20 mai 2014

Coopérations structurées permanentes ? "Le cas du drone S-100 de Camcopter"

A l'approche des élections européennes, c'est l'occasion de dire que l'Europe pourrait faire beaucoup plus en matière de Défense. Non pas qu'il soit question d'une énième usine à gaz. Mais il est possible de trouver des projets communs pour renforcer les capacités nationales.


Par "Europe", s'agit d'entendre ici "Union européenne". Dans cette optique, il nous faut distinguer deux versants de la construction européenne :

  • celle des traités dont la Commission est la gardienne ;
  • celle de la coopération intergouvernementale.
L'architecture du triangle décisionnel européenne porte cette césure entre les deux, ce qui explique, en petite partie, pourquoi l'Union européenne n'est pas vraiment un Etat.


Le traité de Lisbonne a formalisé les coopérations renforcées. C'est-à-dire que les Etats qui le souhaitent, donc dans le cadre de la coopération intergouvernementale, ont la possibilité d'avancer plus loin que les autres sur des points précis.

 

Par exemple, en matière de Défense, "Les États membres qui le souhaitent peuvent mettre en place une coopération structurée permanente. Ils s’engagent alors à participer à des programmes européens d’équipement militaire et à fournir des unités de combat pour les missions entreprises dans le cadre de l’UE. La procédure dans ce domaine est très souple; aucun seuil minimum d’État membre n’est requis et le Conseil autorise la coopération structurée permanente à la majorité qualifiée."

 

C'est un débat lourd de sens dans la mesure où le projet d'une Europe en cercle concentrique, régulièrement évoqué, est encore revenu au premier plan du débat politique. Les coopérations renforcées sont imaginées comme une possibilité de construire ce noyau dur d'Etats européens engagés plus en avant dans la construction européenne.

 

Pour en venir au sujet qui nous intéresse, vous avez très certainement observé que France, Italie et Pays-Bas ont acquis un autre drone de surveillance : l'hélidrone S-100 de l'autrichien Camcopter.

 

Les négociations sont plus simple, de sorte que les Etats devraient négocier une filière hélidrone sur la base du S-100 et se doter de ces drones.

 

Quel intérêt pour la SURMAR ?
Ces machines coûtent plusieurs fois moins qu'un hélicoptère classique :

  • pour une voilure tournante de 4 à 5 tonnes, nous sommes sur un budget moyen observé de 4 à 5 millions d'euros ;
  • pour un drone, c'est plutôt 4 à 5 fois moins ; soit environ un millions d'euros pièce.
Le drone permet de réaliser des missions de surveillance à moindre frais. Ainsi, le S-100 embarque environ 50 kg de carburant et possède une autonomie d'un peu plus de 5 heures. C'est combien de centaines de kg pour une voilure tournante pilotée in vivo ? Ce qui revient à souligner que le détachement drone est bien moins coûteux en pièces et nécessiteux en homme que pour une voilure tournante classique.


C'est un avantage financier qui se double d'un intérêt opérationnel. Avoir une machine de 200 kg de masse maximale au décollage, c'est pratique dans de nombreuses circonstances :

  • l'embarquement de ces drones peut être réalisé en nombre sur des embarcations relativement petites (500 tonnes ? Moins ?) : c'est le même phénomène que l'introduction du missile anti-navire ;
  • plusieurs machines peuvent être aisément embarquées sur un même navire ;
  • ils sont aisés à mettre en oeuvre du fait d'être des hélicoptères ;
  • la petitesse de ces drones permet d'approcher plus en avant les objets à observer ou de prendre plus de risques, avec moins de chance de se faire repérer. La discrétion dans la manoeuvre des capteurs passent également par la taille. 

Si nous devions tenter la synthèse, la mise en oeuvre d'un hélidrone permet de décupler la surface de mer surveillée par un patrouilleur qui n'aurait, peut-être, jamais pu embarquer un hélicoptère faute de budget disponible pour des missions qui ne le nécessitent pas forcément. Dans le cas français, la disponibilité des hélicoptères de la Marine est une contrainte majeure : les Lynx sont disponibles pour 15% d'entre eux.

 

L'économie est donc réalisable puisque les hélidrones permettent de remplir les mêmes missions avec une dépense moindre.

 

Ce qui interpelle, c'est que nos trois Etats, France, Pays-Bas et Italie, se tournent vers le même matériel dans l'indifférence mutuelle la plus totale.Est-ce justifié ? Par là, la question est : serait-ce la course pour expérimenter un drone autrichien ? Non. De toute manière, c'est la France qui a été la première à le mettre en oeuvre à la mer. Donc où est l'intérêt national dans ces manoeuvres nationales ? Le programme nEURON a démontré qu'une expérimentation commune pouvait être bénéfique à tous et ambitieuse si la bonne architecture de programme est retenue.
Ce qui revient à souligner que chacun des trois Etats va mener la même expérimentation pour apprendre les mêmes leçons de l'utilisation du même matériel. Quelle perte de temps.

 

Ce qui revient à dénoncer que ces trois Etats offrent un retour d'expérience à une entreprise qui pourra proposer une version maritime de son drone sans jamais avoir eu à dépenser la moindre somme pour sa navalisation.

 

Nous avons tous les ingrédients d'une coopération structurée permanente :

  • L'Europe a besoin de faire émerger une filière drone, autant pour des raisons de stratégie militaire que pour ses besoins économiques. N'attendons pas une telle initiative de la Commission européenne qui se ridiculise régulièrement sur le sujet ;
  • centraliser les expérimentations nationales et proposer des objectifs plus ambitieux dans la mise en oeuvre de ce matériel, comme :
    • le travail en réseaux de plusieurs machines avec des charges différenciées (optique, radar, etc...),
    • le travail en réseau entre un hélicoptère et des hélidrones,
    • l'éclairage de l'artillerie navale
    • l'utilisation de ces drones depuis la terre pour patrouiller les ZEE ; 
  • définir un strict besoin commun aux trois Etats ;
  • viser une commande groupée d'une série de matériels ;
  • créer une école commune pour la transformation des personnels sur ce matériel ;
  • lancer un travail commun pour adapter les normes juridiques à la mise en oeuvre des drones ;
  • développer les évolutions du matériel.

 

En ce qui concerne le budget, tentons de chiffrer ce qui serait nécessaire pour déployer en mer les systèmes nécessaires à la Marine nationale. Le livre blanc fixe un format pour la Marine de 15 frégates, 15 patrouilleurs et 6 frégates de surveillance. Sur ces 36 navires nous pouvons estimer qu'il y en aura toujours un tiers en entretien, un tiers en entraînement et un dernier tiers en mer pour missions. Il faudrait donc un minimum de 12 systèmes de drones pour armer les navires en missions puisque, imaginons, les missions d'entraînement seraient réalisés dans le cadre de l'école commune. Un système c'est trois drones et une station de commandement.
Grosso modo, c'est au bas mot un budget de 36 millions d'euros pour équiper correctement la Marine nationale. Entre les rapports de la Cour des comptes, ceux du député René Dosière et la réforme territoriale, révélatrice de bien des dysfonctionnements, il est parfaitement possible de trouver 36 millions d'euros en France.

 

Ainsi, en lançant l'embryon d'une coopération structurée permanente autour de la SURMAR, centrée sur les hélidrones, l'Europe lancerait une filière intégrée de drones maritimes et renforcerait ses capacités de surveillance maritime à moindre frais. Plus largement, cette filière industrielle permettrait de rassembler les entreprises et capacités industrielles atour des composants critiques entre ces trois Etats pour faire protéger des compétences européennes. Autant de choses qui serviront dans d'autres programmes de drones et de capacités de SURMAR.

 

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