09 mai 2018

L'US Navy réactive la 2eme Flotte des États-Unis

© US Navy - Le porte-avions USS Theodore Roosevelt (CVN 71), ici dans l'océan Pacifique le 2 mai 2018, avec sur le pont d'envol des F/A-18 Hornet et F-18 E/F Super Hornet du Carrier Air Wing (CVW) 17.
L'Amiral John Richardson, Chief of Naval Operations (CNO) - ou Chef des Opérations Navales (CNO) -, proclamait le 4 mai 2018 dans un communiqué de presse publié le 5 mai 2018 la recréation de la 2ème Flotte des Etats-Unis lors d'une cérémonie de passation de commandement. Cette déclaration a été faite le 04 mai 2018, lors du changement de commandant à la tête de l'US Fleet Forces Command (USFF) de Norfolk. C'est la troisième réactivation (4F (2008), 10F (2010) et 2F (2018) d'une flotte au sein de la marine américaine. Il pourrait s'agir là d'une deuxième réponse américaine aux nouvelles menaces opérationnelles touchant à la maîtrise de l'espace sous-marin : la première réponse était l'augmentation de 48 à 66 sous-marins d'attaque dans l'objectif à long terme. La deuxième réponse pourrait être la ré-activation de la Second fleet. Toutefois, cela ne laisse pas apparaître un mouvement de recentrage stratégique propre à contrebalancer la ré-orientation des forces dans le Pacifique. Tout au plus, l'US Navy pose peut être là quelques jalons pour l'avenir en plus d'optimiser son organisation.

Lors de son discours devant les militaires présents ce jour-là, John Richardson a expliqué que « notre stratégie de défense nationale indique clairement que nous sommes de retour dans une ère de concurrence entre les grandes puissances, alors que l'environnement de sécuritaire continue de devenir plus difficile et plus complexe ». « C'est pourquoi aujourd'hui, nous réactivons la 2ème Flotte pour faire face à ces changements, en particulier dans l'Atlantique Nord », a-t-il aussi précisé. Comme pour les autres Flottes de l'US Navy actuellement en service, la 2ème Flotte « exercera une autorité administrative et opérationnelle sur les bâtiments, les avions de combat et l'ensemble des unités qui lui sont affectés entre la côte est et l'océan Atlantique nord ». A l'heure actuelle, on ne sait pas encore quels sont les navires de combat et les flottilles embarquées qui lui seront assignée.

Le 30 septembre 2011, dans l'objectif de réaliser des économies et afin d'injecter ces fonds économisés dans les autres unités de l'US Navy, la 2ème Flotte (2nd Fleet) a été officiellement dissoute lors d'une cérémonie militaire organisée sur la base navale de Norfolk, située dans l'Etat de Virginie, sur la côte est des Etats-Unis d'Amérique. Sept ans plus tard, cette décision vient d'être renversée puisque la 2nd Fleet va reprendre la mer.

L'United States Navy (USN) s'organise autour de quatre pôles principaux que sont le Secrétaire d'État à la Marine, le CNO (Chief of Naval Operations), l'ensemble des forces opérationnelles et les bases de soutien à terre. La force opérationnelle comporte 283 bâtiments de guerre en mai 2018 pour 89 déployés. Les effectifs se montent à 325 000 marins d'active, 99 000 dans la Ready reserve et 208 000 employés civils. La marine américaine peut compter sur un peu plus de 3700 aéronefs.
L'organisation opérationnelle de l'US Navy s'articule géographiquement autour des grands commandements géographiques créés en 1906 par le Président Theodore Roosevelt (14 septembre 1901 – 4 mars 1909) dont les deux principaux sont l'US Atlantic Fleet - devenue l'United States Fleet Forces Command  - et l'US Pacific Fleet. D'autres grands commandements géographiques sont créées par la suite et les rationalités qui les gouvernent sont, très grossièrement, une allocation des bateaux en fonction des besoins géostratégiques : le terrible dilemme entre concentration navale et stations lointaines.

Depuis la deuxième moitié du XXe siècle, il est à relever que les grands commandements géographiques de l'USN s'accordent presque merveilleusement bien avec les dix Unified Combatant Command (1946). 

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Relevons, pour ce qui nous intéresse, que les :
  • United States Fleet Forces Command (USFF) et U.S. Fleet Cyber Command couvrent toute ou partie de l'USNORTHCOM ;
  • L'U.S. Southern Command  est du stricte ressort géographique de l'USSOUTHCOM. 
  • United States Naval Forces Europe - Naval Forces Africa est à cheval sur USEUCOM et USAFRICOM, bien que le deuxième soit plus ou moins une déclinaison du premier ;
  • United States Naval Forces Central Command est l'un des commandements de l'USCENTCOM ;
  • L'United States Pacific Fleet correspond à l'USPACOM.
Pourtant, cette organisation géographique manquait de pertinence pour répondre aux nécessités opérationnelles imposées par la Deuxième Guerre mondiale (1ᵉʳ septembre 1939 au 2 septembre 1945). Afin de répondre aux contingences du nouvel art de la guerre aéro-sous-marine - expression de l'Amiral Barjot (13 octobre 1899 - 1 février 1960) - et aéronavale, la marine américaine se penche sur la problématique d'une organisation opérationnelle. L'Amiral Ernest J. King (2 novembre 1878 - 25 juin 1956) - alors CNO tandis que l'Amiral Chester Nimitz (24 février 1885 - 20 février 1966) était commandant en chef de la Flotte dans le Pacifique - propose de profondes modifications :

Premièrement, chaque commandement géographique pourra assigner à l'une des numbered fleet créées un certain nombre de bâtiments de guerre et d'aéronefs. A chacune de ces flottes correspondra une tâche opérationnelle bien précise à accomplir à l'échelle géostratégique. Par exemple, la Tenth fleet devait coordonner les efforts pour gagner la bataille de l'Atlantique.

Les premières fleets sont mises sur pied dès le 15 mars 1943. Les flottes aux numéros pairs correspondaient à l'océan Atlantique tandis que celles aux numéros impairs relevaient de l'océan Pacifique. Le Goldwater-Nichols act (1986) élèvent d'un échelon supplémentaire les flottes numérotées qui n'ont plus une existence ponctuelle au gré des besoins opérationnels d'un théâtre mais deviennent permanentes. 

Deuxièmement, l'ensemble des forces opérationnelles qu'elles découlent ou non de l'une des numbered fleet peuvent être déclinées en task forces. Elles représentent autant de capacités opérationnelles très précises.

En 2018 sont célébrés les 75 ans des numbered fleets, anniversaire amplement mérité puisque c'est cette organisation entre fleets et task forces qui permet d'accroître et d'optimiser les productivités tactiques et stratégiques. C'est dans cette nouvelle organisation que s'épanouissent pleinement les porte-avions, particulièrement dans le cadre de la guerre du Pacifique (7 déc. 1941 – 2 sept. 1945).

2009.


Flottes


Création

Désactivation

Réactivation
Bâtiments
et
aéronefs

First Fleet


1F

1946

1er février 1973

/

/

Second Fleet


2F

1950

30 septembre 2001

1er juillet 2018

/


Third Fleet



3F


15 mars 1943


7 octobre 1945


1er février 1973

~ 70 bâtiments dont les CSG 1, 3, 9 et 11

~ 400 aéronefs


Fourth Fleet


4F

1943

1950

12 juillet 2008

/

Fifth Fleet


5F

26 avril 1944

Janvier 1947

1er juillet 1995
Quelques bâtiments et aéronefs

Sixth Fleet


6F

12 février 1950

/

/

~ 20 bâtiments

Seventh Fleet


7F

15 mars 1943

/

/

~ 60 bâtiments dont CSG 5

~ 90 aéronefs


Eighth Fleet


8F

15 mars 1943

15 septembre 1945

1er mars 1946
-
Janvier 1947

/

Ninth Fleet


9F

15 mars 1943

1953 (?)

/

/

Tenth Fleet


10F

Mai 1943

Juin 1945

29 janvier 2010

/

Eleventh Fleet


11F

15 août 1943

1945 (?)

/

/

Twelfth Fleet


12F

1er octobre 1943

1946

/

/

  • United States Fleet Forces Command 
  • U.S. Southern Command 
  • United States Pacific Fleet 
  • United States Naval Forces Central Command 
  • United States Naval Forces Europe - Naval Forces Africa 
  • U.S. Fleet Cyber Command
La ré-activation des Second Fleet (annoncée le 4 mai 2018 pour une mise en œuvre opérationnelle au 1er juillet 2018) et Fourth fleet (12 juillet 2008) peut se lire de plusieurs manières :

La première est de ne pas exagérer l'annonce. L'une des toutes premières problématiques est bien de replacer l'United States Atlantic Fleet (USFF ; ~ 150 bâtiments de guerre) sur ses missions premières que sont la sûreté des atterrages des États-Unis d'Amérique (USNORTHCOM) et la régénération du potentiel opérationnel des forces navales basées en Amérique du Nord afin qu'elles puissent être projetées. Ces deux ré-activations à dix années d'intervalles déchargent USFF d'un contrôle de l'espace sous-marin plus en avant dans le Nord de l'océan Atlantique (Second fleet) et de s'occuper de mener une diplomatie navale en Amérique du Sud.

La deuxième touche à la question de l'affectation des bâtiments de guerre et aéronefs à cette nouvelle flotte. Depuis le début des années 2000 jusqu'à la fin du premier mandat du Président Obama, le redéploiement des forces navales américaines à direction du Pacifique a été net car 60% de l'USN y est concentrée. Pour alimenter la Second fleet il est toujours possible de prélever sur les forces de l'USFF. Par exemple, sur les neuf Carrier Strike Group (CSG) quatre sont versés à USFF alors que les cinq autres se partagent à raison de quatre pour la Third fleet (Pacifique Est) et un seul pour la Seventh Fleet (Pacifique Ouest). Mais ce serait amoindrir la présence aéronavale américaine, en particulier en Méditerranée orientale ou dans le Golfe Persique tandis que le Président Donald J. Trump souhaite toujours remettre en cause l'accord nucléaire avec l'Iran.

En arrière-plan, et pour ne rien gâcher, Washington livre une féroce bataille pour atteindre la 355-ships : les débats portent sur le fait de savoir quand l'objectif doit être atteint, avant ou après 2030 ?, et s'il faut produire un effort en matière de bateaux en Flotte ou bien comptabilisés ceux en Flotte avec ceux en commande ou mis sur cale. Il est toujours question de prolonger le service actif de bien des unités, en particulier les destroyers Arleigh Burke et quelques croiseurs Ticonderoga. La Chine pourrait atteindre à l'orée de l'année 2025 quelques 320 à 325 bâtiments de combat. L'USN y sera-t-elle ? 

La troisième remarque est de ne pas déconsidérer cette ré-organisation fonctionnelle puisqu'elle est dictée par un accroissement des risques civilo-militaires dans l'Amérique du Sud et d'une influence croissante des "puissances révisionnistes" (National Security Strategy of the United States of America (décembre 2017) dont la principale désignée est la Chine (Fourth fleet). La ré-activation de la Second fleet annonçait par l'Amiral John Richardson est d'une clarté absolue quant aux objectifs poursuivis selon le communiqué officiel :
"Our National Defense Strategy makes clear that we're back in an era of great power competition as the security environment continues to grow more challenging and complex," said Richardson. "That's why today, we're standing up Second Fleet to address these changes, particularly in the north Atlantic."

Amiral John Richardson, Chief of Naval Operations, 4 mai 2018.
© US Navy - Un « no fly day » organisé sur le porte-avions USS Theodore Roosevelt (CVN 71), alors qu'il navigue dans l'océan Pacifique, en mai 2018.
 Moscou est bien la "puissance révisionniste" visée derechef par le CNO. La Fédération de Russie renouvelle ses moyens navals et, particulièrement, ses capacités sous-marines. Sur ce dernier point, le plein effet utile atteindra son optimum opérationnel pendant les années 2020. L'accroissement de l'activité sous-marine russe sera plus facile année après année grâce à des bateaux de facture majoritairement neuve dans les années 2020. Il est tout autant question, outre la hausse continue du nombre de jours de mers effectué par chaque sous-marin, de la capacité déclarée ou suggérée de certains vaisseaux noirs à investiguer de nouveaux segments opérationnels : typiquement, l'emploi de sous-marins refondus pour les "opérations spéciales sous-marines".

La VMF (Voïenno-Morskoï Flot) dispose, en 2018, d'environ 62 sous-marins stratégiques (13) et d'attaque (49). Les perspectives du format de la sous-marinade russe à l'horizon 2030 s'établisse à 39 sous-marins (9 sous-marins stratégiques et 30 sous-marins d'attaque). En l'état actuel des choses, et sur la façade stratégique concernée, c'est-à-dire le Nord de l'océan Atlantique, la Russe peut compter sur les bateaux suivants :
  • flotte de la Baltique :
    • 2 Sous-marins classiques pleinement disponibles ;
  • flotte du Nord :
    • 7 SNLE (Sous-marins Nucléaires Lanceurs d'Engins) disponibles pour les opérations sur 8 ;
    • 2 SSGN disponibles sur 3 ;
    • 7 SNA sur 14 disponibles ;
    • 5 sous-marins classiques sur 6.
COMSUBLANT (COMmander SUBmarine Force atLANtic) dispose de 28 sous-marins dont 20 Sous-marins Nucléaires d'Attaque (SNA) et 2 SSGN (Ship Submersible Guided missile Nuclear) tandis que le Submarine Service (Royal navy) vise un format de 7 Astute alors que celui de la FOST (Marine nationale) est de 6 SNA dont un est dans l'océan Atlantique en permanence, en moyenne. Cela laisse 30 sous-marins d'attaques (SNA et SSGN) OTAN face à 23 SNA et SSGN russes dont 14 sont dans le cycle opérationnel (hors refontes, etc).
 
L'état actuel des choses n'impliquent pas un accroissement des forces mais bien une volonté politique d'arrêter la décrue des formats des différentes marines concernées : ce qui est peu ou prou fait dans toute l'Alliance atlantique. Il sera à observer si une probable évolution du discours américain quant au "partage du fardeau" - repris par le Président Donald J. Trump (2017) mais aussi, avant lui, par l'ancien Secrétaire d'État à la Défense Robert Gates (2011) avec grand fracas - dans le sillon de cette augmentation de l'activité opérationnelle des forces américaines eu Europe du Nord sera suivie de demandes précises.

La première demande pourrait être d'attendre des Européens des efforts supplémentaires en matière de lutte anti-sous-marine : frégates, sous-marins et avions de patrouille maritime. Reste à se demander si ces débats auront une influence sur le format des sous-marinades britanniques et françaises qui atteint ses limites. Les deux pays pivotent, également, vers le Pacifique (FONOPS (Freedom Of Navigation OPerationS) de Paris et Londres dans les mers de Chine ; Londres fait connaître sa volonté d'envoyer les porte-aéronefs HMS Queen Elizabeth et Prince of Wales en Asie du Sud-Est) : autant de SNA en moins dans l'Atlantique Nord (deux à quatre).

La deuxième demande pourrait être de rediscuter de la mise en cohérence des efforts des membres de l'Alliance atlantique. Par exemple, le Royaume-Uni (9) et la Norvège (5) commandent des P-8 Poseidon et auraient tout intérêt à coopérer sur le plan opérationnel (zones de patrouille, soutien). Autre exemple, il est intéressant que, coup sur coup, des marines européennes participent à des COMPUTEX (Composite Training Unit Exercise : l'exercice préparatoire au déploiement d'un CSG) tandis que, ponctuellement, des porte-avions américains semblent devoir revenir sillonner les eaux d'Europe du Nord avant ou après, voire alternativement, à une croisière en mer Méditerranée.

Au final, l'affrontement entre les volontés dans la protection ou le délitement du lien transatlantique dépendra, pour beaucoup, de la poursuite des efforts navals russes tandis que pour la première fois depuis 2000 le budget militaire russe est en recul et ce, pour deux années consécutives. Le dernier plan de dépenses militaires semble renvoyer les mises sur cales des grandes unités, c'est-à-dire les destroyers Lider et un hypothétique nouveau porte-avions au plus tôt en 2025. Mieux encore, en l'état actuel des tranches navales russes, le nombre de sous-marins va chuter entre 2018 et 2030 d'environ 62 à 39 dont 15 sous-marins à propulsion classique. La "continentalisation" de la Marine russe est une évolution stratégique qui pourrait tendre à se confirmer. Des deux côtés de l'Atlantique, les formats des marines otaniennes dont l'USN en est le plus gros morceau se maintiennent ou progressent.

Loïc Lauze 

Le marquis de Seignelay

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