31 janvier 2011

Perspectives de la suprématie navale de l'US Navy et Sea Basing


© Inconnu. Projet français d'une île artificielle et mobile, l'île AZ, de J-P Zoppini. L'île est une structure de plaisance mesurant 300 par 400m pour 10 000 résidents.


Suite à mon article sur le destroyer Zumwalt1, Midship nous livre sa propre appréciation sur ce navire et conteste son caractère "révolutionnaire". La fine et longue analyse qu'il s'est donné la peine de rédiger, sur les moyens futurs de l'US Navy, et de porter à notre connaissance méritait bien d'être publiée.

La connotation AVT du Zumwalt me fait penser aux nombreuses inventions des "iles flottantes", en version militaire. Une sorte d'intermédiaire entre nos bonnes vieilles frégates, dont le concept global n'a pas fondamentalement changé depuis les cinq derniers siècles, et "l'Etoile noire" de Star Wars2. En terme de forme générale et de propulsion, on est encore en mode "frégate", privilégiant la forte mobilité, mais sur les capacités de frappes, on rejoint le concept d'ile flottante de STX3, en version militarisée : finalement très proche du concept de Georges Lucas, en version plus flottante.

Au final, l'idée peut à mon avis se résumer ainsi : que fait-on de notre maitrise des océans ? Les États-Unis sont en effet l'unique réelle suprématie navale du moment. Comment utilisent-ils cet avantage pour augmenter leur capacité d'action et de rayonnement ? Une fois la sécurité du plan d'eau offerte grâce aux destroyers actuels, qui surclassent déjà en équipement et en entrainement à peu près tout ce qui se fait dans le monde, que fait on de cette sécurité et comment utiliser cette avance ?

En ce qui me concerne, je trouve donc le projet Zumwalt un peu "timide". Ce n'est finalement qu'un gros destroyer, une sorte de méga-frégate, dont on a modifié les formes, agrandi les dimensions, inversé l'étrave, etc. Mais finalement, pour une telle chose et un tel prix, je trouve que ce produit est réellement tourné vers le passé, montrant que l'US Navy4 a des difficultés à sortir de son organisation éprouvée pour réinventer des concepts d'opération5. On fait "plus", éventuellement "mieux", mais pas "révolutionnaire". Sur le plan international, on en arrive donc à faire rapidement du "copiable". Sur le plan opérationnel, on a une guerre de retard.

Et si l'avenir de l'US Navy, c'était une myriade de corvettes6 capable de maîtriser la situation de surface et les dangers asymétriques et mines, une flotte cohérente capable d'assurer la maîtrise de la troisième dimension (ASM et AA), une capacité de renseignement et de dissuasion dans les trois dimensions, et une capacité de projection déclinée en deux volets temporels : une capacité imédiate, aéronavale, centrée sur les LHD et les porte-avions, capable de débarquer et de conquérir, et un deuxième volet basés sur une ile artificielle, où serait appliqué le concept du "sea basing"7, après s'être assurée la sécurité de la zone maritime, pour permettre de poursuivre des opérations dans la durée en s'affranchissant des contraintes légales et diplomatiques.

Imaginez un instant ces iles : environ 200 000 à 400 000 tonnes, dépourvues de propulsion (hormis positionnement dynamique), équipées d'un petit réacteur nucléaire pour la production électrique, elles disposent d'un pont d'envol de 500 m de long avec brins d'arrêt et catapultes, d'un bon nombre de drônes de tous types, d'un hôpital, d'un complexe d'hébergement et d'entrainement, d'une installation de commandement et de contrôle, d'une grande quantité de cellules de tir en profondeur (lancement vertical de missiles type tomahawk ou scalp) et de grande capacités de ravitaillement et d'autonomie.

Cette installation serait remorquée sur les lieux d'un conflit par un supply boat du type de ceux que nous connaissons, et qui sera capable d'assurer une maintenance technique de la plateforme, et serait équipée de vedettes capables d'assurer la surveillance rapprochée du point d'eau. Incapable de passer par les détroits, elle n'interviendrait qu'en deuxième phase d'un conflit, une fois la période de crise maîtrisée par les moyens actuels de premier rang, et sous préavis de trois à quatre mois. Sa longue piste autoriserait des ravitaillements "lourds" par voie aérienne (appontage d'ATT) et les relèves d'équipage, mais elle disposerait également d'une marina pour ses navires de servitude et ses chalands.

Le coût de développement et de réalisation d'une telle structure est probablement autours de dix milliards de dollars les deux, soit entre deux et trois Zumwalt. Cette base serait remorquée avec un faible personnel et le personnel rallierait selon les besoins par voie aérienne puis maritime en fonction des besoins ponctuels (au trimestre près), selon le principe des bases à terre. Un équipage réduit serait affecté pour 2 ans à bord.

Les compléments indispensables de mon île sont une flotte quasi-civile de ravitaillement, une flotte militaire de haute intensité capable de se déployer, de se ravitailler au combat, de combattre et de maitriser tous les domaines de lutte, et enfin d'une ressource humaine innovante où le personnel d'entretien ne serait pas forcément militaire, ni forcément national, hormis la partie liée à l'équipement nucléaire et aux opérations. En gros, c'est une FOB qu'on déplace cinq fois pendant sa vie, avec ses missiles.

Je fais donc le pari que le "BPC du futur" sera plus utile que le "Iowa du passé", je fais le pari que les conflits du futur seront composés le plus souvent d'une éventuelle phase de haute intensité brève (quelques mois), suivie d'une longue phase asymétrique demandant de plus en plus de maitrise et d'endurance tout en s'affranchissant de l'empreinte terrestre pour des raisons de coût, d'image et de réversabilité (au coup de sifflet bref, il n'y a plus de présence terrestre). Au fond, je fais aussi le pari que rien dans les marines du monde dans les quarante prochaines années ne pourrait ne pas être détruit par les capacités actuelles (et leurs simples mises à jour) de l'armée américaine. Et de fait : qui pourrait arracher aux américains la maitrise d'une mer ? La Chine, même supérieure en nombre et avec une profonde amélioration technologique serait encore anéantie par la puissance de frappe, l'entrainement et l'expérience américaine.

Fiche technique de "l'île"
DéplacementTPC : 400 000t
Dimensions500 par 200m
Hébergement4000 personnes
Autonomie du matériel5 ans déployé
Capacité de frappe et autodéfenseLimitée, frappe missile AVT : 64 cellules.
Artillerie : 0
RavitaillementAir, mer
Senseurs, capteurs et système de combatCopie d'une Arleigh Burke ou Ticonderoga maximum
Zone d'opération30 à 100 nautiques des côtes, zone internationale déconflictée, hors de portée des menaces côte-mer.
Génération électriqueRéacteur nucléaire "low cost" secouru par quelques DA sur réseau secours.
Rayon d'action8000 nautiques en 4 mois (remorquage à 3 nœuds)


Maintenant imaginez le pouvoir politique des USA avec cinq exemplaires d'une telle structure prépositionnés :
  • un en Méditerranée,
  • un dans le Golfe de Guinée,
  • un en mer Rouge,
  • une dans la mer d'Arabie
  • et une en mer Jaune.
Pour appuyer mon raisonnement, j'ai vu dernièrement, je ne sais plus où, un article sur une idée de barge lance-missiles Tomahawk remorquée et laissée "à la dérive" dans le voisinage des zones de conflit. Un système de lancement intégré serait dirigé par satelite depuis l'état major à terre.

Midship



1 "Destroyer Zumwalt : futur Dreadnought de la construction navale et militaire ?", le Fauteuil de Colbert, 24 janvier 2011.
2 "Etoile noire", Les Archives de l'Alliance.
3 "Le père de l'île AZ s'est éteint", Mer et Marine, 19 février 2010.
4 "US Navy : la plus puissante marine du monde peine à se renouveler", 28 novembre 2008.
5 "A quoi ressemblera l'US Navy en 2040 ?", Mer et Marine, 11 février 2010.
6 "US Navy : Lancement de la première LCS de General Dynamics et Austal", 5 mai 2008.
7 "Sea Basing : quelles applications en France et en Europe", Spyworld reprenant un article du blog Armée du futur, 18 février 2009.

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