16 mai 2012

Abandon des EMALS à bord des CVF : un manque de puissance électrique ?

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 Ainsi donc, l'actuel gouvernement anglais a choisi de faire le chemin inverse de celui qui avait conduit le précédent aux décisions de la Strategic Defense Review de 2010. Au grand dam d'une partie de l'opinion navale anglaise, ce ne sera plus le F-35C qui appontera sur le Prince of Wales, mais les F-35B qui pourraient apponter sur les deux navires. La décision anglaise est d'une logique difficilement contestable en l'état actuel des informations.

Le 24 janvier 2011, la version B du JSF est en mise en probation technique par la décision du secrétaire d'Etat américain à la Défense : Robert Gates. En outre, son coût ne semble pas maîtrisé. Il est donc décidé par la SDR anglaise de 2010 de refondre le second porte-avions en CATOBAR et de passer de la version B à la version C du Joint Strike Fighter. L'appareil catapultable est d'un coût unitaire moindre et semble plus proche d'être produit en série pour entrer en vie opérationnelle.


Le point noir au tableau de la Royal Navy, c'est que la refonte coûterait un peu plus d'un milliards de livres, en sus du coût du programme CVF (Carrier Vessel Future). C'est un coût très lourd si l'on considère que les études des deux navires contiennent des dispositions conservatoires pour une telle refonte :
  • l'Angleterre envisageait une telle refonte à mi-vie (pour recevoir quels appareils ? Le F-35 doit durer plus d'un demi-siècle aux dires de ses concepteurs... Cette énigme perdure),
  • les Français qui se sont joints au programme CVF désiraient une telle possibilité afin que le PA2 (ou CVF-FR) puisse mettre en oeuvre Rafale et E-2.
Le coût de la refonte s'expliquerait par la difficulté d'intervenir sur un navire construit dans différents chantiers. Explication difficile à admettre puisque, en 2010, rien n'était suffisamment entamé sur le Prince of Wales, pour ne pas utiliser les plans prévus pour les catapultes... Le navire a beau être constitué de différents blocs venant de différents chantiers, il ne doit pas être si difficile de communiquer entre chantiers.

Pour compenser cette dépense, le premier navire aurait été gréé en porte-hélicoptères. Il avait été évoqué de le placer par la suite en réserve, voir de le vendre.

La France étudia discrètement le rachat de la coque du Queen Elizabeth. Le CEMA, l'Amiral Guillaud, ancien commandant du Charles de Gaulle, dira devant les parlementaires le 13 octobre 2011 que l'achat du premier navire anglais et son adaptation technique aux besoins opérationnels de la Royale aurait nécessité une opération financière de plus de 4 milliards d'euros. Le coût de la refonte CATOBAR semblait se confirmer... sur un navire qui aurait dû être modifié une fois sa construction achevée.

Mais les coopérations aéronavales avec les Etats-Unis, et la France (transposée dans les traités du 2 novembre 2010) devaient permettre de reprendre en main l'outil aéronaval et de palier l'abence de permanence aéronavale.

Tout change en 2012, et la situation s'est presque inversée. La version B du JSF est donc sortie de probation avant le terme du délai de cette période dangereuse. Mais, et surtout, c'est la version C qui présente désormais des problèmes techniques : des fissures sont apparues sur les prototypes servant aux essais d'appontage et de catapultage. La crosse d'appontage serait, notamment, mal située. Un déplacement de celle-ci entraînerait des problèmes pour la furtivité de l'appareil.
Mieux encore, le devis de la refonte a explosé : selon les sources, celle-ci varie entre 1,5 milliards de livres et 2,5 milliards d'euros. C'est presque le coût du navire lui-même. « Alors que le programme a mûri, et que des analyses plus détaillées ont été livrées par les fournisseurs, il est devenu clair que la conversion coûterait le double de ce qui était prévu et que le bâtiment ne serait livré, au plus tôt, qu'en 2023. C'est inacceptable », a expliqué Philip Hammond (cité par Mer et Marine).

Plusieurs tentatives d'explications ont été avancées : les EMALS (ElectroMagnetic Aircraft Launch System) , les nouvelles catapultes électromagnétiques américaines, auraient un coût significatif.

Mais surtout, il a été possible de lire sur Mer et Marine que les porte-avions anglais, qui n'ont toujours pas touché la mer, manqueraient de puissance électrique pour mettre en oeuvre ces catapultes : "sur le papier, ajouter deux catapultes électromagnétiques et une piste oblique avec brins d'arrêt semblait simple, d'autant qu'à priori, lors du développement du design, la possibilité d'installer ultérieurement ces équipements avait été prise en compte. Mais, en réalité, les modifications ont soulevé de nombreux problèmes techniques, avec notamment une augmentation significative de la puissance électrique devant être produite".

Avec une telle présentation, il est forcément très logique de repasser à la version B du JSF, et, finalement, de pouvoir conserver les deux navires. Il vaut mieux une permanence aéronavale avec deux porte-avions et un groupe aérien embarqué composé de F-35, malgré toutes les limites inhérentes à la formule des ADAV (Aéronef à Décollage et Atterrissage Verticaux).

Pis, Londres souhaitait une refonte CATOBAR à mi-vie. Tout espoir n'est pas perdu. Même s'il y a de quoi se demander quelle est la raison d'être de cette refonte initialement prévue avant les atermoiements de ces dernières années.

Il n'en demeure pas moins qu'il y a de quoi se poser légitimement la question de la sincérité du coût avancé pour la refonte : 1,5 milliards de livres, voir 2,5 milliards d'euros, c'est très difficile à expliquer à première vue.

Ces navires ont été conçus pour recevoir des catapultes à vapeur puisque le précédent gouvernement français avait du annuler la commande d'une paire de catapultes à vapeur auprès de l'industriel américain qui les fabrique. C'était Michèle Alliot-Marie qui avait alors tenté de rendre inévitable la réalisation du PA2 en engageant le maximum de crédits budgétaires. La commande des catapultes en faisait partie.
En outre, les catapultes électromagnétiques ne nécessitent plus de conduites de vapeur qui montent depuis la salle des machines jusqu'au pont tout de suite en-dessous du pont d'envol. A priori, il n'y aurait plus que des câbles électriques à faire passer.

Pourtant, c'est manifestement un changement de monde avec les EMALS.

L'enjeu des EMALS est ailleurs car, ce qui aurait été peut être plus coûteux, c'est l'adaptation ou l'intégration d'un logiciel IPS (Integrated Power System) apte à gérer les flux électriques pour charger ces catapultes afin qu'elles catapultes "à la chaîne".

In fine, c'est une grande partie des problématiques du "navire tout électrique" et des navires devant mettre en oeuvre des canons électromagnétiques que l'on retrouve à travers les EMALS :
  • être capable de produire de grandes impulsions électriques en série,
  • et transmettre ces impulsions de leur lieu de production ou de stockage vers l'équipement qui va consommer cette quantité d'énergie (EMALS ou canon électromagnétique).
Dans cette optique, il faut avoir la puissance électrique nécessaire pour les générer, avec les câbles et logiciels nécessaires pour les transférer d'un bout à l'autre du bord. L'énergie nécessaire pour une EMALS afin de catapulter un appareil de 30 tonnes n'est peut être pas la même que celle qui est nécessaire pour faire partir un obus de 155mm par un canon électromagnétique. 


Mer et Marine semblait donc dire que les deux Queen Elizabeth pourraient manquer de puissance électrique :

Au passage, oui, la puissance théorique des K-15 pose beaucoup de questions au regard d'une simple comparaison avec le dernier-né américain.

Il faudrait donc en conclure qu'il est possible que les deux porte-avions anglais souffrent de deux défauts majeurs :
  • l'architecture électrique du navire ne répondrait pas aux exigences d'équipements électromagnétiques comme les EMALS,
  • les deux navires souffriraient d'un manque cruel de puissance électrique.
Ces deux défauts, s'ils sont avérés, sont largement suffisants pour obérer toute prétention à une refonte CATOBAR avec des catapultes électromagnétiques. La prétention à accéder à cette technologie pourrait expliquer le coût faramineux avancé par le ministre anglais de la Défense. En effet, il ne s'agirait plus d'installer simplement des équipements, mais il faudrait retravailler l'architecture du navire, notamment son architecture électrique, augmenter significativement sa production d'électricité et refondre, peut être aussi, ses logiciels. C'est presque faire sauter une génération.

En outre, les réacteurs nucléaires en seraient presque indispensables afin de produire de telles quantités d'énergies... La refonte aurait été peut être plus accessible à partir d'un navire pouvant plus facilement délivrer la puissance électrique demandée. Et encore, si l'on tentait une telle refonte sur le Charles de Gaulle, il faudrait peut être démultiplier sa puissance électrique qui est, à la base, de 20MW... Les américains semblent estimer comme nécessaire une puissance électrique maximale de 90MW. Peut être qu'ils exagèrent, peut être pas. Quoi qu'il en soit, la seule possession de réacteurs nucléaires d'une telle puissance ne semble pas suffire.

Le grand mystère, c'est le pourquoi du comment le gouvernement anglais n'a pas opté pour des catapultes à vapeur. Il n'est pas dit que les américains refondront leurs actuels CVN avec des EMALS dans les prochaines décennies. L'USS Georges Bush (CVN73) a été livré avec des catapultes à vapeur. Quoi qu'il en soit, il ne semblerait pas que le gouvernement anglais ait cherché dans la direction de cette solution, moins ambitieuse, certes, mais beaucoup plus réaliste. De là à dire qu'ils ont cherché à limiter volontairement l'allonge du groupe aérien embarqué de ces navires, et donc son allonge politique, pour ne pas remettre en cause la nécessité de l'allié américain, alors il y a un pas...

Au final, il est possible d'observer que les deux porte-avions anglais ne répondent pas aux enjeux énergétiques des catapultes électromagnétiques. Les accords de Nassau de 1964 aménagent une solide coopération bilatérale entre Washington et Londres. Manifestement, la communication ne passe pas entre les deux rives de l'Atlantique sur ce programme. Il serait surprenant que l'US Navy ait sous-estimé les besoins électriques des EMALS si l'on considère que le CVN78 voit ses réacteurs de nouvelle génération posséder une puissance électrique de 25% supérieure à la génération précédente. Il n'y a donc pas pu avoir de problème de communication entre les deux rives de l'Atlantique...

Vraiment, il y a de quoi s'interroger sur la volonté du gouvernement anglais : ont-ils jamais voulu installer des catapultes, fussent-elles électromagnétiques ou à vapeur, à bord des deux Queen Elizabeth ?

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