27 mars 2020

Mission Foch : tenir le rang de la France

© Marine nationale.
     L'exécution de la mission Foch, emmenée par le porte-avions Charles de Gaulle, ne peut que s'adapter à la pandémie mondiale du virus SARS Cov-2. Certains s'interrogent sur la pertinence de maintenir la mission. Outre le fait que le chef d'état-major de la Marine nationale, l'Amiral Christophe Prazuck, s'est exprimé pour affirmer que les missions continuent et que deux postures opérationnelles majeures seront maintenues - la dissuasion nucléaire et les opérations extérieures -, il s'agit de vérifier que, oui, la mission Foch participe à double titre à la dissuasion nucléaire de la France et manifeste la capacité du pays à durer à la mer dans toutes les circonstances.


Le porte-avions Charles de Gaulle souffre d'un certain paradoxe : il a été conçu pour affronter l'océan Atlantique Nord dans le cadre de la Maritime strategy, pour défendre le lien transatlantique, sa propulsion nucléaire devait lui permettre d'enchaîner les jours de mer dans les conditions les plus exigeantes tout en le rendant moins dépendant de ses ravitaillements, hormis pour les servitudes habituelles (vivres, munitions et carburéacteur). Et pourtant, depuis son admission au service actif (2001) le bâtiment n'a fait escale que deux fois à Brest (juin 2004 et avril 2011) et la quasi-totalité de sa carrière est vouée à la mer Méditerranée et à l’océan Indien dans le cadre des deux alliances navales régionales majeures de la France : et avec la Grèce face à la Turquie, et avec l’Inde face à la Chine.

La mission Foch l'emmène dans l'océan Atlantique, une première depuis 2010 quand le groupe aéronaval avait alors même franchi le cercle polaire arctique en avril 2010. Difficile de faire plus clair pour comprendre à l’endroit de quelle puissance s’adressait le message. Et la mission avait d'ores et déjà eu à s'adapter à une activité, certes naturelle, mais extraordinaire : l'éruption du Eyjafjöll (Islande) qui avait alors largement perturbée la circulation aérienne et donc obligée à adapter les missions dont celle du groupe aéronaval.

Le cadre politico-stratégique de cette partie de la mission Foch rejoint les rationalités de la conception du porte-avions Charles de Gaulle. À partir d'octobre 2019 et pour une durée de plus ou moins deux mois, 10 sous-marins russes dont 8 à propulsion nucléaire (dont le SSGN Iassen, les 2 x Projet 945A Kondor (Sierra II) ont quitté la mer de Barents pour tester le dispositif anti-sous-marin de l'OTAN et déterminer combien de temps ils pouvaient naviguer et esquiver la détection. Une douzaine d'avions de patrouille maritime furent déployés pour les suivre.

La pression sous-marine russe s'est progressivement accrue depuis 2007 et plus particulièrement depuis 2014 et l'annexion de la Crimée. Pression qui se couple avec les vols de bombardiers stratégiques, d'avions de reconnaissance maritime qui, s'ils ne sont pas spécifiquement conçus et équipés pour l'interdiction maritime, demeurent toutefois des plateformes mettant en œuvre des vecteurs nucléaires.


La partie Atlantique de la mission Foch répond donc à double titre à cette pression russe.

Les exercices menés en mer du Nord rassemblent :

  • le groupe aéronaval : porte-avions Charles de Gaulle, de la frégate de défense aérienne Chevalier Paul, de la frégate multi-missions Bretagne, de la frégate anti-sous-marine La Motte-Picquet, du pétrolier ravitailleur Somme et des frégates Lübeck (Allemagne), Sutherland (Angleterre), Léopold Ier (Belgique, retour base navale le 27 mars 2020) et Blas de Lezo (Espagne), Corte Real(Portugal) ;
     
  • la Standing NATO Maritime Group n°1 : frégate Otto Sverdrup norvégienne, du navire de soutien et de commandement multi-missions Absalon danois et du pétrolier ravitailleur Rhön allemand).

Sans oublier les exercices ponctuels menés avec les forces armées des pays environnants, jusqu'en Suède, qui assurent une influence opérationnelle sans commune mesure, c’est-à-dire sur les mers du Nord et de Norvège.

Cette influence opérationnelle menée à un très haut niveau opérationnel et faisant montre de certaines expérimentations permet d'assurer une posture anti-sous-marine dans le Nord de l'Atlantique dont le premier bénéficiaire, pour la France, est la composante océanique de la dissuasion nucléaire. Il est difficile de concevoir meilleur écran sous-marin que la mission Foch œuvrant au plus près du point central de la ligne GIUK.

Cette force répond elle-même autant à la présence des sous-marins russes qui peuvent tenter d'aller « chatouiller » Faslane et l'Ile Longue mais aussi aux nouvelles capacités qu'ils détiennent par la mise en œuvre de missiles de croisière 3M-54 Kalibr dont la portée maximale atteint 2500 km et dont la future version Kalibr-M atteindra les 4500 km. Il n'est donc plus nécessaire de franchir le GIUK pour menacer la plupart des bases navales du Nord de l'Europe. C’est pourquoi le paradigme n’est plus le nombre de sous-marins soviétiques et leur activité mais bien le nombre de sous-marins russes équipés de ces missiles et leur capacité à se poster de « leur côté » de la ligne GIUK pour être en mesure de lâcher salves sur salves.

Mais cette force participe elle-même à la mise en œuvre de la composante non-permanente de la dissuasion nucléaire qu'est la Force Aéronavale Nucléaire (FANu). Les Rafale M du groupe aérien embarqué peuvent recevoir un missile ASMP-A dont le nombre à bord n'est pas dévoilé, ni même si ces missiles sont bel et bien présents à bord. Mais la Russie ne peut l’ignorer.

C'est pour l'ensemble de ces raisons que la mission Foch continue de procéder de rationalités politico-stratégiques qui participent à la crédibilité de la dissuasion nucléaire et c'est pourquoi cette mission, grâce aux marins qui arment les bâtiments et les aéronefs, manifeste la volonté de la France de tenir son rang sur les mers dans toutes les circonstances.


5 commentaires:

  1. Bonjour. La volonté de tenir un rang nous l'avons, mais je trouve optimiste de ne pas ajouter que nous n'avons plus de moyens pour le faire. Et nous ne pouvons pas nous retrancher derrière le fait que les autres pays européens se sont sabordés sur le plan naval en même temps que nous car ils n'ont pas la ZEE que nous avons.

    Bon confinement,

    EBM

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    1. Merci EBM, bon courage à vous de même ! Prenez bien soin de vos proches et de vous-même.

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  2. Tenir son rang, que voila un beau slogan encore faut-il en avoir les moyens et donc et surtout la volonté financière. Pour ce faire il nous faudrait donc au minimum 2 PA, dans l'ideal 3. Cela étant hors de notre volonté et donc hors de nos moyens il ne nous reste que l'illusion et les slogans. C'est beau et pas cher, désolé mais c'est la réalité.

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  3. Tenir son rang ? Certes mais avec les bons outils : le PA n'est plus l'outil de l'ASM depuis l'avènement de l'hélicoptère embarcable sur des frégates. L'avènement de MPA MPA basés sur des Liner permettra aussi de renforcer la composante 3ème D du système ASM.
    Quant à la gestion des intrusions aériennes russes, elle était basée sur des Tornado IDS basés à terre.
    Réorganiser ses besoins ?

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    1. Ma mémoire a fourché : en fait la version intercepteur long range destinée aux Bombardiers russes était le Tornado ADV (air defence variant)

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