11 novembre 2015

Stratégie nationale (du statu quo) de sûreté des espaces maritimes


" Il y a aussi l'immensité de notre espace maritime. Et les Outre-mer ont un rôle primordial – sur les 5 continents – pour notre présence dans le monde. Tout comme l'ensemble de nos compatriotes qui sont établis et travaillent à l'étranger. "
Le Premier Ministre Manuel Valls, discours de politique générale (8 avril 2014).

Depuis son entrée en fonction, le Premier ministre Manuel Valls multiplie les références aux espaces maritimes français et affirmait nourrir une ambition maritime. C'est ce qu'il énonçait dans un discours d'ouverture des 10e assises de l'économie de la mer à Nantes le 2 décembre 2014 quand il annonçait que la France allait se doter d'une stratégie nationale de sûreté des espaces maritimes, complétant celle de l'Union européenne. Et le moins que nous puissions relever à travers la publication de cette stratégie nationale de sûreté des espaces maritimes, c'est que le Premier ministre a tenu parole, et ce document est même plus ambitieux que le livre blanc sur la défense et la sécurité nationale de 2013 sur quelques points !

Le général Beaufre énonçait la nécessitait de l' « l'élaboration du plan stratégique. Il s'agit d'une dialectique. Par conséquent, il faut prévoir les réactions adverses possibles à chacune des actions envisagées et se donner la possibilité de parer chacune d'elles. Ces réactions peuvent être internationales ou nationales, morales, politiques, économiques ou militaires. » (BEAUFRE André, Introduction à la stratégie, Paris, Armand Colin, 1963, p. 38.) 

Nous avions alors retenu qu'une stratégie énonçait des objectifs à atteindre grâce à un plan stratégique et des moyens ("Une stratégie de contre-violence ? Tentative de définition"). Nous retrouvons dans cette stratégie nationale le cadre géographique de l'action, le plan stratégique mais il n'y a pas la moindre mention des moyens, qu'ils soient humains, matériels et institutionnels. 

Le cadre géographique : les frontières (maritimes) de la France 

Le livre blanc faisait lui aussi référence à cette France des cinq continents et océans. Dans les deux cas, il n'y a pas utilisation de la notion d'Archipel France. Ce n'était pas une obligation, mais cela aurait été très novateur. Le constat géographique est plus ou moins le même dans la liste des risques et menaces dans les DROM-COM. Une attention plus poussée est portée à l'espace Arctique dans ce document. 

La grande avancée conceptuelle depuis le livre blanc, et peut-être même depuis toujours, est l'affirmation des frontières liquides de la France : 

"Nos espaces maritimes sont donc, pour le territoire national, à la fois prolongements et approches - avec une profondeur variant en fonction du risque ou de la menace à l’aune du délai nécessaire pour mettre en œuvre une parade. Cette double fonction s’inscrit pleinement dans un continuum mer-terre, ou terre-mer selon le point de vue, faisant écho au continuum sécurité-défense. Pour préserver leurs atouts majeurs, la maîtrise de ces espaces est primordiale. Il convient donc d’en connaître et d’en faire connaître les contours, d’y surveiller les flux, d’y réguler les activités pour garantir, à tout moment, notre défense et notre sécurité, faire respecter nos droits souverains et prévenir toute menace pour le territoire qui en proviendrait." (p. 12)

Voir à ce sujet : "La Marine nationale, première force armée garante de l'intégrité territoriale de la France"

 Au demeurant, ce document est d'une grande richesse en matières de cartes. Il fournit une carte mondiale de l'organisation de la fonction garde-côtes avec chaque zone de responsabilité. Ce qui est rare, voire unique. Mais aussi une présentation de chaque grande "région" maritime française avec, notamment, les temps de navigation entre chaque île ou archipel, ou bien depuis une base navale majeure. Ce n'est pas rien que de présenter aussi largement une réalité géographique où le temps entre deux points se mesure en journées de navigation.

Les objectifs, une imprécision sémantique ?

Ce continuum sécurité-défense, si difficile à cerner dans les faits et les structures, se double d'un continuum mer-terre-mer qui englobe l'Archipel France ou espaces maritimes français. 

Cette stratégie répond alors à deux objectifs, c'est-à-dire satisfaire aux besoins de sûreté et de sécurité maritimes de notre pays archipélagique. Par exemple :
  • Fonction stratégique de protection (p. 2) : "La présente stratégie ne couvre pas la protection de la Nation contre les menaces de nature militaire, dans la mesure où cette dernière relève de la stratégie militaire générale et du concept d’emploi des forces, mais elle contribue à la renforcer au travers du renseignement ou de l’adoption envisagée de certaines mesures."
  • La sûreté maritime "est définie comme la prévention et la lutte contre toutes activités hostiles  à nos intérêts et à caractère intentionnel. Elle est essentiellement définie par rapport à des menaces (terrorisme,  trafics illicites, piraterie, pillage des ressources ou des biens, pollution volontaire...)" (p. 2) ;
  • La sécurité maritime "conformément au droit international, renvoie principalement à des enjeux de sécurité de la navigation, des navires, des personnes et des  biens et de manière plus globale à la sécurité des États. Elle désigne ainsi la prévention et la lutte contre les événements d’origine naturelle ou anthropique, non intentionnels, portant atteinte aux personnes, à l’environnement, aux navires ou aux infrastructures. Elle est essentiellement définie par rapport à des risques (aléas climatiques, évènements de mer...)." (p. 2) 
Le présent découpage semble renvoyer à une réalité parfaitement claire et bien cloisonnée. Pour autant, et paradoxalement, cette stratégie nationale prouve dans son exposé que ces trois matières se mélangent à merveille dans les faits. Il y a un pas entre l'atteinte à notre sûreté maritime qui se transforme dans le suivant en une atteinte à notre intégrité territoriale. Et le document liste bien toutes les menaces d'annexion pesant sur nos îles, de Clipperton à l'océan Pacifique.

La réinvention de la défense littorale

C'est pourquoi nous sommes particulièrement surpris de ne pas trouver, non pas l'utilisation des termes de sûreté ou de sécurité, mais bien une nouvelle traduction du concept de sauvegarde maritime. Celui-ci est la synthèse des missions de défense, de police et de service public à la mer. 

Le décalage est saisissant entre la sémantique de cette stratégie et l'ambition qui se dessine dans la description de ce qu'elle recouvre. Il ne s'agit, ni plus, ni moins, que de réinventer la défense littorale. Hier, il s'agissait de repousser les "insultes" faites à nos côtes et les descentes de navires ennemis. Ce qui supposait une défense militaire du littoral, doublée d'organismes paramilitaires pour réglementer l'occupation de nos espaces littoraux, à l'image des Douanes. 

Aujourd'hui, il s'agit donc, à travers la fonction garde-côtes de lier dans un continuum géographique, liant sécurité et défense, de proposer une organisation capable de faire respecter la souveraineté de la France de ses plages jusqu'à l'extrême limite de ses zones économiques exclusives. 

Le plan stratégique 

Il est hautement détaillé dans tout ce document. Comme pour d'autres, il a l'extrême mérite d'exister. Il est une très belle synthèse de tout ce qui est mis en œuvre pour protéger et assurer son développement. Rien qu'à cet égard, c'est bien mieux que l'accumulation des documents particuliers de chaque administration.

C'est même le statu quo que nous glissions dans le titre qui prédomine dans cette stratégie nationale. Toutes les actions mises actuellement utilisées sont répertoriées. Par contre, il ne se dessine aucune hiérarchie entre elles. Il faut alors en conclure que c'est le minimum à entreprendre pour atteindre nos objectifs. 

Chose qui avance dans la bonne direction est l'affirmation de nos intérêts économiques dans l'océan globalisé et plus particulièrement dans nos espaces maritimes. Ce qui supposerait que, à côté des stratégies militaire, de sûreté des espaces maritimes, existe une stratégie économique interministérielle de l'Archipel France. C'est la conséquence naturelle puisqu'il est bien affirmé que les enjeux maritimes supposent une coordination des politiques de l'État car la mer exige une politique globale et cohérente.

Notons aussi que ce document comprend aussi bien une stratégie juridique qu'une déclinaison de notre cyberstratégie déclinée à la sûreté des espaces maritimes. La marétique est bien prise en compte (voir à ce sujet : "Cybersécurité maritime 2014", interview de Si Vis Pacem au Marin).

Les moyens ?

Rien ! Pas une seule énonciation des moyens mis en œuvre. Certains supposent que la question est renvoyée à un document complémentaire. Il serait temps de pouvoir approcher le différentiel entre la volonté politique affichée depuis avril 2014 et les moyens accolés à celles-ci. 

La fonction garde-côtes et le dispositif institutionnel actuel de l'Action de l'État en Mer est préservé. Nous nous attentions, au contraire, à une réorganisation radicale. Il était attendu dans toutes les administrations de l'AEM que la Marine nationale récupère la gestion des moyens aéromaritimes. Le dispositif des Douanes avait été sévèrement critiqué par la Cour des comptes. Le remplacement des bateaux de l'AEM voit, à l'exemple de celui de l'IPEV, la Marine bénéficier de la rationalisation des moyens. 

Ce supposerait, dans pareille organisation où la Marine fournit les moyens côtiers et hauturiers, c'est-à-dire les bateaux, que les autres administrations réinventent leur présence à la mer depuis la Marine et les côtes de l'Archipel France. Et encore, cela cache la nécessaire coordination avec d'autres administrations qui ne sont pas actuellement comprises dans l'AEM alors qu'elles opèrent dans la bande littorale, donc qui sont concernées par le continiuum mer-terre-mer.

En conclusion, c'est un très beau document qui en exige au moins un autre sur la stratégie économique maritime de la France, mais surtout une précision des moyens alloués à notre sûreté maritime.

Stratégie nationale de sûreté  des espaces maritimes, Adoptée en comité interministériel de la mer du 22 octobre 2015, 52 pages.


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