30 novembre 2014

"From Polaris to Trident - The Development of US Fleet Ballistic Missile Technology" de G. Spinardi


Heureux hasard que de croiser sur mon chemin ce petit ouvrage (253 pages). De la main de Graham Spinardi, publié aux éditions de l'Université de Cambridge, il s'intéresse à la composante balistique de la dissuasion océanique américaine. N'oublions pas que si la dissuasion est forcément nucléaire en France (combien de divisions ?), elle mêle aussi bien le conventionnel que le nucléaire aux Etats-Unis.




Toutes les facettes de la conception et de la construction des SSBN américains sont abordées dans la démonstration de l'auteur. Néanmoins, une seule question a guidé ma lecture. Peu m'importait d'apprendre les enjeux dans la conception des missiles, la question de la navigation et de son degré de précision pour pouvoir lancer les missiles, etc...

 

Non, la fameuse question qui m'a donné envie de me jeter sur l'ouvrage est simple : pourquoi les SNLE ont généralement 16 missiles ? Pourquoi parfois 24 ? Pourquoi pas 12 ou 6 ?! De là, nous pouvons supputer plein de choses : il s'agit de scenarii très complexes qui tiennent compte de quantité de facteurs pour déterminer la taille de la flotte de SNLE et de leur salve...

 

Pour tenter de donner quelques éléments de réponse, nous devons investiguer les batailles institutionnelles car elles déterminent le positionnement des SNLE américains.

 

Dans le cadre de la mise en oeuvre de l'arme nucléaire, quand le conflit Est-Ouest débutait (l'année 1947 paraît-il), les armées américaines se font une féroce bataille. Face à la difficulté de mettre au point un missile balistique, un compromis apparaît avec la mise en oeuvre d'une juridiction simple : à l'armée de l'air américaine les engins aérodynamiques, à l'US Navy les missiles balistiques. Nous sommes en 1946.

 

 "Moreover, in Operation Pushover in 1949 the Navy had investigated the effects of an accident on a mock-up ship." (p. 20) Ledit V2 est à propulsion liquide et la sûreté de l'engin rebute d'ores et déjà l'US Navy. Et ce, alors que la marine américaine expérimente le lancement de V2 depuis le porte-avions Midway et qu'un programme visant à développer un engin de 500 nautiques de portée est lancé tandis qu'une fusée à propergol liquide Viking est développée pour le lancement de satellite.

 

Ainsi, le CNO de l'époque et le directeur des programmes de missiles de l'US Navy mettent leur véto au développement d'engins balistiques (du fait, vraissemblablement, des difficultés rencontrées, notamment dans la mise en oeuvre d'un engin à propergols liquides). Ce qui amène la Navy à revenir à la solution des engins aérodynamiques. C'est la voie des Regulus I et II puis du Triton.

 

De l'autre côté, l'USAF, fort de ses premières utilisations opérationnelles avec des B-29, poursuit sur sa lancée au point d'aboutir au B-36. Tout en empruntant cette voie, l'USAF parvient à se lancer un programme de missile balistique intercontinental en 1946 qui doit aboutir à un engin de 5000 nautiques de portée.

 

Le 17 novembre 1955, l'amiral Burke créait un bureau dédié à la question du développement d'un missile balistique :e le Special Projects Office (SPO).  Ce bureau va prendre en charge le développement de l'engin conçu en partenariat avec l'US Army tel que décidé dans le memorandum du 8 novembre de la même année. Les président des Etats-Unis et le département de la Défense avaient décidé de limiter le développement des missiles balistiques à 4 (dont trois pour l'USAF).

 

C'est donc le missile Jupiteur qui est développé par le SPO avec l'US Army. "Right from the start the Navy was deeply dissatisfied with the liquid fuel IRBM." (p. 27) Deux autres problèmes opérationnels sont relevés : le propergol liquide n'est pas seulement dangereux à manipuler mais ses qualités opérationnelles se dégradent avec le temps. D'autre part, le temps entre l'ordre opérationnel de lancer le feu nucléaire et l'exécution de l'ordre pourrait prendre des heures, du fait des contraintes des propergols liquides. La Navy s'engage constamment dans une voie alternative qui aboutira à la conception d'un engin à propergol solide : le Polaris. (p. 30) Pour ce faire, la marine quitte le programme Jupiter. Nous sommes en 1956.

 

La nouvelle rupture se fera en opposition à l'USAF. Il est difficile d'insérer la Navy dans la dissuasion nucléaire. Avec son B-36, l'armée de l'air américaine peut d'ores et déjà frapper l'URSS. Mais elle deviendrait vulnérable face aux ICBM soviétiques. Qui plus est, le bombardier lourd parvient à vaincre l'idée que des super carrier (à construire) pourraient permettre d'emporter des bombardiers moyen au plus près de l'URSS pour frapper précisément. Cette défaite porte un coup au moral des marins américains.

Reste que les sous-marins porteurs du Regulus entrent en service en 1954 et qu'en 1950-1951 les capacités de frappe nucléaires des actuels porte-avions sont compris dans les capacités nucléaires américaines selon le président Eisenhower.

 

Pour ne pas perdre une nouvelle confrontation frontale avec l'USAF, la Navy tente de placer son Polaris non pas dans la frappe anti-cités mais dans la frappe d'opportunité contre les infrastructures navales soviétiques. (p. 33) L'amiral Burke définit le concept de finite deterrence qui n'est pas dans l'objectif de vaincre mais bien de dissuader l'adversaire.

 

L'auteur nous amène à la partie construction du programme Polaris. "This plan to deploy Polaris on the nuclear -powered cruiser Long Beach was instituted to January 1961 by the Eisenhower administration, but cancelled two months later under Kennedy." (p. 36) Du temps du missile Jupiter, il était difficile d'envisager un moyen océanique de dissuasion car il n'existait pas de sous-marin pour l'expérimenter. Le Nautilus, premier SNA du monde, ne représente que la moitié du tonnage nécessaire pour emporter 4 missiles Jupiter (18 mètres de hauteur). Par contre, avec le Polaris A1 (8,7 mètres), il est envisageable d'embarquer 16 missiles (pp. 39-40).

 

Pourquoi 16 ? "Economic considerations pushed towards large numbers, up to thirty-two per vessel, whereas operationnal flexibility, survivability, and the preferences of submarine commanders pushed the other way." (p. 38) Le compromis semblait se dessiner vers 24 missiles mais l'amiral Raborn tranche pour 16 car il lui semble que c'est le nombre maximum que les sous-mariniers américains semblent admettre. 

 

Passons au temps du développement du Trident I et de la classe Ohio qui doivent prendre la relève des Polaris, Poseidon et des porteurs associés. Face à l'augmentation de la précision des engins soviétiques, il est recherché une capacité de seconde frappe afin de satisfaire la doctrine de destruction mutuelle assurée. L'enjeu est aussi de contourné la DAMB soviétique, centrée sur Moscou depuis le traité ABM de 1972. C'est l'enjeu du programme Strat-X.

 

L'ULMS (Undersea Long-range Missile System) est le porteur des futurs missiles Trident. Il démarre sur un débat au sein de l'US Navy ou plutôt une bataille avec l'amiral Rickover. D'un côté, le SPO souhaite continuer dans la voie initiale : l'adaptation de classes de SNA avec l'adjonction d'une tranche missile. Le "père" de la propulsion nucléaire navale américaine l'entend d'une autre oreille. Il souhaite renforcer la survivabilité de la future plateforme grâce à une vitesse suffisante : plus de 24 noeuds quand le SPO se satisfait de 18-19 noeuds.

 

Dès lors, s'affrontent deux projets : le projet 640 du SPO et le "super projet 640" de Rickover. Bien soigneux, ce dernier souhaite que le futur SNLE soit doté de deux réacteurs nucléaires. Le SPO vise quant à lui une capacité de 24 missiles. L'amiral Zumwalt voudrait bien, en plus de lancer rapidement le chantier du premier navire, un dérivé du type 688, le SNA Los Angeles. Mais c'est Rickover qui possède les leviers pour décider la décision finale.

 

Finalement, le compromis se fait autour d'une sorte de super type 640 avec un seul réacteur (mais à la puissance augmentée), un tonnage de 18 700 tonnes (contre 14 000 pour le super type 640) et 24 missiles. Le 15 mai 1972, l'ensemble est renommé Trident.

 

Pourquoi 24 ? La Navy hésite entre 12 et 24 missiles emportés par chaque sous-marin (p. 121). L'amiral George Miller affirme que la décision de retenir 24 missiles pour les Trident était arbitraire, notamment pour justifier son déplacement et le rendre plus "cost-effective" (p. 122).

 

Nous en arrivons à observer, d'après cette très rapide lecture de l'ouvrage, que le dimensionnement du SNLE dépend de la taille du missile. Si nous n'avons pas connaissance des études précises pour déterminer la taille de la salve, il apparaît que dès les missiles Polaris, il était dit qu'un SSBN était dans le haut du cost-effective en emportant 32 missiles. Les sous-mariniers américains semblaient accepter 16 missiles. Lors de la conception des Ohio, une salve à 24 missiles était un progrès surtout réalisé pour justifier un navire qui était avant tout le fruit d'une dispute entre amiraux sur ses qualités nautiques pour échapper aux SNA soviétiques.

 

Mais que dire aujourd'hui ? 16 missiles est-il un format adapté à toutes les dissuasions ? Le MIRVage des missiles n'a pas non plus entraîné de remise en cause. Faut-il miser sur de volumineux SNLE avec 32 missiles ? Sur de plus petits et plus nombreux ?

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