10 février 2022

Tentara Nasional Indonesia - Angkatan Laut : protocole d'entente pour deux Scorpène

© Naval group. La proposition industrielle sous-marin diesel-électrique Marlin telle qu’un dessin d’artiste pouvait la représenter en 2010.

     À l'occasion de la visite de la ministre des Armées, Mme Florence Parly, à la République d'Indonésie, les mercredi 9 et jeudi 10 février 2022, trois protocoles d'entente (Memorandum of Understanding (MoU) ont été signés le jeudi dont un afférent à la vente de deux « Scorpène 2000 », avec une définition matérielle inédite. Pierre-Eric Pommellet, PDG de Naval group, visitait mercredi le site de Surabaya de PT. PAL dans l'optique de conclure un partenariat stratégique. Les parties entrent désormais en négociations afin de définir le cadre d'un accord pouvant éventuellement permettre de signer un contrat en bonne et due forme, avec comme « spectateurs engagés » TKMS et DSME.

     Durant tout le conflit Est-Ouest (1947 – 1991), l'Indonésie du fait de sa géographie physique recevait le rôle stratégique de commander le passage de l'océan Pacifique à l'océan Indien. La Marine indonésienne (Tentara Nasional Indonesia - Angkatan Laut (TNI-AL) ou Armée Nationale Indonésienne - Force Navale) comprend une force sous-marine indonésienne forte de deux unités depuis 1981.

     Au début des années 2000, concomitamment à l'énoncé du « dilemme de Malacca » par le président chinois Hú Jǐntāo (15 mars 2003 – 14 mars 2013), et de la « course au sous-marin » régnant alors dans la région Indo-Pacifique, l'Indonésie faisait connaître son intention d'acquérir six sous-marins par la voix de l'Amiral Bernard Kent Sondakh (25 avril 2002 - 18 février 2005). Cible portée à douze sous-marins en 2006. Mais révisée à huit sous-marins en 2011 dans le cadre de la planification stratégique contenue dans le plan Minimum Essential Force (MEF) dont le terme est l'année 2024. Ambition renouvelée en 2017.

     La TNI-AL possédait d'ores et déjà la classe Cakra (KRI Cakra (401), KRI Nanggala (402) forte de deux sous-marins Type 209/1300 mis sur cale en novembre 1977 et juillet 1978 et dont les admissions au service actif furent prononcées en 1981. Toutefois, au fur et à mesure des grands carénages et refontes, le lieu pour effectuer ces opérations s'est délocalisé depuis HDW (Allemagne) pour l'un de ceux de Daewoo Shipbuilding & Marine Engineering (DSME) en Corée du Sud.

     Un premier appel d'offres était émis par l'Indonésie et portant sur l'acquisition de trois sous-marins mais aussi sur des transferts de technologie. Daewoo Shipbuilding & Marine Engineering (DSME) était proclamé vainqueur le 22 décembre 2011. Par voie de conséquence, un contrat fut notifié à l'industriel sud-coréen pour la construction de trois sous-marins issus d'une version améliorée (Type 209/1400) du KSS I ou classe Chang Bogo (Type 209/1200) dont les neuf unités, mises en chantier entre 1993 et 2001, sont en service dans la Daehanminguk Haegun (Marine sud-coréenne).

L’offre consiste donc dans une version améliorée (Type 209/1400) du KSS I ou classe Chang Bo-go (Type 209/1200) dont les deux premières unités étaient mises sur cale en Corée du Sud au chantier naval d’Okpo (DSME) tandis que la troisième sera assemblée au chantier naval de PT. PAL à Surabaya (Est de l’île de Java, Indonésie). Ces trois sous-marins sont rassemblés dans la classe Nagapasa :

  • KRI Nagapasa (403) admis au service actif le 2 août 2017 ; 
  • KRI Ardadedali (404) admis au service actif le 25 avril 2018 ; 
  • KRI Alugoro (405) admis au service actif le 6 avril 2021.

     Aucun n'est opérationnel : selon des sources internes à l'industrie de la défense indonésienne, il apparaissait alors que le sous-marin KRI Nagapasa ne répondait pas aux spécifications techniques du cahier des charges : vitesse maximale en plongée, immersion opérationnelle n'étaient pas atteintes. Et le bateau n'était pas plus en mesure de lancer ses armes tactiques. Les mêmes sources indiquent que les KRI Ardadedali et KRI Alugoro sont dans le même état matériel.

     En avril 2019, un contrat supplémentaire fut signé entre le KEMHAN (Kementerian Pertahanan), la société indonésienne PT. PAL et la société sud-coréenne DSME.  L'affaire paraissait être réglée et la commande du deuxième lot devant se conduire selon des modalités similaires au premier, à la différence notable que l'importance des transferts de technologies d'ores et déjà effectués et à venir doit permettre un assemblage des trois sous-marins à Surabaya (Est de l’île de Java, Indonésie).

     L'affaire n'est pourtant pas entendue en Indonésie : M. Prabowo Subianto, ministre indonésien de la Défense (23 octobre 2019) a affirmé devant le Dewan Perwakilan Rakyat (DPR ou Conseil représentatif du peuple) - c'est-à-dire la chambre basse du Majelis Permusyawaratan Rakyat (MPR ou Assemblée délibérative du peuple) - qu'il ne souhaitait pas que le contrat signé en avril 2019 soit exécuté.

En toile de fond, il s'avère que le ministre indonésien de la Défense ne souhaite pas que le programme parvienne à son terme car le Président de la République indonésienne, M. Joko Jokowi Widodo (20 octobre 2014), auquel il s'oppose, et qui a été réélu en 2019, en retirera tout le bénéfice politique de la bonne exécution du plan MEF.

D'où ce travail de sapes effectué par Prabowo Subianto contre deux programmes menés avec la Corée du Sud : son action a conduit à l'échec du versement en temps et en heure des paiements dues au titre des programmes DSME-1400 et l'avion de combat de cinquième génération KAI KF-X dont la déclinaison indonésienne est l'IF-X.

Et d'où cet important activisme diplomatique quand il exprime publiquement qu'il désire substituer au contrat d'avril 2019 un autre qui pourrait être signé avec TKMS (Type 214, Type 212 CD ?) ou les sociétés turques qui assemblent au sein du Gölcük Naval Shipyard les sous-marins de Type 214/1200 de classe Reis (6). Les chantiers de construction de sous-marins de ces deux pays ont été visités par M. Prabowo Subianto. Et d'où, également, les annonces répétées depuis fin 2019 et relatives à la commande de 48 exemplaires du Dassault Aviation Rafale et de 4 « Scorpène 2000 ».

     La candidature de ce dernier sous-marin s'appuie sur des jalons plus anciens que cette bataille d'influence au sein du gouvernement indonésien puisqu' un protocole d'accords entre PT. PAL et alors DCNS fut signé le 30 mars 2017, comme l'une des conséquences de la visite du Président de la République François Hollande en Indonésie et des échanges tenus dans le cadre du Indonesia-France Defense Dialogue (IFDD ou Dialogue de la défense française indonésienne). L'intérêt marqué pour la proposition française pour laquelle, M. Prabowo Subianto, ministre indonésien de la Défense (23 octobre 2019) s'était déplacé en France et notamment à Cherbourg. Sans oublier la visite du chantier naval de Cherbourg (Naval group) par M. Arrmanatha Christiawan Nasir les 24 et 25 novembre 2020 donne corps aux propos de M. Prabowo Subianto, ministre indonésien de la Défense.

     La proposition allemande s'appuyait, notamment, sur une initiative de la TNI-AL à l'égard du Brésil. TKMS n'a assisté DSME ni dans les transferts de technologies opérés à destination de PT. PAL ni dans la modification des Type 209/1200 de la classe Chang Bo-go (9) afin de mettre au point sa modification en Type 209/1400 par les ingénieurs sud-coréens, ce qui supposait d’allonger la coque résistante, de modifier la répartition des poids et des volumes dont le dimensionnement des ballasts. Et l’industriel allemand n’aurait pas facilité la tâche à DSME et aurait même manqué de zèle dans la transmission des « blue prints ». Et cela s'explique tout simplement par le fait que DSME n'avait pas obtenu les autorisations de réexportations afférentes de TKMS.

C'est pourquoi TKMS proposait la construction sous licence de quatre sous-marins Type 214/1800 à la TNI-AL et de « moderniser » la classe Nagapasa (3) : ce qui signifie ici la reprise de chacun des bateaux afin que leurs capacités opérationnelles puissent rencontrer les exigences du cahier des charges. Une proposition d'assistance qui avait été formulée plus d'une fois par l'industrie turque.

L'industriel allemand souhaitait, par ailleurs, pouvoir accompagner la Marine indonésienne dans son projet d'acquérir deux sous-marins Type 209/1400 auprès de la Marinha do Brasil. Les S-32 Timbira (1996) et S-33 Tapajó (1999) pourraient être proposés sur le marché de l'occasion, toujours. Ces deux sous-marins attendaient, fin 2019, depuis plusieurs mois une ultime Période de Maintenance Générale (ou Período de Manutenção Geral (PMG) devant même comprendre une remotorisation, chantier dont le montant aurait été de l'ordre des 54 millions d'euros, par sous-marin. Cette éventuelle cession ouvrait la possibilité, voire l’obligation, d’assurer une rénovation à mi-vie dans le chantier naval de PT. PAL à Surabaya (Est de l’île de Java, Indonésie), avec l'assistance de TKMS.

Il y avait la perspective d'optimiser les travaux consentis au profit des sous-marins cédés, au profit des sous-marins à reprendre. Ces deux volets avaient les faveurs de la TNI-AL car ils permettaient de presque atteindre, en volume, les objectifs du plan MEF, tout en rationalisant l'arme sous-marine autour du Type 209/1400 Mod : ce qui permettrait des économies d'échelle en termes de soutien, de logistique et de formation. Et l'état-major de la TNI-AL est très satisfait des liens industriels établis à Surabaya à partir de ce programme.

     M. Prabowo Subianto, ministre indonésien de la Défense (23 octobre 2019), est plus intéressé par la dernière proposition de TKMS (construction sous licence de quatre Type 214/1800), en raison du capital politique qu'il pourrait acquérir, vis-à-vis de ses ambitions politiques nationales. Il s'agirait de faire construire sous licence, toujours au chantier naval de PT. PAL à Surabaya (Est de l’île de Java, Indonésie), trois sous-marins Type 209/1800 (TKMS). D’où ses déplacements en Allemagne afin de visiter les installations de TKMS, à Kiel.

Prabowo Subianto aurait ainsi l'occasion de souligner l'échec du Président de la République indonésienne, M. Joko Jokowi Widodo (20 octobre 2014), réélu en 2019, car ce dernier avait affiché son soutien au programme ayant porté la commande du premier lot de classe Nagapasa (3) mais également à la commande du deuxième lot, signée en avril 2019, et dont le volet industriel comprend de nouveaux transferts de technologies.

     Il se dessine trois voies théoriques que sont la confirmation de la signature du deuxième lot de trois sous-marins de la classe Nagapasa (3) à construire à Surabaya (Est de l’île de Java, Indonésie) avec la société sud-coréenne DSME ; la résiliation unilatérale du contrat signé en avril 2019 au profit d'une nouvelle commander à passer auprès d'une autre société étrangère allemande, française ou turque ou un abandon plus ou moins durable de ce dossier capacitaire en acceptant que les KRI Cakra (401) et KRI Nanggala (402), mis en service en 1981, assurent la soudure avec de futurs sous-marins pendant encore une demi-douzaine d'années.

Toutefois, dans l'attente que la lutte d'influence à l'œuvre dans le gouvernement indonésien parvienne à une décision, il se dessine aussi un possible éclatement du volume de sous-marins à construire entre la résiliation du contrat signé en avril 2019 qui serait compensée par la commande d'une quatrième unité et à la contractualisation d'une autre commande portant sur quatre unités dont les deux premières seraient commandées simultanément au quatrième Nagapasa, ce qui permettrait de renouveler les KRI Cakra (401), KRI Nanggala (402).

     Pour revenir à la proposition française, la définition matérielle du Scorpène CM-2000 a bien évolué depuis son apparition en Indonésie, à l'orée de l'année 2016.

Dans un premier temps, il avait été question de reprendre la configuration générique de ce sous-marin, ne devant alors bénéficier que d'un simple traitement des obsolescences. Il n'a pas été proposé d'adjoindre une section de coque pourvue d'un système AIP, raison pour laquelle le Scorpène AM-2000 ne fut pas proposé.

Il est possible de supputer que Naval group ne souhaite plus proposer le MESMA (Module d'Energie Sous-Marine Autonome) tandis que le module AIP dit de 3ième génération – FC2G (Fuel Cell 2nd Generation) qui ne brûle que du gazole et pas d'hydrogène – n’a peut être pas un calendrier cohérent avec ces négociations.

Les échanges semblent donc avoir eu trait à la recherche de la plus grande autonomie possible, sur la base du Scorpène CM-2000 et du des Scorpène - BRasil (S-Br). Ce dernier a comme particularités d'avoir été allongé (61,7 mètres (CM-2000) à 71,62 mètres (S-Br), avec un déplacement en plongée portée de 1717 à 1870 tonnes, afin de renforcer l'autonomie à la mer (chambres froides et cambuses, logements, réservoirs), choix préféré à un module AIP.

La publication par PT. PAL d'une demande d'informations (Request For Information (RFI) relative à un ascenseur à sous-marins devant être installé dans un chantier naval - comme le site de Surabaya ? - laissait entrevoir les dimensions exactes de la classe Riachuelo (4). C'est un indice supplémentaire mais il n'est pas à exclure qu'il puisse s'agir d'un choix fait par facilité afin de se fonder sur une infrastructure existante « qui peut le plus, peut le moins ».

Le Scorpène proposé à l'Indonésie recélerait quelques modifications architecturales qui la distinguerait des CM-2000 et même des S-Br :

L'architecture de la propulsion et de l'énergie seraient adaptée autour d'éléments d'une batterie lithium - ion dont la filière n'a pas encore été précisée. Il sera intéressant d'observer si l'industriel retenu pour la conception et la fabrication des éléments de ladite batterie sera S.A.F.T. (Société des Accumulateurs Fixes et de Traction) qui est impliquée dans plusieurs programmes de la construction sous-marine européenne.

Cela implique, outre une refonte de tous les réseaux bords, de tenir compte des conséquences à l'endroit de la propulsion car recharger une batterie lithium – ion exige plus de puissance des moteurs diesels. Les S-Br (4) ont une propulsion organisée autour de quatre moteurs diesels MTU 12V 396 SE84.

L'appareil à gouverner serait en croix de Saint-André, à l'instar des Suffren (6) et des futurs SNLE de 3ième Génération (SN3G). Cet arrangement des barres de plongée offre une plus grande maniabilité et une plus grande discrétion en réduisant la taille des barres et donc la masse à actionner par les presses.

Le sujet des armes tactiques a été abordé mais il semblerait que les protagonistes indonésiens n'aient pas encore poussé les investigations sur ce sujet qui recouvre potentiellement les torpilles lourdes F21, les missiles anti-navires à changement de milieu SM39 Block 2 Mod. 2 Exocet, les UUV D19 et cibles d'entraînement D19-T. Mais le périmètre du protocole d'entente couvre ce même sujet.

Outre les évolutions pouvant être apportées en matière de discrétion acoustique (« encapsulage » des moteur-diesels  ?), l'éventuelle intégration d'un sas pour nageurs de combat, le déplacement atteindrait les 2 000 tonnes pour l'état actuel de la proposition française. Et ses évolutions architecturales lui donnent une silhouette la rapprochant beaucoup du Marlin qui avait été présenté pour la première fois à IDEAS 2006. Il n'avait plus reparu depuis la candidature de Naval group en Norvège.

La proposition française en Indonésie deviendra-t-elle le deuxième sous-marin européen - après le Type 212 NFS (4) - à employer une batterie lithium - ion ? Et de la TNI-AL la deuxième marine d'Asie équipée de cette technologie pour ses sous-marins, après la Kaijō Jieitai ?


1 commentaire:

  1. Donc, attendre et voir, si les politiciens de ce pays se tirent autant dans les pattes. ..
    A rappelé aussi la première sous-marinade indonésienne composé de 12 bateaux de la marine soviétique de la classe Whiskey avec équipage idem qui se sont contenté de changer de pavillon et se tenez en position de tir prêt à couler la marine néerlandaise lors de la crise en Nouvelle Guinée en 62.

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