03 février 2016

Renforcer la puissance navale française ? Mariage de raison avec l'Armée de l'air

© Wikipédia. A Long Range Anti-Ship Missile (LRASM) launches from an Air Force B-1B Lancer during flight testing in August 2013.
Les relations institutionnelles entre les forces armées d'une puissance politique sont régulièrement la source de frictions dans l'accomplissement du plan stratégique, tel que conceptualisé par Beaufre. En particulier, les liens régissant les aviations de coopération et les armées de l'air sont particulièrement sensibles. La France n'échappe pas à la règle et nous vous proposons ce questionnement : la frontière liquide mais étanche séparant l'Armée de l'air des missions aéromaritimes n'est-elle pas contre-productive ?

Il existe au moins deux exemples de puissances militaires où les défenseurs de l' "airpower intégral" l'avait emporté. Dans l'Allemagne nazie et l'Italie fasciste, les deux marines militaires ne disposent pas d'une force aéronavale. La position est tellement rigide en Italie qu'une loi (1923) est même votée à cet effet... demeurant en application à un tel point qu'elle n'aura été abrogée que le 26 janvier 1989 pour permettre au futur Garibaldi de recevoir des Harrier. Les deux marines, bien qu'entretenant des projets de porte-avions, ne purent les transformer en des outils opérationnels. Et pourtant, l'Allemagne aurait pu grandement perturber les forces anti-sous-marines ou anti-raiders alliés en disposant de deux porte-avions en construction. L'Italie aurait pu découvrir ou remporter définitivement la domination navale de la Méditerranée. 

Le cas italien est intéressant dans la mesure où il entretient le mythe du porte-avions terrestre, à travers l'exemple de la Sicile. Au demeurant, si le contrôle d'une partie des îles de la Méditerranée, en particulier celles contrôlant des routes maritimes ou même les passages d'un bassin à l'autre de cette, ce n'est pas pour autant que la simple disposition de ses îles enlevait tout intérêt à entretenir des porte-avions.

L'Amiral Pierre Barjot démontrait également, par ses nombreux articles, dont une grande partie rassemblée dans son Histoire de la Guerre aéronavale (Paris, Flammarion, 1961, 443 pages), que la décision japonais de retirer les groupes aériens embarqués des ponts plats nippons était tout sauf un choix judicieux. Les forces américaines eurent plus de facilités à affronter une défense aérienne fixée sur un ensemble d'îles plutôt que d'avoir à chercher un ensemble de forces aéronavales. 

Paradoxalement, ce sont peut-être chez deux des pays les plus maritimes, c'est-à-dire l'Angleterre et les États-Unis que les relations entre aéronavale et armée de l'air sont bien plus fructueuses. La Royal Navy est appuyée par une aviation de patrouille maritime entretenue par la Royale Air Force. L'US Air Force doit soutenir des missions de défense maritime, dont des missions aériennes de minage et d'attaque de forces navales adverses. 

En France, les relations sont cordiales dans la mesure où la Marine nationale entretient presque toutes les capacités aériennes dont elle éprouve le besoin pour l'accomplissement de ses missions. Ce qui laisse l'Armée de l'air française dans une situation assez étrange où elle n'entretient presque aucune mission opérationnelle en matière de défense maritime du territoire national, tandis que la Royale, par exemple, participe de la posture permanente de sûreté aérienne. Aussi, cette posture nous paraît être à l'origine de prises de position très malheureuse vis-à-vis de l'action aéronavale dans et depuis l'Archipel France alors que la maritimisation s'impose à l'action militaire française, même et surtout aérienne.

C'est pourquoi nous proposons quelques inflexions afin d'insérer l'Armée de l'air dans les dispositifs aéromaritimes français, ce qui pourrait lever quelques hypothèques quant aux investissements dans les outils nécessaires à ces mission. 
Premièrement, il nous semblerait intéressait, à l'instar de ce qu'ambitionne de faire le Royaume-Uni, de créer une unité commune aux deux forces armées dédiées à l'entraînement aux missions de supériorité aérienne. D'anciens aéronefs, soutenus par la cannibalisation d'autres spécimens, pourraient fournir un ensemble d'avions de chasse d'opposition, comme par exemple les Mirage F1 et les Super Étendard. Le vivier de pilotes nécessaires pourraient être entretenu par un appel à la réserve. 
Deuxièmement, la FANU pourrait être rapprochée des FAS via la constitution, là aussi, d'une unité commune. Une participation financière de la Marine abonderait ses coûts de fonctionnement, en plus de l'intégration des pilotes de l'aéronavale affectés à ces missions relevant de la dissuasion. Les deux forces aériennes pourraient alors développer ou entretenir de nouveaux modes opérationnels, dans l'optique d'une pénétration des défenses aériennes ennemies (guerre électronique dont ses volets cyber-électroniques). 

Troisièmement, une flottille serait créée et dédiée aux missions anti-navires avec une participation financière de l'armée de l'air (à moins que la création de la première unité évite d'entretenir de savants calculs) et l'affectation d'une partie de ses pilotes. En liaison avec l'aviation de patrouille maritime mais aussi les avions de guet aérien et de ravitaillement en vol, cette mission devra être explorée afin que tous les escadrons, toutes les flottilles puissent être au sommet mondial des procédés tactiques en la matière.

Quatrièmement, une nouvelle unité ou l'une des unités précédemment proposées, sous commandement de l'armée de l'air mais sous contrôle opérationnel de la force maritime de l'aéronavale intégrera ainsi le groupe aérien embarqué. L'Armée de l'air intégrera donc le groupe aéronaval et opérera à partir du porte-avions. 

La Marine nationale et l'Armée de l'Air pourraient ainsi mettre en commun leurs efforts, après l'avoir fait dans la formation initiale des pilotes et le MCO, en matière de supériorité aérienne, de lutte anti-navire et de dissuasion nucléaire. L'unité commune à la FANU et au FAS pourrait tout aussi bien être celle ayant vocation à embarquer sur porte-avions, offrant une capacité supplémentaire pour l'entrée en premier sur un théâtre. In fine, le porte-avions serait reconnu définitivement comme une base aérienne mobile. En son versant naval, il retrouverait les bases, non plus d'une "canonnière stratégique" mais bien d'un navire de combat.

3 commentaires:

  1. "Les deux marines, bien qu'entretenant des projets de porte-avions, ne purent les transformer en des outils opérationnels."

    La rivalité institutionnelle n'explique pas tout. La Luftwaffe a créée, et équipée, des unités destinées à opérer depuis le Graf Zepellin. Mais le pont plat n'était pas prêt.
    Par ailleurs, ces rivalités ne sont pas à sens unique, avec une aviation navale à la merci d'une aviation terrestre. Le Japon a entretenu ces deux branches et leur constante rivalité n'a fait que gaspiller des ressources.

    Et pour en revenir sur le sujet du post, entrainer des pilotes de l'armée de l'air à tirer l'Exocet. Oui, ça peut servir. Sauf que le stock d'engins est assez faible, pour ne pas dire ridicule, et les possibilités d'entrainement sont limitées. Autant limiter les unités capable de le tirer afin d'avoir un petit vivier compétent plutôt qu'un gros casting peu rodé.

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  2. les mariages air force/aéronavale ont toujours abouti à des échecs :
    intégration des Harriers FA2 dans la RAF, cette dernière n'a pas cessé de privilégier les opérations aéroterrestres au détriment des opérations conduites à partir de la mer jusqu'à leur désarmement, l'intégration des tornados de la marine allemande au sein de la luftwaffe jusqu'à leur désarmement quelques années plus tard avec abandon de la mission d'attaque de bâtiments à la mer. Toutes ces tentatives de combiner de moyens air et aéronavale ont jusqu'alors toujours été des échecs essentiellement liés à la logique de milieu et l'absence de volonté de partage de crédits. La gestion de la flotte RAFALE que l'armée de l'air assure ne fait que confirmer les antagonismes

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  3. Sauf que le titre est trompeur car je ne préconise pas une absorption de l'Aéronavale par l'Armée de l'air, ce qui limite la portée de l'exemple anglais.

    J'avais souvenir d'avoir lu que l'abandon du Graf Zeppelin était surtout le fait de la Luftwaffe ?

    Cordialement,

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