12 février 2022

FOSt : entrée en production des M51.3 ?

© DGA. L'un des premiers M51.1 lancés depuis le pas de tir du Centre Essais de Lancement de Missiles (CELM) de la DGA à Biscarrosse (Landes).

     L'offre d'emploi publiée par Ariane group signifie que le développement du M51.3, lancé en 2014, approche de son terme et que l'enjeu du programme est la transition vers la production en série des lanceurs. Il s'agirait de comprendre que le 10ième tir d’essai d’un missile Mer-Sol Balistique Stratégique (MSBS ou Submarine Launched Ballistic Missile (SLBM), le 28 avril 2021, depuis le Centre Essais de Lancement de Missiles (CELM) de la DGA à Biscarrosse (Landes) était bel et bien un tir de développement du M51.3. La production lancée, l'étape suivante devrait être la constitution d'un premier lot et un tir de synthèse qui pourrait être accompli à l'orée des années 2023 à 2024 par Le Terrible alors en sortie d'IPER (2021 - 2023).

     Il avait été décidé que le futur vecteur de la composante océanique de la dissuasion, dans la perspective du programme FMOD (Futur Moyen Océanique de Dissuasion) devenu SNLE de 3ième Génération dès 2013, serait une évolution incrémentale du MSBS M51, au lieu de lancer le « M6 », car ayant vocation à être de dimensions bien plus importantes. Ce choix a été justifié par l'intérêt de lisser les flux budgétaires et permettre une bonne conservation des compétences industrielles grâce à une démarche incrémentale visant au remplacement d’un étage tous les 8 à 12 ans (Laurent Collet-Billon, Délégué Général à l'Armement (28 juillet 2008 - 1er juillet 2017), audition devant la commission de la Défense et des forces armées, Assemblée nationale, 30 avril 2014).

     Le Président de la République, M. François Hollande, proclamait sa décision, à l'occasion du prononcé de son discours sur la dissuasion, où il affirmait : « j’ai donc fait en sorte aussi, s’agissant de la composante océanique, de lancer des adaptations futures du missile M51, pour permettre que le tonnage des futurs sous-marins reste très proche de celui nos Triomphant. » (François Hollande, Président de la République, Discours sur la dissuasion nucléaire - Déplacement auprès des forces aériennes stratégiques. Istres, 19 février 2015).

     Sur le plan stratégique, le général d'armée Pierre de Villiers, chef d'état-major des Armées (15 février 2014 - 19 juillet 2017)  définissait les objectifs opérationnels du M51.3 devant l'Assemblée nationale en déclarant qu'il devait « maintenir les capacités de notre composante océanique face aux défenses antimissiles les plus sévères, et qui devra entrer en service au milieu de la prochaine décennie lorsque le M51.1 arrivera en fin de vie » (audition devant la commission de la Défense et des forces armées, Assemblée nationale, 6 mai 2014).

     Sur le plan industriel, a été notifié, par la DGA, en juillet 2014, le contrat de développement et de réalisation du M51.3 à ArianeGroup qui est maître d'œuvre pour le programme M51. Les travaux de développement de cette nouvelle version ont débuté dès le mois d’août 2014 et doivent s'étaler sur 10 ans, avec une montée en puissance progressive du volume de travaux afférents à sa mise au point. Et ce programme est très lié, en termes de compétences et donc de briques technologiques, au programme Ariane VI.

La phase de conception initiale du M51.3 s'est, semble-t-il, étalée entre août 2014 et 2016. La phase de conception détaillée aurait débuté en 2016 tout en devant s'achever en 2024. Les principaux engagements prévus en 2020 couvrent la poursuite des travaux de développement et de production de la version M51.3.

     Sur le plan capacitaire, le M51.3 bénéficiera d'une évolution de ses charges utiles. Par-là, il s'agirait de comprendre que la Tête Nucléaire Océanique (TNO), entrée en service dès 2016, devrait cohabiter ou être remplacée par la TNO 2, à partir de l'année 2025. De nouvelles évolutions sont attendues, aussi, pour les aides à la pénétration qui sont disposées sur la partie haute du MSBS. Il est aussi attendu une rénovation du troisième étage du M51, à l'occasion du développement de sa troisième version. En effet, la propulsion de cet étage et ses équipements sont issus en grande partie du M45.

Ces évolutions matérielles permettront de soutenir les évolutions du besoin opérationnel en termes de précision, souplesse d'emploi, de portée et donc de pénétration des défenses adverses : le M51.3 devrait allègrement franchir les 10 000 km de portée.

L'amélioration de la portée et de la précision dépendront en grande partie du développement de nouveaux Reentry Vehicle (RV) qui pourraient donc relever de la filière MaRV. La littérature ouverte de langue anglaise croit savoir sans jamais citer une source que les TN-75 et leur corps de rentrée avait une masse de 230 kg dont 115 pour la charge militaire. Le M51.2 apportait une nouvelle partie haute, car le M51.1 avait hérité celle du M45. La TNO, et toujours selon la littérature précitée, aurait une masse de 500 à 550 kg, en tenant compte du corps de rentrée. La puissance nominale de la TNO est régulièrement présentée comme étant de 100, 150 ou 300 kT.

L'évolution de la doctrine nucléaire de la France révélée lors du discours dit de l' « Ile Longue » (19 janvier 2006) prononcé par le président Jacques Chirac. Il y signifiait que l'ultime avertissement adressé à l'adversaire pouvait viser les « centres de pouvoir, sur sa capacité à agir » et que dans cette perspective « toutes nos forces nucléaires ont été configurées dans cet esprit. C'est dans ce but, par exemple, que le nombre des têtes nucléaires a été réduit sur certains des missiles de nos sous-marins. »  

Est-ce que l'évolution de la « souplesse d'emploi » contenue dans le M51.3 touchera, non pas au nombre de charges utiles, et donc du nombre de charges militaires, intégrées au troisième étage, mais à la puissance nominale des TNO 2 ? L'adaptation du nombre de têtes nucléaires est une première modulation de la puissance délivrée et donc des possibilités d'adresser, par exemple, un « ultime avertissement ». Il y aurait deux voies principales pour offrir de nouvelles souplesses dans la proposition d'options pour rétablir la dissuasion : une puissance franchement réduite sur certaines TNO 2, constituant une sous-version ; une puissance réglable à la manière des TNA (Têtes Nucléaires Aéroportées) des ASMP-A/ASMP-A RMV.

Il est donc également attendu une amélioration de la pénétration des défenses adverses la menée de travaux relatifs aux autres charges utiles : les Aides à LA Pénétration (ALAP). Leurs origines remontent au S3D et au M4. La TN-70 n'était pas furtive. Face à l'amélioration des défenses adverses, en particulier en matière de couvertures radars, avait été rapidement mise à l'étude la M4 71. Le développement d'un système de brouillage avait été envisagé, aussi, pour celle-ci. Une TN-75 parée des atouts de la furtivité grâce à une Surface Equivalente Radar (SER) très réduite entra en développement. Le ministre de la Défense, M. André Giraud (20 mars 1986 – 10 mai 1988), suspendait les travaux durant quelques mois. Preuve lui était apportée que les trois couches radar soviétiques pouvaient identifier et tracer la TN-75, malgré sa SER réduite : avec le risque que les défenses anti-missiles balistiques puissent, à terme, les discriminer pour les intercepter. Il décidait du lancement d'un programme d'étude amont dès 1986 : EBAP (Études de base d'aides à la pénétration) qui prenait la suite d'EXHANP (Expansion haute altitude d'un nuage de paillettes). Ses résultats furent intégrés au M45 dont l'entrée en phase de réalisation fut décidée à l'occasion d'un Comité nucléaire militaire, présidé par le nouveau ministre de la Défense, M. Jean-Pierre Chevènement (12 mai 1988 – 29 janvier 1991) en 1988. Les successeurs des ALAP du programme EBAP sont peu détaillés dans la littérature. 

     C'est dans cette perspective qu'il s'agirait d'apprécier le 10ième tir d’essai d’un missile Mer-Sol Balistique Stratégique (MSBS ou Submarine Launched Ballistic Missile (SLBM) M51. Mme Florence Parly, ministre des Armées, exprimait sa grande satisfaction après le succès, le 28 avril 2021, de ce qui était, aussi, le 5ième tir effectué depuis DGA Essais de missiles à Biscarrosse (Landes) semble le destiner à servir le développement du M51.3 dont l’entrée en service est visée à l’horizon 2025.

Ce tir diffère des précédents car il ne relevait pas de tirs de qualification ou de validation de sa mise en œuvre par un SNLE-NG/SN2G de classe Le Triomphant (4). Pourtant, sa trajectoire présentée dans HYDROLANT 1140/21(GEN) recélait quelques similitudes, notamment les zones de retombées des trois étages du missile, avec le 9ième tir du 12 juin 2020, effectué en tant que tir de validation de l'IAM51 du SNLE-NG/SN2G Le Téméraire (1999) lançant depuis la baie d'Audierne. Ce 9ième tir, ici d'un M51.2, avait alors parcouru 6 000 km et atteint une apogée de 1 200 km contre, et environ, 5 500 km pour le 10ième tir.

Par ailleurs, cela invite à reconsidérer le 9ième tir car intervenu près d'une année après le retour dans le cycle opérationnel du SNLE-NG Le Téméraire (1999), au terme de son IAM51. Le SNLE ne pouvait qu'être considéré comme opérationnel, sous peine de nullité des patrouilles menées. Est-ce à dire que ce tir de validation aurait pu servir, aussi, au développement du M51.3 ?

     Mais le tir du 28 avril 2021 présentait, également, quelques faits intriguant comme, et par exemple, le fait que la trajectoire des trois phases de vol (propulsée, balistique et de rentrée atmosphérique) ne soient pas alignés avec la zone cible : de sorte que la phase ultime du vol jusqu’à la rejoindre la zone cible ressortait comme non-balistique. Ce qui amène la question, outre de l'existence de manœuvres, de leur lieu de survenance : à partir de la fin de la phase propulsée ? À l'occasion de la phase extra-atmosphérique ?

La trajectoire du 10ième tir aurait pu être l'occasion de quelques travaux relatifs, par exemple, au « déport latéral » : il s'agit de la distance entre le point effectif d'arrivée au sol d'un engin spatial ou bien d'une charge utile ayant eu une phase de vol extra-atmosphérique et la projection verticale sur le sol de la trajectoire qu’il aurait suivie en l’absence d’effets aérodynamiques transversaux. Une charge utile de type Maneuverable Reentry Vehicle (MaRV) aurait pu servir à cette fin.

Plus les charges militaires sont libérées tôt et plus les défenses adverses ont à faire face non plus une partie haute mais à de multiples charges utiles, entre les charges militaires et les aides à la pénétration. Cela impliquait une capacité de déport latéral de la partie haute (Post-Boost Vehicle (PBV), selon le vocable du traité SALT II, ou encore Payload Bus) ou de l'une de ses charges utiles.

Il se dessine donc plusieurs hypothèses pouvant se conjugues entre elles :

Le fait que la partie haute puisse manœuvrer de sorte que ses charges utiles type MIRV (Multiple Independently targeted Reentry Vehicle), figurant les charges militaires Têtes Nucléaires Océaniques (TNO) puissent être placées sur de nouvelles trajectoires indépendantes, et hors de l'axe de lancement, afin de rejoindre la zone cible.

Une autre hypothèse serait que l'une des charges utiles possède des qualités intrinsèques à manœuvrer, servies par un système de navigation propre et pouvant donc être qualifiées de Maneuverable Reentry Vehicle (MaRV).

     La phase de conception détaillée devrait pouvoir s'achever à partir d'août 2024, avec un hypothétique glissement du calendrier de plusieurs semaines à plusieurs mois en fonction des éventuelles conséquences de la crise sanitaire ; des difficultés apparues durant les phases de conception et de développement pouvant aussi survenir.

     La parution de l'offre d'emploi précitée signifierait, au minimum, que des actions visant à améliorer les processus de production seront à mettre en œuvres. Le deuxième trimestre, voire le deuxième semestre 2022 engagerait la transition vers la production en série des MSBS M51.3. Ceci succéderait ou précéderait les premières « épreuves » dans les différents sites concernés.

Comme il a été dit plus haut (cf. propos de M. Laurent Collet-Billon, ancien Délégué Général à l'Armement (28 juillet 2008 - 1er juillet 2017), la transition du M51.2 au M51.3 ne consiste pas dans la production d'un nouveau lot de MSBS M51 mais du remplacement d'un des éléments du missile par un ou plusieurs nouveaux. Dans cet ordre d'idée, il s'agirait de comprendre que de nouveaux troisième étage vont être usinés, voire de nouvelles charges utiles qui seront installées sur la nouvelle partie haute des M51.2. Le premier lot de M51.3 procéderait de l'assemblage de ces nouveaux éléments à l'occasion de la sortie d'IPER (2021 2023) du SN2G Le Terrible qui serait alors en phase de remontée en puissance afin de retourner dans le cycle opérationnel. L'un des trois lots de MSBS M51 serait alors rendu disponible grâce à la préparation en entrée en IPER du SN2G Le Triomphant (2025 ?). 

     L'un des objectifs majeurs - outre d'éventuels tirs de recette pouvant être effectués par le Centre Essais de Lancement de Missiles (CELM) de la DGA à Biscarrosse (Landes) - sera la constitution d'un lot complet de cette nouvelle version et un tir de synthèse ou de validation qui pourrait être accompli à l'orée des années 2024 à 2025 par un SNLE. Le fait que Le Terrible sera alors en sortie d'IPER (2021 - 2023) semble le désigner comme le candidat idéal à ce tir : n'avait-il pas été le premier SNLE-NG à tirer le M51.1, le 27 janvier puis le 10 juillet 2010, en prélude à son admission au service actif ?

 

3 commentaires:

  1. Lespetitspédestres13 février 2022 à 10:05

    Votre retour fait extrêmement plaisir, votre absence nous a privé de vos excellents articles sur les marines, parent pauvre de la plupart des sites dédiés à la défense.

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    1. Navré de vous répondre avec un mois de retard. Mes obligations personnelles sont très anarchiques depuis plusieurs semaines et je n'ai pas forcément eu la présence d'esprit de visiter le blog durant celles-ci.

      Au plaisir de vous retrouver et j'espère pouvoir reprendre sereinement... et régulièrement mes activités. A noter que je propose une veille plus soutenue sur Twitter et LinkedIn.

      Bien navicalement,

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  2. Avec ceux que qui passe, on devrait plus de publicité à l'international sur ce projet.

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