24 avril 2020

« Complémentarité ou concurrence ? La coopération franco-britannique et l’horizon européen de la défense française » par Alice Pannier

© F. Legrand © Shutterstock. 22 août 2019, le Président Emmanuel Macron accueillant le Premier Ministre Boris Johnson à l'Elysée.
     Mme Alice Pannier retrace dans les grandes lignes la coopération franco-britannique au prisme du partenariat franco-allemand, tout en proposant un premier bilan des accords dits de Lancaster House (2 novembre 2010). L'étude s'appuie sur une partie des travaux produits dans le cadre de sa thèse (« Franco-British defence cooperation under the Lancaster House Treaties (2010) : institutionalisation meets the challenges of bilateral cooperation ») qui sera prochainement publiée (Alice Pannier, Rivals in Arms: The Rise of Uk-france Defence Relations in the Twenty-first Century, Québec, McGill-Queen's University Press, 2020, 272 pages). Il est à espérer une traduction française alors que se profile, comme elle l'annonce, un prochain sommet franco-britannique à l'automne 2020.


Mme Alice Pannier dans « Complémentarité ouconcurrence ? La coopération franco-britannique et l’horizon européen de ladéfense française » (Focus stratégique, n° 96, IFRI, avril 2020) livre dès l'introduction un constat qui mérite une attention particulière car il dresse succinctement une partie de la base de travail actuelle de la relation franco-britannique :

« Du fait de sa situation particulière au sein de l’OTAN, entre 1966 et 2009, la France a été moins impliquée dans les liens militaires multilatéraux que les autres pays membres du commandement intégré de l’Alliance. Pendant cette période,la coopération de défense « a reposé dans une bien plus grande mesure qu’avec d’autres alliés sur des arrangements bilatéraux » qui ont été nombreux, bien que « peu connus et sans doute sous-estimés », rapportait la Chambre des Communes britannique en 1991. »

La séquence stratégique étudiée en particulier (2010 - 2020) encadre la rupture qui s'est produite par le vote du BREXIT au référendum de 2016 et des interrogations qui se font jour quant à la forme et aux moyens à donner à la poursuite de la coopération, plusieurs fois justifiée de part et d'autre de la Manche. D'où la problématique centrale, soutenue par deux grandes questions complémentaires :

« Tant le choc du Brexit depuis 2016 que l’avènement d’un nouvel exécutif français à l’été 2017 ont conduit Paris à œuvrer à un renforcement du lien franco-allemand dans le domaine militaire d’une part, et à la relance de « l’Europe de la défense » d’autre part. Quelles sont les perspectives pour la coopération franco-britannique et la relation entre le Royaume-Uni et l’Union européenne, maintenant que le Brexit est advenu ? En quoi la coopération franco-allemande diffère-t-elle de son équivalent franco-britannique, et peut-elle s’y substituer ? Enfin, quel rôle jouent les autres partenaires européens de la France dans la poursuite de ses objectifs stratégiques, en complément de la coopération avec les deux « grands » ? » (p. 10)

Pour tenter d'y répondre, la chercheuse offre au lecture deux parties. Par la première, elle s'attache à développer La coopération franco-britannique dans le cadre des traités de Lancaster House tandis que la deuxième aborde la question de l'équilibrage deux partenariats militaires majeurs : Entre Londres, Berlin et Bruxelles : les nécessaires arbitrages français. L'ombre qui plane sur ces deux coopérations bilatérales structurantes reste la relation entretenue par l'Allemagne et le Royaume-Uni avec les États-Unis d'Amérique qui dimensionne les possibilités de rapprochement et les points de divergence.

Cette première partie, en sa première sous-partie, relate l'origine de la coopération sanctionnée par la signature des accords de Lancaster House et dotée des deux instruments qui sont un premier traité encadrant les différents projets et un deuxième traité servant à encadrer les questions relatives à la coopération nucléaire.

Il est intéressant d'apprendre que cette dynamique aura exigée pas moins de deux années de préparation pour parvenir aux accords et que des efforts ont été consentis des deux côtés de la Manche, notamment financiers (missile ANL), pour donner corps à la coopération. Certains apprendront peut être sous la plume d'Alice Pannier que la coopération nucléaire semble avoir été moteur dans les avancées obtenues au titre de la coopération. Et il se dessine qu'une coopération quant à certains efforts de recherche en matière de SNLE est possible.

La deuxième sous-partie dresse, justement, le bilan entre les coopérations lancées et les résultats obtenus. En matière de nucléaire militaire, le partage des efforts entre les deux pays consiste grandement dans l'érection d'infrastructures de recherche au titre de la simulation (Toutatis, EPURE), la France en retirait des économies substantielles, contrairement au Royaume-Uni car les gains ont été effacés par la non-maîtrise dans la conduite des programmes. Il y a peut être là une divergence franco-britannique, non-relevée, au sujet de l'influence politique de la maîtrise de l'atome quant aux exigences sur le respect du calendrier. Et il y a tout lieu de penser que le partage de ce genre d'infrastructures est appelé à se développer, et pas seulement entre Londres et Paris. Le change aurait pu être donné avec, par exemple, l'institut Saint-Louis.

La question des déploiements souligne les avancées concrètes obtenues, même si l'auteur relève, par exemple, qu'en ce qui concerne les opérations extérieures des progrès substantiels peuvent encore être enregistrés et les efforts mutualisés peuvent aller plus loin. La mobilisation de l'exemple espagnol au Mali relativise la participation britannique, bien que l'effort consenti demeure remarquable.

Les développements relatifs à la CJEF constituent un des rares historiques de ce sujet. Il en ressort que la force est qualifiée pour être employée dans le cadre d'un conflit de basse intensité mais que les travaux consentis ont laissé apparaître que pour atteindre l'objectif stratégique initial, c'est-à-dire entrer en premier sur un théâtre dans l'hypothèse où Londres et Paris devraient agir plus vite, si ce n'est seuls, des efforts supplémentaires devaient être consentis, sans oublier les lacunes opérationnelles identifiées en 2011 alors que toutes n'ont pas été comblées depuis. À l'arrière-plan sont relevés les coûts de cette force en matière de préparation opérationnelle et que ce qu'il convient d'appeler la planification politique n'a pas bénéficié des mêmes efforts, ce qui nuirait au recours à l'outil le moment idoine : même si l'intervention en Libye est un bon contre-exemple eu égard à la célérité de l'action franco-britannique.

Le propos au sujet de l'intégration de la filière missile est aussi remarquable par l'historique offert au lecteur en ce qui concerne la restructuration de MBDA. Néanmoins, il peut être regretté que certaines questions ne soient pas abordées, notamment la question du missile de croisière naval, de la défense anti-missile balistique et de ce que le rapprochement franco-britannique dans MBDA suppose, ou non, vis-à-vis de l'Italie qui est au risque de la marginalisation. Mais ces questions dépassent probablement le champ de l'étude.

La deuxième partie de l'étude nous présente dans une première sous-partie les échecs et périls liés au BREXIT. La problématique aéronavale, bien que présentée avec objectivité, aurait probablement gagné, notamment pour dédouaner la partie britannique accusée uniquement à charge en France par d'autres plumes, aurait gagné à ce que soit précisé le pourquoi du comment la France s'est embarquée (2000-2004) dans une coopération bilatérale avec Londres : le Président Chirac cherchait à soutenir sa diplomatie au profit de l' Europe de la Défense tandis que la Marine nationale trouvait là un véhicule pour placer le PA2 pour lequel les études du Charles de Gaulle n'étaient plus d'utilité.

Par contre, s'il y avait réellement eu une volonté de coopération aéronavale entre Londres et Paris, autrement que par la simple ambition des objectifs de Petersberg, c'est-à-dire l'acquisition de quatre "porte-avions" (CATOBAR ?) alors il aurait pu être rappelé que le porte-avions Charles de Gaulle est conçu pour, si besoin, recevoir une catapulte à l'avant et rien n'interdit d'adapter le revêtement du pont d'envol, par exemple à l'occasion d'un grand carénage (2017 - 2018 ?) afin qu'il puisse mettre en œuvre des F-35. De la même manière, rien n'interdisait, non plus, l'intégration d'une capacité CSAR à bord du porte-avions français. Dit autrement, les deux partenaires ont vite abandonné une coopération mal-conçue.

Et de redécouvrir que le coût de refonte CATOBAR des HMS Queen Elizabeth et HMS Prince of Wales est donné pour 1800 millions de livres sterling (2012), soit 2397 millions d'euros selon l'inflation cumulée jusqu'en 2019. Il se comprendre que dépenser 1199 millions d'euros par porte-aéronefs, même pour en faire un porte-avions, soit un effort peut être inatteignable alors. Mais ce sont des travaux prévus pour la refonte à mi-vie des deux bateaux...

La question des SCAF, comme l'écrit si justement Alice Pannier, offre une fois encore un historique salvateur de la question. Néanmoins, certains ne suivront peut être pas la chercheuse quand elle relève que la divergence des calendriers entre Londres et Paris quant aux successeurs des Rafale et F-35 car, et il faut le rappeler, les affaires de "générations" 4,5 pour l'un, 5 pour l'autre sont avant tout une affaire de marketing. Et le Rafale F4 remettra une partie des pendules à l'heure au milieu des années 2020.

En outre, la divergence française par rapport au reste de l'Europe est la composante aéroportée qui, à l'orée de l'année 2035, devra toujours mettre en œuvre un vecteur crédible, celui qui sera délivré par l'ASN4G. Par contre, oui, et là Alice Pannier est peut être trop aimable : à la lecture de l' « aventure » française en matière de drones au prisme de la relation franco-britannique : il y a matière à chercher, si ce n'est la cohérence, au moins les décisions...

La deuxième sous-partie de la deuxième partie débute par un rappel historique, une fois encore, à la relation franco-allemande et une mise en parallèle avec la relation franco-britannique. Les deux dynamiques politico-stratégiques sont comparées. Il en ressort que la coopération bilatérale avec Londres permet à Paris de coopérer quant à l'entretien d'instruments de souveraineté, dont le nucléaire, et à leur mise en œuvre par l'entraide dans le maintien de capacités d'interventions. Mais, et paradoxalement, c'est avec l'Allemagne que sont menés les plus ambitieux projets industriels, malgré des divergences stratégiques non-résolues (politique étrangère et donc contrôle de l'exportation de matériels de guerre) et qu'est entretenue une force permanente commune - la brigade franco-allemande - dont l'utilité est politique mais opérationnellement inutile.

La conclusion est très intéressante car, tout au long de l'étude, l'auteur a su montrer grâce à une mobilisation pertinente de la coopération franco-allemande mise en miroir, que les deux coopérations bilatérales tendent à se rejoindre car, d'une part, la coopération britannique est appelée à se poursuivre et que le BREXIT en ferme pas la porte à l'association du Royaume-Uni aux coopérations structurées permanentes et l'Initiative européenne d'intervention (IEI). Du côté allemand, la position exprimée à la Conférence de Munich sur la sécurité en 2014 tarde à se matérialiser sur le terrain mais les Allemands paraissent enclins à relever le défi.

Et il ressort des commentaires de la chercheuse, soulignant notamment les réussites (CJEF) et les échecs (PA2) que la création d'une force militaire suppose des efforts de planification opérationnelles mais aussi industrielles et donc le respect de normes (de l'OTAN ?) et une convergence matérielle à observer. Il y a un sujet autour de la JEF, la CJEF, IEI et la NRF. Cela conduit tout naturellement à la question d'un état-major... La France accumule les dispositifs mais ne parvient pas à obtenir une avancée décisive pour son Europe de la Défense, intraduisible en Anglais nous apprend la chercheuse, sans constater que l'OTAN souffre peut être du même mal en matière d'outils d'intervention.

Pour conclure, il se dessine donc une fenêtre d'opportunité pour que le sommet franco-britannique d'octobre 2020 puisse offrir une nouvelle impulsion à cette relation structurante de l'espace stratégique européen tout en identifiant, peut être, une ouverture vers l'Allemagne. Il est attendu que le programme FMAN/FMC ou FC/ASW soit confirmé et serve d'aiguillon à la coopération. Mais est-ce que de nouveaux sujets y seront versés ? Néanmoins, au sujet d'une convergence que certains espèrent au sujet "des SCAF", la chercheuse livre une sentence qui a le mérité d'être très clair :

« Le gouvernement britannique consentirait à une solution en coopération qui fournirait des activités à l’entreprise BAE, il n’accepterait pas que ce soit selon d’autres conditions que les siennes, ni en tant que « junior partner ». Ces conditions empêcheraient de fait BAE de rejoindre un programme franco-allemand où le pilotage est déjà réparti entre Dassault (avion de combat) et Airbus (systèmes de systèmes) ». (p. 60)

1 commentaire:

  1. Cet article resume bien l'état de la Royal Navy:
    https://www.lettrevigie.com/blog/2020/08/29/la-royal-navy-face-aux-effets-budgetaires-du-brexit-et-du-covid19-e-lambert/

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