16 mars 2020

« Nous sommes en guerre »


« Nous sommes en guerre » : la déclaration est solennelle, au cours de l'Adresse aux Français. Martelée cinq fois, encore : nous sommes en guerre, nous sommes en guerre, nous sommes en guerre, nous sommes en guerre, nous sommes en guerre. La mobilisation générale est décrétée. L'Union sacrée est réclamée. C'est une guerre totale.

Le Président de la République, lorsqu'il s'agissait de M. François Hollande, lors de ses déclarations et de son allocution aux Français les vendredi 13 et samedi 14 novembre, au sujet de la série d'attentats qui vennaient de frapper la capitale, avait décidé de réunir le Congrès, c'est-à-dire la réunion des deux chambres du Parlement au château de Versailles, haut lieu de la Révolution française dans la magnificence du temple de la monarchie absolue. Et le vocabulaire employé alors par François Hollande laissait présager un aboutissement logique qui aurait pu être la déclaration de guerre. Mais ce temps ne fut pas venu.

Le Président de la République, il s'agit aujourd'hui de M. Emmanuel Macron, après avoir justifié la tenue du premier tour des élections municipales le 15 mars 2020, rappeler les consignes sanitaires et déploré leur non-respect, l'importance primordiale du confinement et donc l'annulation du deuxième tour des élections municipales, a prononcé ces mots terribles que la France n'avait plus jamais prononcé depuis le 3 septembre 1939 quand l'Allemagne sous la férule du régime nazi avait agressé la Pologne :

« Nous sommes en guerre. En guerre sanitaire, certes, nous ne luttons ni contre une armée, ni contre une nation, mais l'ennemi est là et cela requiert notre mobilisation générale. Nous sommes en guerre ».

Le Président de la République, M. Emmanuel Macron.


Tout en expliquant la poursuite de l'action, il martèlera cette phrase terrible à cinq reprises supplémentaires : « Nous sommes en guerre ». La déclaration de guerre n'est pourtant autorisée que par le Parlement (article 35 de la Constitution du 4 octobre 1958) tandis que l'état de siège peut être proclamée en conseil des ministres pour douze jours et prolongé uniquement sur vote du Parlement (article 34). La déclaration du Président de la République peut être qualifiée de purement sémantique, rhétorique alors qu'elle sera suivie des effets désirés sur les politiques publiques. Une mobilisation de la société apparaît comme légalement possible dans le cadre d'une gestion de crise dépassant la conduite ordinaire des affaires de la Nation alors que la lutte armée contre un autre État obligerait l'Exécutif à obtenir l'autorisation du Parlement.

Le recours à la sémantique de la guerre peut être perçue comme le choix d'un vocabulaire servant des artifices oratoires et au service des effets désirés par le discours prononcé. L'entame de ce dernier souligne bien le peu d'effet d'entraînement de toute ou partie des consignes sanitaires et d'une partie importante de la population. Il y a peut être donc par cette déclaration au ton martial la volonté de produire un choc psychologique parmi la population française. Et en France à tout problème sérieux, il faut une solution militaire ce qui est perçu souvent dans la culture française comme un gage d'efficacité et un problème n'est pas jugé sérieux s'il n'implique pas pour l'État l'engagement de l'Armée (de Terre). Mais sous d'autres perspectives, le « nous sommes en guerre » est suivi de l'annonce d'une mobilisation générale qui ne relève pas du seul art oratoire et de l'effet à produire sur le public visé mais bien de réalités tangibles et aux conséquences stratégiques et historiques à venir.

Il n'a rien de moins demandé l'union nationale mais c'est bien l' « Union sacrée » qui résonne aux oreilles. Et celle-ci n'est pas seulement étendue aux partis politiques mais aussi à une grande partie des corps intermédiaires : acteurs politiques, économiques, sociaux, associatifs. Et pour donner corps à cette union nationale appelée de ses vœux par le Président de la République, il affirme que toutes les réformes sont suspendues. La réforme des retraites avaient d'ores et déjà été renvoyées au mois de septembre. Et déclare que le gouvernement légiférera par ordonnances sur les seules matières relevant de la gestion de crise. La main est franchement tendue.

Et le seul moyen d'accroître encore l'unicité de la direction politique du pays est le recours à l'article 16 de la Constitution du 4 octobre 1958. Le Président de la République y avait fait une discrète allusion au cours de son Adresse aux Français du 13 mars 2020. Le recours à cet article de la Constitution n'est pas écartée, c'est-à-dire que le « fonctionnement régulier des pouvoirs publics constitutionnels » pourrait être interrompu.

La mobilisation générale est décrétée. Le Président n'a pas précisé d'autres mesures que l'engagement total de tous les « soignants » et détaillé quelques mesures du soutien apporté par l'État à leur endroit (garde de leurs enfants dans les crèches et les écoles, réquisition d'hôtels et de taxis si besoin était). La suite logique à une telle sémantique est une « mobilisation » au sens militaire du terme : outre la mobilisation de la réserve sanitaire déjà opérée, réclamer la mobilisation « générale » impliquer d'appeler sous les drapeaux des contingents plus large. Et pas forcément tous les militaires, ni forcément que des militaires.

Nous allons assister, au cours des prochaines semaines, à une nouvelle manifestation de la « Nation en armes ». Henri Amouroux voyait la dernière manifestation, de cette autre terrible expression, quand la Ligne Weygand cédait peu à peu sous les coups de buttoirs des Panzerdisivions entre mai et juin 1940 et que, avec l'équivalent de dix divisions françaises contre une quarantaine de divisions allemandes, l'ardeur au combat avait redoublé au point de consacrer la « Nation en armes ». Mais trop tard alors.

La ministre des Armées, Mme Florence Parly, s'est exprimée avant le Président de la République pour délivrer deux messages essentiels : la France tiendra sa posture opérationnelle quant à la dissuasion nucléaire. La France tiendra sa posture quant à ses engagements dans des opérations extérieures. Voilà l'alpha et l'oméga de la politique de Défense. Et, surtout, Mme Parly après avoir détaillé les travaux menés par les Armées depuis plusieurs semaines, a déclaré que les Armées sont « prêtes ».

Mobilisation associative puisque le Président a proclamé que le plus grand secours serait apporté par les collectivités et les grandes associations « pour les plus précaires, démunis, isolés » afin qu' « ils soient nourris, protégés ».

La mobilisation générale est aussi financière et économique : le Président a déclaré que l'économie (nationale ?) serait préservée et que la principale mesure servant cet objectif était la création d'un fonds de garantie des prêts à hauteur de 300 milliards d'euros, accompagné lui-même par un deuxième fonds destiné à soutenir les artisans, les entrepreneurs.

Cette mobilisation de l'économie nationale n'avait pas eu lieu pour abonder les actions, surtout militaires, mais qui auraient pu être avant tout civiles (Intérieur, Justice), entreprises à la suite des attentats de novembre 2015 et il n'y avait eu qu'une actualisation, c'est-à-dire une « stabilisation » des dépenses militaires.

Le Président de la République l'a proclamé : toute l'action publique, et pas seulement celle de l'État, n'a pour seul but que de faire face à l'épidémie. Tous les moyens pouvant être mis à la disposition des pouvoirs publics sont mobilisés. Nous ne sommes pas seulement en guerre. Nous sommes engagés dans une guerre « totale » puisque l'entièreté de la société française est mobilisée dans tous les secteurs d'activité, de vie.

« Nous sommes en guerre » et elle est totale.

« Nous sommes en guerre ».

« Nous gagnerons ».



Vive la République,
Vive la France !


1 commentaire:

  1. Bien beau de le claironner partout sur tous les tons, encore faudrait-il que nous puissions avoir les moyens de faire cette guerre, et là, malgré des dépenses publique en hausse continuelles, pas de masques, pas de matériel de réanimations, manque de personnel, bref l'impéritie, comme en 1870 avec Bazaine, en 14-18 avec nos pantalons rouges et ne parlons pas de 1940?

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