22 mai 2012

La Galère, le navire des mers étroites et fermées

© Wikipédia. Une galère par Pierre Puget, vers 1655.

Depuis l'Antiquité jusqu'au début du XIXe siècle, les galères furent utilisées par bien des marines. L'historien Philippe Masson n'hésite pas à écrire que ce fut un "règne interminable". Dans l'un de ses ouvrages, "De la Mer et de sa Stratégie" (aux éditions Tallandier), il décrit la place des galères dans l'Histoire et les marines, pourquoi elles perdurèrent, pourquoi elles disparurent.
La galère est un navire fin, élancé, rapide et non-ponté. Elle est l'expression matérielle du milieu où elle est appelée à naviguer : les mers fermées ou étroites. C'est-à-dire des mers sans vents ni courants réguliers, et sans marées. Grâce à ses deux modes de propulsion, elle peut aussi bien se passer du vent qu'en profiter. Ce n'est pas un mince choix pour un navire qui servira dans des mers où il n'y a pas de vents dominants. Ces vents dominants déterminent plus ou moins bien les routes navigables dans l'Océan. Mais dans les mers étroites ou fermés où ces vents dominants sont absents, le navire le plus utile est celui qui est le moins soumis aux aléas d'Eole.

In fine, c'est l'idée de la manoeuvre qui transparaît puisque, sans évolutions nautiques, il n'est pas possible de manoeuvrer. La dualité de la propulsion (qui perdure de nos jours) permet ces évolutions, et donc, de manoeuvrer. C'est l'avantage essentiel et millénaire de la galère. Cependant, cette manoeuvre est très exigeante : à travers les descriptions qui vont être faites de l'évolution matérielle de ce navire, il va être possible d'apprécier la difficulté à manoeuvrer ce navire, voir ces navires en formation de combat. C'était un art que la mise en oeuvre des galères.

En contre-partie à ces avantages, il faut dire que la galère n'était pas le moyen le plus indiqué pour la navigation hauturière dans l'Océan. Il faudra attendre la Galéasse.

Les galères de l'Antiquité

La plus connue (ou la moins mal-connue, comme dit monsieur Masson) des galères de l'Antiquité est la fameuse trirème athénienne. En se fiant aux dimensions des cales de l'arsenal de Zea (Le Pirée), ce navire devait mesurer 38 mètres de long pour 5 de large avec un tirant d'eau d'un mètre (environ).

Trirème désigne une galère avec trois rangées de rameurs qui étaient, en principe, supperposées. Il y eu également des quadrirèmes et des quinquérèmes. Quel que soit le nombre de rangées de rameurs, le débat sur la manière dont les rameurs étaient installés et comment ils manoeuvraient ensemble les rames n'est pas encore tranché par les historiens.

Ce navire était mu, à cette époque, par 170 rameurs, 7 officiers, 13 matelots chargés de la manoeuvre et un corps de débarquement ou d'abordage d'une dizaine d'épibates.

Les premières utilisations militaires des galères se basent sur l'attaque à l'éperon. Il s'agit alors essentiellement de trirèmes et de birèmes. La manoeuvre est si exigeante que Philippe Masson dit bien que l'on ne peut s'étonner qu'à partir de l'époque hellénistique l'abordage prenne le pas sur l'éperonnage. Il faudra attendre l'arrivée de la poudre pour voir une autre forme de combat supplanter l'abordage.

Ce changement de tactique se transpose dans la construction des galères. L'abordage est ou non préparé par des tirs d'artilleries : balistes ou catapultes. Celle-ci, l'artillerie navale, sera presque toujours basée à l'avant des galères. Le besoin d'une artillerie plus lourde se transpose mécaniquement par des navires plus lourds. Cet accroissement du tonnage et de la taille permet une meilleure tenue à la mer, ce qui n'est pas pour déplaire à l'artillerie, et permet la possibilité d'embarquer une plus grande compagnie d'abordage.

Les romains perfectionnent la technique grâce au covus : une passerelle rabattable dotée de grappins. Le covus s'abattait sur les navires adverses. Dès lors, la manoeuvre se cantonne de plus en plus à aborder l'adversaire de la meilleure manière pour développer un combat "terrestre" à son bord. Il ne s'agit plus de manoeuvre le navire dans l'optique de couler l'autre par lui-même.

Le meilleur compromis matériel est trouvé par les byzantins avec les dromons. Navire relativement léger et rapide, doté de 50 avirons de chaque bord répartis en deux rangées superposées. Il met aussi bien en oeuvre un éperon que des armes de jet.

Au Moyen-Âge

La galère perdure jusqu'à cette époque. Aucun navire n'a encore pu la supplanter dans ces mers sans vents dominants. Il y a très peu d'innovation matérielle pour ce navire antique. C'est la propulsion qui se trouve améliorée avec l'adoption de la nage a zenzile au XIIIe siècle (trois rameurs décalés actionnent à partir du même banc trois avirons). A la fin de l'ère médiévale, c'est la nage scalaccio qui prend le relais : entre 5 et 7 hommes actionnent la même rame. C'est cette disposition qui perdurera jusqu'à la fin des galères : moins de rames, armées par plus d'hommes.

Le canon fait son apparition à bord des galères à partir du milieu du XVe siècle. Il sera une arme redoutable à leur bord, notamment à la bataille de Lépante (1571), mais il signera la mise à mort des galères quand il fut installé par rangées entières à bord des vaisseaux de ligne, percés de sabords.

Apogée au XVIIe siècle

L'apogée. Une galère ordinaire mesure 47 mètres de longueur, pour 6 de large et 2 à 3 mètres de tirant d'eau. Par rapport à la trirème antique, la croissance a été modérée (contrairement à l'époque de la vapeur). Le tonnage dépasse 250 tonnes (quand des séries entières de torpilleurs déplaçaient 50 et 77 tonnes).

Concernant la propulsion, les voiles latines se généralisent à leur bord (les galères en portent deux). Ce type de voiles est particulièrement bien adapté à la navigation dans les mers étroites et fermées car elles étaient plus pratique pour remonter au vent. Le navire avance aussi grâce à 25 paires de rames. Celles-ci sont actionnées par une chiourme de 250 hommes.

L'équipage comprend également 120 matelots qui sont dédiés à la manoeuvre et à la navigation. Ce qui tendrait à montrer que, par rapport à son équivalent antique (et ses 13 matelots), faire naviguer une galère du XVIIe siècle est un exercice bien plus complexe. Il y a toujours un corps d'hommes uniquement dédié à l'abordage.

L'éperon cède presque définitivement du terrain car il cède la place à une quille. Celle-ci supporte une plateforme triangulaire qui doit faciliter l'abordage.

Autre chose intéressante à relever, la galère s'est diffusée : elle n'est plus cantonnée à la Méditerranée, mais elle navigue également en mer Rouge, mer du Nord, dans la Baltique et dans la mer des Antilles.

Mise en oeuvre au combat

La galère est un navire offensif. La strucutre du navire impose certaines tactiques car tout l'armement du navire (éperon, catapultes, balistes et canons) demeurera presque toujours exclusivement à l'avant. De fait, une présentation classique au combat semblera toujours se diviser entre une préparation d'artillerie et l'abordage. A plusieurs reprises dans l'histoire navale, l'éperonnage aura été pensé, tenté et utilisé. Mais la manoeuvre est tellement exigeante, et dangereuse (venir à bout portant d'un feu qui finira par être capable de décimer un pont entier de marins) qu'elle aurait du couler assez vite dans les oubliettes de l'histoire.

Les galères ne peuvent se présenter qu'en ligne de front ou en formation triangulaire. L'exercice est exigeant pour tenir ces formations.

Le combat naval s'apparente trait pour trait au combat terrestre :
  • les flottes se structurent avec un centre et deux ailes. L'une d'elle est généralement appuyée à la côte.
  • Lors de l'abordage, il s'agit d'un combat au corps à corps.
Il faudra attendre la bataille de Lépante pour voir apparaîre une autre forme de combat où le canon deviendra l'arme principal pour couler les navires adverses.

En attendant celui-ci, la guerre navale ressemblera à une sorte de manoeuvre générale où il s'agira d'aborder au mieux, de près ou de loin, les navires afin d'imiter la guerre terrestre. La capture du navire adverse deviendra même un des points cardinaux des habitudes de la guerre navale au temps des vaisseaux. Au temps des galères, il fallait aborder le navire adverse pour aller décimer son équipage, faute d'autres tactiques pour en venir à bout. Au temps des vaisseaux, la chose se déroulait parfois dans la même idée, non pas car il n'était pas possible de faire autrement, mais parce que, et contrairement aux galères, la construction d'un vaisseau était suffisamment longue et coûteuse en ressources pour considérer comme avantageux la prise du navire ennemi.

Disparition des galères

Entre le XVIIe et le milieu du XVIIIe siècle, la majeure partie des galères sont retirées des marines. Certaines iront jusqu'à connaître le XIXe siècle. Il faut dire que fasse aux ponts garnis de sabords et de canons, les frêles galères perdraient toute mobilité après une bordée de fer dans leurs rames.

Cette disparition donne même lieu à un échange géographique de témoin : la méditerranéene galère cède la place au vaisseau du nord-européen.

Analogie entre la galère et la guerre littorale d'aujourd'hui ?

Il est assez intéressant de relever que la galère était le navire typique des mers fermées. Elle y évoluait grâce ses deux modes de propulsion qui lui permettait de s'affranchir des contraintes d'Eole. Mais elle n'était pas du tout hautière car elle était avant tout une unité très littorale.

Cette relative indépendance aux vents permettait des tactiques littorales audacieuses. Par exemple, lors de la bataille navale de Salamine (480 avant JC), les grecs, menés par Themistocle, attendirent l'escadre perse de Xercès dans la rade de Salamine. Allant à leur rencontre, voir leur recherche, les Perses passèrent face à l'ouverture de cette rade, mais en présentant leurs flancs aux grecs. Ces dernièrs, qui espéraient justement une telle présentation au combat, mirent les rameurs en actions. Ils purent aborder en position de force les perses, désemparés face à une telle attaque surprise, en si mauvaise posture. Eperonnages et abordages se succèderont, jusqu'à la victoire grecque. Cette attaque d'une escadre manoeuvrant bien perpendiculairement à un adverse mal préparé et inapte à manoeuvrer suffisamment vite n'est pas sans rappeler un certain Nelson à Trafalgar.

Ainsi, cette capacité à jouer de la géographie pour attaquer l'adversaire au moment où il se présente le moins bien au combat, soit qu'il n'aura jamais le temps de manoeuvrer, soit qu'il sera surpris, n'est pas sans rappeler les vedettes lance-torpilles et les patrouilleurs lance-missiles. Ils étaient incapables de tenir un combat en haute-mer, mais, par contre, s'ils étaient utilisés intelligement dans le cadre d'une guerre littorale, alors ils faisaient merveille.

De la galère au patrouilleur lance-missiles, il y a cette idée d'un navire bien adapté à son milieu d'opération qui est constitué de mers étroites et fermés. Ce n'est pas la guerre navale en haute mer, c'est la guerre littorale. Cela expliquerait assez bien (toute proportion gardée, ce n'est pas une étude historique et stratégique...) la très longue longévité des galères dans ces mers là, et le fait que dans la mer Rouge, la mer Baltique, la mer Noire, la mer Caspienne, les mers de Chine ou le Golf Persique, les unités légères lourdement hérrissées d'artillerie et dotées de qualités nautiques adaptés à leur milieu prolifèrent autant.

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