15 octobre 2016

Tropisme Balbuzard pêcheur

© Marine nationale.


L'entreprise américaine Boeing mène actuellement une campagne de promotion commerciale en faveur de sa machine conçue avec l'hélicoptériste Bell : le V-22 Osprey. "Navy Recognition understands that the idea is that if these European countries [Espagne, Italie, France et au Royaume-Uni] can pool their orders with the USMC and US Navy upcoming orders, there is a good chance that the tiltrotor aircraft would become affordable to them." Les forces armées européennes ne sont pas insensibles au charme du convertible. "In the case of the UK and France, the interest is coming from the Navy".

Le programme Joint Advanced Vertical Lift Aircraft (JVX) est lancé en 1982. Le premier vol intervient le 19 mars 1989 et la production en série en 2005 au lieu de 1999 après six années de développement supplémentaires suites à des accidents. La cible initiale voyait l'USMC être l'opérateur principal (360 MV-22 en remplacement des CH-46E Sea Knight et CH-53D Sea Stallion) suivi par l'US Air Force (50 CV-22 pour prendre la suite des MH-53 Pave Low) et l'US Navy (48 CMV-22). 

Le coût unitaire de production de l'appareil semble maîtrisé et tend plutôt à diminuer qu'à augmenter. De plus de 110 millions de dollars par machine (en incluant, toutefois, les coûts des études et essais), le V-22 se négocierait sous les 70 millions de dollars à la sortie de l'usine (sans les coûts d'études et essais donc). "Totals: $17.444 billion for 235 MV-22s and 38 CV-22s, an average of $63.9 million each."

Le département de la Navy affinait la cible à 44 CMV-22 qui succèderont aux C-2A Greyhound alors qu'une nouvelle série du vénérable appareil était envisagée initialement. L'Osprey aurait pu ne jamais intégrer la marine américaine car plusieurs variantes furent refusées tels les SV-22 (ASM), HV-22 (le MH-60 lui est préféré) et l'EV-22 (proposé à la Royal Navy en remplacement des Sea King ASaC.7).

Les marines européennes se sont essayées au convertible américain afin de maintenir l'interopérabilité entre alliés. Le convertible procédé à des essais sur les Cavour, HMS Ocean et le BPE Juan Carlos Ier.

Dans la Marine nationale, le Dixmude est le premier pont plat à connaître le V-22 Osprey par des essais d'appontage en février 2014 grâce à un échange avec Expeditionary Strike Groups. L'année suivante, en mai 2015, les mêmes manœuvres débutent à nouveau, toujours au large de l'Espagne et sur le Dixmude, avec des essais moteurs coupés, de ravitaillement, de manutention et de saisinage. En septembre de la même année l'interopérabilité est homologuée sur BPC au terme de deux années de travaux. 

L'expérimentation débutait sur le porte-avions Charles de Gaulle le 6 juillet 2016 suivant le même programme que celui réalisé à bord du Dixmude en mai 2015. L'aéronef à rotors basculant est alors déclaré interopérable avec le porte-avions français pour les futurs déploiements. Le nouvel engin apporte quelques nouvelles contraintes puisque s'il se dispense d'utiliser des catapultes et des brins d'arrêt, cela revient à dire qu'il ne s'insère pas dans le flux commun des voilures fixes et qu'il est donc nécessaire de lui dédier des créneaux dans les opérations aériennes.

Ne pas mener ces essais à bord du porte-avions c'était priver le GAn de l'éventuel appoint des COD (Carrier Delivery on Board) de l'US Navy puisque le C-2 Greyhound est voué à quitter le service au fur et à mesure de son remplacement par les CMV-22. La Royale s'est toujours intéressée à l'acquisition d'un tel appareil afin de renforcer les capacités logistiques du groupe aéronaval, depuis le Bréguet 941 jusqu'au CMV-22 en passant par le C-2. Les budgets n'ont jamais suivi. 

La nouvelle formule aéronautique, l'aéronef à rotors basculant, permet d'élargir le nombre de bâtiments pouvant opérer un COD. Les porte-aéronefs, voire les TCD/LPD, seront désormais capable de bénéficier d'une telle capacité. Sauf que les BPC français, par exemple, ne disposent que d'un seul spot d'appontage dédié à une si lourde machine. Mais les BPC français ne peuvent recevoir l'appareil dans leur hangar en raison de sa masse qui dépasse les capacités des ascenseurs. L'Osprey demeure l'apanage de porte-aéronefs conçus pour mettre en œuvre de lourdes machines, bien qu'une fois replié il ne prenne pas plus de surface au sol qu'un hélicoptère de manœuvre !

Et justement : quid de la capacité à opérer depuis un pétrolier-ravitailleur ? Les études des FLOTLOG ne sont ni lancées ni encore moins arrêtées. L'intégration d'un convertible sur un maximum de navires permet de créer un vaste réseau à l'échelle d'un théâtre facilitant très grandement les flux logistiques mais pas seulement, notamment au regard de l'emploi des unités logistiques dans les missions anti-piraterie.

Si l'intérêt français peut prendre sa source dans le maintien d'une interopérabilité afin de ne pas s'exclure du circuit des COD, il peut aussi s'ouvrir aux autres caractéristiques de l'Osprey qui augmentent considérablement l'action dans la profondeur. Le C-2 disposait de qualités supérieures, notamment en matière d'autonomie, en raison de l'utilisation de la formule CATOBAR. 

Le convertible américain, au prix d'une légère réduction des capacités, permet d'étendre l'influence opérationnelle des opérations à terre. L'acquisition d'un tel aéronef bénéficierait très fortement à la conduite des opérations spéciales, tout comme aux missions aéroamphibies au demeurant, pour les infiltrations et exfiltration. Le CH-46E avait un rayon d'action de 184 miles contre 428 pour le MV-22 (avec 24 marines à bord). 

L'intégration d'une capacité de ravitaillement en vol d'autres aéronefs (VARS (V-22 Aerial Refueling System) intéresse tout particulièrement la Royal Navy afin d'accroître l'autonomie et donc l'influence opérationnelle des futurs porte-aéronefs HMS Queen Elizabeth et Prince of Wales. Des essais ont d'ores et déjà été menés, notamment avec des F-18 E/F Super Hornet de l'US Navy. Combiner un COD et un ravitailleur ne pourrait pas laisser la Marine nationale insensible. 

L'appareil ne peut pas seulement intéresser que la Marine nationale, non pas seulement en raison de son coût, mais surtout en raison de ses capacités et de son impact sur d'autres programmes tel le programme HTH (Heavy Transport Helicopter) que continueraient à caresser l'Allemagne et la France, même si les besoins opérationnels et les rationalités ne se recoupent pas. 
Toutefois, osons reconnaître que le temps nécessaire à ce que des propositions industrielles et commerciales émergent et deviennent opérationnelles, un V-22 commandé aujourd'hui pour la France aura déjà fait 20 années de service.

La question posée sera de savoir s'il s'agit de continuer dans une formule classique de voilure tournante ou bien de sauter le pas en direction d'un convertible ou d'un hybride ? Les programmes américains considèrent un ensemble d'aéronefs de reconnaissance, d'attaque et de manœuvre afin de dompter l'enveloppement vertical à chaque échelon. 

Dans cette perspective, en plus de la Marine nationale, l'Armée de l'Air (8 à l'EH 1/67 Pyrénées ; RESCO/CSAR), la DGSE via l'Armée de l'Air (3 pour le GAM 56 Vaucluse) et l'ALAT (8 au 4e RHFS ; opérations spéciales) pourraient trouver là un avantageux remplacement pour ses Caracal (19 voilures tournantes). Cet accroissement de capacités aura un coût soit à supporter intégralement soit à reporter sur une diminution du nombre de machines, déjà en déficit tant en nombre qu'en disponibilité, ce qui ne pourrait que contrarier la capacité des forces à mener à bien toutes les missions leur incombant.
Les plateformes navales, autant pour les besoins du versant maritime de la guerre que pour l'action à destination de la terre, doivent pouvoir être adaptées et conçues autour de normes connues à l'avance.

Les opérations aéroamphibies et aéronavales dépasseraient nettement l'espace littoral (des 200 miles nautiques jusqu'à 200 km à l'intérieur des terres où vit 80% de la population mondiale (environ 600 km). La souplesse tactique dans le positionnement des formations navales vis-à-vis des senseurs adverses et des moyens défensifs seraient profondément accrue (réponse à la diffusion constante des capacités missilières, aériennes et sous-marines) tout en se ménageant de nouvelles zones stratégiques couvertes par l'influence de la mer.

La réclame en faveur du convertible est très séduisante : pour le coût de deux NH90 (et d'un MCO proportionnellement supérieur en raison de sa forte motorisation), un V-22 Osprey décuple l'exploitation des actions dans la profondeur aussi bien au service des opérations conventionnelles que spéciales ou en faveur de la logistique d'un groupe naval ou d'une opération aérienne. Si l'intégration sur porte-avions serait aisée, un embarquement prolongé sur BPC pose irrémédiablement la question du remplacement d'au moins un ascenseur, voire du renforcement d'un à plusieurs spots d'appontage.

7 commentaires:

  1. En ces temps de disette budgétaire, un achat de C-2A Greyhound ou S-3 Viking d'occasion serait plus raisonnable

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  2. Combien de cellules ? Quel potentiel ? Quels travaux d'adaptations et de modernisation ? Je suis preneur de toutes ces informations.

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  3. Les s-3 stockés dans le desert ont encore du potentiel:
    http://foxtrotalpha.jalopnik.com/the-navy-should-bring-the-40-year-old-s-3-viking-back-f-1561134099
    Vente possible à la corée:
    http://www.defenseindustrydaily.com/89m-for-fy-2007-support-of-the-usns-s3b-vikings-02777/


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  4. Il y a quelques petites choses à creuser avec les S-3 et les C-2 alors pour renforcer les capacités ASM, de guerre électronique, d'attaque et logistique.

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    1. Pour info :
      http://www.air-cosmos.com/euronaval-2016-sea-v-22-de-nouvelles-opportunites-pour-l-us-navy-84079

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  5. Attention néanmoins avec les achats d'occasion, il y a un moment où les constructeurs ne vont plus proposer de support, ces avions sont déjà excessivement vieux. Sans compter qu'un S-3, c'est pas bien gros ...

    L'idée du V-22 est intéressante, mais pas parfaite. Cet appareil peut effectivement être pratique pour assurer la logistique au sein de la flotte, voire vers la terre. Mais il ne peut se poser sur les frégates, il est donc limité à PA, BPC et peut-être futurs FLOTLOG. Et il aura de toute façon moins d'autonomie qu'un avion classique catapulté (C-2), même si une nouvelle version avec plus d'allonge est en préparation. Mais quoi qu'il en soit, c'est toujours beaucoup mieux que la capacité actuelle, limitée au NH-90 et à la générosité ponctuelle (et appréciée) de l'US Navy.

    Toutefois, il y a un point essentiel à prendre en compte, la complexité de la machine. Aussi impressionnant soit-il, le V-22 est un monstre de complexité. Rotors et turbines basculants, pliage des pales, et orientation de la voilure elle-même. Une telle complexité a deux effets pervers.
    - Une fiabilité encore médiocre.
    - Un coût d'entretien que j'imagine très important.

    Néanmoins, en l'absence parfaitement assumée par l'US Navy de programme de remplacement des C-2 (et du Hawkeye avec lequel il partage se cellule), et considérant les hélicos comme ayant trop peu d'allonge, le V-22 est le seul appareil à pouvoir remplir ce genre de missions.

    Question supplémentaire.
    Quel serait l'influence de l'embarquement d'un ou deux V-22 sur notre PA sur le nombre de Rafale, surtout en configuration "dense" ? C'est gros un V-22 ...

    QC

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    1. Le CMV-22 remplace le C-2 dans l'US Navy.
      Une fois replié, le V-22 occupe autant de surface au sol qu'un hélicoptère. Moins qu'un Rafale donc.

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