05 novembre 2012

Livre blanc et escorte aérienne de la Flotte : quelles options ?


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© Inconnu.

L'illustration de ce billet illustre assez bien les choix qui vont s'offrir au gouvernement et à la Marine nationale pour la défense aérienne de la Flotte :
  • est-ce qu'il faudra proposer une contribution navale à la défense anti-missile balistique, et si oui, laquelle ? 
  • Le format de la Flotte à quatre escorteurs anti-aérien doit-il être confirmé ou réduit ?
  • Faut-il pousser plus en avant la "croiseurisation" des escorteurs ? Ce serait rejoindre les conceptions américaines qui ont conduit à l'élaboration du programme Arleigh Burke.
Le nouveau livre blanc est en cours de rédaction. Ce n'est que le début, et il n'y a pas beaucoup de bruits de coursives à son sujet. Il a été dit qu'il serait plus court que l'ancien, et serait plus comparable à celui de 1972 qu'aux deux suivants (1994 et 2008) avec un format de 70 pages (environ). Ce livre blanc va pouvoir permettre de jauger les ambitions du nouveau gouvernement.

Pour en venir plus précisément aux faits, il y a un débat qui a secoué le monde qui va être tranché par cette déclaration de choix qu'est un livre blanc : bien entendu, il s'agit de la lutte contre les missiles balistiques.

Premièrement, et en réaction à la seconde guerre du Golfe (1990-1991), la France a construit une capacité d'interceptions de missiles balistiques de théâtre (ou tactiques) de courte portée (600 km de portée). Le SAMP/T est la matérialisation de cet enseignement et de cette volonté. C'est l'Armée de l'Air qui le met en œuvre sous l'appellation de Mamba. La chose qui est sérieusement envisagée, c'est une extension des capacités anti-missiles actuelles : il serait possible de porter le SAMP/T à des standards supérieurs et suffisants pour intercepter des missiles balistiques de 1500 km de portée. Est-ce que la Marine doit apporter une contribution navale à cette lutte contre les missiles balistiques ? C'est une première réponse que l'on peut attendre du livre blanc. Les missiles du système SAMP/T sont les mêmes que ceux du PAAMS qui équipent les frégates Horizon. Bien entendu, la réponse à cette question conditionnera fortement l'avenir de l'escorte anti-aérienne de la Flotte.

Deuxièmement, les présidents Chirac et Sarkozy ont confirmé la dissuasion nucléaire et réaffirmé sa place centrale comme réponse à des atteintes graves à nos intérêts vitaux. Le discours de l'Ile Longue du Président Chirac était assez clair à ce sujet en 2006. Paris ne se dirigerait donc pas vers une réponse autre la dissuasion en ce qui concerne les missiles balistiques intercontinentaux que des pays détenteurs pourraient utiliser comme une arme de dissuasion. 
Le problème, c'est que les Etats-Unis ne relâchent pas leurs efforts dans la lutte anti-missiles balistiques intercontinentaux (ABM) et dans l'élaboration de systèmes anti-missiles multicouches (combinaison de systèmes tactiques, comme les Patriot PAC-3, les THAAD et SM-3, et "stratégiques", comme les GBI).
Les américains ont réussi à implanter en Europe des éléments avancés et prépositionnés de leur bouclier anti-missile. Cette réussite de l'administration Bush a créé des déçus car, dans le projet initial, l'Europe n'avait aucune forme de protection en la matière, mais avait toutes les raisons de se sentir vulnérabilisée par un système qui attire le couroux des pays qui se sentent mis en danger par son existence.
C'est pourquoi l'administration Obama a remanié le projet afin que l'Europe bénéficie d'une certaine forme de protection. Le leitmotiv du projet est même devenu la "menace" iranienne. Mais surtout, les européens sont montés dans le train et au sommet de l'OTAN à Lisbonne, l'Alliance s'est engagée dans la défense anti-missile balistique de territoire. A ce moment là le Président était Sarkozy, et il n'y a eu aucun enthousiasme à se joindre au projet.
Bien des marines européens s'intéressent ou s'engagent dans des programmes d'acquisitions de missiles SM-3 et de modernisation de leurs frégates et destroyers pour participer à la défense anti-missile balistique de territoire. Ce recours aux marines s'explique par deux choses : d'une part, ces marines ont fait le choix d'installer à bord de leurs escorteurs anti-aériens le même système d'armes qui équipe les destroyers et croiseurs de l'US Navy. Le passage à l'acte est hautement facilité par cette proximité technologique. Par ailleurs, il aurait été peut être plus coûteux d'évoquer l'acquisition de systèmes fixes à terre alors que le développement de capacités anti-missiles balistiques était beaucoup plus simple à bord de ces navires. Aussi, il faut relever que la défense nationale de ces Etats reposent en très grande partie sur l'implication des forces américaines en Europe : cela se paie par la participation à des programmes d'armements plus ou moins utiles, comme le Joint Strike Fighter (F-35) et la DAMB. D'autre part, il est possible avec des Etats à la géographie réduite d'évoquer une défense anti-missile balistique de territoire avec des navires puisque leur champ d'action couvre le territoire national, tout en restant à quai. En outre, cette exiguité géographique ce combine, donc, avec une menace claire et identifiée, ce qui simplifie le positionnement des systèmes.
Dans le cas français, ce n'est pas envisageable puisque la France est un archipel. Enfin, ils n'ont pas de dissuasion nucléaire, donc ce substitut est plus facile à articuler dans une défense nationale. En France, la dissuasion est un outil qui fonctionne en permanence et tout azimut. Dans le cas de la défense anti-missile balistique, ce n'est pas possible de construire à l'échelle de la France une défense anti-missile balistique de territoires tout azimut : le coût serait monstrueux. Il est plus simple d'adapter des frégates et detroyers au missile SM-3 quand la menace est identifiée plutôt que de construire une défense dans ce domaine tout azimut avec une couverture presque nécessairement mondiale. En outre, quelle serait la crédibilité d'une DAMB construite autour de la "menace" iranienne quand la dissuasion est tout azimut ?
C'est pourquoi il est possible de s'attendre légitimement à ce que le gouvernement du président Hollande réaffirme la place centrale de la dissuasion nucléaire pour la protection des intérêts vitaux et reprécise son articulation avec une défense anti-missile balistique de théâtre qui pourrait s'affiner.

La Marine nationale pourra alors se demander si l'Exécutif souhaite qu'elle participe à la défense anti-missile balistique de théâtre. C'est un choix qui découlera du livre blanc et qui sera dimensionnant pour la composante anti-aérienne de la Flotte. Par exemple, les frégates Horizon qui sont dévolues à la défense aérienne d'un groupe naval disposent de 48 missiles Aster 15 et 30. Admettons qu'il faille, dans le cas de l'interception d'un missile anti-navire à vol rasant, lancer deux missiles : il est alors possible de comprendre que les munitions partent très vite... Donc, s'il fallait inclure de nouvelles menaces à engager, il pourrait être nécessaire de reconsidérer le nombre de munitions devant être embarquées pour répondre à l'ensemble des missions définie. C'est possible sur une frégate de classe Forbin puisqu'il existe une réserve sur l'avant pour 16 missiles supplémentaires. Les travaux les plus coûteux consisteraient en l'adaptation du système d'armes des deux frégates Horizon, le PAAMS, à la DAMB de théâtre. Le Sénat comptabilisait 300 millions d'euros pour porter les deux frégates vers les capacités DAMB du SAMP/T.

La dernière question qui concerne les escorteurs anti-aériens de la Flotte concerne le format de cette escorte, justement. La Marine maintient depuis plusieurs décennies, tant bien que mal, un format minimum de quatre frégates ou croiseurs anti-aérien capables de protéger une escadre des menaces aériennes les plus modernes. Le livre blanc de 2008 demandait à la Marine de pouvoir escorter et le groupe aéronaval et le groupe amphibie. Avec moins de quatre frégates, ce n'est pas envisageable. A l'heure actuelle, les frégates Forbin et Chevalier Paul répondent bien à ce besoin. C'est de moins en moins le cas pour les frégates Cassard et Jean Bart qui, malgré quelques modernisations, comme le changement de radar de veille aérienne lointaine, accusent leur âge et l'âge de leur système d'armes. Est-ce que le livre blanc va maintenir ce format à quatre unités ?

Si le format est maintenu, alors il s'agit de savoir si le gouvernement va lancer le remplacement des frégates Cassard et Jean Bart car, et comme le relève Navy Recognition, le missile SM-1 ne sera plus maintenu en service dans l'US Navy. Nos deux frégates françaises sont justement conçues autour de la mise en œuvre de ce vecteur. S'il était nécessaire de les prolonger, alors il faudrait moderniser leur systèmes d'armes : "A solution would be to replace the SM-1 with SM-2 Block IIIA missiles. According the Raytheon, in order to safely fire SM-2 missiles, the MK 13 GMLS would need two ordnance alterations (ORDALTs) performed. Both of these ORDALTs are minor in nature. There is no need to change the launcher or raise the platform. The fire control radars (SPG-51, STIR 180, STIR 240) usually do not need to be upgraded or replaced, but the CWI Transmitters require upgrading. There will be some additional hardware and software required to initialize, launch, and control SM-2 missiles as well as minor changes to the combat management system to account for the much larger intercept envelope SM-2 has when compared to SM-1". Ce serait moins coûteux que l'achat de deux nouvelles frégates, mais cette modernisation appelle deux questions fondamentales :
  • est-il financièrement raisonnable de prolonger une frégate au-delà des 30 années de service ? Elle a été conçue dans les années 70.
  • Est-ce que le jeu en vaut la chandelle ?
Avec les frégates Forbin et Chevalier Paul la lutte anti-aérienne est passée au stade supérieur : celui de la "défense aérienne de zone", d'où la dénomination de "frégate de défense aérienne" (et non plus "anti-aérienne) pour ces deux unités. Maintenir ces deux frégates en service au-delà des dates de retrait (2018 et 2020), c'est maintenir une division parmi les escorteurs de défense aérienne qui finira par se faire ressentir sur un théâtre d'opérations.
De plus, il y a une chose à dire à propos d'une modernisation qui nous obligerait au près des américains : est-ce que Washington livrerait la version MR (Medium Range) ou ER (Extended Range) du SM-2 ? La différence entre les deux est d'une quarantaine de kilomètres (50 contre 90) ! En outre, ce serait le futur SM-6 qui serait optimisé contre les missiles anti-navires. Les missiles Aster luttent contre tout ce qui vole actuellement, il serait dommage de ne pas rentabiliser l'investissement pour, en plus, se rendre dépendant des aléas des humeurs de Washington. Qu'est-ce qu'en pense l'Armée de l'Air de cette histoire : les Etats-Unis autoriseront-ils la modernisation ?...
Entre parenthèse, cette idée d'une (nécessaire ?) homogénéïté entre les escorteurs se posera également en cas de décision politique en faveur d'une contribution politique à la DAMB de théâtre : si le format d'escorteur anti-aériens était maintenu à quatre, alors est-ce que sur le long terme les quatre devraient être capables de remplir des missions anti-balistiques ?

Il reste la solution de la confirmation du remplacement des deux navires. C'est certainement la plus simple. Il s'agirait de commander les deux FREDA qui sont en gestation depuis 2007-2008, soit depuis l'annulation des frégates Horizon 3 et 4. Etait-ce une si bonne affaire financière que cela de ne pas confirmer ces deux navires ? Il y a un intérêt certain à ce que la Cour des comptes se prononcent. En attendant, la piste retenue depuis cette annulation est celle du développement d'une version anti-aérienne du programme FREMM. Pendant un temps, ces études devaient être financées par la Grèce qui était intéressée par l'acquisition de six frégates FREMM à dominante anti-aérienne. Si les allemands ont pu vendre au bon moment leurs sous-marins à la Grèce, les frégates françaises ne passeront pas. Faute de commande à l'exportation, c'est donc la France qui va régler l'intégralité des études. DCNS a dévoilé un peu en avance sur le salon Euronaval à quoi ressemble sa proposition en la matière : la FREMM-ER.

http://www.meretmarine.com/sites/default/files/styles/mem_500/public/new_objets_drupal/fer.jpg© DCNS.

Mais il existe aussi la possibilité que le gouvernement réduise le format ou décale cette réduction en abandonnant le remplacement des frégates Cassard et Jean Bart. Ces frégates seraient alors naturellement remplacées quand "les conditions économiques et financières le permettra". C'est la réponse du livre blanc au second porte-avions depuis 1994.

Dans cette optique, il existe la possibilité d'une autre modernisation, ou plutôt d'une refonte, pour sauvegarder le format anti-aérien de la Flotte : la croiseurisation des frégates FREMM à vocation anti-sous-marine. La question qui peut germer dans la tête d'une personne qui aperçoit la FREMM-ER pourrait être : est-ce que cette mâture unique avec un radar de veille aérienne à quatre faces planes peut être installé (ainsi qu'avec le système d'armes associé) sur une FREMM ASM ? La question taraude bien des personnes.
De plus, DCNS, propose la FREMM-ER avec la possibilité d'instégrer un VDS (Variable Deep Sonar : les fameux poissons des navires ASM) sous la plateforme hélicoptère, comme c'est le cas sur les FREMM ASM. C'est comme le fait que les frégates Horizon ont révélé de très belles performances en lutte ASM aux essais grâce au sonar de coque, à l'antenne linéaire remorquée et, bientôt, grâce au NH90 et ses capacités ASM. Il semblerait que cet hélicoptère va permettre un saut par rapport à ce qui se faisait avant en la matière.
Dans les deux cas, FREMM-ER et Horizon, il y a une frégate de défense aérienne qui a toutes les capacités et les matérielles, ou presque (absence du VDS sur les Horizon) pour faire de la lutte ASM et de la défense aérienne de zone. Pourquoi donc ne serait-il pas possible de "FREMM-ERiser" toutes les FREMM ASM ? Si jamais c'était possible, alors la défense aérienne de la Flotte ferait un bon en avant avec un format non pas à quatre escorteurs mais à 11 ou 9.

Le livre blanc va donc inviter la Marine à choisir entre un statu quo avec simple renouvellement des deux frégates Cassard et Jean Bart, une diminution du format à deux unités (car pour arriver en Flotte en 2018 et 2020, il faut lancer le programme aujourd'hui), un choix en faveur ou non de la DAMB de théâtre et, enfin, une croiseurisation des FREMM ASM si jamais cela été possible.

S'il était techniquement possible de croiseuriser les FREMM ASM grâce à un développement de leurs capacités anti-aériennes par l'intégration du systèmes d'armes du PAAMS et des avancées en matière de radar (aux capacités supérieures à celles des Horizon) et de mâture unique, alors il vaudrait peut être mieux obtenir 9 croiseurs légers par modernisation et refonte. Les crédits nécessaires à ces opérations sont dans les sommes alouées au programme FREDA dans la prochaine loi de programmation militaire et au désarmement avancé des frégates Cassard et Jean Bart. Le calendrier est bien calé puisqu'il serait certainement possible d'effectuer les modifications directement sur la ligne de production des FREMM françaises, à Lorient.

L'état-major de la Marine ne met pas en avan cette solution, qui traduirait un resserement de la flotte de surface, certes. Mais cette réduction doit être compensée par les programmes BATSIMAR, BSAH et BMM qui donneront les nombreux vecteurs nécessaires aux missions de sauvegarde et sécurité maritimes. Une partie de la Marine ne peut pas non plus se dédire : les frégates lance-engins Suffren et Duquesne étaient des croiseurs légers. Il ne manque plus que le sonar remorqué sur les frégates Horizon, même si elles feront aussi bien grâce à l'hélicoptère embarqué, le NH90.

La croiseurisation résoudrait bien des difficultés à moindre coût et permettrait, paradoxalement, de regagner un volume d'options tactiques tout en démultipliant l'influence politique de chaque frégate.

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