24 juillet 2017

De l’instrumentalisation de la bataille pour le budget de la Défense comme démonstration de force présidentielle

© Mme Soazig de la MOISSONNIERE, photographe de la Présidence.
Le 29 juin 2017, était publié un rapport de la Cour des comptes, commandé par le Premier Ministre Philippe, et faisant état d’un budget 2017 du précédent Gouvernement « entaché d’insincérités » causant un dérapage de quelques 8 milliards d’euros.
Cet héritage justifiant alors, aux yeux du nouvel exécutif, un coup de barre budgétaire de 4,2 milliards d’euros afin de maintenir la France en deçà des 3% de déficit comme les traités européens l’exigent.
L’effort réclamé aux armées se monte ainsi à 850 millions d’euros, correspondant a priori aux surcoûts OPEX. Or, le nouveau Président de la République semble peu enclin à revoir à la baisse les ambitions du pays, notamment militaires. En résulte depuis quelques jours une crise particulièrement aiguë entre l’exécutif et le monde de la Défense. Qui s’est soldée le mercredi 19 juillet par la démission du CEMA.

Néanmoins, la signification politique de cette séquence semble dépasser largement la seule question de l’orthodoxie budgétaire, et l’on peut y observer une démonstration de force du Président Macron, désireux de marquer une rupture totale avec son prédécesseur.


Ainsi, sur le fond, alors que sous le Président Hollande le « pacte de sécurité » s’était aisément imposé sur le « pacte de stabilité » au lendemain des attentats du 13 novembre 2015, le Président Macron profite de cette ardoise de 8 milliards d’euros pour réaffirmer la primauté de la lutte contre les déficits et tacler, au passage, son prédécesseur.

D’un point de vue organique, les changements décidés par le nouvel hôte de l’Élysée participent également à « représidentialiser » la Défense, à rebours du Président Hollande qui avait largement délégué cette mission à l’un de ses plus proches soutiens : le Ministre de la Défense Le Drian,  resté en poste tout au long du mandat présidentiel. En rebaptisant le Ministère de la Défense en Ministère des Armées, le Président de la République se place ainsi directement sous l’égide de l’article 15 de la Constitution qui le désigne « chef des Armées ». Cette reprise en main du ministère régalien par excellence, participe en effet à l’image d’un Président fort, figure d’autorité, « jupitérien », cultivée depuis son investiture. Et particulièrement via les armées : visite auprès des troupes engagées au Mali, immersion à bord du SNLE Le Terrible, etc.

Le Chef d’ État-Major des armées (CEMA) de Villiers a fait les frais de cette nouvelle posture présidentielle à la veille du 14 juillet 2017 – et à la suite de son audition à huis clos par la Commission de la défense nationale et des forces armées de l’Assemblée nationale. En effet, le CEMA en appelait alors, en substance, à un arbitrage présidentiel face aux velléités budgétaires du Premier Ministre et de Bercy. Un exercice récurrent sous le mandat du Président Hollande. Or, le CEMA s’est vu violemment critiquer par le Président Macron – et de surcroît en public – celui-ci lui signifiant, en filigrane, que la décision était la sienne. Et que par conséquent il est inutile de vouloir en négocier les termes.

Le principal enseignement de cet épisode est que la nouvelle présidence entend démontrer, et pas uniquement au CEMA – ni même aux armées – qu’elle « tient » son Gouvernement. Les arbitrages présidentiels se feront dorénavant en amont. Si le Gouvernement porte une politique, c’est que le cap en a déjà été fixé par le Président de la République. Plus de « couacs », ni de disputes interministérielles : le Président décide, le Gouvernement exécute. Comme il l’a d’ailleurs été publiquement annoncé en début de mandat. Dès lors, il devient impossible de négocier, ou d’en appeler à l’arbitrage du Président, auquel cas il se dédierait.


Le CEMA est ainsi le dommage collatéral de ce revirement majeur dans la pratique du pouvoir exécutif. Néanmoins, la présente manœuvre politique n’est pas exempte de risques.

Il y a un risque réel de dérive autoritaire, avec la remise en cause des contrepouvoirs, notamment parlementaire.  Car c’est bien dans ce cadre que le CEMA s’est exprimé. Alors que le débat est non seulement légitime, mais participe à l’essence même de la démocratie. Or, en écartant sa Ministre des Armées de cette question cruciale, le Président de la République la soustrait au contrôle parlementaire.  
Pointe également le risque d’une « prime à la servilité » des conseillers, qui pourraient être incités à ne plus apporter une information objective et renseignée, même si contradictoire avec la volonté de l’exécutif, mais plutôt à abonder dans le sens des décideurs politiques. Or, le politique ne saurait se couper du réel. A fortiori dans un domaine qui touche aux intérêts fondamentaux de la Nation.
Enfin, le Président de la République s’expose directement en court-circuitant les « fusibles institutionnels » traditionnels que constituent son Ministre des Armées, et même son Premier Ministre. Il devient ainsi personnellement comptable aux yeux de l’opinion publique des éventuelles conséquences néfastes des politiques qu’il commande. Pourrait alors en résulter, paradoxalement, un affaiblissement de la figure présidentielle.


La stratégie employée pour asseoir l’autorité présidentielle et neutraliser la contestation relève quant à elle d’un storytelling  visant à transformer un débat institutionnel légitime en rapport de force gagné d’avance.

En effet, en rappelant publiquement et vertement à l’ordre son CEMA, le Président Macron a « personnalisé » – à son avantage – un conflit alors institutionnel et budgétaire aux fins de mieux le tuer dans l’œuf. Car le débat cède alors sa place au rapport de force entre deux hommes. Dont l’un des deux n’est autre que le subordonné du second en vertu de la Constitution. Dès lors, l’argument d’autorité suffirait à discréditer toute contestation.

De même, en privant l’institution militaire d’un relai civil fort en nommant une Ministre au profil de gestionnaire et au poids politique très relatif, la contestation militaire ne peut que très difficilement se traduire en critique politique audible. À moins que le pouvoir législatif ne se saisisse de la question et marque son opposition à l’exécutif. Or, certains sénateurs et députés, jusque dans les rangs de la majorité, n’hésitent pas à critiquer ouvertement ces coupes budgétaires massives.

Enfin, il convient de relever la tentative de monter l’institution militaire (très populaire dans l’opinion) contre les industriels de la Défense (qui doivent composer avec l’image traditionnelle du « marchand de canons ») en laissant entendre que ces derniers seraient trop gourmands, et que donc les intérêts des deux seraient antinomiques. Or c’est justement l’inverse : industriels et militaires entretiennent une relation symbiotique et fragile, que le Président de la République risque de mettre à mal. Une sortie d’autant plus malheureuse à l’heure où certains industriels ne cachent plus que le civil leur est plus rentable et moins compliqué, et que donc la tentation de délaisser la défense devient réelle.


Néanmoins, il serait malavisé de réduire les causes de ce tour de vis budgétaire à une seule volonté d’affichage symbolique et politique. Car il se pourrait que cette séquence trouve son origine, du moins en partie, outre-Rhin.

En effet, c’est fort opportunément le 13 juillet, jour même de la saillie présidentielle à l’encontre du Général de Villiers, que la Chancelière allemande s’est exprimée pour la première fois en faveur de la création d’un  Ministre des Finances de la zone Euro – une proposition portée par le Président français et traditionnellement accueillie avec froideur par Berlin.

L’on peut penser que, face à la poussée de fièvre populiste de ces dernières années, l’Allemagne consent enfin à se montrer plus souple. Seulement, les élections législatives allemandes se tiendront fin septembre, et la Chancelière Merkel, si elle souhaite se voir reconduite à son poste, ne saurait accepter sans contrepartie une telle réforme : la France, à travers son nouveau Président, doit ainsi faire la preuve de son sérieux, de sa rigueur.

Ce qui passe bien évidemment par le respect de la règle d’or budgétaire européenne des 3% de déficit. Quitte à ce que des coupes drastiques soient appliquées en urgence. Au contraire même, puisque cela serait d’autant plus susceptible de rassurer une opinion publique allemande encore marquée par l’inflation et la faillite de l’État de l’entre-deux-guerres.



Partant, la manœuvre présidentielle tendrait à s’inscrire dans un double rapport de force, à la fois interne et européen. Et si les desseins politiques ainsi recherchés peuvent parfaitement se révéler légitimes, il est tout aussi légitime et impératif de rappeler et de souligner les conséquences délétères qu’auront ces coupes budgétaires.


Waël SALEM-JARNO
@wlslm

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