser le porte-avions ? L'évolution technologique sur l'emploi des bouches à feu puis du fait aérien déclassait la galère puis le navire de ligne. À l'heure actuelle, les porte-avions peuvent toujours prétendre à porter les avatars les plus modernes de la puissance aérienne tant qu'ils suivent en tonnage, loi invariable de la guerre navale. Remarquons, toutefois, que par rapport au passé, les navires de commerce connaissent un gigantisme sans commune mesure avec les man of war : pour un porte-avions américain de 110 000 tonnes, combien de porte-conteneurs de 400 000 tonnes ?
Les problématiques A2/AD (Anti-Access/Area Denial) ne sont, selon nous, que la reproduction puis transposition des bastions soviétiques aux mers asiatiques. L'US Navy est conçue autour de ce paradigme de la Maritime Strategy héritée des années 1980. Rien de nouveau à l'Ouest ! Dans la même perspective, l'introduction du fait spatial ne remplace pas les flottes mais, au contraire, permet de soutenir leurs ambitions mondiales tant dans les transmissions que le renseignement. Aucun "avion spatial" de visible à l'horizon tant pour le transport de troupes que pour la frappe stratégique qui, rappelons-le, n'a d'intérêt que si elle transforme son utilisateur en puissance, non pas en violence pure.

Par contre, le nouveau fait qui nous semble devoir dimensionner l'art de la guerre navale est l'âge hypersonique à la confluence de la lutte anti-missile balistique (qu'elle soit de théâtre ou de territoire) et de la lutte contre les engins hypersoniques qu'ils soient destinés à être un appareil piloté, un missile tactique ou stratégique.

Mais l'aéronef hypersonique piloté ? Le porte-avions pourra-t-il les porter ? Oui, s'il est capable de lancer des salves d'aéronefs de 35 à 50 tonnes.

Mais le missile hypersonique stratégique ? L'emploi de ces munitions n'imposerait pas dans un premier temps la réapparition du navire de ligne eu égard aux portées intercontinentales régulièrement avancées pour les missiles stratégiques mais dans un deuxième temps, la mobilité des arsenaux n'est-elle pas la clef des forces nucléaires ?

Mais le missile hypersonique tactique ? Si un engin aérobie ne manœuvre plus à partir de Mach 5 ou 6 dans l'atmosphère, peut-être présente-t-il un avantage tactique prépondérant face à une cible fixe, mais que ferait-il face à une cible mobile ? C'est pourquoi nous n'entrons pas dans les considérations sur des engins dépassant Mach 8, 12 ou 15. 
La guerre sous-marine connaît, proportionnellement, cette problématique avec la Shkval (~200 nœuds) imparable pour la cible prise dans son faisceau, inutile si cette dernière dérobe puisque l'arme ne manœuvre pas. Le combat tournoyant imposerait, encore et toujours, de s'approcher de son adversaire pour tenter de le détruire, lui qui trône en haute mer.

En tous les cas, ces quelques considérations invitent à reconsidérer non pas des "porte-avions de poche" mais bien des "porte-avions de ligne". Ils doivent posséder des qualités nautiques au service de leur survie (31-knot Burke ?) et de leur batterie principale, leur groupe aérien embarqué. Ce sont des vaisseaux de combat et doivent pouvoir survivre à un premier engagement afin de continuer à combattre. Il faut et il suffit qu'ils soient au service de la projection d'un corps aéroterrestre à terre pour qu'ils demeurent utiles dans une stratégie militaire au service d'une stratégie politique. C'est pourquoi ils se multiplient, tant les porte-avions CATOBAR que les porte-aéronefs, de l'Amérique du Sud jusqu'aux mers asiatiques en passant par les océans Atlantique et Indien.

La galère, 23 siècles, la frégate 7 siècles, le navire de ligne 5 siècles, le porte-avions 1 seul siècle ?

1 commentaire:

  1. L'important n'est pas la plate-forme de tir, mais l'armement qu'il délivre. Mais aujourd'hui le porte-avions se doit d'agir bien loin au large devant un adversaire technologique. La Méditerranée, le golfe Persique, le détroit de Formose sont des pièges a éviter pour les grandes unités de surface si une guerre chaude éclate aujourd'hui.

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