08 novembre 2018

Sjøforsvaret : perte de la frégate Helge Ingstad ?

© Inconnu.
La frégate Helge Ingstad (type F310) de la marine norvégienne (Sjøforsvaret) s'est volontairement échouée sur la côte afin d'éviter un naufrage. Elle a été victime d'une collision avec le pétrolier Sola TS de 62 000 tonnes à une vitesse d'environ 7,2 nœuds. La coque est enfoncée et déchirée sur une longueur d'environ 50 ) 70 mètres dont une partie sous la ligne de flottaison. Seuls sept blessés sont à compter parmi l'équipage de la frégate norvégienne. Ce très malheureux accident à la fin de l'exercice otanien Trident Juncture invite à questionner le taux d'attrition des forces navales mondiales dans un contexte de décroissance puis de stabilisation des formats.


© Joseph Dempsey. Suivi AIS de la frégate Helge Ingstad et du pétrolier Sola TS.
La scène prend place à proximité du fjord Hjeltefjord. C'est au nord-ouest de Bergen et plus précisément sur la côte opposée, toujours au nord-ouest, du fort de Skjelanger. Il était 4h00 du matin (3h00 GMT). C'était peut être l'heure des relèves de quart à bord d'une partie des bâtiments et navires sur l'Océan. Un des points à investiguer. Le pétrolier Sola TS suit une route Sud-Nord en direction d'un terminal pétrolier. Le Sola TS  navigue à une vitesse modérée, jusqu'à 7,2 nœuds. La frégate Helge Ingstad  est de retour de l'exercice Trident Juncture. A 4h00 du matin - heure locale -, les routes et de la frégate et du pétrolier se croisent. Aucune information, à notre connaissance, ne laisse entrevoir le pourquoi du comment les deux passerelles ne prennent pas garde au risque puis à la menace d'abordage que font peser leurs routes respectives.

Selon les premières images des dégâts, l'hypothèse suivante peut être formulée : la proue du pétrolier, et certainement son bulbe d'étrave, a violemment enfoncé la frégate Helge Ingstad à partir d'un point un peu à l'arrière du milieu du navire. Sur sa lancée, le pétrolier avançant sur son erre enfonce et déchire la coque de la frégate jusqu'à la proue. La coque de la frégate Helge Ingstad glisse contrainte et forcée, la proue pointant de plus en plus vers le sud, la poupe remontant au nord. Le Sola TS semble à peine ralenti par le choc.

C'est alors que l'équipage norvégien aurait vivement réagi, réveillé ou jeté à terre par le choc. Au cours d'un laps de temps qui reste à déterminer, il apparaît "vite" à l'état-major que les actions de pompage et de colmatage ne sauveront pas le bâtiment. Une décision rare mais vitale a alors été prise : jetée la frégate sur la côte pour la sauver du naufrage. L'arrière donnait manifestement de quoi exécuter l'ordre. La frégate s'échoue, la gîte est alors limitée.

Ordonner à un équipage d'un bâtiment de guerre est relativement rare à l'échelle du siècle. Voir un équipage évacuer le même bâtiment, en particulier en temps de paix, l'est encore plus. La frégate est abandonnée à son sort, très probablement que l'équipage ne pouvait guère en faire plus et que sa survie propre était dans la balance.

Au fil des heures suivantes, l'accident s'aggrave car, et malgré la participation de moyens d'assistance et de sauvetage, la frégate se couche progressivement sur son flanc tribord. Il est alors craint qu'elle ne chavire complètement. Bien qu'assise sur la caillasse, les fonds supporteront-ils les 5300 tonnes, plus l'eau embarquée, du Helge Ingstad ? Les clichés partagés sur les réseaux sociaux permettent d'apprécier comment la frégate s'est couchée sur le flanc, embarquant manifestement l'eau par tribord arrière. La plage hélicoptère disparaît progressivement.


© Inconnu.
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C'est une quasi-première : le drame s'est déroulé pratiquement en direct à partir du moment où la frégate norvégienne s'est échouée. Badauds et journalistes ont pu assister à la fin de la scène et les opérations de la Sjøforsvaret pour sauver l'équipage, le bateau et sécuriser le site, notamment vis-à-vis des hydrocarbures tombés à la mer. Ils seraient majoritairement issus des cuves de stockage destinés à l'hélicoptère embarqué. L'immédiateté de la diffusion à une échelle planétaire semble assez inédit. L'impression néfaste est diffusée à cette échelle.


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Plusieurs sujets sont questionnés à travers ce drame :

La réaction de la classe politique norvégienne à la perte de l'une des cinq frégates F310 sera à observer. Elles participent à la défense aérienne de la flotte. Un cinquième de la capacité est perdu sur une seul erreur. Mais ce sont les cinq F310 sont les seules frégates de la marine norvégiennes et ce sont donc 20% de la "ligne de bataille" qui viennent d'être immobilisés, tronquant d'autant les capacités navales du pays autant pour répondre aux demandes de la diplomatie norvégienne qu'à celles de l'OTAN. En particulier dans un contexte d'accroissement des défis vis-à-vis de la marine russe. Une frégate norvégienne en moins à proximité du "bastion" russe dont l'épicentre est Mourmansk n'est une bonne nouvelle pour personne.

Par ailleurs, l'exercice Trident Juncture était une démonstration et de force et de solidarité à l'endroit de la Russie avec la mobilisation de capacités opérationnelles répondant très précisément aux activités russes dans l'océan Atlantique. Le drame de la frégate Helge Ingstad rejaillit sur toute l'Alliance atlantique.

La portée médiatique de l'évènement piquera-t-il la fierté norvégienne ? De la réponse à cette question dépendra en grande partie le sort futur de la frégate. De prime abord, il semble que la coque peut être relevée et renflouée. Le bâtiment de guerre devra être réparé, voire reconstruit. Cela a un coût probablement inférieur à celui de la mise sur cale d'une frégate neuve. Et quand bien même il serait supérieur, Est-ce que la classe politique norvégienne accepterait de reconnaître le naufrage plein et entier ? Ou fera-t-il parader à nouveau la frégate Helge Ingstad lors d'un exercice OTAN dans les 12 à 24 mois à venir ?


Plus largement, c'est un accident naval de plus qui souligne que, d'une part, "cela n'arrive pas qu'aux autres" et que, d'autre part, il est question du taux d'attrition des flottes. Les marines argentine, chinoise, indienne, indonésienne et russe, pour ne citer qu'elles ont perdu des bâtiments lors d'accident en mer, à quai, voire en cale-sèche. Bien des indicateurs soulignent une progression des dépenses navales de par le monde, il n'en demeure pas moins que les franches augmentations du volume d'une flotte depuis vingt ans ne sont pas nombreuses, hormis quelques cas emblématiques. La réduction des formats cède à peine la place à leur stabilisation. Bien des flottes de surface ont atteint des seuils en-deçà desquels une capacité opérationnelle peut être perdue ou une présence navale compromise, voire les deux à la fois. Il aura fallu six années entre la commande des cinq F310 et la mise en service de la première, cinq années de plus pour recevoir les cinq frégates. Trois années entre la mise sur cale et l'admission au service actif. Cela revient à dire que la remontée en puissance est lente pour recouvrer une capacité.


Ce sera aussi un accident qui interrogera les normes de construction des bâtiments de guerre car il y aura besoin de savoir quelle énergie représentait le choc de la collision, le nombre de compartiments envahis et, in fine, si la frégate pouvait supporter la rencontre ou bien si son architecture s'est révélée défaillante.


In fine, c'est l'art de la navigation et de la manœuvre qui est questionné comme l'une des aptitudes guerrière des marins. Ni plus, ni moins. Les affrontement cinétiques dans les mers asiatiques voit la force crédibilisée proportionnellement à l'efficacité des manœuvres exécutées. Toute manœuvre mal-exécutée décrédibilise l'acteur et le fait apparaître comme un perturbateur, menaçant la sécurité maritime régionale, voire mondiale. Mêmes causes, mêmes effets dans l'air.

C'est pourquoi il y a tout lieu de s'interroger sur trois évolutions. La première est le nombre de jours de mer effectué par équipage. La deuxième est l'attitude à adopter et à transposer à l'entraînement face aux systèmes automatisés à l'apparente redoutable efficacité mais qui peuvent eux-aussi induire en erreur. Troisièmement, c'est la question du risque politique qui oblige à poser une question : si la crédibilité de la force navale repose toujours de manière aussi impérieuse sur l'art de la manœuvre du chef du quart, ne faudrait-il pas alors lui confier à nouveau le soin de prendre le risque d'assurer toutes les manœuvres, en particulier dans les ports et les bases navales, sans l'assistance de remorqueurs ? L'accostage sans assistance révèle souvent les plus fins manœuvriers.

3 commentaires:

  1. Cela me fait souvenir de l'échouage dans le raz de sein de l'EE DUPERRE, tout juste sorti d'IPER dans les années 70.

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  2. A bord du DUPERRE, a l’issue dune journée d’essais épuisante, le commandant avait décidé de ne pas appeler de renforts de navigation, prenant sur lui d’assumer le contrôle de l’équipe de quart. Las, il s’est lui-même assoupi et réveillé lorsqu’il était trop tard...

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  3. A rapprocher de la récente succession d’accidents de mer subie par les navires US au cours de l’année écoulée, dont plusieurs ont entraîné des morts d’homme. Il semble bien que les causes de ces accidents relèvent de trois ordres :
    - confiance excessive dans les aides a la navigation et manque de sens marin ;
    - manque de pratique de la navigation chez les commandants. En effet depuis 20 ans l’accent est mis en école sur la formation scientifique au détriment de la formation maritime, fait aggravé par le peu de pratique de la passerelle au cours des premières années d’embarquement ;
    - manque d’esprit d’initiative chez les officiers chef du quart qui doivent référer au commandant pour toute action s’écartant de la simple routine. Et comme on a vu que ceux-ci manquent a leur tour de pratique et d’expérience...

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