01 avril 2017

Entretien avec Fabrice Wolf - Le socle défense, l'épargne pour la Défense nationale

© D.R.
Ancien pilote de la patrouille maritime dans l’Aéronavale, Fabrice Wolf s’est ensuite spécialisé dans les métiers du Digital avant de devenir consultant en Innovation. Depuis un an, il se consacre à la conception du projet « SOCLE DEFENSE ».

Quels constats justifient selon vous une remise en cause de l'architecture financière du financement de la Défense nationale en France ?

Fabrice Wolf : Sur les 25 dernières années, ce ne sont pas moins de 65 programmes d’équipements qui ont été annulés, diminués ou reportés, pour des raisons budgétaires, au seins des armées françaises. Toutes les armes sont en déficit capacitaire, et la Défense Nationale ne tient que par l’extraordinaire investissements des hommes et des femmes, militaires et personnels civils, qui servent et travaillent à notre Défense. Mais, comme l’a dit le général de Villiers (Chef d'État-Major des Armées (CEMA), nous sommes au bord de la rupture. Pour être franc, le déclassement capacitaire a déjà commencé. Ainsi, nous n’avons presque plus de moyens pour des combats hautes intensités, pour projeter nos forces, ou pour assurer la souveraineté dans nos ZEE (Zone Économique Exclusive).

D’autre part, la menace a considérablement évolué depuis les 10 dernières années, entre l’apparition de l’Etat Islamique, le réarmement Russe, l’attitude de la Chine etc.. Ces menaces engendrent des besoins bien supérieurs à ceux qui étaient estimés nécessaires jusqu’ici.

Enfin, la problématique financière qui évalue la Défense comme un centre de coût pour l’État est désuète. Il suffit de regarder comment les États-Unis financent leur propre Défense pour comprendre que les retombées socio-économiques des investissements de Défense sont très élevées et diminuent énormément le cout réel pour l’état de la facture (voir mon article sur LinkedIn « Pourquoi investir 15 Md€ dans la Défense ne couterait que 3 Md€ » (Milliards d'euros).

Quels sont les trois pactes et la planification composant le "Socle Défense" ?

Le Socle Défense réunit l’ensemble des acteurs de la Défense, les armées, les industriels, la DGA (Direction Générale de l'Armement) et le Ministère de la Défense dans un programme unique, ambitieux et à long terme. Pour garantir les meilleurs résultats, il est encadré par 3 pactes :
  • Le pacte Défense Croissance qui garantit l’augmentation du budget de la défense en préemptant 50% des recettes fiscales consécutives de l’application du Socle Défense.
  • Le Pacte Défense Emploi qui encadre strictement le nombre d’emploi à créer par les industriels au prorata de l’augmentation des commandes à long terme qu’ils se verront notifier.
  • Le Pacte Défense Export qui encadre les engagements de la DGA, des armées et de la SPFVED pour soutenir les exportations. 
Ces 3 pactes sont applicables car le Socle Défense travaille selon une planification par Cycle, appelé Cycle Défense. Ce Cycle, d’une durée de 20 ans, représente le délai de vie des équipements dans les forces, et des besoins de nouvelles générations d’équipement. Pour faire simple, tous les 20 ans, un nouveau char, un nouvel hélicoptère de combat, une nouvelle frégate et un nouveau chasseur. 

Quelle institution aura la charge de collecter et délivrer les fonds ? Seront-ils réservés aux objectifs initiaux ou des arbitrages pourraient-ils être rendus pour des affectations de dépenses non-prévues à l'origine ?

Afin de ne pas accroitre la dette souveraine, le Socle Défense fait appel à l’épargne publique en proposant un nouveau produit d’épargne, le Plan d’épargne Défense Avenir. Aussi souple qu’un PEL (Plan d'Épargne Logement), il propose un taux d’intérêt de 1,5% au dessus de l’inflation, soit 2,8% aujourd’hui. Sa fiscalité est optimisée pour la transmission intergénérationnelle, un peu comme l’assurance-vie.

Aujourd’hui, Il y a plus de 1500 Milliards d'euros (Md€) sur les contrats d’assurance vie. Or cette épargne ne bénéficie que très peu à l’économie réelle. Au-delà d’équiper les armées, le PEDA sera investi dans l’économie du pays, avec des créations d’emplois encadrées. Sur 5 ans, nous parlons de 600 000 créations d’emplois dont 250 000 dans l’industrie elle même et 40 000 postes de militaires.

L’enveloppe pourra évidement être modulée par les décisions politiques, mais le PEDA ne pourra pas statutairement être utilisé pour autre chose que les équipements de défense, car ce sont les seuls équipements exclusivement d’État et à forte valeur industrielle, technologique et  économique. 

Le pacte emplois-Défense ne risque-t-il pas de connaître le même sort que le CICE (Crédit d'Impôt pour la Compétitivité et l'Emploi), c'est-à-dire des entreprises refusant de s'engager en faveur d'embauches programmées, et donc de remettre en cause une part importante de l'économie générale du Socle Défense ?

C’est évidemment une possibilité, mais elle est peu probable. En effet, le Socle Défense est, comme vous le dites, un ensemble indivisible et équilibré. De fait, si les industriels refusaient le Pacte Emploi Défense, il perdrait dans la foulée la garanti d’augmenter les commandes domestiques de manière très sensible. Prenons un exemple : pour DCNS, le montant annuel de commandes par les Programmes à Effet Majeur, varie entre 1,5 et 2 Md€ aujourd’hui. Avec le Socle Défense, il s’établirait entre 5,5 et 7 Md€ pendant 20 ans. Les implications stratégiques sont très importantes, et les industriels ne manqueront pas de saisir une telle opportunité.

Par rapport au CICE, il y a également deux aspects à prendre en compte : d’abord, le Socle Défense ne négociera qu’avec un nombre limité d’acteurs majeurs de la Défense, soit une dizaine d’entreprises. D’autre part, ce n’est pas une mesure budgétisée. Il n’y a donc pas de pression politique possible. 

S'il était décidé, ce Socle Défense pourrait-il être pleinement opérationnel en combien de mois et ses effets utiles attendus seraient effectifs pour quelle année ? 

Nous estimons qu’il faut 1 an pour lancer le Socle Défense dans de bonnes conditions, mais cela peut être plus rapide. Il faudra plusieurs années pour mettre en place la planification par Cycle Défense, et pour permettre aux industriels de monter en puissance. Mais nous ne resterons pas inactif pendant ce temps. Nous avons établi un plan d’investissement progressif de 100 Md€ sur les 5 premières années, dont le but est d’accompagné la montée en puissance de l’industrie française, et de combler les défaillances capacitaires majeures de nos forces : il s’agira ainsi de commander des Rafales, des Tigre, des FREMM (FRÉgates Multi-Missions), des blindés Jaguar et Griffon, mais également de compléter les dotations de VBCI (Véhicule Blindé de Combat d'Infanterie), de CAESAR (CAmion Équipé d'un Système d'ARtillerie), de NH90 et d’A400M. Il s’agira enfin de financer les programmes trop longtemps reportés comme les A330, les H160, le programme BATSIMAR (BÂTiment de Souveraineté et d'Intervention MARitime) et FLOTLOG (FLOTte LOGistique).

Le Socle Défense est-il à même de permettre l'accomplissement du contrat opérationnel décidé dans le livre blanc de 2013, résorber la bosse budgétaire et moderniser la dissuasion nucléaire ? 

Nous sommes parti du principe que le Livre Blanc était sous-évalué. De fait, nous avons établi un modèle permettant d’aller bien au delà. Le Socle Défense repose sur un nouveau paradigme : la Défense à Valorisation Positive. Ce concept démontre qu’au delà d’un certain seuil, les investissements dans la Défense génèrent, dans certaines conditions, plus de recette fiscale qu’ils n’en coûtent. En fait, sur les 5 premières années, le Socle Défense va générer 25 Md€ de plus-values fiscales, en plus de celles utilisées pour financer le passage du budget de la Défense de 41 à 65 Md€. En 10 ans, la plus-value fiscale compense intégralement le budget de la Défense. On peut dire que la Défense, dissuasion incluse, est donc autofinancée.

Quelle régulation obligera les forces armées à n'accroître les arsenaux que pour les stricts besoins exprimés par le Politique ?

Le gouvernement contrôlera les paramètres du PEDA, notamment le plafond de dépôt annuel. Il pourra donc moduler les dépôts avec les besoins de financement, eux mêmes étant conséquent des besoins opérationnels.

Ceci étant dit, le « besoin politique » est un concept qui induit une limite, et cette limite est intuitivement la capacité de financement. Or, dans notre cas, ce n’est pas la valeur de contrainte. Les financements disponibles seront supérieurs aux possibilités de recrutement et de formation des forces armées et des industriels. Comme je le disais, c’est un nouveau paradigme, il faut changer de perspective. 

Ce système est-il suffisamment souple pour éviter que la commande publique ne se rigidifie trop entre la planification de la commande publique et la contractualisation des cibles et cadences des programmes ? 

Ce ne sera pas plus rigide qu’aujourd’hui. Pourquoi le prix des FREMM a doublé quand nous avons divisé par 2 leurs nombres sur la mémé durée ? Parce que DCNS ne devait pas réduire ses effectifs … masse salariale constante et production divisée par 2, on est obligé de doubler le prix. La différence sera que nous n’aurons plus à faire des arbitrages dramatiques de ce type. 

Plutôt que le système actuel où les commandes étrangères compensent le recul national des cibles des programmes, est-ce que les économies d'échelle engendrées par des commandes régulières et de hautes cadences industrielles pourront-elles être étendues à l'exportation ?

Effectivement, un des intérêts du Socle Défense et de pouvoir travailler sur des séries importantes, ce qui réduira les prix pour les exportations. Mais au delà de cet aspect, le Socle Défense intégrera une offre de financement comparable pour une partie des offres exportées, avec un taux offset pouvant atteindre 75%. Le but est de permettre aux clients de l’industrie de Défense de profiter des retombées économiques de leurs investissements. 

Quelles conséquences pour la Flotte ?

Il n’est pas dans les attributions du Socle Défense de définir les équipements à construire. C’est le rôle de la DGA et des états-majors. Toutefois, nous pouvons nous effectuer des projections. Ainsi, pour la Marine Nationale, le format pourrait passer à 60 voir 70 000 personnels. La flotte serait composée de 3 groupes aéronavals autour de porte-avions de 70 000 tonnes, et de 3 groupes d’action amphibie articulés autour de 2 BPC (Bâtiment de Projection et de Commandement) chacun. Elle disposerait d’une dizaine de grands vaisseaux anti-aériens, d’une vingtaine de frégates ASM (Anti-Sous-Marines) lourdes et autant de frégates moyennes. La protection des zones littorales et des ZEE serait assurée par une trentaine de corvettes, autant de patrouilleurs hauturiers, et une dizaine de bâtiments multi-missions. La flotte disposerait d’une Douzaine de SNA, de 6 à 8 SSK qui assureraient la protection des arsenaux, et d’une vingtaine de chasseur de mines. La flotte océanique stratégique resterait inchangée, et les moyens aéronavals seraient proportionnés de même que la flotte de soutien.

Cela peut paraitre très important, pourtant c’est sensiblement la même augmentation de capacité que celle que prévoit de mener la Russie dans les 20 prochaines années, et c’est inférieur à la croissance planifiée par la Chine. Il s’agit donc pour la France de rester au contact, et de préserver le rôle et la France et de l’Europe dans la redéfinition géostratégique du monde qui est en cours.

2 commentaires:

  1. Bonjour Marquis,
    Entretien intéressant et instructif ! L'avant dernier paragraphe sur les dimensions de notre flotte me laisse d'ailleurs pantois... Quel est vôtre opinion sur le Socle Défense ? Quel écho a-t-il auprès des candidats à la présidentielle ?
    Cordialement

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  2. Bonjour,

    Je trouve cet article après un passage rapide sur la tribune (Cabirol 15/11/2017). N'étant pas du secteur financier j'ai quelques difficultés à appréhender le fonctionnement d'un tel mécanisme.

    On a une somme d'argent S qui croît d’i+1.5%. Avec laquelle on est en mesure d'acheter les équipements militaires et financer leurs développements.

    Cela soulève quelques questions de ma part:
    D’où vient le +1.5% (budget de la défense, investissement à haut risque ou autre)?
    Un équipement militaire peut-t-il générer de la valeur quantifiable? (en dehors des pmc, j'ai la mauvaise intuition de penser qu'un équipement une fois acheter ne fait que perdre de la valeur)

    On passe tous les équipements en location c'est ça? (d'une part :le fumet d'échec administratif en devenir. D'autre part : placer ses équipement à l'étranger en attendant de s'en servir dit autrement "financer la défense par l'étranger" je ne suis pas sur d'avoir compris)

    Ce dispositif semble dépendre de conditions financières particulières (inflation à 2%). Qu'en est-il si ces conditions ne sont plus respectées?

    Enfin, peut-ont y appliquer la maxime de Lavoisier "Rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme"?

    Cordialement

    David

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