Le 23 juin 2024, un nouveau signalement nucléaire avait lieu en Mer de Norvège. Le SSBN-734 USS Tennesse naviguait de conserve avec le CG-60 USS Normandy, tout en étant survolé par un Boeing P-8A Poseidon et - surtout - un Boeing E-6B Mercury (au large d'Ålesund ?). C'est un acte remarquable de la diplomatie nucléaire américaine qui invite à s'interroger sur son sens : s'agit-il du commencement d'une nouvelle séquence ou bien de la reprise de celle ouverte en novembre 2022 ?
Les seize Boeing E-6B Mercury de l'US Navy étaient admis au service actif à partir de 1989 et tous livrés en 1992. L'ensemble de la flotte fut modernisée au standard -B entre 1997 et 2007 en raison du retrait du service actif des Boeing EC-135 Looking Glass, en 1998, qui assurait la même mission au profit des LGM-30G Minuteman III de l'US Air Force et furent remplacés dans ce rôle par les E-6B de l'US Navy. Ils servent dans deux escadrons (VQ-3 et VQ-4), aux ordres du Strategic Communications Wing 1 (STRATCOMWING ONE). Unités et structure de commandement (Task Force 124) prenant place à la Tinker Air Force Base (Oklahoma). Ils relèvent de United States Strategic Command.
L'aéronef est l'une des plateformes de Command and Control (C2) servant de relais de communication afin d'assurer une liaison sécurisée pouvant être employée en cas de guerre nucléaire ou d'autre incident majeur. Ils doivent être en mesure de transmettre des Emergency Action Message (EAM) entre les décideurs, comprenant la National Command Authority (NCA), et la triade des systèmes de vecteurs d'armes nucléaires stratégiques américains, à savoir les bombardiers (Northrop B-2A Spirit, Boeing B-52H/J), les InterContinental Ballistic Missiles (ICBM) LGM-30G Minuteman III, disposés en silo, de l'US Air Force et les Submarine-Launched Ballistic Missiles (SLBM) des quatorze SSBN de type Ohio l'US Navy. Il s'agit de la mission « Take Charge And Move Out » (TACAMO).
Hormis les vols d'entraînement se tenant principalement sur les côtes Ouest et Est des États-Unis, voire jusque dans le Golfe du Mexique, les déploiements à l'étranger sont relativement peu courant.
20 juin 2024, un Boeing E-6B Mercury (indicatif d'appel : IRON01, car le surnom de l'escadron est les « Ironmen ») du Fleet Air Reconnaissance Squadron 3 (VQ-3) décollait depuis la Naval Air Station Patuxent River, empruntant une route aérienne à direction de l'Est. Franchissant l'océan Atlantique, l'appareil atterrissait, le jour-même, à Rygge Flystasjon : en Norvège. Ce serait le 1ier déploiement d'un tel appareil dans ce pays mais pas en Europe. Leur présence en Allemagne et au Royaume-Uni (04 - 09 février 2024, dans les deux pays) n'est pas rare.
23 juin 2024, le même E-6B Mercury (IRON01) se dirigeait vers un NOTAM (NOTice to AirMen) au large de la ville de Måløy (Norvège) où il s'exerça durant, environ, cinq heures. Il sera rejoint par un Boeing P-8A Poseidon puis par les SSBN-734 USS Tennesse et CG-60 USS Normandy, selon des photographies de l'US Navy publiées, en premier lieu, par U.S. Naval Forces Europe-Africa/U.S. 6th Fleet.
26 juin, l'E-6B Mercury ayant l'indicatif d'appel IRON01 atterrissait à la Royal Air Force (RAF) Mildenhall, base aérienne de l'USAF depuis 1945 et même base nucléaire depuis 1951, malgré une décision puis une hésitation à la fermer (2015-20).
28 juin jusqu'au 04 juillet, le SSBN-734 USS Tennesse était en escale à His Majesty's Naval Base (HMNB) Clyde (Faslane) d'où il appareillait (04 juillet) très probablement pour franchir l'océan Atlantique afin de retourner à la Naval Submarine Base Kings Bay (Georgia). Cela suggère que le signalement stratégique a été mené en fin de patrouille.
L'ensemble des éléments visibles de la manœuvre dont il a été tenté d'en faire le résumé sommaire sont à replacer dans un contexte géographique plus large puisque quasi-simultanée à une démonstration similaire dans l'océan Pacifique Nord. Sur le plan opératif, il est à remarquer que, sur les derniers mois, ce sont deux sommets de la « triade » du United States Strategic Command qui participaient à la diplomatie nucléaire. Et ce sont là les actes principaux, si ce n'est peut-être la liste complète, des signalements nucléaires des États-Unis d'Amérique pour le 1ier semestre de l'année 2024.
04 juin 2024, le SSBN-743 USS Louisiana appareillait de la Naval Base Guam après une relève d'équipage (31 mai) : « Gold Crew » ayant confié le bateau à « Blue Crew » durant l'escale (29 mai - 04 juin).
09 juin, l'ADS-B permettait de suivre un Boeing E-6B Mercury ayant décollé de la Elmendorf Air Force Base (Anchorage, Alaska) pour aller survoler la Mer de Béring, le long des îles aléoutiennes. Il repartira pour Tinker Air Force Base (Oklahoma) le 10 juin 2024. Un précédent vol d'un E-6B Mercury en Alaska eu lieu le 23 mars 2024.
Un lien de corrélation suggère que le SSBN-743 USS Louisiana s'en est allé patrouiller en Mer de Béring et l'E-6B Mercury en a assuré publicité et démonstration de la capacité opérationnelle. Le précédent déploiement d'un SSBN de l'US Navy en Mer de Béring ayant reçu des actes de publicité était celui du SSBN-741 USS Maine par une escale à Dutch Harbor (Alaska), le 12 juillet 2023.
Pour l'année 2024 et jusqu'à présent donc, ne pouvant observer que les déploiements recevant des actes de publicité (ADS-B en fonctionnement, communication institutionnelle), il n'y aurait eu que quatre déploiements notables dont deux en Alaska (23 mars, 09-10 juin) au profit de SSBN type Ohio patrouillant, au moins un temps, en Mer de Béring, et en Mer de Norvège (04-09 février, 20-27 juin), toujours au profit de SSBN type Ohio mais aussi de Northrop B-2A Spirit.
Les deux déploiements norvégiens ont plusieurs choses de remarquable.
Bien que les déploiements de bombardiers de l'USAF ne soient pas rares en soi dans les Mers de Norvège, du Nord, Baltique et la Mer Méditerranée - ou plus simplement : en Europe, il est à remarquer que le déploiement de 04-09 février 2024 d'un E-6B Mercury concernait, a minima, un acte de diplomatie nucléaire avec un Northrop B-2A Spirit, probablement dans le cadre de l'exercice OTAN Steadfast Defender 2024 (22 janvier - 31 mai 2024) et surtout de sa déclinaison navale : Joint Warrior 24-1 (24 février - 04 mars 2024). Rien n'interdit de questionner la présence de SSBN à proximité des zones d'exercice dont l'enjeu aurait été d'interdire des zones de patrouilles à la Flotte du Nord de la Marine russe.
Pour rappel, le 29 août 2023, et pour la première fois, un Northrop B-2A Spirit du 393rd Expeditionary Bomb Squadron, non seulement atterrissaient en Norvège à la Ørland hovedflystasjon, mais venaient, aussi, s'y ravitailler (« hot pit refueling »). Il s'agissait de l'un des trois B-2A (Bomber Task Force 23-4) alors déployaient en Islande (premier atterrissage en 2019) depuis le 14 août 2023. Ce type de déploiement est régulier depuis 2018. Dans le cas norvégien, la « montée en puissance » dans l'accueil et le soutien de bombardiers de l'USAF a franchi plusieurs jalons depuis 2021 et l'atterrissage de quatre Rockwell B-1 Lancer en 2021 à Ørland.
Il s'agit de replacer ce fait isolé dans le cadre d'une montée en puissance d'une capacité d'une partie des membres de l'Alliance atlantique de voir leurs aéronefs opérer avec les Northrop B-2A Spirit : le 15 novembre 2022, pour la première fois donc, depuis Luke Air Force Base (Arizona), des Lockheed Martin F-35 Lightning II Block 3 de certaines nations alliés (Pays-Bas, Italie, Norvège, Danemark et Singapour) opérant depuis cette base s'entraînaient avec des B-2A Spirit.
Le deuxième déploiement (20-27 juin 2024) s'est couplé avec ce qui ressemble à un exercice de démonstration avec le SSBN-734 USS Tennesse (23 juin). Mais également avec une réception à bord du sous-marin le jour-même selon la communication de Forsvaret. Grâce à une rotation effectuée par un Sikorsky SH-60 Seahawk entre la terre et le CG-60 USS Normandy, « invités » purent rejoindre SSBN-734 USS Tennesse par un semi-rigide du croiseur. Parmi eux, il y avait étonnamment le contre-amiral Trond GIMMINGSRUD, ancien Sjef Marinen flaggkommandør (11 décembre 2020 - 14 juin 2024) et non pas son successeur mais aussi le Vice Admiral Robert M. “Rob” GAUCHER, Commandant les Naval Submarine Forces de l'US Navy, la Submarine Force de l'U.S. Atlantic Fleet et l'Allied Submarine Command (OTAN). Les invités se prirent même en photographie avec le drapeau norvégien.
Revenons à la mission du SSBN-734 USS Tennesse. Ce bateau ne nous est pas inconnu et ce : pour plusieurs raisons. L'une de celles qui nous intéresse est qu'il est le premier à avoir reçu, dans sa salve de vingt missiles Mer-Sol Balistique Stratégique (MSBS ou Submarine Launched Ballistic Missile (SLBM) UGM-133A Trident II ou plus communément appelé Trident 2D5, des têtes nucléaire W76 mod. 2 (W76-2).
Le 04 février 2020 a été publié un communiqué par le Pentagone affirmant qu'avait été mené par le SSBN-734 USS Tennessee (Naval Submarine Base Kings Bay (1979), océan Atlantique) la première patrouille opérationnelle comprenant la tête nucléaire W76 mod. 2 (W76-2), probablement entre décembre et janvier 2019. Il s'agit de l'une des recommandations de la Nuclear Posture Review 2018 qui aboutissait assez rapidement. Le choix de l'océan, lieu de la première patrouille, ne permet pas de douter que la Fédération de Russie est la principale intéressée par cette évolution.
Un autre détail matériel mérite de s'attarder dessus et d'en regarder la cohérence avec le choix de ce bateau afin d'être le premier et à recevoir la W76 mod. 2 et à en faire la publicité : le SSBN-734 USS Tennesse a reçu, à l'occasion d’une Extended Refit Period (1ier février - 1ier juillet 2021) à la Trident Refit Facility (Kings Bay Naval Submarine Base), un ensemble d'antennes Large Vertical Array (LVA). Il est l'un des premiers bateaux américains (SSBN-734 à SSBN-743, selon la notice budgétaire de l'Acoustic Superiority program) à en recevoir. Les expérimentations à la mer de démonstrateurs de ces antennes furent menées à partir de l'année 2020. Ces nouvelles antennes doivent permettre de positionner les pistes en trois dimensions dans le volume sous-marin - donc en fonction de l'immersion - dans le système de combat et non plus selon un plan unidimensionnel.
Il s'agit d'un ensemble de travaux participant de l' « acoustic superiority » devant être gagnée ou regagnée par le programme SSN(X). D'autres travaux pourraient concerner un Enhanced Hull Treatment avec l'installation d' « advanced coating ». Et pour cause : l'US Navy se vantait qu'avec les LVA il était possible de gagner un avantage tactique, au bénéficie des SSBN équipés, dont ils n'avaient pas bénéficié depuis la Guerre froide.
Même bateau servant à de nouveaux signalements. L'escale (28 juin - 04 juillet 2024) à His Majesty's Naval Base (HMNB) Clyde (Faslane) était la 1ière d'un SSBN de l'US Navy - à l'exclusion des Ohio refondus en SSGN : SSGN-728 USS Florida (13 - 18 octobre 2023) à Faslane - en Europe depuis celle... du SSBN-734 USS Tennesse (18 - 22 juillet 2023).
Remarquons qu'il était « encadré » à cette occasion par le DDG-78 USS Porter à Faslane (05 - 08 mai 2023 ; 23 - 26 mai), participant à l'exercice Formidable Shield (08 - 26 mai 2023). Un format similaire à plusieurs escales de SSBN type Ohio en territoires étrangers ont été observées avec des destroyers, rien qu'en 2023, à l'instar de l'escale du SSBN-737 USS Kentucky à Busan (18 - 21 juillet 2023).
Cela invite à tenter d'expliquer en quoi l'affaire de novembre 2022 est importante. L'U.S. Fleet Forces Command (USFFC) publiait (13 décembre 2022 – date symbolique car le 13 décembre 1986 était lancé le « first Trident II (D5) submarine » à Electric Boat Division : le SSBN-734 USS Tennesse) une photographie, affirmait qu'elle représentait un « bi-lateral at sea training on Nov. 22 designed to validate tactics, techniques, and procedures which strengthens the relationship between uniquely close Allies in support of deterrence and collective security. » Plusieurs protagonistes apparaissaient sur le cliché : un Boeing P-8A Poseidon, un Boeing E-6B Mercury, un SSBN de type Vanguard et... le SSBN-734 USS Tennesse.
Quoi penser d'un entraînement commun à deux nations de deux SNLE ? Une hypothèse, parmi d'autres, serait d'avancer que s'il fallait donner un acte de publicité et donc diplomatique à la mise en place de patrouilles communes de SSBN de l'US Navy et de la Royal Navy - possibilité existante sur le plan conventionnel - dans l'océan Atlantique Nord : il serait bien difficile de faire mieux que cette photographie. Et c'est très probablement la rationalité expliquant la présence d'un E-6B Mercury, devant permettre la transmission de l'ordre d'ouverture du feu nucléaire, y compris dans les hypothèses pré-cités et même si le bateau devant le recevoir est Britannique.
Quoi penser de la « énième » apparition du SSBN-734 USS Tennesse, servant, une fois de plus, à porter un signalement nucléaire ? À la différence de son précédent emploi de novembre 2022, il est notable que l'espace stratégique considéré ne soit rigoureusement pas le même : US-UK en 2022, Alliance atlantique en 2024. Il s'agit bien dans le deuxième cas de l'intrication de la stratégie nucléaire américaine, portée par le United States Strategic Command, dans les plans nucléaires de l'OTAN qui est, par définition, l'organisation intégrée de l'Alliance atlantique, demeurant une alliance militaire défensive à caractère nucléaire.
Il est bien plus difficile de proposer la dynamique associée à l'apparition du SSBN-734 USS Tennesse (20 juin - 04 juillet 2024) entre la Norvège et le Royaume-Uni. La démonstration américano-britannique de novembre 2022 semblait inaugurer une séquence stratégique pouvant, non seulement annoncer la mise en place de patrouilles communes, voire l'effectivité du dispositif déjà mis en place, et être un des points de départ remarquable à une séquence nucléaire entière ayant été entretenue en parallèle de la contre-offensive ukrainienne car les actes de diplomaties navales et nucléaires des SSBN type Ohio apparaissant dans les bases navales de l'océan Atlantique, de l'océan Indien et de l'océan Pacifique s'étaient densifiés entre novembre 2022 et août 2023.
C'est pourquoi la dernière apparition du SSBN-734 USS Tennesse peut signifier autant la reprise de la précédente séquence stratégique, voire le début d'une nouvelle alors que la situation en Ukraine pourrait exiger, des soutiens de cette dernière, quelques sûretés stratégiques chères à l'Amiral Raoul CASTEX. Un bateau comme le SSBN-734 USS Tennesse témoigne d'une confiance opérationnelle, notamment en raison de matériels nouveaux et des avantages conférés par eux, que d'une souplesse stratégique accrue (W76 mod. 2), ouvrant le champ à un ensemble de scénarios et de signaux signifiant aux adversaires russe et chinois que Washington peut agir avec une grande latitude, dans un contexte où le President Joseph R. BIDEN imprime des pressions stratégiques, en particulier dans le Pacifique, très fortes.
Wait
& sea.
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