22 septembre 2016

L'action navale face à l'A2/AD par Alain Juppé

© MBDA - Michel Hans. Tir d'un missile Aster 30.

Après les parties Défense des projets de Bruno Le Maire, Jean-Frédéric Poisson et Nicolas Sarkozy, c'est au tour de celles d'Alain Juppé, autre candidat à la primaire du parti politique "Les Républicains". Le 12 juillet 2016, il présentait les principaux éléments de ses choix pour la Défense nationale. Sans esprit partisan, il nous semble opportun de discuter de ces propositions, tout comme nous pourrions le faire d'un autre candidat de cette primaire ou d'une autre, ou de tout candidat déclaré à l'élection présidentielle.

Alain Juppé (ancien Premier ministre (17 mai 1995 – 2 juin 1997) et de la Défense (14 novembre 2010 – 27 février 2011) est connaisseur des questions de Défense nationale. Ses propositions à ce sujet dans le cadre de la primaire du parti politique "Les Républicains" sont rassemblées dans un cahier "Agir pour la Défense" de 46 pages. 

Dans ce document, le candidat semble se hisser à la hauteur d'une stratégie intégrale, bien qu'il soit regrettable qu'une partie de la prose conviendrait à un livre blanc, voire la RGPP. Tout du moins, il propose une vision de la manière dont il souhaite insérer la stratégie militaire qu'il promeut dans le cadre de l'action politico-diplomatique de la France dans son "étranger proche" par l'exercice de la sécurité collective (Union européenne et OTAN) et dans le monde. 

L'approche des acteurs dans le cadre géographique recèle les meilleurs éléments. Même les livres blancs n'ont jamais réussi à se hisser à un tel niveau (appréciation du seul auteur de ces lignes). Le passage sur les acteurs est relativement classique tant dans la citation de ceux reconnus comme asymétriques que ceux symétriques, c'est-à-dire les États faisant le "jeu" de la puissance :

"Le comportement imprévisible de certains de ces acteurs tout comme les manifestations agressives que provoquent le retour des nationalismes ou  des  tentations  impérialistes  sont  en  outre  porteurs  de  menaces  inquiétantes pour la sécurité des espaces communs (maritime, aérien ou extra-atmosphérique) où la liberté de circulation est un enjeu vital pour tous les pays. Puissance spatiale, possédant le deuxième patrimoine maritime mondial, grâce à ses départements et collectivités d’Outre-Mer, notre pays ne peut ignorer ces défis qui le concernent particulièrement."
(p. 18)

Il est original dans un discours politique français de recourir au cadre géographique des "global communs" (espaces d'intérêt commun selon la traduction proposée par Olivier Kempf dans Introduction à la Cyberstratégie), c'est-à-dire le "maritime, aérien ou extra-atmosphérique" sans oublier le cyberespace. 
La France est perçue comme faisant partie de cette problématique par son "deuxième patrimoine maritime mondial". Ajoutons que cela suppose un ensemble de liaisons aériennes et de câbles sous-marins (cyberespace) en plus des routes maritimes. "Également  parce  que,  à  l’ère  de  la  mondialisation,  ses  intérêts  ou  ceux  de  l’Europe  sont  affectés  à  des  degrés  di vers  par  ce  qui  se  passe  sur  tous  les  continents  et  sur  tous  les  océans." (pp. 18-19)

Face à ce paradigme des rapports de force mondiaux, le candidat développer sa stratégie militaire avec une grammaire stratégique assez connue dans l'Océan Pacifique, et qui commence à se répandre dans le cadre de l'Alliance Atlantique, ainsi que dans l'Est de l'Europe. 

Premièrement,  les capacités de dissuasion française (nucléaire et conventionnel sont mêlés à cette occasion (pp. 19-20) serait renforcée, notamment par le truchement de la dissuasion nucléaire (en ses deux composantes). Cette dernière demeure le socle de la Défense nationale et sa modernisation dans un format inchangé (faute de précisions) serait financée à la hauteur de l'effort nécessaire.

Deuxièmement, et eu égard à l'utilisation du paradigme des espaces d'intérêt commun, "l’élévation significative du niveau des technologies militaires auquel, en particulier, parviennent la Russie et la Chine doit être désormais  considérée comme une source de préoccupation très sérieuse, ainsi qu’en  attestent notamment l’ampleur de leurs programmes cyber ou l’apparition  de capacités « anti-accès » très performantes" (p. 24), l'accent est mis sur le nécessaire soutient de la France dans les zones où ses intérêts sont en jeu.

Troisièmement, il s'agit de considérer un théâtre de la Guerre où la "diffusion croissante de technologies bon marché et la facilité avec laquelle la mondialisation permet les trafics d’armes favorisent  la constitution d’organisations ou de bandes armées irrégulières, équipées de matériels de  guerre modernes et d’outils de communication  performants, dont les modes opératoires brouillent également les repères de la  guerre classique" (p. 23). De la "guerre hybride" donc (ou plutôt de la guerre hors limite ?) avec "des  modes  d’action  à  multiples  facettes : opérations ponctuelles de haute intensité, tactiques de guérilla, actes terroristes, prises d’otages, cyber-attaques, manœuvres d’influence visant les opinions  publiques, voire gesticulation nucléaire". (p. 23)
Il en découle un modèle d'armée qui serait intégré dans une nouvelle loi de programmation militaire (2018-2023). Le volume financier serait progressivement porté jusqu'à 2% du PIB à l'horizon 2025. Une augmentation en valeur absolue de 7 milliards d'euros des crédits du budget de la Défense serait consentie d'ici à 2022 (p. 35).

L'accent serait mis sur la capacité de la France à surveiller et contrôler sa part d'espaces d'intérêt commun (p. 28) avec une priorité affichée pour "restaurer les capacités de surveillance maritime de nos DOM-TOM" par exemple (AVSIMAR, BATSIMAR et SDAM ne sont pas cités dans ce document).
A l'autre extrémité du spectre des opérations, outre la mise en œuvre des capacités dissuasives, le point d'orgue sera "l'entrée en premier dans des zones de conflit de haute intensité" (p. 28). Il s'agit alors de répondre aux problématiques A2/AD en se ménageant une capacité d'action par le déminage et la frappe à distance comme réponse aux systèmes mis en place pour ralentir ou dénier l'action militaire extérieure. A ce titre, la coopération avec Londres, notamment, sur le CJEF (Combined Joint Expeditionary Force) serait maintenue, entretenue et approfondie.  

Pour répondre aux priorités affichées autant pour la surveillance et le contrôle que pour une capacité à entrée en premier dans un contexte AD/AD (en citant la Chine et la Russie), la programmation rencontrera de nombreux défis. En ce qui concerne la Marine nationale, il s'agit, non pas seulement de valider l'actuelle modèle, mais bien de le renforcer. Le projet du candidat cite les carences en matière logistique (les pétroliers ravitailleurs en bout de course), la nécessité de poursuivre la modernisation des capacités de lutte anti-mines ou de renforcer les moyens amphibies. Il évoque la nécessité de reconstituer les stocks de munitions, et dans la lignée de ses propositions, il n'est alors pas possible de se contenter de cibles trop faibles pour le MdCN et les Aster, ou de stocks trop bas pour les Exocet. 
Eu égard à la très haute ambition affichée, puisque la Marine nationale ne pourrait que se comparer à l'US Navy pour entreprendre des réponses nationales aux problématiques A2/AD (quid de la défense anti-missile balistique dans un cadre otanien ou Pacifique ? vis-à-vis de la dissuasion nucléaire ?). N'oublions pas que des capacités non-citées dans le document sont à moderniser (la défense aérienne de la flotte contre le supersonique (Aster Block 1NT) et l'hypersonique), à augmenter comme la capacité de frappes dans la profondeur (artillerie navale nettement revalorisée, par exemple) et à dupliquer (le deuxième porte-avions, la flotte logistique, les SNA-NG). 

Un budget tendant vers les 2% d'ici à 2022 ne sera pas de trop pour hisser les forces armées aux menaces identifiées dans ce document.

2 commentaires:

  1. On n'arrive pas/plus à télécharger ce fameux cahier ...

    Par rapport à l'analyse qui en est faite, on peut considérer que c'est très vague, un peu trop général. C'est peut-être un peu trop "y'a qu'à, faut qu'on", et tout ceci manque de précisions. On ne peut pas diriger un pays uniquement avec des idées, louables dans l'absolu, il faut des choses concrètes. Egalement pour montrer à l'électeur que l'on s'est intéressé au sujet et qu'on n'est juste en train de faire de belles promesses de campagne.

    On remarque toujours cette cible à 2% à échéance de 10 ans pour le budget de la défense qui, si elle est respectée et bien gérée (ouille ouille ouille), permettra de grandes choses.

    Mr Juppé Premier Ministre n'a en tout cas pas fait réellement de miracles à ces postes ...


    QC

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  2. La cible d'un budget de la Défense à 2 points de PIB d'ici à 2025 est dans le programme du parti présenté en mai de cette année. Les candidats le reprennent ou proposer plus (en avançant l'année où la cible est atteinte, par exemple).

    La propose de M. Juppé ne ressemble pas à un inventaire à la Prévert, certes, mais il justifie l'ensemble de ses choix en matière de politique de défense autour d'un futur contrat opérationnel. Contrairement à l'impression, c'est très concret.

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