16 novembre 2011

Dix après, l'absence des Turquoise et Diamant se fait sentir

© Team94. Il s'agit du Redoutable, premier SNLE de la France qui est aujourd'hui exposé à la Cité de la Mer de Cherbourg. Une tranche du SNA Turquoise remplace aujourd'hui la tranche réacteur du Redoutable.

 Lancé le 1er mars 1967, le Sous-marin Nucléaire Lanceur d'Engins (SNLE) Le Redoutable est admis au service actif le 1er décembre 1971. A ce moment là de notre histoire, l'état-major de la Marine savait pertinemment que le parfait escorteur de notre dissuasion océanique en cours de constitution ne pouvait être que le Sous-marin Nucléaire d'Attaque (SNA). La certitude de ce besoin était ancienne puisque la IVe République avait commencée le long chemin pour acquérir ce type de navire, suite aux essais de l'USS Nautilus. Le premier SNA français fut le Q244, projet non-achevé en raison de l'impossible miniaturisation de la filière réacteur nucléaire alors retenue. Les éléments de la coque du Q244 furent utilisés afin de construire le Gymnote, navire d'essais pour les missiles balistiques des SNLE.

Et ce sont donc les SNLE qui ont été les premiers sous-marins nucléaires de notre Flotte. Pour assurer leur sécurité, la Marine recourra à des sous-marins classiques. Entre15 et 20 de ce type de vaisseau noir était alors utilisé pour garantir, notamment, mais en priorité, la réussite de notre dissuasion océanique. Ce n'est pas sans rappeler l'actuelle situation de la Marine indienne qui ambitionne également d'avoir autant de sous-marins pour protéger ses premiers SNLE, et maintenir une dissuasion sous-marine vis-à-vis du Pakistan et de la Chine.  En attendant, la Marine indienne n'aura bientôt plus que 5 sous-marins opérationnels et n'a toujours pas reçu son SNA Akula en location, ni son premier Scorpène, ni lancé les négociations pour une fourniture de six sous-marins supplémentaires (vu l'urgence, une rallonge de Scorpène ?) et encore moins -officiellement- de projet de SNA. C'était une chance que les gouvernements de la France prennent leurs responsabilités pour assurer la sécurité du moyen océanique de dissuasion. C'est un manque de chance pour l'Inde qui handicape sérieusement ses ambitions.

Pourtant, nous ne sommes pas si éloignés que cela de la situation indienne. Les menaces perdurent sur le nouveau programme de SNA et il n'est toujours pas acquis que la Marine recevra six nouvelles unités. Mais surtout, la sécurité de notre dissuasion nucléaire océanique a été amoindrie pendant 4 mois : "On notera aussi que le très haut niveau d'engagement de la flotte a obligé l'état-major à renoncer durant quatre mois à déployer en Atlantique un sous-marin nucléaire d'attaque, dont le rôle est notamment d'assurer la protection des sous-marins stratégiques". Je cite Mer et Marine, qui cite lui-même les discussions de la commission de la Défense et Forces armées de l'Assemblée nationale.


« Tout ceci démontre que le format de notre marine est aujourd'hui juste suffisant pour répondre aux ambitions de défense et de sécurité de notre pays » dixit l'Amiral Rogel, Chef d'état-major de la Marine nationale (CEMM). Il faudrait donc en conclure que le format de la Marine nationale est "juste suffisant" pour assurer les missions habituelles, celles fixées par le Livre blanc, et remplir le contrat opérationnel en cas de crise majeure.

Ce n'est pas tout à fait exact puisqu'il y a eu une rupture dans la sécurité de la dissuasion. L'affaire n'est pas anodine car certaine marine (comme celle de la Russie) n'attende même pas une crise internationale pour chatouiller les défenses adverses. Le pavillon de St George en a fait les frais, hors opération en Libye, et les manquements des responsables politiques de Londres ont été mis gravement en lumière : l'absence d'une PATMAR, par exemple.

N'oublions pas que dans le portrait que dresse le CEMM de l'action de la Marine pendant la Guerre en Libye, il note tout les choix qui ont été fait afin de fournir l'appui naval à nos forces armées. De façon synthétique, on ne peut que noter, encore une fois, pour changer, que c'est la Fonction Garde-Côtes qui est terriblement à la peine. Cette fonction nécessite des moyens. Ils coûtent des crédits budgétaires. Certes. Mais ce ne sont pas les plus coûteux, loin de là : quand la Marine canadienne souhaite dépenser 33 milliards de dollars pour de nouveaux destroyers, frégates, etc..., elle compte n'en dépenser que 2 milliards pour les 116 (!) navires garde-côtiers... -et le domaine maritime du Canada est aussi immense qu'il peut être hostile !

Revenons-en à nos SNA. Les six Rubis sont entrés en Flotte du milieu des années 70 jusqu'au début des années 90. Deux marines avaient été intéressées par ces navires :
  • La Marine canadienne. Elle a abandonné en raison du coût financier, forcément un peu grand puisque Ottawa visait, tout de même six unités. Ce qui n'empêche pas que le Canada souhaiterait sortir par le haut du désastreux rachat des quatre Upholder britannique en essayant à nouveau de se doter de SNA.
  • La Marine néerlandaise. Le projet a étudié le projet d'achat de SNA Rubis, le projet est resté sans suite.
La Royale avait elle même de "grandes" ambitions, contenues dans le plan naval de 1971-1975 qui avait été conçu par l'Amiral de Joybert : 10 SNA. Une fois le cap des années 90 passé, l'ambition a été ramené à 8 navires et le rythme de construction des navires a été ralenti (mesure qui "lisse" la bosse budgétaire mais qui, fatalement, l'augmente par pure violation des lois économiques et industrielles). Finalement, en 1992, le nombre de Rubis a été ramené à six. Les Turquoise et Diamant n'ont jamais été achevés. Est-ce que le décalage des constructions et le maintien en service de sous-marins classiques a été moins coûteux que la construction de dix SNA ? J'aurais tendance à affirmer que non. C'est le même problème pour le char Leclerc (qui devait être construit à 1300 exemplaires, les allemands l'ont fait et revendent actuellement le trop plein avec bénéfices) et le Rafale.

Revenons, je vous prie, au sujet du jour : le format de la Marine serait "juste suffisant". Six SNA suffiraient pleinement à remplir les ambitions du Livre blanc. Non, c'est un mensonge, un de plus que contient ce livre : on ne peut pas assurer la continuité de la sécurité de la dissuasion et intervenir en Libye. Ce qui revient à dire que l'on a choisir entre la dissuasion, l'accompagnement du GAn et les opérations sous-marines d'une OPEX : pendant cette période, le reste du monde nous est inconnu.

La Guerre en Libye a été un "cauchemar" : imaginez, un conflit pile en face de Toulon ! La France a, il faut le reconnaître, la chance de voir les dictateurs attaquer ou se faire attaquer quand le porte-avions est disponible et juste en face de Toulon pour que avoir une présence continue de SNA.

Mais, il y a ce "mais" terrible : et si la prochaine crise nécessitant l'emploi continu de SNA se trouvait en océan Indien ?... Ou dans l'Atlantique Sud ? Ce n'est pas une question théorique, c'est un rappel pratique : les britanniques ont eu affaire à la Guerre des Malouines et ils avaient alors une quinzaine de SNA. Sachant que les SNA déployés sur le théâtre de cette guerre n'étaient pas de trop pour traquer, difficilement, le porte-avions 25 de Mayo et, plus facilement, le croiseur Belgrano.

Alors oui, il est toujours possible, par mesure exceptionnelle, d'allonger la durée des missions pour palier le manque d'unités. Les missions des SNA de marines étrangères sont bien plus longues. Certes. Mais cela ne fonctionne qu'un temps, et ce n'est pas toujours efficace. A moins d'avoir un vivier d'équipages très fourni pour faire face à la perturbation des emplois du temps, des temps de repos des marins. Ce qui n'est pas simple dans une période de tensions sur le recrutement.

Il y a peut être un facteur matériel à soulever : l'étroitesse de la coque des Rubis ne permettrait pas l'emport de tout les équipements utiles ou ne permettraient pas une refonte utile pour adapter les navires au contexte actuel. Un sous-marin trop petit, c'est un handicap pour l'évolution dans un contexte mondial où tout les navires gagnent en tonnage.

Il existe une autre possibilité pour affronter un nombre de navires trop bas : baser les unités au plus près des théâtres d'opérations. Le raisonnement est simple : moins de temps de trajet entre la base et la zone d'opération, c'est plus de temps d'opérations. Donc, à navire égale, il y a plus de navires en temps d'opération. L'intérêt de la marine américaine est de pouvoir faire face à un manque de moyens, et ce raisonnement est donc l'une des lignes de débat dans l'US Navy. Et il se pourrait bien que l'une des illustrations de cette défense en avant soit l'arrivée de Marines dans le Nord de l'Australie, à Darwin, ce qui augurerait l'arrivée de SNA (à confirmer dans le futur).

In fine, faudrait-il que la Marine puisse aménager le placement de ses navires ? Faudrait-il placer un SNA ou deux à Brest ? Pouvoir en déployer, entre deux IPER, à la Réunion ? Les questions sont à poser, sauf à se cantonner le Monde à la Méditerranée. Tout est affaire de choix, mais la Terre est ronde, vérité qui a fini par triompher.

Actuellement, et face au manque de volontarisme politique pour gagner du "temps d'opération", je ne peux que conclure que les Diamant et Turquoise manquent à l'appel. Que l'abandon de leur construction n'a certainement pas été judicieux sur le plan financier, comme j'ai pu le laissé entendre, et au point de vu du contexte stratégique :

"la Marine se trouve maintenant, et sans doute pour la première fois de notre Histoire. Au premier plan de la puissance guerrière de la France et ce sera dans l'avenir, tout les jours un peu plus vrai", le Président De Gaulle, le 15 février 1965 à l'Ecole navale.

Le Livre blanc n'a pas demandé 8 ou 10 SNA. Certes. Mais il a institué une fonction "Connaissance et Anticipation". J'aimerais bien savoir comme l'on va anticiper la cyberdéfense sans pouvoir dédier de SNA à cette mission (ce que font les américains depuis depuis des années dans la guerre de l'information qui va inclure ou qui inclue d'ores et déjà la cyberdéfense). Pouvoir s'introduire dans les autoroutes de l'information via les câbles sous-marins ou pouvoir surveiller des côtes ennemis, c'est cela aussi connaître. Encore mieux : comment mesurer l'importance de la guerre froide sous-marine en Asie du Sud-Est sans jamais y aller ? Sans jamais pouvoir dédier un navire  pour récolter ses propres informations sur la situation ? C'est pourtant là bas que l'on nous affirme que le centre de gravité du Monde se déplace, et c'est surtout là bas où l'on assiste à une très grande concentration de navires sous-marins antagonistes. L'espace bénéficie d'investissement afin de nous permettre notre autonomie de décision grâce à de précieux renseignements fournis par nos satellites et non pas par un allié. Toutes les informations ne transitent pas par l'espace.

Faudrait-il donc en conclure que le Livre blanc se contredit ?

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