25 octobre 2018

Force opérationnelle atomique : Corvette nucléaire C75

© US Navy. Le CGN-9 USS Long Beach (1961 – 1995) aurait pu bénéficier de l’embarquement de systèmes SSM-N-9 Regulus II (Chance Vought) puis UGM-27 Polaris A1 (Lockheed Corporation).

     Un exposé d’un ancien directeur de TechnicAtome, l’IGA (2S) Charles Fribourg (« La technologie des réacteurs de propulsion navale », 10 janvier 2002) comporte la mention d’une « Corvette nucléaire C75 » ne semblant apparaître nulle part ailleurs. L’un des plus grands intérêts résidant dans la découverte de cet avant-projet est de démontrer que la « Force opérationnelle atomique » ne disparaissait pas en 1958 mais que certains artefacts perdurèrent jusqu’en 1975 : et peut-être même après ?

     L’exposé comprend un certain nombre de points circonstanciés quant aux différentes filières de réacteurs nucléaires dont celles conçues pour aboutir à des réacteurs navals embarqués. Par exemple, l’IGA (2S) Charles Fribourg évoquait la filière de la Chaufferie Avancée de Série (CAS) devant tirer parti des filières des réacteurs à eau pressurisé Prototype A Terre (PAT) – équipant les SNLE de classe Le Redoutable (6) – et de la Chaufferie Avancée Prototype (CAP) – équipant les SNA72 de classe Rubis (6) – et se caractérisant plus particulièrement par son architecture à « boucles courtes » par intégration du générateur de vapeur à l'enceinte de confinement du réacteur.

     La finalité fonctionnelle de la filière dite CAS - outre de permettre la fabrication de chaufferies nucléaires embarquées - était d’équiper la propulsion de bâtiments de surface. L’IGA (2S) propose même une liste des avant-projets concernés : « Porte-Hélicoptères dit PH75,  Corvette  nucléaire C75, Brise-Glaces destiné aux garde-côtes canadiens » qui est conclue par « etc. »

     L’avant-projet PH75 – dernier d’une longue lignée d’avant-projets PHA – visait à répondre à l’un des besoins formulés par le « Plan bleu » contenu dans le décret du 29 février 1972 fixant la composition des forces navales françaises quant à la succession du porte-avions Arromanches (1946 – 1974) et du croiseur porte-hélicoptères Jeanne d’Arc (1964 – 2010) en leurs missions amphibies et de lutte sous la mer. Il est souvent rapporté qu’il a été écarté lors de la séance du 23 septembre 1980 du Conseil de Défense au profit du PA75 mais, en réalité, il s’agirait plutôt d’un abandon dès 1978 car il apparaissait que le retour dans le lancement du programme laissait apparaître qu’il était devenu temps, aussi, de préparer la succession des Clemenceau (1959 – 1997) et Foch (1963 – 2000). 

     L’avant-projet corvette nucléaire C75 a donc émergé entre 1970 et 1980, c’est-à-dire après le cadre dressé pour lancer la « Force opérationnelle atomique » : 

     MM. Philippe Quérel (Vers une marine atomique - La marine française (1945 - 1958)) et Patrick Boureille (La marine française et le fait nucléaire (1945 - 1972)) narrent dans leurs travaux de thèse la naissance du sous-marin atomique français. Le Statut naval de 1955 définissait la demande d'un tonnage global de 540 000 tonnes de bâtiments de guerre qui se répartit comme suit :

  • 450 000 tonnes de bâtiments de combat, 
  • 20 000 tonnes de bâtiments amphibies, 
  • 70 000 tonnes de bâtiments auxiliaires.

     La Marine souhaitait se dégager du rôle qui lui était alors progressivement assigné : c'est-à-dire réduite à se disperser lors des premières frappes atomiques puis à se concentrer sur la protection des convois traversant l'océan Atlantique et des débarquements. Au contraire, elle souhaite tirer tout le parti des tranches navales à venir de la deuxième phase du statut naval afin de repositionner une partie de ses futures capacités opérationnelles sur un appoint naval à la future force de représailles. Ce besoin est étalé en trois deux phases :

  • La première (360 000 tonnes) devait atteindre les objectifs définis en termes de tranches navales en 1963. 
  • La deuxième phase (180 000 tonnes) serait atteinte, quant à elle, en 1970.

     En ce sens, l'Amiral Nomy - chef d'état-major de la Marine (26 octobre 1951 - 1er juillet 1960) - rédigeait un rapport, en date du 20 octobre 1956, à l'attention du ministre de la Défense nationale et des forces armées, M. Maurice Bourgès-Maunoury, portant demande d'inflexion du Statut naval de 1955 (Patrick Boureille (La marine française et le fait nucléaire (1945 - 1972), thèse, annexes, p. ).

Il vantait les mérites de la propulsion atomique comme démultiplicateur de la valeur militaire des navires de surface et sous-marin. L'atome confère une autonomie presque illimitée qui accroît sans commune mesure les mobilités tactique et stratégique. Il demande une vitesse d'ensemble de 40 nœuds et que les navires soient équipés de la même tranche réacteur (puissance de 60 000 CV). Il y aurait eu à bord autant de tranches que nécessaire pour atteindre la puissance désirée.

     Il ne s'agissait ni plus ni moins que de constituer une force navale dotée d'engins atomiques, similaire par sa structure et ses bâtiments, à un « strike group » américain. La vitesse visée devait permettre de marcher à la même vitesse que les futurs bâtiments de l'US Navy et donc permettre à la France de peser dans l'Alliance atlantique et donc au sein des travaux discutés à l’OTAN grâce à cette capacité navale nouvelle.

L'un des premiers vecteurs nucléaires était alors le missile de croisière Regulus I (500 nautiques de portée). Il embarquait sur 4 croiseurs, 10 porte-avions (occasionnellement, en réalité) et 5 sous-marins. En France, il semblait alors possible de disposer à l'échéance de la réalisation de cette partie du programme naval d'un missile balistique d'environ 3000 km de portée.

     Cette force opérationnelle atomique telle que conçue en 1956 devait comprendre les bâtiments suivants (le vocabulaire est du CEMM) :

  • 2 sous-marins stratégiques (Q244, une deuxième unité) ; 
  • 4 sous-marins tactiques d'accompagnement ; 
  • 2 « Capital-Ships » : soit deux porte-avions stratégiques (2 x 30 000t ; 4 réacteurs chaque), soit deux croiseurs lance-engins de destruction massive (2 x 15 à 20 000t ; 2 réacteurs chaque) ; 
  • 6 croiseurs escorteurs (6 x 5 ou 6000t ; 1 réacteurs chaque) ; 
  • 2 bâtiment-ravitailleurs (2 x 10 000t).

     Dans cette perspective, l'Amiral Nomy proposait de modifier la programmation au sujet de la deuxième phase du plan naval, devant être achevée en 1970 : sur les 180 000 tonnes, 120 000 serviraient à la constitution de la « force opérationnelle atomique » tandis que 60 000 seraient constituées de bâtiments de soutien.

Le CEMM propose alors deux périodes triennales (1961 - 1963 ; 1964 - 1966) par lesquelles seront commandés, au sein de chacune : un porte-avions ou croiseur lance-engins, trois croiseurs escorteurs, deux sous-marins atomiques et un bâtiment base atomique.

Cette programmation semble avoir été adaptée par un document du 7 novembre 1958 qui établissait deux plans quinquennaux (1959 - 1964 ; 1965 - 1969) qui devaient très probablement achever les 180 000 tonnes pendantes du Statut naval de 1955. Et il s'agissait peut-être de s'adapter à la future Loi de programme à la période quinquennale dont il était peut-être d'ores et déjà question dans les coursives, en 1958. 

     Mais la Force opérationnelle atomique était abandonnée : en raison non seulement de l’échec du programme Q244, prononcée en 1958, mais aussi de l’abandon du programme SSM-N-9 Regulus II (Chance Vought) qui devait équiper les « sous-marin stratégiques » mais également les « porte-avions stratégiques » : l’avant-projet PA59 mais aussi les PA54 et PA55. Et la mise sur cale en 1958 du futur SSBN-598 USS Georges Washington (1959 - 1985) achevait de convaincre de l’inanité du concept initial de « sous-marin stratégique ».

     Le retour aux affaires du général Charles de Gaulle achevait la séquence politique de reconfiguration et de la programmation et de l’outil atomique militaire à forger. L’essentiel des financements sera alors consacré à la constitution de la Force Océanique Stratégique (FOSt) tandis que les forces conventionnelles, et ici navales, subissaient un sous-financement qui finit par être pris en compte par le niveau politique, au point de parvenir à la formulation du « Plan bleu » contenu dans le décret du 29 février 1972 fixant la composition des forces navales françaises et dont l’essentiel des efforts portait au profit de la flotte de surface, même si la flotte sous-marine devait bénéficier dans ce cadre de la construction de plusieurs SNA.

     C’est pourquoi l’existence de cet avant-projet de Corvette nucléaire C75 incline à penser que le Statut naval de 1955, révisé en 1956, a laissé subsister, au moins, un artefact qui avait donc été intégré au Plan bleu et dont la finalité, déduite par apparence intuitive, était d’accompagner les deux porte-avions et de deux porte-hélicoptères.

L’ avant-projet de Corvette nucléaire C75, dont les caractéristiques furent donc figées lors d’une séance du Conseil supérieur de la Marine (CSM) de 1975, s’inscrirait en droite ligne des avant-projets de croiseurs d’union française jusqu’aux frégates lance-engins. Et ici, la C75 semble être postérieure aux corvettes C70 de classe Georges Leygues (7). Est-ce à dire qu’elle en partageait une partie des caractéristiques ? Ou bien en différait-elle foncièrement ?

 

5 commentaires:

  1. Très intéressant et... étonnant aussi. Pourquoi faire le choix d'installer une pile atomique sur un si petit bâtiment?
    Une frégate nucléaire en revanche pourrait être intéressante, pour former un GAN entièrement nucléaire par exemple.

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    1. Dans les années 70-80 une "corvette" était le nom donné aux "frégates" d'aujourd'hui (ainsi les frégates F70 était à l'origine des corvettes)

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    2. Ah d'accord, je comprend mieux maintenant.

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  2. Dès 1966, des plans d'une corvette à propulsion nucléaire ont été dessinés. Le projet est donc plus ancien encore.

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    1. Monsieur Kowalski,

      Bonsoir et merci beaucoup de visiter ce blog !

      Je serais très curieux de connaître ce projet car à travers la lecture des thèses de MM. Philippe Quérel et Patrick Boureille j'avais noté l'intégration à la programmation, par révision du statut naval en 1955, de la « Flotte atomique » dont un croiseur lance-engins à propulsion atomique devait suivre les premiers croiseurs lance-engins de classe Suffren, renommés frégates lance-engins.

      Mais il me semble n'avoir jamais croisé une quelconque référence à ce quoi à quoi ils auraient pu ressembler, hormis la mention dans les deux thèses précités de l'esquisse d'un croiseur stratégique à propulsion nucléaire, en tant qu'alternative aux porte-avions stratégiques.

      Bien navicalement,

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