20 octobre 2015

La Marine nationale, membre d'une 1000-ships navy en cours de constitution ?

 © US Navy. Le Jean Bart intégré au CSG de l'USS Carl Vinson.

"En fait, la collaboration navale contemporaine apparaît comme une véritable obligation pour tout État entendant participer aux affaires internationales. L'hégémonie s'exerce à présent non plus par la recherche de domination d'un seul sur tous - débouchant logiquement sur des courses aux armements et, plus largement, à la puissance - mais bien par des agendas politiques entendant mettre en oeuvre et étendre des régimes de sécurité collective."
Joseph Henrotin, Les fondements de la puissance navale au XXIe siècle, Economica, 2011, pp. 48-49.


Hervé Coutau-Bégarie considération la réduction de l'US Navy comme une mesure de désarmement unilatérale. "A partir de 1989, on assiste à une véritable dynamique du désarmement qui se situe sur deux plans, auparavant largement antinomiques : celui de la politique déclaratoire et celui des limitations fonctionnelles. Pour la première fois depuis fort longtemps, les deux approches se complètent et s'harmonisent, alors que, traditionnellement, la deuxième avait tendance à ignorer ce que proclamait la première." (Hervé Coutau-Bégarie, Le Désarmement naval, Paris, Economica, 1995, p. 300) L'objectif déclaré d'une Navy à 600 navires de combat sous le président Reagan fut frôlé (585 navires au plus haut) et, depuis, la flotte américaine comptabilisait 286 navires en 2011.  

L'évolution de la constitution génétique des forces à l'orée de la fin des années 1990 accouche de deux conséquences (Les fondements de la puissance navale, p. 48) : une augmentation unitaire de la bulle de détection dans les trois dimensions (sous, sur et au-dessus de la mer) et une diminution prévisible du nombre de plateforme navale du fait qu'un navire moderne puisse, mécaniquement, réaliser le travail de plusieurs prédécesseurs.

L'auteur de la citation ci-dessus rapporte la naissance de la 1000-ships navy. Proposait par le CNO (Chief of Naval Operations) en 2005, il s'agissait de contrer la diminution en volume de l'US Navy "en proposant un agenda naval commun, reflet d'une vision géopolitique commune" (Hervé Coutau-Bégarie, "Tendances et perspectives de la stratégie navale", Défense et Sécurité Internationale, n°19, octobre 2006). 

Les acteurs étatiques font face à deux phénomènes majeurs dans l'exercice de leurs missions : la multinationalisation et les coalitions navales. Le premier est, par exemple constitué de missions communes de longue durée (opération Atalante au large de la Somalie, ou encore, l' "européanisation" de la mission Corymbe dans le Golfe de Guinée).  Le deuxième est matérialisé par l'existence d'exercices permanents entre des États alliés (exemple donné des exercices RIMPAC entre l'US Navy et ses principales marines alliés dans le Pacifique).

La Marine nationale, comme bon nombre de marines, insère son l'action de la France dans les espaces maritimes dans ces deux cadres, en coalition. Remarquons que la première puissance navale ne peut faire autrement. Ce qui est frappant, au demeurant, est ce qui peut apparaître comme la convergence des deux phénomènes.

Bien qu'il n'était pas au programme, remarquons que les États du réseau Echelon partagent beaucoup de choses en mer. Outre des exercices et entraînements communs très nombreux, la constitution génétique de leurs est plus que convergentes. Par exemple, l'Australie et le Royaume-Uni se dote ou pourrait le faire de tout ou partie des éléments du programme BAMS (dont, et surtout, les P-8 Poseidon et les MQ-4C Triton) de la marine américaine pour la maîtrise aéromaritime. Le Canada serait intéressé. 

De ce noyau fort bien structuré, il s'agit de se demander si, entre les acquisitions formalisées les intentions affichées, les coalitions navales s'institutionnalisent au point d'observer des achats d'équipements au profit du fédérateur afin d'atteindre sa norme technologique. Et dans cette perspective, les achats réalisés par le Japon et la Corée du Sud, voire l'adaptation de leurs équipements pour participer aux capacités navales américaines, est à observer au plus près. 

La multinationalisation semble, elle aussi, touchée par ce phénomène de convergence. Prenons l'exemple typiquement française de la présence navale de la Royale dans le Golfe Persique. Depuis plusieurs années (depuis, au moins, la deuxième guerre du Golfe), la Marine nationale recherche l'interopérabilité avec les groupes aéronavals américains. De l'insertion ponctuel d'une frégate française (à l'image du Jean Bart) dans un Carrier Strike Group (1991), nous sommes passés à l'insertion pleine et entière d'un groupe aéronaval français entre deux américains afin de maintenir une présence alliée, à ce niveau, dans le Golfe Persique. 

Ce qui frappe, en plus, est l'annonce récente d'une possible intégration d'une frégate australienne au sein du GAn. Premièrement, cela associerait la coalition navale du Pacifique avec la marine française. Deuxièmement, cela pose la question d'un niveau d'interopérabilité avec l'US Navy, d'une part, et avec ses alliés, d'autre part. Tout ceci, dans un cadre non-otanien, et alors que des décisions structurantes sont à prendre à Paris sur bon nombre de dossiers, allant de la chasse aux mines à la patrouille maritime en passant par la défense aérienne. 

 L'action navale française, dans ce concert aux multiples influences, ne peut que prendre en compte la compétition technologique et son cadre multilatéral, obligatoire pour tous. Ce qui questionne notre capacité à peser sur l'agenda naval. Et donc ce que nous pouvons amener dans le Golfe de Guinée, par exemple. Tout en retenant que nous demeurons une nation du Pacifique, spectatrice, et la moins bien équipée... en matière de forces de présence. Sachant que les campagnes d'essais dans cet océan voyait la Marine nationale mobilisait l'essentiel de la flotte, opération de projection bien avant l'heure, tandis que nos forces navales demeurent concentrées en Méditerranée, et ce, depuis le XIXe siècle. 

La 1000-ships navy devient-elle réalité sous nos yeux ? C'est une question dont la réponse impliquera de positionner la Marine nationale, et l'ensemble des forces armées, en réalité, par rapport à ces phénomènes, tant dans les océans Atlantique, Indien et Pacifique. 





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