09 avril 2015

"Le meilleur des ambassadeurs - Théorie et pratique de la diplomatie navale" d'Hervé Coutau-Bégarie


Hervé Coutau-Bégarie a porté la pensée maritime française. Il s'est écarté de la seule lecture du combat naval - et donc de la stratégie navale - pour embrasser tous les aspects de la dialectique des volontés en mer. D'où son opus Le désarmement naval (Economica, 1995) et celui-ci : Le meilleur des ambassadeurs - Théorie et pratique de la diplomatie navale (Economica, 2010, 401 pages).

Le maître proposait de nous intéresser à l'utilisation politique de la Flotte dans le cadre de l'affrontement de deux volontés politiques, osons ajouter : devant des tiers - problème récurent dans les espaces maritimes comme dans le cyberespace. Il rend hommage au tout début du livre à Cable qui est, selon lui, l'un des premiers à s'intéresser au sujet. Tout du moins, le premier, vraisemblablement, à le théoriser.

A la mémoire de sir James Cable, le grand fondateur

Hervé Coutau-Bégarie, Le Meilleur des ambassadeurs

Et il rend aussi hommage au personnage historique dont il tire le titre :


Un navire de guerre est le meilleur des ambassadeurs

Cromwell

Il n'est point question ici d'un retour sur la lecture complète de l'ouvrage car il est d'une riche densité. Simplement, ce ne sont quelques prises de note sur la classification de la diplomatie navale par l'auteur. Elles sont simplement un peu organisées, au cas où elles pourraient servir ou donner envie de lire tout l'opus.

"La typologie de Cable n'a jamais vraiment été remplacée. Les travaux ultérieurs ont apporté des éclairages nouveaux, mais ne l'ont pas rendue obsolète."
p. 50


"La diplomatie peut être permanente ou de crise, humanitaire, protectrice ou politique, préventive ou réactive, coopérative ou coercitive, nationale ou multinationale, nucléaire ou conventionnelle."
p. 50

DIPLOMATIE PERMANENTE

  • Diplomatie symbolique : affirmation du rang et dissuasion existentielle
"Une dimension symbolique forte s'attache à l'existence des forces navales : le seul fait de posséder une marine modifie la perception tant de celui qui la possède (ce que les sociologues appellent la self image) que de ses alliés ou adversaires éventuels. Le possesseur est capable d'intervenir au-delà de son territoire terrestre, sans être un spectateur obligé de subir."  
p. 50

  • Diplomatie de routine : visites, manoeuvres et manifestations navales
"Cet effet existentiel se trouve encore renforcé par des manifestations de routine dont l'objectif premier n'est pas nécessairement d'obtenir un effet diplomatique, mais qui ont tout de même un tel effet induit."
p. 52

  • Diplomatie de défense
"Cette catégorie a récemment été introduite dans la doctrine militaire française pour désigner toutes les activités non violentes des forces armées qui peuvent contribuer à la stabilité internationale et au rayonnement international de l'Etat." L'expression est malheureuse pour l'auteur.
p. 54

  • Diplomatie économique
"La diplomatie économique, c'est-à-dire l'utilisation de l'instrument naval à des fins de promotion économique, ne date pas d'hier. Depuis le XIXe siècle, les visites à l'étranger peuvent servir de vitre du savoir-faire d'un pays, dans l'espoir d'obtenir des commandes d'armement." Il cite l'exemple des visites des grands salons et participation à des exercices bilatéraux en vue de contrats
p. 56 


DIPLOMATIE DE CRISE


"La diplomatie de crise fait intervenir les forces navales dans un but humanitaire ou politique préalablement défini dans une situation de risque ou d'urgence. Elle se décline en plusieurs volets.
p. 57

  • Diplomatie humanitaire
"La diplomatie humanitaire recouvre les interventions d'urgence en cas de catastrophe naturelle, sanitaire, alimentaire. Le genre est très ancien puisque l'une de ses premières manifestations est le secours apporté par des navires de guerre de différentes nations aux habitants de Lisbonne, lors du tremblement de terre de 1755.
p. 58

  • Diplomatie protectrice
"La fonction première de l'Etat est d'assurer, non seulement la sécurité du territorie et de la population qui y réside, mais également de ses ressortissants et de leurs bien lorsqu'ils se trouvent à l'étranger." Il propose comme pratiques la protection des ressortissants en cas de catastrophe naturelle et ajoute la protection des intérêts en haute mer.
p. 58

"Cette diplomatie protectrice est la première mission politique des marines. Elle mérite d'être érigée en catégorie propre, car l'objectif ne vient qu'en second plan : on assure d'abord la mise à l'abri et l'évacuation de ses ressortissants, avant de songer à la restauration de la stabilité dans le pays concerné ou à l'obtention d'un avantage quelconque."
p. 59

  • Diplomatie politique ou de puissance
"La diplomatie politique (si l'on peut employer ce quasi-pléonasme), que l'on peut aussi appeler diplomatie de puissance, englobe toutes les autres catégories, c'est-à-dire les interventions qui ont un but politique déclaré."
p.60

  • Diplomatie économique ?
"Beaucoup de démonstrations ont pu avoir un objectif économique. Au XIXe siècle, l'objectif était d'obtenir la conclusion de traités de commerce avantageux." Exemple de l'affaire du Rio de la Plata, guerre de la Morue.
p. 64

  • De nouveaux domaines ?
"La lutte contre les trafics de tous ordres se fait de plus en plus dans le cadre de coopérations internationales, avec mutualisation des moyens : les Etats-Unis, la France, les Pays-bas et le Royaume-Uni collaborent ainsi, de manière permanente, dans la lutte contre les narcotrafics dans les Caraïbes (opération Carib Shield) ; on pourrait parler de diplomatie de sauvegarde."
p. 66

"Peut être verra-t-on bientôt une diplomatie environnementale dont on peut déjà recenser les premières manifestations. La plus visible a été "la guerre du Turbot" qui a opposé le Canada à l'Espagne en 1995."
p. 66

LES CATEGORIES

  • Diplomatie préventive, diplomatie réactive

"La diplomatie préventive a pour but d'empêcher l'émergence d'une situation de crise par des démonstrations faites au moyen de forces prépositionnées, soit dans des territoires outre-mer, soit dans des pays étrangers en vertu d'accords de défense prééexistants, ou de forces spécialement projetées sur le théâtre."
p. 66

  • Diplomatie coopérative, diplomatie coercitive

"La diplomative navale est coopérative dans le cas d'un soutien à un pays allié ou ami. Elle est coercitive lorsqu'elle adresse un signal à un perturbateur ou un adversaire potentiel ou déclaré. Le concept de coercition rend particulièrement bien compte de cette mise en oeuvre retenue de la force qui ne va pas jusqu'à un conflit généralisé. Tous les degrés sont envisageables.
p. 67

  • Diplomatie nationale, diplomatie multinationale

"Jusqu'aux années 1980, la diplomatie navale était essentiellement nationale. Il y avait déjà eu, dans des temps plus anciens, des opérations multinationales, contre des pays d'Amérique latine ou la Chine au XIXe siècle ou lors des crises méditerranéennes et balkaniques : Français et Britanniques conduisent une démonstration commune contre Alger dès 1819 ; c'est une démonstration navale anglo-franco-russe qui aboutit à la destruction de la flotte turque à Navarin en 1827 ; une escadre anglo-autrichienne bombarde Saint-Jean d'Acre en 1840 ; des blocus pacifiques sont mis en place par plusieurs pays lors de la crise crétoise en 1896-1897, durant les guerres balkaniques de 1911 à 1914. Mais c'était l'exception, la règle était plutôt aux interventions nationales dans une logique de puissance. La création de la Société des nations, puis de l'Organisation des Nations unies n'y change pas grand chose pendant l'essentiel du XXe siècle.
p. 69

  • Autres critères

"On pourrait ainsir retenir le critère de la durée pour faire la différence entre les opérations ponctuelles et les opérations de longue durée. Traditionnellement, les interventions duraient peu de temps, quelques jours, quelques semaines au plus. La tendance récente, qui ne manque pas d'être inquiétante, est à l'allongement des opérations, conséquence logique de la dégradation des Etats faillis, mais aussi du refus des puissances extérieures de prendre parti, interdisant ainsi un dénouement rapide de la crise..."
 p. 73

LES INSTRUMENTS

  • Diplomatie nucléaire, diplomatie conventionnelle

"La diplomatie navale habituelle est conventionnelle. Elle met en oeuvre des navires équipées d'armes conventionnelles. Mais cela n'est pas toujours le cas. Au temps de la guerre froide, certaines crises ont pu revêtir une dimension nucléaire, avec non seulement la menace d'escalade aux extrêmes, mais également le risque de mise en œuvre de moyens nucléaires tactiques embarqués."
p. 74

  • Diversité des moyens
                             Diplomatie du porte-avions

"L'instrument privilégié est le porte-avions, au point que l'on a pu parler de diplomatie du porte-avions. C'est, par excellence, le symbole et l'instrument de la puissance ; le roi de la surface, mais aussi le moyen d'une frappe en profondeur à l'intérieur des terres. Les Etats-Unis ont recouru de manière presque systématique, dans les crises, à la carrier diplomacy (l'expression est, chez eux, d'usage courant), envoyant un, voire plusieurs, porte-avions sur les théâtres de crise."
p. 75

                             Diplomatie du sous-marin ?

"L'utilisation politique du sous-marin est beaucoup plus rare puisque le sous-marin est, par nature, associé à la discrétion, contradictoire avec l'affichage politique.
Hervé Coutau-Bégarie écrit alors regretter ne pas avoir accès à ce travail universitaire américain : "Brent Alan Jitzler, Naval diplomacy Beneath the Waves. A Study of the Coercive Use of Subarmines Short of War, Naval Post Graduate School, 1989." Et l'auteur propose le cas de l'escale du Sam Houston en avril 1963 à Izmir. 
p. 76
 

                             L'importance des moyens amphibies 

"Mais les navires amphibies modernes, qui constituent de véritables petits porte-avions, peuvent également servir de remplaçant à ceux-ci, lorsqu'ils ne sont pas disponibles en raison de leur nombre trop restreint. Ils sont aussi, en raison de leur capacité d'emport en personnel, de eurs engins de débarquement qui permettent de s'affranchir de la contrainte portuaire et de leurs hélicoptères en nombre (au moins 4 ou 6, quand une frégate n'en a que 2, au surplus plus légers) qui autorisent des rotations très rapides lorsqu'il n'est pas possible d'accoster, les instruments privilégiés des opérations d'évacuation des ressortissants, comme on a pu le voir à maintes reprises, encore en 2006 au Liban." p. 78

                             Les autres moyens de surface 

"Le moindre bâtiment de surface, aussi modeste soit-il, est susceptible d'être engagé dans des opérations relevant de la diplomatie navale, l'appellation "diplomatie de la canonnière" est suffisamment explicite. Face à des adversaires souvent faibles, des moyens rustiques peuvent suffire. La France a ainsi construit dans les années 1930 des avisos coloniaux, puis, dans les années 1950, des avisos-escorteurs, dans les années 1970 des avisos, dans les années 1990 des frégates de surveillance, qui ont tous rendu de grands services. N'importe quel bâtiment peut assurer une mission de présence et de surveillance. Mais, aujourd'hui, face à la prolifération des missiles, à la menace aérienne, il n'est plus possible, pour les grandes puissances, de se contenter de moyens rustiques, donc plus accessibles, il faut disposer d'une panoplie étendue capable de faire face aux différents scénarios de crise qui vont de l'incident avec un adversaire côtier et peu armé à l'affrontement avec un adversaire disposant de moyens modernes ; le hi-low mix que prônait déjà l'amiral Zumwalt au début des années 1970."
p. 78 ou 79

                             L'aéronautique navale basée à terre 
 
"Les avions de patrouille maritime sont indispensables pour assurer la surveillance des espaces maritimes avec leur grande autonomie et leur électronique très développée. Mais ils exigent des infrastructures à terre."
p. 79

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