04 mai 2015

Une stratégie de contre-violence ? Partie reconquête, actions non-cinétiques

© Wikipédia. Plateau de jeu de Go.
Les actions « non-cinétiques » sont des actions immatérielles entreprises en direction de l'environnement de l'action. Elles visent à l'aménager au mieux en fonction de nos objectifs, en influençant la configuration physique et humaine du terrain. Les embargos illustrent particulièrement bien une action non-cinétique à l'image de l’ensemble des opérations et mesures prises à l’encontre des flux humains, financiers et matériels du réseau « Al-Qaida ».


Nous allons proposer les moyens d'agir sur les facteurs dynamiques de l'environnement. A l'instar de Coutau-Bégarie1, nous entendons par facteurs dynamiques les éléments sensibles à l'action immédiate de l'homme. Ils se regroupent en deux catégories : les facteurs offensifs et défensifs.



a) Facteurs offensifs



Le professeur en recense cinq : les ressources, les voies et infrastructures de communication et les bases et la maîtrise de l'information que nous osons ajouter à la liste originelle.

Les ressources



L'action résolu doit viser les ressources propres et capacités de financement du groupe armé non-étatique. Il peut bénéficier de ressources du sol et du sous-sol qu'il aura acquis en contrôlant un espace transformé en territoire. Tout comme il peut être le récipiendaire d'un certain nombre de flux matériels et financiers alimentant ses instruments au service de son action.



Les voies et infrastructures de communication



La première problématique est consubstantielle à la seconde. Pour compartimenter l'adversaire et lui retirer toute ou partie de sa liberté de manœuvre, voire à accroître la sienne, il faut s'occuper de la question des voies et infrastructures de communication.



Les réseaux facilitent la pénétration d'un espace et permettent, par l'entremise de sa réticulation, le passage de l'espace hostile au milieu exploitable. Nous avons là une opposition entre armées classiques et modernes, donc motorisées. Les premières, bien commandées, pouvaient franchir jusqu'à 360 km (la poursuite d'Afranius par Jules César (100 A.V. J.-C. - 44 A.V. J.-C.) depuis leur point de départ en dix jours2. Les secondes peuvent progresser 13 à 20 km par jour - voire 25 à 40 km dans l'exploitation – depuis leur base de départ. Au-delà du seuil des 360 km de César – seulement rejoint par Pierre Dupont de l'Étang (1765-1840) – la vitesse d'une armée motorisée tombe aux environs de 6 à 15 km-jour3. Voici illustré le principe de l'élongation logistique maximale proposée par le colonel Maurice Suire.



Bases



Cette dialectique entre l'espace et les forces permet d'illustrer l'importance des bases. Elles offrent à une force son rendement maximum tant que l'élongation n'atteint pas sa limite historique. Nous pouvons en distinguer de trois types en reprenant la typologie du professeur Coutau-Bégarie4. La première considère les bases selon leur importance, d'une base principale à une base secondaire, souvent simple point d'appui. La seconde les classifie selon leur implantation : base de départ, base-relais et bases avancées. La troisième touche à leur implantation, donc à leur distinction entre bases terrestre, navale et aérienne.



Il s'agira pour l'autorité politique combattante de préparer son dispositif avant ou pendant la phase active des opérations. Pour un État se débattant à l'intérieur de ses frontières, la répartition des bases, ainsi qu'une partie des infrastructures civiles, devra répondre à l'état des menaces potentielles.



L'État intervenant à l'extérieur de ses frontières devra définir ses besoins en base au regard de ses ambitions diplomatico-stratégiques. Il pourra être receveur de bases militaires étrangères et devra alors composer éventuellement avec ses voisins. Tout comme il pourrait être amené à déployer des bases à l'étranger. Auquel cas il sera confronté à deux situations. Premièrement, sa diplomatie pourra les lui obtenir immédiatement pour un usage permanent. Cette base pourrait alors être constituée de forces prépositionnées ou seulement de leur matériel. Deuxièmement, cette même diplomatie négociera des accès à des facilités au besoin.


En cas d'échec dans la disposition des bases nécessaires à l'action dès le temps de paix, la stratégie ne pourra compter que sur elle-même, la géostratégie étant avant toute chose une lutte pour les bases. Par exemple, « la guerre du Pacifique a été une bataille pour les bases . »5



La maîtrise de l'information



La maîtrise de l'information est aussi une voie pour maîtriser l'environnement de l'espace opérationnel. Elle se divise en deux actions complémentaires : La maîtrise des vecteurs d'information et la maîtrise du contenu de l'information.


La maîtrise des vecteurs d'information est la résultante de « toutes les mesures actives et passives destinées à préserver l'environnement informationnel civil, économique et militaire »6. Cette action repose sur les moyens de conduite et de gestion, mais aussi les moyens permettant de maintenir les liens entre la population et la conduite politique du pays. Action qui comprend deux volets opérationnels : la capacité à employer en permanence ces vecteurs avec un minimum de restrictions et celle d'en prévenir la neutralisation (résilience aux agressions, agression des vecteurs adverses etc.)7.



La maîtrise du contenu de l'information se matérialise par la capacité à gérer l'adéquation de l'information en fonction des objectifs des forces engagées. Elle suppose la maîtrise préalable des vecteurs d'information, et la garantie d'une communication offrant un minimum de distorsions dues à la technique. Elle comprend trois volets : la maîtrise des données (dans ou contre les réseaux) pour assurer le fonctionnement normal de la société ; la maîtrise du savoir pour acquérir une supériorité donc l'avantage dans l'action et la maîtrise de l'influence pour maintenir le lien entre l'État et les différents acteurs de la société, tout en « coupant » le mouvement asymétrique des espaces dans lesquels il agit8.




b) Facteurs défensifs



Nous distinguons une série de trois types d'obstacles - les obstacles naturels, les obstacles politiques et les obstacles militaires – qu'il faut savoir exploiter ou contourner à son avantage.



Les obstacles naturels fondent le choix des groupes humains dans le site devant voir s'édifier une cité. Ils trouvent dans certaines places des caractéristiques naturelles fortes (confluence de fleuves, de routes, disposant d'une valeur défensive, etc.). Les siècles passant, ce sont très souvent les conflits et les guerres qui permettent de redécouvrir la valeur de certains sites, quand il faut les défendre ou les assiéger.



Par extension, il semble plus qu'important de distinguer l'espace conflictuel selon ses caractéristiques naturels. Espace bien souvent compartimenté entre littoral et plaines, plaines et zones urbaines. Surtout, les forêts, les zones marécageuses, les montagnes et les zones urbaines sont favorables à la défensive grâce à la protection et l'opacité qu'elles offrent. Les derniers développement en matière de capteurs électro-optiques ne semblent pas encore capable de percer le brouillard de la guerre, particulièrement épais en ces lieux.



Les obstacles militaires (de la « castramétation » (art des camps) et de la « poliorcétique » (l'art des sièges) correspondent aux fortifications. Au VIe millénaire A.V. - J.C., la ville de Jéricho améliorait les qualités défensives de son site par un rempart. Depuis, l'histoire militaire retient l'existence de deux types de fortifications : permanentes et et de campagne.

Les premières sont érigées dès le temps de paix autour de points stratégiques, de forts et places fortes, ou de lignes stratégiques.

Les secondes correspondent aux fortifications temporaires construites au gré de la marché des forces, pour assurer la sûreté d'un lieu le temps d'une étape (cas des troupes romaines, passées maîtresse dans l'art d'ériger un camp le soir). Ou bien pour soutenir une posture défensive à l'aide d'une ou plusieurs lignes d'arrêt (exemples des lignes Hindenburg (1917) ou le dispositif du saillant de Koursk (1943).



Le colonel Maurice Suire développe même la question de la sûreté stratégique14. Celle-ci est constituée par la totalité des facteurs qui doivent permettre la liberté de conception et d'exécution dans la manœuvre principale. Cet ensemble de forces morales, militaires et diplomatiques permettent de neutraliser les menaces secondaires pour concentrer l'essentiel des forces à l'opération capitale. Plus pratiquement, c'est l'exemple de 1796 quand Bonaparte laisse au Piémont – qu'il a battu – une garnison à Turin pour protéger un commissaire révolutionnaire. Celui-ci joue des passions populaires pour éviter que le Piémont ne bouge. Pendant ce temps, le général de l'armée d'Italie peut poursuivre les Autrichiens sans que sa sûreté stratégique ne soit compromise.



Les obstacles politiques relèvent de deux cas bien particulier :

Premièrement, c'est la potentielle violation de certaines normes juridiques jugées fondamentales par toute ou partie des acteurs. C'est l'exemple de l'entrée en Belgique des armées allemandes en 1914 qui déclenche l'entrée en guerre du Royaume-Uni. Les conséquences juridiques d'actions cinétiques peuvent conduire à modifier le rapport de force dans un sens comme dans l'autre (exemple de la guerre sous-marine à outrance en 1917 et de l'entrée en guerre des États-Unis).

Deuxièmement, c'est le problème des neutres. Depuis le deuxième conflit mondial, le droit international permet à des États de soutenir ouvertement des mouvements de guérilla ou guerre guerre révolutionnaire, sans aucune considération pour les lois de neutralité. « La géostratégie doit prendre en compte l'existence de tels États à proximité des foyers d'instabilité, car l'expérience suggère que les mouvements sans base arrière n'ont guère de chances de durer, comme l'ont montré les échecs des guérillas communistes aux Philippines et en Malaisie. »15



Ajoutons qu'il n'est point possible d'envisager de vaincre sans pouvoir maîtriser les flux à destination de l'adversaire. Si le « bastion » du ou des groupes visés peut être un territoire contigu à l'espace conflictuel, il peut aussi être très éloigné sur le globe et bénéficier des échanges maritimes pour se joindre. Auquel cas une forte présence en mer sera indispensable.



Ces deux catégories supposent une « stratégie juridique » préalable afin de peser sur l'environnement et de le garder favorable à son action. Stratégie juridique qui comprend également la manière d'appliquer ou de ne pas appliquer la politique pénal à l'égard des groupes armés en cause. Une loi d'amnistie peut-être un bon moyen pour signifier la fin du temps des hostilités ou bien dégarnir la force de combat de l'adversaire (exemple de la loi d'amnistie de 1999 en Algérie).




1 COUTAU-BEGARIE Hervé, Traité de stratégie, Paris, Economica, 2011 (1er édition), p. 725.

2LE PRINCE X.-B., Les comptes de la cuisinière – Influence de la logistique sur l'art de la guerre, Paris, éditions Berger-Levrault, 1958, p. 83.

3Ibid., p. 84.

4 COUTAU-BEGARIE Hervé, Traité de stratégie, Paris, Economica, 2011 (1er édition), p. 731.

5Cité dans Capitaine de vaisseau Lepotier, « Rôle stratégique des bases », p. 499 dans COUTAU-BEGARIE Hervé, Traité de stratégie, Paris, Economica, 2011 (1er édition), p. 733.

6 BAUD Jacques, La guerre asymétrique ou la défaite du vainqueur, Monaco, éditions du Rocher, 2003, p. 189.

7 BAUD Jacques, La guerre asymétrique ou la défaite du vainqueur, Monaco, éditions du Rocher, 2003, pp. 189-190.

8 BAUD Jacques, La guerre asymétrique ou la défaite du vainqueur, Monaco, éditions du Rocher, 2003, pp. 189-190.



9 LE PRINCE X.-B., Les comptes de la cuisinière – Influence de la logistique sur l'art de la guerre, Paris, éditions Berger-Levrault, 1958, pp. 11-12.


10 COUTAU-BEGARIE Hervé, Traité de stratégie, Paris, Economica, 2011 (1er édition), p. 734.

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