04 février 2011

Du SNA Émeraude en général, du destin international raté de la classe Rubis en particulier

© Inconnu. Lancement du SNA Provence le 7 juillet 1979.
Quelques commentaires et notes sur les premières occasions françaises de considérer un sous-marin à propulsion nucléaire comme navire de guerre exportable. Certaines marines citées sont revenues sur les ambitions initialement exprimées pour tenter, une nouvelle fois, de les satisfaire.

12 SNA classe Rubis pour le Canada

Resituons le contexte au Canada. Nous sommes dans les années 1980. Cette période a pour caractéristique d'avoir relancé la course aux armements. Les États-Unis ont eu comme porte-étendard l'Initiative de Défense Stratégique (IDS), et leurs alliés ont suivi avec un ambitieux renouvellement conventionnel. Par exemple, en France c'est le lancement des programmes Rafale, Leclerc et du porte-avions nucléaire. C'est un pari qualitatif face à la puissance quantitative de l'Union Soviétique. Vous connaissez la suite de l'histoire.

Le Canada, quant à lui, a tenté un coup à la fois qualitatif et quantitatif. Alors qu'il opère une petite flotte de sous-marins centrée autour de trois anciens navires à propulsion diesel électrique de classe Obéron (déclassés et vendus par la Grande-Bretagne), il va tenter de se doter d'une sous-marinade nucléaire de dix à douze vaisseaux !

Avant le livre blanc canadien de 1987, il était prévu l'achat de 17 sous-marins classiques supplémentaires. La pensée stratégique évoluant, les conclusions du livre blanc aboutirent à choisir la voie du SNA. Il était question d'une flotte de 12 unités au maximum, construite localement en transfert de technologie.

Un des besoins stratégiques profonds du Canada, qui a abouti à ce changement, est de pouvoir assurer sa souveraineté sur les trois océans Atlantique, Pacifique et Arctique. Ce besoin stratégique est toujours d'actualité aujourd'hui, surtout face aux ambitions russes et américaines sur la zone arctique. Le SNA a donc paru être le type de sous-marin le plus adapté.

France et Angleterre se sont opposées avec pour l'une, son tout nouveau SNA classe Rubis, et pour l'autre, son SNA classe Trafalgar. Le projet fut finalement abandonné en avril 1989, les prémices de la fin de la Guerre Froide se faisant sentir. Sans oublier l'arrivée d'un nouveau gouvernement conservateur qui sabrera dans toutes les dépenses de Défense, initiative dont les effets se font encore sentir aujourd'hui. L'ambition militaire canadienne générale fut dès lors orientée à la baisse.

Un intérêt hollandais

" Le principe de la construction d'un SNA est annoncé en mai 1964 par les Pays-Bas et un premier crédit d'études est dans le budget de la défense de 1965. En février 1970, le ministre de la Défense déclare que son gouvernement s'intéresse au projet de construction de la classe Rubis alors à l'étude en France. Les États-Unis auraient refusé toute aide à ce projet. Ce projet est resté sans suite. "

Jules Henri Le Masson, Flottes de combat 1972, Paris, Éditions maritimes et d'outre-mer, octobre 1970, 322 pages.

Le Rubis, un rival malheureux de l'US Navy ?

La France a construit six navires sur huit projetés, le Canada espérait alors une série de 12 vaisseaux mais les ambitions hollandaises restent inconnues.

Tout ces Etats sont des alliés des Etats-Unis. Là n'est pas la question. Là où est le souci pour la marine américaine c'est que dans le camp otanien la France aurait pu réaliser une série de 18 SNA, voir plus si le projet hollandais s'était concrétisé. 18 navires et plus, c'est aussi bien que certaines classes de sous-marins nucléaires étasunienne.

La difficulté américaine c'est que ce type de navire n'aurait plus été l'apanage des cinq membres du Conseil de Sécurité dès les années 80. De facto, il y aurait eu une perte d'influence américaine puisqu'au moins deux pays supplémentaires auraient pu gagner en indépendance vis-à-vis de Washingtown.

Pire, la comparaison aurait fini par être faite de façon publique entre les SNA de coneptions américaine et française. La comparaison actuelle est beaucoup trop discrète. En revanche, une comparaison entre une série de 18 navires (et peut être plus) et des séries équivalentes aux Etats-Unis aurait fini par poser la question de la réalité des performances des sous-marins américains. Je ne dis pas qu'ils ne le sont pas.

Par contre, il aurait été intéressant pour la communauté internationale de savoir si la construction de sous-marin aux Etats-Unis ne seraient pas trop onéreuse par rapport aux standards internationaux. Là est la difficulté pour l'US Navy : l'industrie navale s'est consolidée... Mais la population ouvrière n'a pas diminué ! Il y a moins de chantiers mais il n'y a pas moins d'ouvriers, ce qui présage mal pour la productivité.


Un article du CIRPES détaillait la chose : "L'industrie navale américaine : une puissance en trompe l'oeil ?".


Principaux groupes industriels de construction navale militaire (données 2003 et 2004)


Chiffre d’affairesb (milliards euros ppa)cEffectif salariébC.A/salarié (millions euros)EBIT margind
(USA) Northrop Grumman6392000,1536,20%
(USA) General Dynamics4,5194000,2326,20%
(USA) Lockheed Martin3,3110000,302
BAE system marinea1,250000,24
DCN2,6129000,2027,20%
FINCANTIERI2,295000,2326,20%
ThyssenKrupp Marine systema2,293000,236
IZARa1,7110000,155
THALES navala2,265400,336
© CIRPES

Il existait donc deux risques pour l'US Navy : la reconnaissance que son outil de production était peut être inefficace. Cette simple raison aurait été préjudiciable pour un pays leader d'un camp qui s'acharnait à faire valoir que son modèle était meilleur que celui de l'adversaire : le monde est toute en nuances.

De plus, le fait que la France prenne une très grande place dans le système euro-atlantique via les SNA qu'elle aurait vendu alors que notre pays était (et est) affranchi du comité des plans nucléaires de l'OTAN.

Cet état des lieux d'une hypothèse avortée explique peut être quelques raisons qui ont poussé les États-Unis à ne pas soutenir ces ventes (pourtant intéressantes pour armer l'Europe face à l'URSS), voir de les combattre.

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