20 novembre 2016

Quelle flotte hydro-océanographique ?

© Piriou. Le Navire Logistique Polaire (ou Polar Logistic Vessel (PLV) en langue étrangère), probablement baptisé Astrolabe.
Le SHOM (Service Hydrographique et Océanographique de la Marine) et l'IFREMER (Institut Français de Recherche pour l'Exploitation de la MER) opèrent une grande partie de la flotte scientifique française. La presque totalité des unités hauturières sont à remplacer dans les toutes prochaines années. La crédibilité de la stratégie militaire française, depuis la fonction garde-côtes jusqu'à la dissuasion nucléaire repose sur ces bateaux et les missions qu'ils mènent.

Le vocable de "flotte scientifique" aurait pu être utilisé mais cela semble trop réducteur eu égard à la diffusion de certaines mesures, notamment météorologiques, dans l'ensemble de la Flotte ou, tout simplement, que la Flotte militaire possède d'autres unités scientifiques d'essais, de mesures et d'expérimentation. Mais aussi, les flottes privées sous capitaux et/ou pavillon français peuvent aussi comprendre des unités scientifiques d'intérêt stratégique. C'est à souligner car d'autres unités scientifiques seront à remplacer dans les toutes prochaines années.


Le SHOM et l'IFREMER assument l'ensemble des missions nécessitant des connaissances en hydrographie et océanographie. La première soutient l'usage des eaux sous juridiction française pour la navigation sur et sous la mer et contribue à l'exploitation des richesses contenues dans ces deux dimensions. La deuxième reprend ces deux missions, à quelques nuances près, et contribue, en plus, à la protection de la Mer comme espace d'intérêt commun (ou global commons). Plus simplement, le SHOM vise en priorité à soutenir l'aptitude de la Marine nationale à naviguer quand l'IFREMER tend plutôt à veiller à l'exploitation durable de la partie de l'Océan sous juridiction française (mer territoriale et Zones Économiques Exclusives (ZEE).

Et il n'est pas sérieusement envisageable de mener des opérations navales et maritimes sans une connaissance fine de l'Océan. Par exemple, la lutte anti-sous-marine repose une connaissance déterminante du milieu sous-marin afin de connaître les conditions de propagation des ondes acoustiques. La force entendant et comprenant mieux le cheminement des ondes acoustiques possèdent alors un avantage sur les autres. La crédibilité de la dissuasion océanique et des forces conventionnelles l'exige.

Nos deux administrations mettent en œuvre une flotte "hydro-océanographique" qui, comme leurs prérogatives, tend à s'homogénéiser sans se recouper totalement :

Le SHOM entretien strictement à son compte propre trois unités de la classe La Pérouse (La Pérouse, Borda et Laplace) alors que l'Arago, quatrième unité, était transformé en patrouilleur de service public. 
L'IFREMER arme, notamment, mais pas seulement, deux unités hauturières totalement en propre : l'Atalante, la Thalassa et Le Suroît (lancé en 1975 et modernisé en 1999, toujours en service). S'ajoutait ou s'ajoute à ces bateaux Le Noroît (vendu en 1996, envoyé à la démolition en 2015) et Le Cariolis (sort inconnu).

Deux bateaux sont partagés entre la Marine nationale et l'IFREMER : 
  • le Pourquoi pas ? (180 jours pour l'IFREMER, 145 pour la Marine et financement de 55%/45% dans le même ordre) ;
  • le Beautemps-Beaupré (financé à 5% par l'IFREMER qui y gagne 10 jours d'utilisation chaque année, le reste à la charge et l'usage de la Marine nationale). 

À leur exclusion, six ou sept navires sont en âge d'être remplacés. Les trois La Pérouse servent depuis 1988 à 1989 et atteindront bientôt les trente années. L'Atalante et la Thalassa sont un peu plus récentes (mises en service en 1990 et 1996) d'à peine quelques années après. De sorte que la question du remplacement se pose soit en fonction de l'administration concernée, et l'effort à produire se réparti sur deux mandats présidentiels, soit en fonction d'une gestion commune des besoins et il s'agira de décider à deux de l'effort à produire et de sa temporalité. 

Eu égard à quelques programmes navals et/ou maritimes décidés ces dernières années entre plusieurs administrations, il n'y a pas de raisons de croire que l'optimisation des moyens nautiques de l'État ne continue pas à être le cadre privilégié. 

Dans la même perspective, la tendance à la polyvalence des unités est, là aussi, observée et les équipements sont supposés plus coûteux que la "poutre navire". La différence de tonnage entre les unités à remplacer (de 1000 à 3000 tonnes et plus) n'est pas significative dans cet ordre d'idées. Aussi, cela revient à questionner la pertinence d'unités spécialisées quand, finalement, c'est le passage d'un équipage à l'autre qui permet de disposer des compétences utiles à la conduite de telle ou telle mission. Et encore, il s'agirait de distinguer la conduite du navire de l'équipage scientifique qui ne peut qu'être spécialisé selon la nature de l'objet à étudier. 

Dans la droite lignée de cette dernière remarque, il convient également de s'interroger sur la concentration des unités scientifiques à Brest où la presque totalité des navires sont basés. Pourtant, les deux administrations sont représentés dans les trois grands océans où la France est présente, à savoir les océans Atlantique, Indien et Pacifique. Et à l'heure des communications satellitaires à haut débit entre des laboratoires flottants (qui analysent partiellement ou totalement les échantillons à bord), cette concentration est-elle encore nécessaire ? Baser les unités dans l'Archipel France économiserait de bien longs trajets et rapprocherait les unités des zones à étudier.

Eu égard à l'engagement durable et prévisible de la Marine nationale, il y a quelques qualités nautiques qui peuvent intéresser les opérations navale :

Premièrement, une capacité glace est un atout stratégique indéniable autant pour aller étudier les deux pôles que pour se permettre, grâce aux équipements et installations, d'aller étudier la "faune et la flore" pouvant intéresser la Royale sous couvert de missions scientifiques. 

Deuxièmement, la mise en œuvre d'engins et matériels sous-marins, outre leur apport à des missions scientifiques, peut grandement renforcer les capacités au service de la fonction connaissance et anticipation ou bien au sauvetage des sous-marins. Ce qui suppose, par exemple, une grue d'une capacité de 30 tonnes. 

Troisièmement, eu égard à la hausse soutenue de l'activité aéronavale et aéro-sous-marine dans les trois océans considérés, il y a tout lieu de s'interroger sur la pertinence de baser au moins une, si ce n'est deux unités scientifiques dans chacun des trois océans. Plus une unité à St Pierre-et-Miquelon qui est notre promontoire pour l'Arctique.

Quatrièmement, les nouvelles pratiques administratives conduisent à envisager la gestion commune du même flotte avec un nombre de jours de mer par bâtiment à se partager entre administrations s'il était encore possible de ne déterminer que des missions civiles et militaires.
Les coûts des Beautemps-Beaupré (76 millions d'euros) et Pourquoi pas ? (66 millions) permettent de jauger de l'effort d'ensemble : entre 426 (six unités) et 497 millions d'euros (sept), soit le coût d'une frégate de premier rang. Ce qui invite à considérer un remplacement par classe de deux ou trois bateaux en fonctions des crédits disponibles.

La crédibilité stratégique de la France pour tenir son rang sur Mer repose sur cette partie fondamentale de sa flotte scientifique qui lui assure, entre autre, une capacité souveraine à naviguer et à mener des opérations maritimes et navales. Le renouvellement de ces moyens ne peut qu'intéresser la Défense nationale.

3 commentaires:

  1. Comme toujours, vous avez une façon relativement simple de nous exprimer vos articles, ce qui fait qu'un novice comme moi arrive à comprendre les choses (plus ou moins). Je ne suis pas un spécialiste de la Marine (loin de là), mais vos articles, bien que techniques, résument bien la situation. C'est passionnant de vous lire.

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  2. Merci, c'est très aimable à vous ! C'est toute la difficulté de rechercher et comprendre l' "enjeu" (institutionnel, technique, technologique, opérationnel, financier, etc) et d'essayer de le replacer dans son contexte. Pour ma part, j'avance sur la pointe des pieds car je ne connais pas tout, forcément, et il me manque plusieurs points de vue pour appréhender et bien comprendre les affaires navales et maritimes.

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  3. De rien. Et c'est moi qui vous remercie. Désormais mes commentaires seront sous le nom Du parcheminé (Ne cherchez pas pourquoi, c'est très vieux).
    Merci de nous abreuver de vos connaissances et de vos articles.

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