23 février 2017

Quelques idées saugrenues sur les finances de la Défense


© Inconnu. L'escorteur rapide Le Corse (F761) est un élément marquant du plan naval de 1952, il symbolise le renouveau de la flotte française. Il inaugure ainsi la série des escorteurs rapide type E50 (Le Corse, Le Brestois, Le Boulonnais, Le Bordelais (F764).

Pierre-François Forissier - voir l'entretien qu'il nous avait accordé - inaugure une chronique au sujet de la rencontre entre les outils législatif, budgétaire et financier dans l'optique de construire l'outil naval dans le temps long. L'objectif est de présenter les enjeux de l'application intégrale de la "LOLF" et de ses conséquences afférentes.

Un peu d’histoire


Notre outil de Défense et particulièrement notre Marine sont sortis de la guerre dans un état catastrophique qui ne permettait pas d’envisager l’avenir avec sérénité alors que se mettait en place le monde de l’après-guerre et que débutait la guerre d’Indochine.

La reconstruction de la flotte apparaît donc indispensable mais il faudra attendre le plan naval de 1952 pour qu’intervienne le redressement. Plusieurs facteurs contribuent à la genèse de ce statut : le développement de la guerre froide, la création de l’OTAN, la guerre de Corée et l’action personnelle de personnalités, notamment l’amiral Nomy, chef d’état-major général de 1951 à 1960. Toutefois, l’application du statut n’aurait pu s’effectuer sans l’aide américaine. De forme variée, cette aide s’est révélée capitale. Elle a revêtu plusieurs formes (Plan Marshall puis programme d’aide mutuelle –PAM - et crédits offshore) et s’est manifestée par la livraison de bâtiments et d’appareils pour l’aéronavale. C’est ainsi qu’est née la Marine océanique centrée autour de deux porte-avions.

Profitant des trente glorieuses la France a pu ensuite compléter ce dispositif en y ajoutant les forces nucléaires de dissuasion qui ont nécessité de très forts investissements mais financés uniquement sur les ressources nationales. Il est utile cependant de rappeler qu’en 1967 la dissuasion représentait 1 % du PIB, puis 0,5 % dans les années 1980 et seulement 0,17 % aujourd’hui.

Dans les années 1980, il a fallu envisager le renouvellement de la Flotte en commençant par le remplacement des bâtiments les plus anciens qui arrivaient en fin de vie. Le souhait de l’état-major était de remplacer les bâtiments nombre pour nombre mais il fallait utiliser des technologies plus évoluées donc plus coûteuses et il n’était plus question de recevoir des aides financières extérieures.

La réduction du format était donc inéluctable. Tous les types de navires ont vu leur nombre diminuer et les porte-avions n’ont pas pu échapper à cette loi d’airain. De 2 on est passé à l’unique Charles de Gaulle nucléaire et capable d’embarquer Rafale et Hawkeye. Notons toutefois que le 2° PA a failli voir le jour en 2008, avant qu’on ne décide de ne rien décider avant 2012.

Les mécanismes budgétaires

A peine installée la V° République s’est dotée de sa constitution financière connue sous le label « Ordonnance de 1959 ». Elle posait comme principes l’unité, l’universalité, la spécialité et l’annualité. Le budget n’était qu’indicatif, il n’y avait qu’une simple comptabilité de caisse et il existait une certaine confusion entre opérations budgétaires et opérations de trésorerie.

Dans le domaine de la défense, eu égard aux enjeux et à la longueur des cycles des programmes d’armement, le gouvernement et le parlement se sont dotés d’un outil législatif de plus long terme : les lois de programmation militaires. Même si celles-ci étaient rarement respectées, elles avaient le grand avantage de fixer une référence pluriannuelle, d’ailleurs bien en phase avec le mécanisme des AP (Autorisations de Programme) - CP (Crédits de Paiement).

Concernant la Marine, l’essentiel des dépenses concernant le renouvellement de la Flotte étaient faites auprès de la DCAN, qui deviendra DCN, à travers un compte spécial du Trésor appelé compte de commerce. Industrie manufacturière, elle devait faire face chaque mois à la très forte dépense que constituaient les salaires de ses personnels ce qui conduisait régulièrement à faire des appels de fonds auprès du Ministère de la Défense et qui étaient enregistrés comme créances sans contenu physique.

Au fil des ans il était devenu de plus en plus difficile de faire une vraie corrélation entre les crédits affectés aux différents programmes et la réalité des versements effectués. Les chiffres concernant les programmes navals étaient donc très approximatifs et rares étaient ceux capables de les appréhender avec une certaine justesse. On a connu une époque pas si lointaine où l’essentiel du travail des financiers consistait à s’accorder sur les chiffres vus par les différents organismes impliqués dans la conduite de ces programmes, sans que personne ne soit vraiment sûr de la réalité de ces valeurs.

Chaque armée avait alors ses propres crédits, identifiés dans des chapitres particuliers, essentiellement au sein des titres III (fonctionnement courant) et titre V (investissements). Au sein du titre V on retrouvait tant les crédits consacrés aux programmes et opérations d’armement que ceux destinés aux grandes opérations d’entretien. On y gagnait la possibilité de compenser facilement les retards dans certains programmes par de l’entretien supplémentaire des équipements qu’il fallait faire durer un peu plus. A contrario, on y perdait la possibilité de basculer les crédits entre programmes d’armement des différentes armées lorsque les mêmes retards étaient constatés.

De plus au niveau des affectations budgétaires il était possible de faire à un niveau assez modeste de responsabilités des arrêtés de sous-répartition qui permettaient de réaffecter les budgets d’une ligne à une autre, tout en restant au sein d’un même chapitre budgétaire, modifiant ainsi ce qui avait été prévu dans la loi de finances initiale qui, de fait, n’a quasiment jamais été exécutée comme prévu.

C’est ce qui a maintenu pendant très longtemps les responsables dans l’idée fausse qu’il suffisait de gérer ses crédits « en bon père de famille » pour être budgétairement efficace et performant.

Une conjonction d’astres

Deux événements sont venus en quelques années chambouler ce paysage, le changement de statut de la DCN devenue l’entreprise DCNS et le remplacement de l’ordonnance de 1959 par la LOLF de 2001 mise en application en 2006.

Le changement de statut de la DCN a conduit à faire un inventaire exhaustif de tous les actifs des arsenaux de la Marine et d’en faire la répartition entre l’État et la société DCNS. Un bilan complet du compte de commerce a également été arrêté. On a ainsi pu accéder pour la première fois à la réalité matérielle et financière de l’ensemble du dispositif qui montrait à la fois des motifs de satisfaction mais aussi des constatations plus désagréables notamment sur l’état des infrastructures, des stocks de pièces de rechanges et des créances sans contenu physique.

La LOLF quant à elle avait initialement l’ambition de passer d’une comptabilité de caisse à une comptabilité de bilan et de permettre une évaluation sérieuse de la performance budgétaire. A cet effet le bilan de l’État est publié tous les ans depuis 2006 et certifié comptablement par la Cour des Comptes.

(A suivre……..)
Pierre-François Forissier
 

2 commentaires:

  1. Je vais profiter de cet article inhabituel pour dire à quel point , j' apprécie aussi vos articles habituels :)

    Je ne suis pas militaire , pur civil, mais avoir une petite fenêtre qui permet de voir l'actualité de "notre armée" ainsi qu'une certaine réflexion stratégique ,c est hyper interessant (et un peu rare).

    Il y a aussi souvent des infos que l'on ne retrouvent pas dans la presse généraliste.(genre les questions existentielles des réacteurs qui doivent equiper le futur PA...)(Precisions:j'aime autant l aspect technique , que l aspect stratégique ,ou historique)

    amicalement
    Virgil






    RépondreSupprimer
  2. Monsieur,

    C'est très aimable à vous de prendre le temps de dire ces gentillesses. Cela me donne envie de poursuivre, ce qui est fort agréable et motivant.

    Bien cordialement,

    RépondreSupprimer