26 février 2017

Marine nationale, le Three-Powers Standard (1820 - 2016)

© 2007- 艦艇写真のデジタル着彩 Atsushi Yamashita.
La géostratégie navale française s'étire depuis son pilier moderne, la "charte de Portal", jusqu'à nos jours en passant par l'exception que fut la crise de Fachoda. Le modèle continue à se construire depuis 1820 autour d'une concentration méditerranéenne de la Flotte, une certaine "théorie du risque" face à la première puissance navale et un Three-Powers Standard face aux trois marines suivantes dans le classement naval européen. Une position de choix et toujours d'actualité qui ne semble pas permettre un effet d'entraînement.

La grande décision opérée en faveur de la politique navale française est prise quelques années après la bataille de Trafalgar (21 octobre 1805). Pierre-Barthélémy Portal d'Albarèdes, dit baron Portal, devient ministre de la Marine (29 décembre 1818 – 14 décembre 1821). Portal "plaide en faveur du redressement du grand commerce, du développement d'une flotte marchande et par voie de conséquence d'une marine de guerre" (Philippe Masson, Michèle Battesti et Jacques C. Favier, Marine et constructions navales - 1789-1989, Paris, Lavauzelle, 1989, p. 31). Avec l'accord de Louis XVIII, il obtient un succès parlementaire en faisant voter un budget de 60 millions assurant l'entretien à flot de 40 vaisseaux et 50 frégates. S'il ne s'agit plus de tenir tête à la Royal Navy ou de prétendre à la vaincre, la Marine est "conçue comme un outil de présence, de gestion des crises ou de défense d'intérêts extérieurs." (Philippe Masson, Michèle Battesti et Jacques C. Favier, Marine et constructions navales - 1789-1989, Paris, Lavauzelle, 1989, pp. 31-35)

Cette "charte implicite" n'a pas été le moins du monde démentie jusqu'au livre blanc de 2013.

Le prince de Joinville célébra la Flotte héritée de cette charte comme, par exemple, dans La note sur l'état des forces navales de France (Paris, Amyot, 1853) où il célèbre la concentration méditerranéenne de l'escadre d'évolutions et sa crédibilité opérationnelle retrouvée et démontrée, même face aux Anglais, grâce à son emploi dans quelques crises. Pendant toute cette période et avant les révolutions techniques, le "débat naval" mondial s'organise principalement autour du duopole franco-anglais sur mer. Seule la Russie fait une intrusion mais limitée.
 
L'introduction de la propulsion à vapeur puis des nouvelles armes sous-marines (sous-marins, mines, torpilles) aux XVIIIe et XIXe siècles voit surtout ces inventions se formaliser. Sans une doctrine adéquate appuyée sur une stratégie des moyens d'au moins une marine, le combat naval poursuit sa ligne de file. La Jeune École de l'Amiral Aube (22 novembre 1826 - 31 décembre 1890) secondée par Gabriel Charmes (7 novembre 1850 - 19 avril 1886) prétend à repousser les escadres ennemies du littoral français par des nuées de torpilleurs, faire une guerre industrielle au commerce adverse par l'emploi de croiseurs et assurer, entre harcèlement et dispersions de la ligne adverse, de bien meilleure chance à nos cuirassés. 

Le ministère Hyacinthe Laurent Théophile Aube (7 janvier 1886 - 30 mai 1887), porteur de cette doctrine, la transcrit par sa politique ministérielle à la tête de la Royale. C'est un échec relatif en ce sens que si les fondamentaux conceptuels de la Jeune École seront validés par les deux conflits mondiaux, leur traduction matérielle subit le souffle des outrances et le manque de maturation des nouvelles technologies employées. Il en résulte un affaiblissement naval tant pour la ligne de file que pour les flottilles légères alors que, et paradoxalement, la Royal Navy s'en tirera à bien meilleure compte grâce à des unités légères mais hauturières. Quelques outrances perdureront jusqu'au ministère de Charles Camille Pelletan (7 juin 1902 - 24 janvier 1905), le "ministère contre la Marine" selon le mot de Daveluy.

Par contre, en Europe, ce sont les unités allemande (1815 - 1871) et italienne (Risorgimento (1848 - 1870) qui viendront contester sur les mers le classement naval établi. Elles impulseront, symétriquement à leur ascension navale, une dynamique nouvelle au bénéfice des cuirassés français. Après la fin du ministère de l'Amiral Aube, "dans sa séance du 23 décembre 1889, le Conseil d'amirauté venait d'adopter pour principe que "les unités de combat de la flotte française doivent être en nombre égal à celles des marines réunies de l'Allemagne, de l'Italie et de l'Autriche". (Martin Motte, Une Éducation géostratégique - La pensée navale française de la Jeune École à 1914, Paris, Économica, 2004, p. 234)

Du Three-Powers Standard (23 décembre 1889) en France simultanément à la promulgation du Two-Powers Standard au Royaume-Uni (31 mai 1889).

Il serait particulièrement ardu de tenter de résumer la situation diplomatique française de 1870 à 1914 en quelques lignes. Disons simplement que la France parvient à nouer une alliance avec la Russie et d'y joindre le Royaume-Uni tandis que l'Allemagne et l'Autriche-Hongrie, alors Duplice, forment avec l'Italie la Triplice. 

Entre temps, la France est surprise dans un état d'impréparation militaire bien dangereux lors de la Crise de Fachoda (1898). La charte implicite du baron Portal ne préparait pas la France à une lutte active contre la Royal Navy. Le pire est évité et un certain redressement naval s'opère avec le plan naval de 1900. La France revient avec un outil naval plus crédible pour appuyer l'Entente Cordiale (8 avril 1904). Les ambitions navales mondiales de l'Allemagne dépassent la politique édictée en 1889 et la Marine nationale ne peut plus lutter seule contre la Triplice, encore moins dans un duel naval face à l'Allemagne. C'est pourquoi sa concentration méditerranéenne, pendant à l'accroissement de la concentration navale britannique dans les Home Waters, se trouve confortée entre la nouvelle ligne diplomatique, les réalités navales qui la fondent partiellement et la nécessité, pour donner un sens à la Revanche et l'alliance franco-russe, d'assurer le passage des troupes de l'Afrique du Nord même si cela n'enlève rien à l'objectif de batailles décisives avec les flottes italienne et austro-hongroise. 

Sans revenir sur le bilan de la Première Guerre mondiale (28 juillet 1914 - 11 novembre 1918) où la Marine nationale remplissait parfaitement son rôle, tel que prévu avant la guerre et parvenait à assurer les nouvelles missions de la guerre aéro-sous-marine (expression de l'Amiral Barjot), le retour à la paix se faisait avec une Flotte usée et plutôt déclassée. Le désarmement de l'Allemagne par le traité de Versailles et les traités sur le désarmement naval consacrent un retour au Three-Powers Standard français jusqu'en 1935 quand l'accord anglo-allemand ne permet plus à la France de lutter contre les flottes allemandes et italiennes réunies. Sur toute cette période, la Royal Navy demeure l'hégémon naval en Europe qui doit se ménager quelques marges de manœuvre pour continuer à devance les flottes américaine et japonaise.

Le conflit Est-Ouest (1947 - 1991), désarme peu de temps avant d'encadrer la remontée en puissance des flottes allemande, italienne et la réintégration progressive de l'Espagne dans le cadre de l'OTAN. L'US Navy est définitivement devenue la première force navale mondiale tandis que l'URSS se hisse progressivement, parallèlement au déclin de la marine britannique, à la deuxième place mondiale. La France parvient alors à respecter le Three-Powers Standard face à la réunion des trois flottes suivant immédiatement la Flotte française et ce, jusqu'en 2016. 

Par exemple, et pour l'année 2016, la France maintenait à flot 281 000 tonnes de navires de combat (Flottes de combat, 2016) contre 407 000 pour la Royal Navy. Les marines allemande (~100 000), espagnole (87 000) et italienne (125 000) suivaient. Le Three-Powers Standard est globalement respecté mais la Marine nationale, malgré la qualité des outils opérationnels entretenus (dissuasion océanique, groupe aéronaval) n'a pas le même pouvoir d'attraction des autres marines européennes par contraste avec la Royal Navy. La France ne compense pas ses faiblesses navales ou ne porte pas à son paroxysme ses force en mer par le jeu diplomatique. Cela est particulièrement patent en Méditerranée, surtout pendant l'ATM n°2 du porte-avions Charles de Gaulle alors que les flottes nord-européennes sont mieux structurées autour de la Royal Navy et, bientôt de la Deutsche Marine.

2 commentaires:

  1. Pour remonter à sa place, la France doit doubler le budget de la Marine nationale

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  2. Je rejoins le commentaire précédent, non seulement pour remonter à sa place, mais pour protéger notre zone exclusive et défendre nos intérêts. Comme l'écrit fort justement Chevènement dans son dernier livre, notre pays hésite encore et toujours entre sa vocation océanique et son enracinement terrien... et perd toujours sur les deux tableaux.

    Enfin, merci infiniment au marquis de tenir ce site.

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