18 mai 2012

Le gouvernement anglais a-t-il sciemment torpillé la refonte CATOBAR des Queen Elizabeth ?

© Mer et Marine. La dernière mouture du PA2 : "Juliette 2".

 L'article d'hier -"Abandon des EMALS à bord des CVF : un manque de puissance électrique ?"- se concluait sur un constat inattendu, et relevé seulement par Kouak : l'absence de production de vapeur à bord d'un éventuel CVF ou CVF-FR CATOBAR mettant en oeuvre des catapultes à vapeur. Un autre lecteur, Gilles, pointe du doigt les ambigüités gouvernementales anglaises à propos de la refonte CATOBAR avec EMALS (ElectroMagnetic Aicraft Launch System) : l'argument du manque de puissance électrique, développé dans le billet d'hier, ne résisterait pas au doute suscité par de nouvelles questions, et de nouveaux éléments.

La refonte CATOBAR avec EMALS est-elle à portée ?

Nécessairement, il faut présenter à nouveau le sujet : le gouvernement anglais abandonne la refonte CATOBAR du Prince of Wales, second navire du programme CVF (Carrier Vessel Future), car le devis a doublé (de 1 à 2 milliards de livres, approximativement).


Il y a plusieurs obstacles à cette refonte :
  • le premier est le choix des EMALS,
  • le second est le manque de propulsion électrique des navires,
  • le troisième est ce que l'on pourrait nommer les problèmes "d'architecture électrique".
Les catapultes électromagnétiques nécessitent de grandes quantités de houille blanche (121 MJ par catapultage contre 40 MJ pour un coup de canon électromagnétique de 155mm), à tel point que les nouveaux réacteurs nucléaires américains (les S9G) délivreront, via les usines électriques des navires, 25% d'électricité en plus, pour atteindre une puissance électrique maximale de 90MW (par navire avec deux réacteurs).

A titre de comparaison, l'usine électrique du Charles de Gaulle produit jusqu'à 20MW.

Les Queen Elizabeth ne pourraient produire "que" 40MW d'électricité. En effet, les porte-avions anglais disposeront de :
  • deux turbines MT30 délivrant une puissance de 36MW : soit 72MW qui semblent réserver à la propulsion du navire (via quatre pods),
  • quatre diesel-alternateurs (deux de 11MW, deux autres de 9MW) qui serviraient, manifestement, à produire l'électricité nécessaire au navire. 
Cette motorisation n'est pas assez puissante pour produire l'électricité nécessaire pour les catapultes électromagnétiques, d'où le doublement du coût de la refonte pour le Prince of Wales.

Mais avec quelques éléments supplémentaires, apportés par Gilles, il est possible de reconsidérer l'option.

Premièrement, il semblerait que l'architecture électrique des deux porte-avions anglais soit plus agile que ce que laisse entendre le gouvernement de Londres : l'architecture énergétique de ces deux navires permettrait que la puissance des deux turbines MT30 puisse, le temps d'un instant, être détournée vers les catapultes électromagnétiques. Il n'y aurait plus 40MW d'électricité de disponbible, mais 112MW.
Si la motorisation de navire était capable de détourner un court instant la puissance des turbines à gaz (qui alimentent des moteurs électriques en nacelle) vers les catapultes électromagnétiques, alors cela voudrait dire deux choses assez fondamentales :
  • il s'agit bel et bien d'un navire à l'architecture énergétique "moderne" et qui est capable de pourvoir aux besoins d'équipements électromagnétiques,
  • il n'y aurait pas alors de limitation dans la puissance électrique puisque les flux électriques pourraient gérés de façon souple et à la demande.

Deuxièmement, Geoff Searle, directeur de programme chez BAE System (QEC Programme Director) et dans l'Aircraft Carrier Alliance, avait un avis plus optimiste que le gouvernement anglais sur la possibilité de convertir le Prince of Wales en pont plat CATOBAR : "The ships were always designed to be able to be adapted for either STOVL or CV operations and they are already being built in the STOVL configuration.  The decision to go with the STOVL aircraft means we can now firm up the plans and we are now working with MOD to re-activate our plans to develop both ships as STOVL-capable". Il répondait à une interview le 17 mai 2012.

Troisièmement, le coût de la refonte fait débat. Il suffit de lire ce qui a été dit plus haut : les sources évoquent tantôt un coût d'un milliards de livres, tantôt deux milliards. Il serait même possible de trouver l'évocation d'un devis pour la refonte de 500 millions de livres. Est-ce la différence entre avant et après que Philipp Hamond (ministry of Defense) ait annoncé que le coût avait doublé ? Du côté de BAE System, il ne serait même pas possible de savoir ce que recouvre ces estimations : la refonte d'un navire ? Le doublement de ce devis ? Ou... le coût de la refonte de deux navires ?!
Du côté de l'industriel anglo-américain, on affirmerait plutôt que ce ne sont pas les EMALS qui représentaient le plus gros budget, mais, ce serait en réalité le câblage du navire, en particulier sous le pont d'envol.

Quatrième et dernière raison de douter : il ne faudrait pas parler des EMALS... mais des EMCAT à bord des navires anglais :
  • Ce court billet de Jane's permet même de bouler la boucle : "The EMCAT is designed to fit in the space envelope that has been allowed within the aircraft carrier for a catapult. The intention of building and designing a small electromagnetic catapult and then developing the technology so that it could be scaled up was always a de-risking exercise in case the MoD did not choose the STOVL aircraft or it was considered necessary to launch other types of aircraft from these ships. The option would then exist to fit a catapult and operate conventional carrier-borne aircraft," Dannatt said".
  • Un autre billet de Jane's est tout aussi intéressant : "Converteam UK is working to complete a scaled-up design of its electromagnetic catapult (EMCAT) system that will be capable of launching the F-35C variant of the Lightning II Joint Strike Fighter from the UK Royal Navy's new Queen Elizabeth-class aircraft carriers.
    The company specialises in power conversion systems and has been contracted by the UK Ministry of Defence (MoD) to develop a 100 m-long EMCAT design that could fit into a 1.5 m-deep well under the flight deck of a 65,000-ton carrier. The design for the EMCAT machine is expected to be ready within months".


La refonte CATOBAR avec catapultes à vapeur était à portée

La remarque du lecteur est fort simple : comment le CVF-FR, c'est-à-dire le PA2 au temps de la coopération avec Londres, aurait pu mettre en oeuvre des catapultes à vapeur... alors que sa motorisation ne produit pas de vapeur ?

Pourtant, la Marine nationale semblait être engagée dans un navire avec catapultes à vapeur. Le Président Chirac lançait la coopération avec Londres sur son programme de porte-avions en sélectionnant la propulsion classique en 2004. Michèle Alliot-Marie, alors ministre de la Défense, commandait une paire de catapultes C13 mod 2 de 90 mètres de longueur en mai 2007. L'avenant au contrat permettait de suspendre cette commande le temps qu'une décision soit prise en 2011 ou 2012 sur la réalisation du navire. Pas de décision en 2012, alors le contrat a été annulé. Enfin, la France a étudié le rachat du premier CVF, le Queen Elizabeth aux alentours de 2010 ou 2011. Le CEMA, l'Amiral Guillaud, a dit que le projet avait été écarté en raison de son coût : plus de 4 milliards d'euros pour livrer un navire adapté aux besoins français. Ce qui permettait de remettre en exergue que la France a bien étudié une version CATOBAR du CVF. Les anglais en voulaient une également, pour une refonte à mi-vie, et les porte-avions actuellement en construction possèdent des dispositions conservatoires pour une telle refonte. "Ces études, qui ont coûté plus de 100 millions d'euros à la France (qui a abandonné le projet en coopération en 2008) auront donc servi à quelque chose puisque, finalement, ce que les Britanniques considéraient comme une option à long terme deviendra la configuration initiale du Prince of Wales".

Le PA2, au temps de la coopération avec les britanniques, devaient donc se faire avec des catapultes à vapeur.

Mais où est donc cette production de vapeur, cruciale pour mettre en oeuvre les catapultes à vapeur ? C'est au détour d'un article de Mer et Marine que l'on apprend que, à bord de la dernière mouture du PA2 à propulsion classique, cette sorte de "Juliette 2", le navire aurait diposé "de deux chaudières pour alimenter deux catapultes à vapeur longues de 90 mètres" !

Il est difficilement compréhensible que le gouvernement anglais ait pu, d'un revers de la main, balayer la refonte CATOBAR des Queen Elizabeth avec EMALS (ou plutôt... EMCAT), sans même évoquer le recours à la technologie éprouvée des catapultes à vapeur. Une telle refonte avec des machines à vapeur n'aurait certainement pas coûté un budget allant de 1 à 2 milliards de livres pour un ou deux navires.

Le choix de l'auto-limitation de la puissance aéronavale ?

Le problème est-il vraiment le coût de la refonte ? Existe-t-il rééllement des limitations techniques à la transformation des deux porte-avions anglais en navire CATOBAR avec catapultes à vapeur ou électromagnétique ?

Il était question de mettre en doute la faisabilité de l'installation de catapultes électromagnétiques à bord des CVF (avec des EMCAT, et non pas des EMALS) dans un billet précédent. Quelques nouveaux éléments tendent à reconsidérer ce qui avait pu être qualifié comme des limites. Au contraire, les deux navires seraient résolument moderne à propos de la gestion de l'énergie.

Mais si jamais les EMCAT étaient un projet irréaliste, alors il restait la possibilité des catapultes à vapeur : les études de ces navires prévoient des dispositions conservatoires pour des catapultes, des brins d'arrêts, des conduites de vapeur, et, manifestement, des chaudières à vapeur...

Finalement, les navires ne sont pas coupables. Ce serait le gouvernement anglais qui serait responsable au titre qu'il ne veut pas de porte-avions (ce sont des porte-aéronefs qui sont en construction). Il pourrait ne pas vouloir d'une interopérabilité avec les Etats-Unis et la France grâce à des avions catapultables. Il pourrait ne pas vouloir le rayonnement politique offert par un porte-avions. Depuis l'abandon des positions East of Aden et East of Suez, Londres a abandonné la formule du porte-avions. Le renouvellement de ses moyens aéronavals s'est inscrit dans la stratégie de l'OTAN : aux américains les groupes aéronavals d'attaque, aux européens la guerre des communications. Les seconds ne mettaient en oeuvre que des porte-aéronefs, plutôt conçus pour la défense aérienne de zone et la lutte anti-sous-marine. Alors oui, finalement, l'actuel gouvernement conservateur positionnerait ces navires dans le prolongement de cette stratégie : ce serait de nouveaux porte-aéronefs car le gouvernement ne voudrait pas de porte-avions. Il ne voudrait pas disputer la primauté aéronavale aux américains dans l'OTAN. Mais ce gouvernement ne voudrait pas non plus choisir une formule entraînante politiquement : qui possède un porte-avions avec un "bon" groupe aérien embarqué peut prétendre à entrer sur un théâtre. Justement, le gouvernement anglais ne voudrait peut être plus de ces capacités opérationnelles.

In fine, le gouvernement Cameron voudrait peut être continuer à se reposer sur les capacités américaines pour percer. Ces deux navires ne seraient conçus que pour accompagner et exploiter la percée américaine dans un conflit.

Cependant, si telle était la conception politique du gouvernement anglais, alors elle est complètement désuète et dangereuse : et pour l'Europe, et pour les Etats-Unis. En effet, le nombre de porte-avions américains en service tend à se réduire quand le nombre de porte-avions dans le monde tend à se stabiliser, voire augmenter, car de nouveaux pays se dotent de ponts plats. C'est tout le problème naval américain : devoir faire des choix pour concentrer plus de porte-avions que l'éventuel adversaire dans une zone donnée. Si l'US Navy tombe à 8 ou 10 porte-avions, cela restera une belle force... à considérer face aux 3 ou 4 porte-avions indiens, face au porte-avions russe, au porte-avions chinois et peut être demain face aux porte-avions brésiliens. Dans cette optique, les américains, conscients du futur déficit aéronaval par la redistribution des cartes navales, préféreraient peut être que les européens puissent, au moins, intervenir dans leur zone de responsabilité.

Les trois porte-avions français et anglais auraient pu permettre de soulager le problème naval américain. La marine américaine pourrait projeter d'intervenir en Asie du Sud-Est comme elle projetait de le faire dans les bastions soviétiques, notamment celui de la mer de Barrents. Les européens seraient alors, au mieux, engagés dans la guerre des communications en arrière-plan, au pire, totalement absent de ce théâtre. S'il y a quelques difficultés à intervenir en Libye pour les marines européennes sans l'aide de l'US Navy par manque de quelques capacités logistiques, alors comment feront-elles pour se projeter en Asie du Sud-Est ? Ambitionne-t-elle encore, et finalement, de seconder Washington dans le monde ? Sans l'aide logistique américaine, la réponse est non. Ce ne sont que quelques questions qui peuvent interpeller sur la capacité des européens à continuer de renouveler les habitudes de la Guerre froide dans un contexte où ils ont drastiquement réduit les formats militaires hérités de cette période, révolue, et que les enjeux géographiques dépassent, et de loin, l'Atlantique Nord, ce qui implique des capacités de projection non-négligeables.

Au lieu de cela, de cette prise en compte du nouveau contexte mondial, le gouvernement Cameron pourrait encore penser être à l'ère de la Guerre froide, et elle est révolue. Il pourrait être terriblement douloureux de découvrir demain que la Défense de l'Europe reposait beaucoup plus sur les épaules des européens depuis chute du Mur de Berlin car les Etats-Unis ont eu à faire des choix et se repositionner dans le Pacifique.

La Guerre en Libye mettait en exergue le fait que les membres européens de l'OTAN manquaient cruellement des capacités opérationnelles nécessaires pour mener une guerre conventionnelle (de moyenne ou basse intensité) sur l'autre rive de la Méditerranée. Il manque de tout : guerre électronique, capacités SEAD, ravitaillement en vol, capacités aéronavales pour manoeuvrer l'adversaire, SNA, etc ... De la Guerre des Malouines à la Guerre en Libye, l'Angleterre de David Cameron refuse de prendre sa part de responsabilité, et d'accepter les leçons de ces conflits. Mais si un jour les américains n'étaient plus derrière pour sauver les européens d'un mauvais pas, alors, ce jour là, le résultat sera terrible.


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