24 août 2012

Mahanisme contre corbettisme : où est passé le "hi-lo mix" de l'Amiral Zumwalt pour l'US Navy ?


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© Inconnu.

C'est la lecture d'un article du Rear Admiral Thomas Rowden qui peut inviter, outre-Atlantique, à se pencher sur le devenir de l'US Navy. Cet officier général de la marine américaine est le chef de "Surface Warfare Division". L'homme pose très vaguement les missions de la marine des Etats-Unis : être présente à tous les points chaud (détroits, crises, etc...) de la planète (bleue) par la dissémination des forces. Cela permet aux Etats-Unis de disposer de 8000 tubes de missiles à lancement vertical de par le monde (est-ce une capacité à verser au Prompt Global Strike ?!), à toute heure, tous les jours de l'année. Puis, l'amiral américain enchaîne par une agréable présentation de deux projets phares de la Navy pour son avenir : le Littoral Combat Ship (LCS) et le destroyer Zumwalt.
Ce qui est intéressant, c'est qu'il est possible de distinger le choix d'une grande option stratégique à travers ces deux nouveaux projets de la marine américaine qui vont bientôt entrer en fleet. La marine américaine serait encore très mahanienne, état d'esprit qui la conduit à un rétrecissement inexorable de son format. Ce type de marine pourrait corriger ses contradictions avec des aménagements (A), et en s'ouvrant à la marine corbettienne (B).

Prenez deux exemples assez caractéristiques de l'évolution de la flotte de surface de l'US Navy, et même de la marine américaine entière :

Le LCS doit être cette corvette à tout faire qui sécurise l'accès des eaux contestées (sea denial) à la marine américaine pour permettre l'approche des grandes unités. Le navire doit être bon marché et changer de mission suivant le module qui équipe le navire en peu de temps, ce qui donne à la corvette toute sa polyvalence. Il faudrait même deviner que cela implique que le porteur des modules durera plus longtemps que les modules qui l'équipent. De sorte que, il y aurait une division entre le porteur et les modules, tel que l'on pourrait le percevoir à travers la marsupialisation. Cela devrait aboutir à ce que le porteur puissent voire ses qualités se renforcer pour exister par lui-même dans le champ de bataille qu'il vise : la guerre littorale. De l'autre côté, il pourrait changer de mission sans remettre en cause ses qualités nautiques, et donc son existence

Toutes les missions y passent ou presque : lutte contre les mines, contre les menaces asymétriques, appui-feu littoral, etc... Les problèmes de ce navire peuvent se résumer par quelques points clefs. Premièrement, il a été dit qu'il ne pouvait pas survivre dans un environnement hostile. A cette accusation, il a été répondu que c'était le rôle des grandes unités présentes et à venir d'offrir leur protection à ces chétifs navires, et que c'était tout l'intérêt du système.
Certes, mais un autre problème, et l'un des plus importants, est que le module de lutte contre les mines n'est ni au point, ni une grande réussite. Ce n'est pas tant une question de retard mais bien une question de crédibilité : il n'y aurait plus qu'un ou deux chasseurs de mines en état opérationnel aux Etats-Unis, et les maigres moyens de guerre des mines américains sont crédibles pour lutter contre une menace ponctuelle (quelques mines). Ainsi, outre le fait que cet élément essentiel ne doit pas encore disponible, les premiers systèmes américains de lutte contre les mines faisant intervenir presque exclusivement des drones produiraient un si grand nombre d'échos qu'ils exigeraient bien plus de reconnaissance (que les autres systèmes) pour déterminer s'il s'agit ou non d'une mine. Par rapport à un système traditionnel, il faut donc dire que cela ne sert pas à grand chose, si ce n'est encore plus handicaper une marine qui n'a pas de capacité de guerre des mines rééllement crédible. Actuellement, et à moins que les navires aient quitté leur stationnement, ce sont cinq chasseurs de mines anglais qui sont déployés depuis plusieurs années face à l'Iran pour soutenir la marine américaine. Le LCS ne changera rien à cette situation de dépendance.

Il reste la question de l'économie du projet. Financièrement, le LCS serait beaucoup trop coûteux par rapport aux ambitions intiales du projet : le coût unitaire de production varierait entre 4 et 700 millions de dollars (selon les sources, les paramètres et l'écran de fumée). Cela fait beaucoup pour un navire qui sera à peine mieux armé qu'une frégate La Fayette. Qui plus est, la Navy doit, en plus, abandonner l'idée de reconfigurer le navire pour une nouvelle mission en "peu de temps" puisqu'il faudrait, selon les estimations actuelles, plusieurs semaines pour passer d'un module à l'autre. C'est un coup terrible qui est porté à l'économie du projet puisque la "solution" serait de changer de modules entre les missions. Oui, mais, ce n'est pas qu'une simple réorganisation de la manière d'utiliser ces navires : c'est bien pire, il s'agit d'une spécialisation des plateformes. C'est-à-dire que le projet fait marche arrière. Cependant, cela ne veut pas dire que le navire perd toute sa polyvalence. Mais entre le coût des modules qui explose et l'impossibilité de reconfigurer rapidement les modules, cela implique une autre atteinte à l'économie du projet : s'il faut et lutter contrer des mines et protéger des grandes unités contre la version moderne des torpilleurs de l'Amiral Aube, alors il faudra deux navires affectés à chacune de ces missions. Un LCS qui serait gréé en chasseurs de mines le resterait pendant toute la durée d'une intervention puisqu'il faudrait "plusieurs semaines", soit au moins un mois, pour le reconfigurer autrement. Les moyens ne consisteront donc plus dans des corvettes reconfigurables, mais dans un savant dosage de spécialités à donner à chacune des corvettes "polyvalentes", présentes sur zone. En soi, il est toujours pratique de pouvoir doser ses forces à la demande. Mais la gestion des modules, et de la formation des équipages à ces modules, conduirait à disposer de moyens "polyvalents" plus coûteux que les moyens spécialisés...

Le Danemark était pionnier avec la série de patrouilleurs Stanflex 300 : "longs de 54 mètres pour un déplacement de 500 tonnes en charge, ces patrouilleurs, capables d'atteindre 30 noeuds, avaient été conçus comme des bâtiments très polyvalente, anticipant d'une bonne vingtaine d'années un concept qui a été repris par les Américains avec le Littoral Combat Ship (LCS). A partir d'une plateforme de base, les Stanflex 300 pouvaient, ainsi, être gréés en patrouilleurs lance-missiles, en patrouilleurs lance-torpilles, en chasseurs de mines, ou encore en dragueurs de mines, grâce à l'ajout des équipements correspondants et de conteneurs interchangeables. L'armement pouvait comprendre jusqu'à 8 missiles antinavires Harpoon, un système surface-air Sea Sparrow, ainsi qu'une tourelle de 76mm". Signe des temps à prendre en considération, ces fameux pionniers ont été retirés du service car "la polyvalence des Stanflex 300 s'est, finalement, révélée complexe et trop onéreuse. Dans le cadre d'une ultime modernisation, réalisée entre 2005 et 2007, les bâtiments ont donc été reconfigurés pour des missions spécifiques et permanentes (patrouilleur, patrouilleur lance-missiles et chasseurs de mines). Le Soloven a, pour sa part, terminé sa carrière comme bâtiment base de plongeurs démineurs".

De l'autre côté, il y a le destroyer Zumwalt qui devait être l'archétype du destroyer du XXIe siècle. Le navire doit atteindre un certain nombre de ruptures dans deux grands domaines : le navire invisible et l'artillerie.
En ce qui concerne le navire invisible, le destroyer doit être le plus discret possible. Il doit même tenter de disparaître des différents écrans de recherche (tant radar qu'infrarouge -mais pas accoustique ?). Le problème est connu : toutes les plateformes qui s'essaient à ce défi connaissent des dérives de coûts spectaculaires, tant à la construction qu'à l'entretien. Ainsi, le navire devrait avoir un coût unitaire supérieur à 6 milliards de dollars. Cela explique certainement pourquoi la série de destroyers a été réduite de 32 à 3 unités et que la classe de croiseurs qui devait accompagner ces destroyers a été annulée.
En ce qui concerne l'artillerie, elle est finalement très classique puisque le navire sera doté de 80 cellules de missiles à lancement vertical. Mais ce qui est moins classique, c'est cette capacité qui est bien faible par rapport à celle d'un destroyer Arleigh Burke (96 missiles) ou d'un croiseur Ticonderoga (122 missiles). Le "hic", c'est que les Zumwalt déplaceront 14 000 tonnes (est-ce encore un destroyer ?) quand l'Arleigh Burke déplace 9200 tonnes (Arleigh Burke IIA) et que le Ticonderoga jauge 9700 tonnes... A sa décharge, il faut dire que les futurs destroyers Arleigh Burke Flight III (à dominante DAMB de territoire) devraient coûter 3 milliards de dollars pièce. Il n'en demeure pas moins que pour un Zumwalt la marine américaine disposera de deux Arleigh Burke.
La seule grande évolution apportée par cette classe de navire seront les pièces de 155 mm AGS. Dans un premier temps elles permettront aux navires de délivrer leurs munites jusqu'à une distance de 180km.  Dans un second temps, ce sont des canons électromagnétiques qui doivent être installées à bord (si le programme n'est pas annulé et qu'il suit toujours son cours). Il serait espéré que, à moyen terme, la portée atteingne  près de 400 km.Si le premier système tient ses promesses et qu'il offre un feu au coût modéré des tubes et des obus, alors ce serait une bonne nouvelle pour lutter contre la dérive des coûts observée dans les feux délivrés par missiles et assimilés... bien qu'un obus à guidage terminale laser ou GPS ne soit pas indolore par rapport à un missile, à charge d'explosifs égale.
Au final, les trois destroyers Zumwalt risquent de connaître le même sort que les défunts croiseurs et destroyers nucléaires de l'US Navy : des bancs d'essais pour différentes technologies et un manifeste pour une option stratégique.

Cette option stratégique et cette évolution de la marine américaine se retrouvent à travers la plus grande figure du navalisme américain : Alfred Thayer Mahan. Celui-ci est notoirement connu pour prêcher la construction d'une marine américiane apte à remporter le point cardinal de l'histoire navale qu'il a retracé dans ses ouvrages les plus célèbres (The Influence of Sea Power upon History, 1660-1783 et The Influence of Sea Power upon the French Revolution and Empire) : la bataille. C'est-à-dire que la raison d'être des flottes serait d'être capable d'écraser totalement leur rivale dans une bataille décisive. Cette victoire permettrait à la flotte victorieuse de disposer des mers à sa convenance.

Il semblerait donc qu'une partie de la marine américaine construisent des navires aptent à détruire n'importe quel rival qui oserait se présenter sur la route des Etats-Unis. Par rival, il faudrait ne pas forcément entendre une menace purement navale, mais aussi des menaces plus ou moins littorales qui seraient à portée de l'US Navy.
A l'époque de la triomphante Royal Navy, la suprématie navale se caractérisait par la recherche du plus grand nombre de vaisseaux de lignes. A l'heure actuelle le nombre ne compte plus autant car c'est (aussi) le nombre de technologies maîtrisées et l'organisation des systèmes technologiques qui peut faire la différence entre deux formations navales (sachant que sur le plan historique, c'est très souvent la marine qui bénéfie de la plus grande expérience opérationnelle qui écrase l'autre...).
Cependant, le nombre compte toujours autant puisque quand l'on ambitionne de régner sur les mers il faut toujours être capable d'être présent sur presque chacune d'elle, tout du moins, aux endroits où la libre utilisation des mers est menacée. Il serait donc logique que l'US Navy soit tirée par le haut : à défaut d'avoir plus de navires que ses rivales (exemple de la règle du "Two-power standard" de la Royal Navy qui cherchait par diverses tactiques à conserver plus de navires que ses deux rivales continentales réunies), la marine américaine aura des escadres aux capacités infiniement supérieures à toutes les formations équivalentes qui pourraient lui être opposées. Cela pourraît être aussi la transcription dans la stratégie des moyens de la victoire de Trafalgar.

Le nombre a toujours son importance : sous l'impulsion du président Reagan, la Navy était remontée à près de 590 navires de combat (années 80). A l'heure actuelle, la marine américaine doit compter près de 280 navires de combat. La marine soviétique n'est plus là pour servir de leitmotiv à la construction des flottes des Etats-Unis. Mais la multiplicité des rivaux dans différents océans et mers (Méditerranée, Atlantique Sud, Indien, Pacifique et les mers de Chine) font que les Etats-Unis doivent continuer à être présent. Si la marine de John Paul Jones ne doit plus affronter un colosse naval, elle doit faire face à une multitude de menaces qui contestent ou contesteront son influence dans les zones précitées. A l'heure actuelle, il y a une froide contestation entre l'Iran et les Etats-Unis à propos du détroit d'Ormuz.

L'US Navy qui se construit pour affronter différentes menaces et les surclasser afin de les détruire ne devrait pas souffrir de son modèle de développement. Sauf que le nombre de coques diminuent et que les nouvelles coques ne sont pas plus présentes à la mer que les anciennes. Il en résulte donc que pour être présente dans autant de lieux différents, la marine américaine devra faire des choix. En son temps, Londres avait fait le choix de pactiser avec des alliés pour leur confier des secteurs stratégiques (Japon et France). La Marine américaine pourrait faire le même choix, sauf que ce serait se diluer dans la masse et ouvrir la voie à une rivale, la marine chinoise, qui si elle n'a pas des capacités aptent à menacer l'US Navy, peut tout du moins, par la diplomatie navale, lui contester son influence dans bien des zones.

Il est impératif de relever que bien des alliés déclarés et d'une fidélité maladive sont les premiers à réduire leur effort de défense. Ils sont dans la croyance que leur propre faiblesse sera compensée par l'aide américaine. Ils pensent s'offrir cette aide par diverses négociations et traités. Ce qu'ils oublient, cest qu'il y a une hiérarchie : America first, le reste après. C'est logique. Pour les Etats-Unis, c'est certainement une difficulté de vouloir pactiser avec des Etats qui réduisent d'eux-mêmes leur poids en pensant compter avec un autre, Washington, qui est englué dans ses propres difficultés. Donc il y a ce drôle de mouvement où l'US Navy s'appuie sur les escorteurs des marines alliés, et surtout ceux des marines de l'OTAN et que la marine américaine voit son nombre d'escorteurs diminuait. C'est la répartition des tâches traditionnelles dans l'OTAN depuis que l'organisation existe que de réserver les missions d'escorte aux autres marines. Washington a tenté de faire perdurer la chose par le concept de la "thousand ships navy". Il y a eu des risques que les navires à haute valeur politique (porte-avions et SNA essentiellement) puissent échapper au strict contrôle des américains (puisque ce sont eux qui permettent de peser dans les coalitions militaires). Ces risques n'existent plus, et ils sont remplacés par le risque que le nombre d'escorteurs diminuent si drastiquement dans les marines traditionnellement alliés aux Etats-Unis qu'ils ne suffisent plus qu'à protéger les accès maritimes de leurs détenteurs... C'est donc cela ce mouvement dangereux pour l'US Navy : réduction du format de la flotte américaines, réduction des flottes alliés.

C'était le premier problème du nombre, l'autre est la "forme" du nombre. L'affrontement avec l'Iran est assez caractéristique du problème du volume de l'US Navy. La marine américaine essaie de déployer deux à trois porte-avions dans la région pour peser dans le climat régional et contre-balancer quelques discours. Pour déployer un navire sur zone, il faut généralement avoir trois navires en réalité : un qui est en cale sèche en entretien périorique, un second qui est à l'entraînement et un troisième qui est en mer. Pour les porte-avions de l'US Navy, c'est presque de manière rigoureuse la façon dont s'organise la gestion de leur calendrier. Avec une marine américaine qui s'achemine vers un format à 11 porte-avions, si ce n'est moins, il est facile d'observer combien il est difficile d'être présent dans plusieurs régions avec si peu de navire. Le problème sera de plus en plus ardu au fur et à mesure que les rivaux monteront en puissance.

La quesiton des porte-avions est emblématique des autres problèmes. Si le LCS a connu une dérive des coûts, c'est aussi car il a du prendre du poids pour devenir une unité hauturière digne de ce nom. En France, il avait été constaté qu'un patrouilleur de 150 tonnes (PATRA) était trop léger pour être hauturier. Plus tard, ce sont les P400 qui se sont révélés trop justes pour évoluer en haute mer (500 tonnes, soit le tonnage initialement visé pour le LCS au temps du Street Fighter). La question du tonnage du LCS cache le problème du prépositionnement des moyens : cette dérive du tonnage n'illustre que le besoin d'être capable de projeter des navires légers de par le monde. Cette constation peut devenir une généralité car elle explique assez bien pourquoi les destroyers et les sous-marins de la marine américaine sont si gros. L'Amiral Nomy justifiait ainsi dans les années 50 la prise de poids des escorteurs par le fait que les systèmes d'engins exigeaient de grands volume et poids et donc qu'il fallait "les construire plus gros et plus cher". C'est donc la combinaison entre les exigences des systèmes et la capacité de projeter leur porteur qui expliquent en partie cette dérive du tonnage : c'est le choix du croiseur qui permet d'accompagner les grandes unités avec des escorteurs polyvalents.

A - Aménagements de la marine mahanienne
Pour combattre cette sorte de nécrose de la marine mahannienne -cette spirale infernale du tonnage qui réduit le format de la flotte- il peut être possible d'aménager la stratégie des moyens par deux grands biais.

1) Prépositionnement des forces

Le premier est le prépositionnement des moyens aéronavals permettrait de gagner des jours de mer pour bien des navires. Il s'agit de pouvoir mettre les navires au plus près des menaces : soustraire le temps de trajet entre la métropole et la zone d'action permet, à format de flotte égale, d'être plus longtemps présent sur zone. Cela n'implique pas plus de navires, mais bien des navires au plus près des zones de conflit pendant plus longtemps. L'US Navy n'est pas sans bases avancées, et c'est une voie que semble explorer la marine américaine, au moins pour le prépositionnement des forces, car les anciennes bases navales du temps de la guerre froide sont appelées à rouvrir dans les vœux de certains. Par exemple, il a été annoncé que des LCS seront basés à Singapour. C'est un double paradoxe :
  • il y avait prépositionnement des forces quand le format de la flotte était plus important, et c'est l'inverse aujourd'hui, ce qui pourrait traduire une posture isolationniste ;
  • il y aura prépositionnement de corvettes qui ont pris du poids car elles ne devaient pas être prépositionnées à l'origine.
Les PATRA français auraient été très utiles pour protéger la base d'Abu Dhabi car il en va de leur nature même que de protéger un point d'appui, une base ou une zone d'actions. C'est tout ce que leur permet de faire leur autonomie limitée, et leur petite taille leur permet d'exceller dans ce domaines. Dans le cas actuel des Etats-Unis, ce n'est pas du LCS que la marine américaine a besoin.

2) Littoralisation des forces

Le second biais découle tout naturellement du premier. Ainsi, le prépositionnement des forces peut inciter à un changement de paradigme dans la stratégie des moyens. Certaines zones appellent à une adaptation des plateformes au secteur. Par exemple, la guerre littorale tend à exiger de plus petites unités par rapport à la guerre hauturière : il y une sorte de miroir ou de glace déformante à la limite entre eaux littorales et hautières qui obligent à transformer la manière d'agir et de concevoir l'action. Non pas que les grandes unités en soient bannies de ces eaux littorales, mais quand il faut approcher du littoral, il y a deux grandes options :
  • ou bien détruire la guérilla navale adverse avant qu'elle arrive à portée utilie (cas de l'opération Harmattan),
  • ou bien devoir s'approcher à son niveau car, pour diverses raisons, il n'est pas possible de profiter de la profondeur d'action des grandes unités hauturières (c'est un peu le cas du détroit d'Ormuz car la guérilla navale peut se protéger dans les caractéristiques du secteur pour se protéger et la discrimination des cibles peut être plus compliquée que prévue).
C'est donc ce cas où il peut être nécessaire d'aller combattre la guérilla navale dans son élément. Pour y exceller, il faut gagner ce qui est généralement perdu en haute mer : l'agilité. Autre exemple, au temps de la marine à voiles les frégates, avisos et autres corvettes étaient des navires très agiles par rapport aux lourds et peu maniables vaisseaux de ligne. C'est moins vrai aujourd'hui car l'agilité a beaucoup progressé, mais les nouvelles armes anti-navires exigent une réactivité plus grande. Les combats entre torpilleurs et contre-torpilleurs se faisait à une autre vitesse jusqu'à la seconde guerre mondiale. C'est pourquoi le prépositionnement des moyens navals peut inciter, dans quelques secteurs, à développer des moyens dédiés à préserver la suprématie d'une marine de contestations provenant de divers groupes politiques. Par exemple, dans le cas du détroit d'Ormuz, il serait préférable de disposer de chasseurs de mines, de corvettes et de sous-marins classiques. D'une part, le dissuasion que l'US Navy ferait peser sur la région serait permanente. Et d'autre part, les options tactiques seraient bien plus grandes. Dans l'hypothèse de l'acquisition de sous-marins classiques par l'US Navy et de leur prépositionnement dans le Golfe Persique, ils pourraient bien mieux qu'un SNA de classe Virginia combattre le menace sous-marine iranienne. Ils disposeraient de deux avantages de taille :
  • l'agilité intrinsèque à leur modeste tonnage (un SNA de 110m se manœuvre difficilement par petits fonds),
  • et la connaissance du milieu. 
En premier lieu, il est bien difficile de manier un sous-marin de 110 mètres de longueur et 10 de diamètre dans une zone où les petits fonds sont la règle. D'autre part, ce qui est bien pratique pour combattre une défense navale mobile dont l'une des ressources majeures est une très grande connaissance des caractéristiques des lieux est de pouvoir aussi les exploiter pour son propre avantage. Ce ne serait que logique puisque la propulsion nucléaire est le fait des navires hauturiers : elle ne se justifie pas pour des navires dont la mission est d'opérer à proximité de leur base de départ. La Russie relève de cette logique puisque bien qu'elle ait pu, du temps de l'URSS, mettre à la mer des centaines de sous-marins nucléaires, elle s'est toujours gardé de conserver des sous-marins classiques pour défendre les approches maritimes. Ce qui est vrai en mer de Barents ne peut pas être vraiment faux dans le Golfe Persique...

B - Une nécessaire synthèse de la marine mahanienne avec la pensée corbettienne ?

Le problème de la marine mahannienne est bien là : réduction du format de la flotte, et réduction des capacités. L'US Navy ne devrait correspondre qu'à la seule bataille. Dès la Grande guerre un autre stratège naval, Sir Julian S. Corbett s'était érigé contre le mythe de la bataille décisive. Il s'était échigné à démontrer que cette fameuse bataille n'était qu'un mythe. Il est vrai que la bataille de Jutland n'est pas connue pour être l'exemple type d'une "bataille décisive" car si la flotte allemande rentre dans ses ports et ne sort plus, cela n'empêche pas deux grands dangers pour les alliés :
  • la menace que faisait peser la "flotte en vie",
  • et la guerre sous-marine.
C'est pourquoi le stratège anglais cherche à démontrer que c'est la guerre des communications qui est le point cardinal de la stratégie navale. Pour ce faire, il faut être capable de protéger les principales routes maritimes de toute interruption. Cela n'exclut pas totalement l'importance de la bataille puisque pour protéger les routes maritimes, il faut des escorteurs. Mais pour protéger les escorteurs d'une formation structurée ou d'unités supérieures de l'adversaire, il faut une flotte de combat. Royal Navy et Marine nationale se trouvent par deux fois (les deux guerres mondiales) dans le cas où il faut juguler les menaces structurées de l'adversaire contre les communications et contre les forces structurées. Pendant la seconde guerre mondiale il fallait autant juguler la menace sous-marine contre le vital lien transatlantique pour l'Angleterre que veiller à toute sortie de la flotte de surface allemande. C'est pourquoi, et notamment, la Home Fleet comprennait des cuirassés anglais, mais aussi français et américains : il fallait pouvoir traiter la menace induite par la sortie des grandes unités allemandes. La bataille imposée par l'adversaire ne consistait pas en un affrontement rêvait entre deux grandes escadres, mais bien une succession d'affrontements pour empêcher l'adversaire d'interdire aux alliés de disposer de la mer à leur convenance. S'il fallait réduire la menace sous-marine, et c'est bien connue, il fallait aussi réduire la menace de surface induite autant par les cuirassés allemandes que par les croiseurs auxiliaires. Dans le premier cas, il faudra attendra attendre la guerre du Pacifique et ses task force aéronavales et l'invention de l'engin air-mer (allemand qui détruira le cuirassé Roma) pour obtenir un moyen de destruction des cuirassés autre que l'utilisation de cuirassés. Il ne faut pas oublier que les destructions des Bismark et Yamato font intervenir des moyens considérables, voir ubuesques... Cet exemple de la bataille de l'Atlantique transposé à l'heure actuel nous donne le cas du détroit d'Ormuz où il faut autant des moyens aptent à lutter contre la guérilla navale que de moyens nécessaires pour écraser toutes forces structurées de l'adversaire déclaré qui tenterait d'interrompre les communications. L'un des riques pour la marine américaine est d'être fixée par une "flotte envie" et de ne pas avoir le volume nécessaire pour répondre aux menaces qui pèsent sur la libre utilisation des mers.

Justement, il ne faudrait pas se focaliser sur les menaces, réelles ou supposées, que seraient la Chine et l'Iran. Il y a d'autres combats à mener pour permettre la libre utilisation des mers, et donc le bon fonctionnement du commerce mondial. Paradoxalement, il faut même pouvoir mener des combats où il faut interdire la libre utilisation des mers à des organisations qui font commerce de marchandises que certaines puissances jugent détestabilisantes pour la communauté internationale : le cas le plus exemplaire est bien entendu celui du trafic de drogues. Il n'y a pas besoin d'une flotte mahanienne composée de grandes unités de combat pour appréhender ces missions. Bien au contraire, c'est Corbett qui a raison puisque pour agir contre le trafic de drogues entre le Sud de la mer des Antilles et les Etats-Unis ou le Golf de Guinée, il faut avant tout être présent sur zone. Cela implique de posséder suffisamment de moyens aéronavals, et donc, des bateaux. Mais il n'y a pas besoin de destroyers Arleigh Burke pour de telles missions ! C'est bien cela qui pourrait expliquer le fait que l'US Coast Guard semble être engagé de plus en plus en avant aux côtés de l'US Navy. Cette dernière manque d'escorteurs.

L'Amiral Elmo Russell "Bud" Zumwalt, Jr est Chief of Naval Operations (CNO) de 1970 à 1974. Il exerce ses fonctions dans la période où les projets et réalisations porte-avions, de croiseurs et de destroyers nucléaires se multiplient aux Etats-Unis. A posteriori, il est possible de dire que quelques amiraux américains semblaient rêver de construire une forme "absolue" de marine mahanienne. Ces navires à propulsion nucléaire impliquaient une forte diminution du nombre de vaisseaux dans l'US Navy. Le développement des porte-avions nucléaires impliquait un saut financier par rapport à l'ancienne génération de porte-avions. C'est en réaction, notamment, à ces directions prises par la Navy qu'il formule une stratégie des moyens résumée par l'expression "hi-lo mix" (high-low mix). Il ne s'agit pas de contester la construction d'une flotte capable de tenir la dragée haute à la marine soviétique, mais bien d'orienter les investissements navals sur des forces constituées de technologies éprouvées et rentabilisées :
  • face aux porte-avions nucléaires, il propose le Sea control ship. Le navire est conçu pour permettre d'offrir aux missions de protection des convois de l'Altantique un appui aérien qui aurait été utile aussi bien à la défense aérienne de zone que à la lutte ASM. La seule réalisation de ce navire a été le Principe de Asturias (R11) espagnol car les aviateurs américains sauveront les Super Carrier au prix d'une maigre concession : ils embarqueront des groupes aériens comprenant des avions ASM, entre autre.
  • Est-ce qu'il faut attribuer la classe de frégates Oliver Hazard Perry à l'amiral Zumwalt ? Quoi qu'il en soit, ces frégates permettaient à la marine américaine de réinvestir les missions de présence et d'escorte avec une belle série de 51 navires. La marine américaine regonflait en volume, surtout que les escorteurs issus de la seconde guerre mondiale ou des immédiates années qui suivirent ce conflit arrivés en fin de service. 
  • Les interventions de la Navy de plus en plus couplées avec l'US Coast Guard pourraient être considérées comme une dernière forme du hi-lo mix.
C'étaient quelques solutions des années 70, apportées par Zumwalt, et d'aujourd'hui pour tenter d'enrayer le déclin du nombre de vaisseaux. Le problème, c'est donc que l'US Navy est reparti sur le chemin de la pure marine mahanienne et que le nombre de navires de combat est à nouveau en chute libre. L'un des maître-mots de cette dérive est la concentration. Par exemple :
  • Les porte-avions américains font un nouvau saut technologique avec l'adoption des nouvelles technologies énergétiques comme les réacteurs nucléaire utilisant de l'uranium enrichi comme combustible ce qui permettrait de charger le cœur avec une charge unique de combustible. Il y a aussi l'adoption des catapultes électromagnétiques, et dans l'histoire aéronavale l'adoption d'une nouvelle technique de catapulte signifie généralement un saut générationnel défiant les marines de l'adopter. Il y aurait aussi une plus grande automatisation, mais les réductions d'équipages sont bien faibles, et ils sont déjà tellement nombreux. 
  • Les destroyers Zumwalt sont un tel concentrés de valeurs et de technologies qui ne sont que trois et qu'il faudrait presque les comparer à des cuirassés à hautes technologies.
  • Si les destroyers Arleigh Burke font l'objet d'une grande série (plus de soixante unités), il ne faut pas oublier qu'ils font l'objet d'une dérive inachevée parmi les escorteurs. Dans les années 20 et 30, un destroyer jaugeait entre 1 et 2000 tonnes. Dans l'après seconde guerre mondiale, les destroyers voient leur tonnage grimper jusque 3 et 4000 tonnes. Comme cela a été dit plus haut, l'Amiral Nomy justifiait bien la dérive suivante en passant de l'escorteur spécialisé à l'escorteur polyvalent. En France il était question d'une série de croiseurs nucléaires pour succéder aux frégates lance-engins. Aux Etats-Unis, il était également question pour une chapelle de l'US Navy de faire des Arleigh Burke des navires à propulsion nucléaire... C'est le très difficile débat entre escorteurs spécialisés et escorteurs polyvalent : il n'en demeure pas moins que le coût de la polyvalence frôle ou dépasse le milliards d'euros en Europe ou aux Etats-Unis.
  • Les LCS devaient être la nouvelle forme du pion élémentaire d'une marine, la corvette bonne à tout faire. Finalement, ce n'est qu'une concentration, encore une fois, sur une plateforme qui doit remplir les missions de plusieurs autres navires pour un coût, manifestement, supérieur.
  • Les sous-marins ont été très peu évoqués. Dans le cas des SNA, la dérive du tonnage fait que le Nautilus et ses 3500 tonnes semblent bien légères par rapport aux 9100 tonnes des Seawolf et les 7800 des Virgnia. En outre, il y a eu ce choix exclusif de la propulsion nucléaire qui ne se justifie pas toujours selon les secteurs. Par exemple, il y aurait eu un SNA Akula qui aurait récemment navigué au large des côtes américaines et la pertinence d'opposer les SNA précités à des sous-marins de poche iraniens dans un secteur géographique particulièrement adapté pour ces derniers.
  Le contexte dans lequel évoluait l'amiral Zumwalt semble se reproduire : la marine américaine redevient très mahanienne. La concentration des fonctions, des valeurs et des technologies se fait sur un nombre toujours plus réduit de vaisseaux. Cela entraîne les quelques problèmes décrit plus haut. L'idée du "Sea Control Ship" refait une timide apparition avec les très nombreux officiers qui proposent d'utiliser les grandes unités amphibies (LHD et LHA) en tant que porte-avions léger. Ils citent le cas du porte-avions français Charles de Gaulle pour montrer que les porte-hélioptères américains, qui jaugent dans les 30 à 40 000 tonnes, comme le porte-avions français, peuvent s'occuper d'un certain nombre de crises où la présence des grands porte-avions américains n'est pas impérative. Qui plus est, ces officiers ne semblent pas pousser la réflexion jusqu'à proposer que ces navires à propulsion classique soient basés en avant. L'absence de propulsion nucléaire facilite considérablement la chose tant du point de vue diplomatique que selon les problématiques logistiques. Il ne doit pas être évident de baser et de faire accepter un porte-avions nucléaire au Japon.

Il n'y a pas d'autres projets qui émergent actuellement aux Etats-Unis pour concilier le mahanisme rêvé et une nécessaire et pragmatique dose de coberttisme. Il a été vu que la marine américaine est au devant du risque de manquer d'escorteurs pour elle et de ne plus les trouver en nombre suffisant chez ses alliés. Il faudrait presque l'apparition d'un Amiral Aube de l'autre côté de l'Atlantique pour remettre en cause la division du travail naval (la répartition des tâches, des fonctions entre plateforme). Il faudrait surtout un nouvel amiral Zumwalt pour signifier qu'il ne faut pas toujours le meilleur de la technique et de la technologie pour toutes les missions. Bien au contraire...Ce qui pourrait aussi renverser quelques inquiétudes est la place acquise par le sous-marin nucléaire dans la stratégie américaine : il est l'un des maillons essentiels de la maîtrise des communications, et pas seulement des communications maritimes. Cela n'efface pas la nécessité d'être présent en surface.

Quoi qu'il en soit, les problèmes de l'US Navy ne peuvent qu'inviter à reconsidérer les perspectives d'évolutions de la Marine nationale, voire celles d'autres marines. La marine française semble avoir bien tourné la page du mahanisme effréné et de mieux concilier les nécessités de la bataille avec celles de la maîtrise des communication. Les missions de l'Etat en mer et la fonction garde-côtes permettent de mieux appréhender les missions de police en mer sans recourir à des plateformes militaires de grande valeur. L'Espagne ne fait pas autrement avec les BAM qui doivent autant servir à la police des mers que de permettre de juguler une crise de basse intensité. Les BPC sont d'ores et déjà utilisés comme des plateformes aéronavales secondaires. Mais il est bien difficile d'apprécier la pertinence d'avoir de grandes unités amphibies trop polyvalentes, et qui ne sont plus amphibies (exemple des LHA américians et européens) dont les coûts explosent (et peuvent empêcher l'apparition de véritable porte-avions légers). Il demeure cette difficile articulation entre croiseurs et frégates. Il faudra peut être pousser bien plus en avant cette adaptation du tonnage et des coûts des plateformes aux missions, autant pour la Royale que pour la marine des Etats-Unis.  

Zumwalt ne faisait que théoriser une nécessité pour perdurer et contre-balancer les dérives d'un modèle... et il invitait peut être inconsciemment à relire les écrits de l'Amiral Aube et de Corbett.

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